Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 337-352).




À DIJON.

Objets inanimés, avez-vous donc une ame Qui s’attache à notre ame et la force d’aimer ?



À Mme SOPHIE DE CHAMBURE MÈRE.


À DIJON.



Qui ? moi ! fuir de ton sein, ville à jamais chérie ;
Aller sur d’autres bords chercher un vain bonheur,
Dijon, noble cité, belle et douce patrie
Où la vie et l’espoir ont fait battre mon cœur ?

Non, non, de tes remparts j’aime l’étroite enceinte,
Et leurs arbres touffus, et tes clochers pieux
Qui semblent, des vieux jours gardant la noire empreinte,
D’une auguste beauté, d’une majesté sainte
Te parer à mes yeux.

Non, jamais, dans mon cœur, je n’eus d’autre pensée
Que de vivre et mourir sous l’azur de ton ciel,
Ainsi qu’une humble fleur à sa tige laissée
Pour éclore et tomber sur le sol maternel.

Qu’irais-je demander aux cités étrangères ?
Tes champs ont des épis ; tes sources, des flots purs ;
Aimés bien tendrement, tous tes fils sont mes frères,
Et mes désirs jamais, vastes et téméraires,
N’ont dépassé tes murs.

Pour mes yeux attendris, pour mon ame charmée,
Tout est beau dans ton sein, ô ma patrie aimée !
Et l’aurore ou le soir m’y parlent tour-à-tour
De passé, d’avenir, d’espérance et d’amour.
Quand le soleil levant, sur ta robe de pierre,
Déploie avec splendeur son manteau de lumière,
Et que tu sors enfin d’un paisible sommeil
Pour chanter et sourire au moment du réveil ;
Admirant ta richesse, et ta force, et ta vie,
À des pensers heureux ton aspect me convie ;
J’aspire avec l’air pur de ton riant matin
Le ravissant espoir d’un fortuné destin ;
Car j’ai mon astre aussi, caché là-bas dans l’ombre,
Mon soleil qui viendra dissiper ma nuit sombre,
Briller sur tous mes jours et ranimer mon cœur
Aux rayons caressans d’un amour enchanteur.

Mais quand le soir descend, mystérieux et pâle,
Que du soleil couché la splendeur triomphale
Ne vient plus couronner de ses feux éclatans
Et tes jardins fleuris et tes flots jaillissans ;
Quand la foule, rentrée au sein de ses demeures,
N’éveille plus d’échos, et que la voix des heures
Seule et lente, au milieu d’une paisible nuit,
De ses graves accens fait entendre le bruit,
J’aime à fouler ton sol ; devant les portails sombres,
Au pied silencieux des tours aux grandes ombres,
Vers la flèche élancée en des cieux de saphirs
J’évoque ton fantôme et tes vieux souvenirs.


Te levant du passé, comme une antique reine,
Tu revêts à mes yeux ta pompe souveraine,

Ô cité de nos ducs ! et, plein d’un saint respect,
Mon cœur, surpris et fier, tressaille à ton aspect.
Que ton front glorieux porte bien sa couronne !
De ton royal manteau la pourpre t’environne,
Et le fer dans ta main, comme un sceptre puissant,
Repose avec orgueil, ou brille menaçant.
Sur la terre de France un cri soudain s’élève,
Guerre ! guerre ! À ce cri tu t’élances, le glaive,
Agité dans les airs par tes fiers Bannerets,
Va chasser le Teuton ou repousser l’Anglais.


Ton duc victorieux rentre en sa capitale :
La fanfare a sonné sa marche triomphale,
Il ramène vainqueurs ses généreux guerriers,
Invincibles barons, illustres chevaliers,

Qui, portant au combat les couleurs de leurs dames,
D’un amoureux orgueil vont voir briller les flammes
Aux yeux de la beauté qui leur donna des lois.
Dans le souffle des airs il me semble parfois
Entendre encor le bruit de vos chansons joyeuses,
Pages adolescens, damoiselles rieuses,
Assemblés chaque soir au foyer de la tour,
Avec les ménestrels, pour deviser d’amour.

Ô coups de la fortune ! arrêt fatal du sort !
Aux portes de Nancy Charle a trouvé la mort,
Et le vent de la nuit, passant sur les trophées,
Semble gémir encor des plaintes étouffées.

Quoi ! le front incliné sous des voiles de deuil,
Pleurant ton rang suprême et tes ducs au cercueil ;

Au joug altier des rois il faut donc te soumettre !
Non, prenant un époux sans accepter un maître,
Noble veuve, tu sais, gardant ta liberté,
Déposer la couronne, et non pas ta fierté.
Au sceptre de Louis si l’on te voit soumise,
C’est qu’un serment royal assure ta franchise.
Et quand de Médicis l’ordre impie et cruel,
Armant le fanatisme au nom puissant du ciel,
D’un massacre béni vint effrayer la terre,
Entre tes sœurs de France, oh ! reste toujours fière !
Toi qui ne voulus pas rougir ton noble sol,
Nid d’où l’aigle de Meaux devait prendre son vol,
Et pour qui ce jour sombre, entre les jours néfastes,
Est du sang de Calvin resté pur dans tes fastes.

