Poésies (Quarré)/À M. le docteur Clertan




À M. LE DOCTEUR CLERTAN.




À M. le Docteur Clertan.



Disciple aimé du dieu qu’adorait Épidaure,
Tu veux que, pour louer son art plein de grandeur,
Je demande des sons à la lyre sonore
Et des chants à mon cœur.


Tu veux, pour le venger de l’injuste satire
Dont les hommes ingrats lui décochent les traits,
Que ma voix, évoquant un généreux délire,
Proclame ses bienfaits.

Mais tu ne sais donc pas, quand ton ame demande
Un chant réparateur et des vers inspirés,
Que les vers aujourd’hui, trop inutile offrande,
Languissent ignorés ?

Le poète n’a plus, ainsi qu’aux jours antiques,
Ses palmes, ses lauriers, ses couronnes de fleurs,
Et ses hymnes de gloire et ses accens magiques
Qui ravissaient les cœurs.

L’industrie aux cent bras a détrôné la lyre ;
Le chiffre, seul blason entouré de respect,

Voit un siècle guéri de tout noble délire
Adorer son aspect.

Pour le reste il n’est plus ni culte ni patrie ;
Comme des exilés, tristes sur le chemin,
L’espérance, la foi, l’amour, la poésie
Vont se donner la main.

Des prêtres et des rois la majesté sacrée
N’est plus qu’un vain fantôme en proie aux longs regrets,
Une ombre qui gémit, les pieds nus, éplorée,
Au seuil de son palais.

Tout ce que vénérait un âge plus crédule,
Tous les rayons divins dont nos cieux ont relui,
Tout ce qu’on adorait, outragé, ridicule,
Disparaît aujourd’hui.


Et tu veux du respect pour votre ministère,
Car des rires moqueurs ton esprit est lassé.
Mais alors que n’as-tu, fils d’un temps plus austère,
Vécu dans le passé ?

À ce mot je t’entends, plein d’une ardeur bouillante,
Maudire l’esclavage et tous les maux nombreux
Qui jadis, écrasant leur foule gémissante,
Accablaient nos aïeux.

Ah ! mon cœur jeune aussi les comprend, les partage,
Ces nobles sentimens fruits de la liberté,
Lui que les souvenirs de l’antique servage
Ont toujours révolté.

Mais, dans ces jours lointains de haine et de souffrance,
Tel eût versé son sang pour le peuple oppressé,

Qui d’un juste secours doit prêter la défense
Au pouvoir offensé.

Oui, le sceptre puissant et la crosse bénie
Avaient trop oublié les immortelles lois
De ce Dieu qui maudit l’injuste tyrannie
Et protège nos droits ;

Pour les purifier, le feu de sa colère,
Grondant comme la foudre aux sinistres lueurs,
Irrités, bouillonnans, du torrent populaire
Lança les feux vengeurs.

Et ce déluge ardent lava toute souillure,
Et tes cieux ont reçu, Seigneur, plus d’un martyr ;
Mais de son large lit la vague qui murmure
Cherche encore à sortir.


Ah ! pour la conjurer, dis-nous, que faut-il faire ?
— « Dans la sainte vertu se montrer affermi ;
« Aux sommets les plus hauts l’aigle plaçant son aire
 « Ne craint pas d’ennemi. »

Oui, la vertu peut seule, après un tel naufrage,
De tout ce qui fut grand conserver les débris ;
Plus il faut déployer de force et de courage,
Plus sublime est le prix.

Pères des nations, rois à qui l’on insulte,
Échappés par miracle au fer des assassins ;
Et vous, prêtres de Dieu, ministres de son culte,
Soyez forts, soyez saints.

Que le peuple attentif, qui debout vous contemple,
Et de vos actions s’est fait juge à son tour,

Apprenne, apprenne enfin, gagné par votre exemple,
La justice et l’amour.

Poètes, voix du ciel qui pleurez vos souffrances,
Plus de plainte isolée et de tristes soupirs ;
Ensemencez partout le champ des espérances
Et des nobles désirs.

Tout don vient du Seigneur, et la lyre docile
N’a pas été remise à vos tremblantes mains
Pour y gémir sans but, instrument inutile
Ou funeste aux humains.

Sa corde a trop long-temps, amollie et légère,
Soupiré de vains mots, langoureuses chansons ;
Il est temps d’enseigner, courageuse et sévère,
De sublimes leçons.


Et toi, Clertan ! et toi, poursuis en paix ta voie ;
Va, sans t’inquiéter d’impuissantes clameurs,
Où la bonté de Dieu comme un ange t’envoie,
Soulager les douleurs.

Car, sans doute, il est beau ce noble ministère,
Prix d’une longue étude et de soins assidus,
Qui vous fait, à genoux, adresser la prière
Des mortels éperdus,

Quand un fils, un époux, une mère éplorée,
Vous confiant l’objet de leurs plus tendres vœux,
Cherchent, ainsi qu’au ciel, de sa vie adorée
Le destin dans vos yeux.

Puis, quand un air mortel, plein de vapeurs fétides,
Dans les cités en deuil fait tomber expirans

Sur le pavé couvert de cadavres livides
Les citoyens errans,

Qu’il est beau de vous voir, hommes grands et sublimes,
Dans ces funestes murs apportant des secours,
À la contagion disputer ses victimes
Aux dépens de vos jours !

Et, sur la triste couche où languit la misère,
Quand vous lui prodiguez tous vos soins généreux,
Pour le pauvre, sauvé par votre art salutaire,
N’êtes-vous pas des dieux ?

Qui le sait mieux que toi ? toi dont la bienfaisance,
Du malade indigent tarissant les douleurs,
A vu souvent sa joie et sa reconnaissance
Te payer par des pleurs.


Et tu voudrais des chants ! mais quelle ode brillante,
Et de mille beautés éclatant tour-à-tour,
Parlerait mieux au cœur, serait plus éloquente
Que ces larmes d’amour ?