Poésies (Poncy)/Vol. 1/La Vague au Christ

LA VAGUE AU CHRIST



Vague, qui sur nos bords te brises,
Un Christ flotte en ton sein vermeil
Comme, au milieu des vapeurs grises,
Flottent les matinales brises,
Avant le lever du soleil.

Fille de l’Océan qui gronde,
Ô vague, dis-nous d’où tu sors !
D’où te vient le Sauveur du monde
Que le chaste azur de ton onde
Dépose aujourd’hui sur nos bords ?

Serait-il l’auguste héritage
Ou le scapulaire d’amour
De quelque vierge au doux visage,

Que les flots, en un jour d’orage,
Engloutirent dans leur séjour ?

Pour bercer la divine image
Dis-nous quel céleste zéphir
Gonfla ton mobile corsage !
Souffla-t-il de l’ardent rivage
Que sablait jadis l’or d’Ophir ?

Souffla-t-il des bibliques rives
Où se balancent les palmiers ?
Ou, de ses ailes fugitives,
A-t-il aux forêts primitives
Caressé les nids des ramiers ?

Vague, sur les murs où tu rôdes,
Aurais tu vu le Saint-Esprit
Féconder tes flancs émeraudes ?
Fuis-tu les modernes Hérodes
Qui voudraient mutiler ton Christ ?

Va, pour que le ciel t’ait choisie
Parmi tes innombrables sœurs,
Pour que l’océan s’extasie,
Pour que la falaise noircie
T’adresse ses sublimes chœurs,


Il faut que ton onde soit sainte ;
Que jamais l’écumeur des mers
N’ait sur elle laissé d’empreinte :
Qu’elle n’ait jamais été teinte
Par le sang ni par les éclairs !
 
Vois notre mer, que l’algue émaille,
Te guider mollement au bord !
Et ce roc, que la lame assaille,
Ne dirait-on pas qu’il tressaille,
Et qu’il t’accueille avec transport !

Béni soit le vent qui te pousse
De si loin sur un bord chrétien,
Et dont l’haleine tiède et douce
Sur un lit de sable et de mousse
Pose le Dieu de Bethléem !

Laisse sur la grève marine,
Laisse sans regret ni remord,
Cette croix, épave divine,
Dont l’ébène sur ma poitrine
Brillera jusques à ma mort.


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