Poésies (Quarré)/Actions de grâces
ACTIONS DE GRACES.
Merci ! merci, mon Dieu, des dons que tu m’as faits :
L’innocence, l’oubli, le sommeil et la paix.
Il fut un temps, hélas ! où, folle en mon délire,
J’aimais les chants d’amour frémissant sur la lyre ;
Où dans mon cœur, trop plein de ses félicités,
Débordaient à longs flots les pures voluptés ;
Où je buvais la vie enivrante, embaumée,
Comme un nectar divin dans une coupe aimée :
Car tous les jours alors, au lever du soleil,
L’espérance et l’amour enchantaient mon réveil ;
Dans les yeux d’un mortel que j’adorais, mon ame
Voyait briller sa vie et rayonner sa flamme ;
Puis, ces regards charmés se plongeant dans mon cœur,
L’inondaient d’un torrent d’ivresse et de bonheur.
Il devait être à moi, j’étais sa fiancée ;
Déjà nous n’avions plus à deux qu’une pensée,
Tous les jours nos deux voix s’unissaient pour bénir
Le nœud chaste et sacré qui devait nous unir
Et je croyais en lui comme à mon existence,
Sans redouter jamais ni le temps ni l’absence :
Car, si j’avais conçu quelque soupçon jaloux,
J’en aurais imploré le pardon à genoux,
Tant j’avais une foi sainte, puissante, pure,
Et comme mon amour profonde et sans mesure.
Merci ! merci, mon Dieu, des dons que tu m’as faits :
L’innocence, l’oubli, le sommeil et la paix.
Tel que, du haut des airs où son vol se déploie,
Le rapide épervier, s’abattant sur sa proie,
S’en saisit, la déchire, et, d’un bec tout sanglant,
Se repaît des lambeaux arrachés à son flanc ;
Ainsi le désespoir aux étreintes cruelles
S’abattit dans mon sein, et d’angoisses mortelles
Je sentis déchiré, sous ses ongles de fer,
Mon cœur, sans résistance, à leur courroux offert.
Et toi, qui rayonnais si splendide en mon ame,
Doux flambeau de l’amour, dont la brillante flamme
De mon chaste avenir éclairait l’horizon,
Ainsi que les clartés s’éteignit ma raison.
Quand d’un culte aboli la majesté succombe,
Que de l’autel brisé le Dieu profané tombe,
Les anges éperdus, en détournant les yeux,
D’un vol épouvanté remontent vers les cieux.
Le temple désolé, plein d’une horreur suprême,
Frémit de retentir des accens du blasphême,
Et voudrait, s’écroulant, cacher sous ses débris
Tous les restes divins outragés et flétris.
Ainsi j’aurais voulu mourir de ma tristesse,
Quand les derniers parfums, quand la dernière ivresse
De cet amour trahi, sans pitié, sans pudeur,
En sanglots déchirans s’exhalaient de mon cœur.
Que m’importaient, hélas ! et la vie et ses charmes ?
Mes yeux désenchantés n’avaient plus que des larmes ;
Sous le poids du malheur plié comme un roseau,
Tout mon être abattu n’aspirait qu’au tombeau,
Et sans l’effroi du ciel, qui m’aurait condamnée,
Je brisais de mes jours la coupe infortunée.
Merci ! merci, mon Dieu, des dons que tu m’as faits :
L’innocence, l’oubli, le sommeil et la paix.
Prosternée humblement sur le seuil de ton temple,
De ton Fils bien-aimé suivant le saint exemple,
Comme à l’heure où, sentant son cœur faillir en soi,
Dans le jardin sacré sa voix monta vers toi,
Je disais : « Ô mon Père ! éloigne ce calice,
« Mais que ta volonté néanmoins s’accomplisse,
« Et s’il faut l’épuiser, Seigneur, pour t’obéir,
« Fais-moi, sans murmurer, me soumettre et bénir. »
Dieu saint ! Dieu tout-puissant ! Dieu que le ciel adore !
Non, ce n’est pas en vain que la douleur t’implore ;
Ta grace descendit comme un rayon d’en-haut,
Et, plus forte déjà, je m’écriai bientôt :
« Pâleurs du désespoir sur mon front descendues,
« Larmes devant l’autel à longs flots répandues,
« Soupirs pleins d’amertume ! angoisses où mon cœur
« S’abîme incessamment, et se brise, et se meurt !
« Tourmens ! flammes ! supplice où je vis condamnée !
« J’accepte tout, Seigneur, et je suis résignée. »
Et la poudre, où mon front s’abaissait plus encor,
De mes cheveux épars souillait les boucles d’or.
Oh ! comment une lyre, entre mes mains placée,
Répéta tout-à-coup ma plainte cadencée ?
Comment sa mélodie aux célestes accords
De mon ame blessée apaisa les transports ?
Je ne sais ; mais depuis, interprète fidèle,
Sa voix touchante et pure à mes soupirs se mêle,
Et s’exhale avec eux, vive et douce parfois
Comme l’air parfumé qu’on respire en nos bois.
Bonheur inespéré ! cette voix solitaire,
Dans mon isolement chantant pour me distraire,
Cette lyre, du ciel présent consolateur,
Éveilla des échos dans plus d’un noble cœur ;
Et vers moi, pauvre, obscure, et de tous inconnue,
L’amitié caressante est doucement venue,
Me souriant des yeux et m’attirant des mains,
Pour me faire, auprès d’elle, asseoir à ses festins.
Sa voix, tour à tour grave, éloquente ou folâtre,
A des accens divins que mon cour idolâtre,
Des mots venus de l’ame, et des propos si doux
Que leur charme rendrait l’amour même jaloux ;
Et nulle ombre jamais, altérant sa tendresse,
Ne vient changer ma joie en soudaine tristesse.
Soit que son front superbe étale un noble orgueil,
Ou qu’un rayon aimant se reflète en son œil,
Sur son bras ferme et sûr quand je marche appuyée,
Tout effroi disparaît, toute peine oubliée
S’efface, et je suis fière, et mon cœur enchanté,
Libre enfin des douleurs qui l’avaient attristé,
Savoure avec transport le bonheur qui l’inonde.
Toujours pleine de biens, mon Dieu, ta main féconde
Les verse abondamment sur l’immense univers,
Et chacun a sa part de tes présens divers.
Les fleurs ont des parfums et les flots des murmures,
Les oiseaux des chansons, les soirs des brises pures,
Les champs de blonds épis, les ceps un fruit vermeil,
Les vastes cieux d’azur ont leur brillant soleil ;
Les heureux d’ici-bas, la gloire et les richesses ;
Et moi, Seigneur, et moi, j’ai, grace à tes largesses,
De plus modestes dons et d’aussi doux bienfaits :
La lyre, l’amitié, l’innocence et la paix.