Poésies (Quarré)/Avant-Propos

Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. xv-xviii).


AVANT-PROPOS.



J’étais loin de prévoir, sans doute, en composant les premiers vers de ce volume, qu’ils fussent destinés un jour à la publicité. Accoutumée dès ma plus tendre jeunesse aux travaux assidus de l’atelier, n’ayant guère d’instruction que les souvenirs qui me restaient de lectures faites sans choix et à la dérobée, comment aurais-je conçu l’idée de faire, moi aussi, un de ces livres que je dévorais avidement ? Pourtant, dès mon enfance, j’aimais de prédilection la poésie, bien que je ne connusse pas encore celle qui devait m’enchanter entre toutes. Les tragédies de Racine m’étaient familières, et souvent je me plaisais à en réciter les plus belles tirades, pour abréger les heures longues et sans cesse renaissantes du travail ; mais, quoique je sentisse et j’aimasse d’instinct ce magnifique langage des héros et des rois, j’étais bien peu capable, certes, d’en comprendre et d’en apprécier alors toute la majestueuse beauté.

Combien aussi, à cette époque, je me doutais peu, en répétant les vers d’Athalie, d’Esther ou de Phèdre, qu’une révolution littéraire venait de s’opérer en France, que deux écoles rivales s’y disputaient le prix, et que nous avions de nouveaux poètes !

De quel étonnement, mêlé de charme, ne fus-je pas saisie quand le hasard me fit ouvrir un volume de ces méditations poétiques déjà si célèbres, et dont moi seule, peut-être, ignorais l’existence ? Il me sembla qu’un monde nouveau se révélait à ma pensée, et je m’abandonnai avec délices à l’enivrement de cette lecture, qui venait de compléter, en quelque sorte, mon existence intellectuelle. Ce livre chéri ne me quitta plus, et, à force de le relire, j’en appris bientôt toutes les pages. C’est ainsi que, accoutumée à cette langue harmonieuse des vers, j’en vins tout naturellement à la parler à mon tour ; mes propres pensées se revêtirent d’elles-mêmes d’expressions poétiques, et j’y trouvai du plaisir.

J’avais composé de la sorte quelques petites pièces pleines de fautes et d’incorrections, car les règles sévères de l’art m’étaient tout-à-fait inconnues : elles tombèrent sous les yeux d’un homme d’esprit et de goût, profondément versé dans tous les genres de littérature, qui daigna se montrer plein d’intérêt et d’indulgence pour ces productions imparfaites d’une jeune fille ignorante ; il voulut bien m’encourager, m’aider toujours de ses conseils et de ses leçons, et, plus tard, ce fut lui encore qui fit ouvrir à mes vers les colonnes d’une revue littéraire qui s’imprimait dans notre ville. Quelques pièces ainsi publiées eurent le bonheur d’être bien accueillies ; mais ce qui devint pour moi un grand sujet de joie, ce que dans mes plus beaux rêves je n’aurais jamais osé espérer, ce fut de recevoir une épître du poète bien-aimé de ma jeunesse, de l’illustre auteur des Méditations, des Harmonies et de Jocelyn. Un autre encouragement non moins précieux me fut encore donné : à la fleur de son âge, comblée de tous les dons qui font chérir l’existence, la princesse Marie venait d’expirer, emportant dans sa tombe les regrets universels. Cette mort fatale m’avait profondément impressionnée ; les larmes me venaient aux yeux chaque fois que je lisais dans les journaux les détails de ce cruel événement, et j’éprouvai le besoin d’exhaler dans des vers la pitié douloureuse dont mon cœur était rempli. Un mois après, l’Académie de Versailles ouvrait un concours et proposait un prix au poète qui pleurerait le plus dignement la mort de la princesse. Ma pièce n’avait pas été imprimée, je l’envoyai, et, sur soixante-quatre odes présentées au concours, elle obtint le troisième rang. Plus tard, parvenue jusqu’à la Reine, son cœur maternel s’en émut, et je reçus de Sa Majesté, avec une lettre touchante, un souvenir précieux que je suis fière de conserver.

S’il y a de la témérité de ma part à publier aujourd’hui ce recueil, qu’on me le pardonne donc ; de si honorables témoignages pouvaient sans doute m’y avoir enhardie et doivent me servir d’excuse. Je pourrais dire encore, pour solliciter l’indulgence des lecteurs, que c’est au milieu des soucis d’une vie laborieuse et pauvre, en gagnant péniblement mon pain de chaque jour, que j’ai composé ce livre ; mais ces raisons, je le sais, n’ont aucune valeur, et n’en donneraient point à mes vers s’ils n’en possèdent réellement. Le public en décidera ; puisse-t-il être aussi bienveillant pour moi que les nobles amis, les protecteurs généreux qui m’ont encouragée, soutenue, et auxquels mon cœur est heureux d’offrir le tribut de sa profonde reconnaissance !