Mais d’où viennent ces cris au pied de tes remparts,
Dans les champs d’alentour ces bataillons épars,
Ces tentes, ces bivouacs dressés sur la colline,
Et tous ces feux tremblans dont la nuit s’illumine ?
De leurs vallons rians et de leurs pics altiers,
La sauvage Helvétie, appelant ses guerriers,
Les a lancés, nombreux, autour de tes murailles ;
Ils veulent enfoncer le fer dans tes entrailles,
Et, de leur pied vainqueur, insulter à ton front,
Pour la première fois, courbé sous un affront.


Reine des temps passés ! qui te viendra défendre ?
Quel secours invoquer, et quel destin attendre ?
Philippe, ou Jean-sans-Peur blessé d’un coup fatal,
Se levant, tout armés, du caveau sépulcral,

Viendront-ils, aux éclairs de leurs nobles épées,
Chasser ces légions d’épouvante frappées ?
Ah ! les morts dorment bien dans leur sombre repos,
Et l’éternelle paix règne au fond des tombeaux.
Pourtant, de tous côtés par la foudre assaillie,
Tu résistes en vain, luttant contre le sort,
À ces bronzes tonnans dont la gueule en furie
Vomit jusqu’en ton sein le désastre et la mort.


Ô toits de nos aïeux ! remparts ! arbres antiques !
Palais des souverains ! temple aux sacrés portiques,
Où les femmes en deuil imploraient le Seigneur !
Vieux témoins de ces jours, retracez-en l’horreur.
Mais plutôt dites-nous de la vierge Marie
La merveilleuse image au feu des camps noircie,

Les prières, les vœux de ce peuple éperdu,
Entre l’espoir timide et l’effroi suspendu ;
Par un miracle, enfin, sa foi récompensée,
La mitraille impuissante ou la flèche émoussée,
L’arquebuse indocile, et les boulets d’airain
Repoussés par l’effort d’une invisible main.
Si le monde railleur hésitait à vous croire,
Avec orgueil encor montrez la Vierge noire
Dont trois siècles n’ont pas altéré la couleur,
Et que jamais en vain n’invoqua la douleur.


Gloires de ma cité ! grands et nobles fantômes
Qui veillez sur ses murs, qui planez sur ses dômes,
Bernard, au cœur brûlé par le divin amour,
Qui rejetas les biens du terrestre séjour,

Et, comme un phare ardent brillant dans les nuits sombres,
De l’univers chrétien illuminas les ombres ;
Prélat majestueux ! Bossuet, grande voix
Retentissante encor sur la cendre des rois,
Dont l’ame répandait, ainsi qu’un fleuve immense,
Des trésors de génie et des flots d’éloquence ;
Crébillon ! nom profane et pourtant glorieux,
Qui, trouvant envahis et la terre et les cieux,
Alla jusqu’aux enfers, plein d’un sombre délire,
Évoquer les sujets de son tragique empire ;
Piron ! sur notre scène, étalant en beaux vers
Du poète inspiré les généreux travers ;
Rameau ! de l’harmonie expliquant les mystères,
Et des sons fugitifs montrant les lois sévères ;
Devosge ! ame vouée au culte heureux des arts,
Qui fonda leur école au sein de nos remparts,

Et, guidant de Prudhon la main novice encore,
Mit dans celle de Rude un ciseau qui l’honore ;
Et de Brosse, et Saumaise ! et vous tous dont les noms
Au front de ma patrie étincelans rayons,
La couronnent de gloire et la font grande et fière,
Recevez mes respects, mon culte et ma prière.

Oh ! combien je voudrais, désir, hélas ! trop vain,
Pour prix de mes beaux jours écoulés dans ton sein,
Te payer mon tribut, t’apporter mon offrande,
Mêler ma simple fleur à ta riche guirlande,
Et, gage d’un amour qui ne saurait tarir,
Te laisser, ô Dijon, un noble souvenir !

Mais non, je ne suis rien, et pourtant, ô mon ame !
Si le feu des beaux-arts dont tu ressens la flamme,

Pouvait, libre et brûlant, s’exhaler à son gré,
Tu chanterais toujours ton pays adoré.

Et, pareille à l’oiseau qui, dans sa course ailée,
Hors du nid paternel cherche d’autres destins,
Si, laissant ces beaux lieux, tu prenais ta volée
Vers des climats lointains,

Ce serait pour aller, près des sources fécondes
Où des luths inspirés s’éveillent les accords,
Savourer tous les fruits, boire à toutes les ondes
Des poétiques bords.

Puis, comme en nos bosquets l’abeille matinale,
Volant de fleurs en fleurs sous l’azur d’un beau ciel,
Ivre de leurs parfums, à la ruche natale
Vient déposer son miel,

Je reviendrais bientôt dans cette terre aimée,
Riche de souvenirs et de pensers divers,
Que ma voix traduirait sur la lyre charmée
En gracieux concerts.