Poésies (Poncy)/Vol. 1/Le Génie des flots

LE GÉNIE DES FLOTS

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Qui pourrait résister à ta voix souveraine
Génie ! et qui pourrait à ton chant de sirène

Dérober L’esquif de ses jours,

Quand tu parles ainsi dans l'âme du poète,
Et que tu lui promets l’influence secrète

Qui le fait vivre pour toujours ?


Tu nous fais entrevoir la plus riche existence ;
Pais une fois parti, noir coursier de souffrance,

Comme un rouge volcan qui bout,

Des laves de la mort tu recèles la source.

Et n’importe à quel point aboutira ta course,

Toujours un abîme est au bout.


Mais puisque de tes coups l’homme se glorifie,
Génie ! en avant donc, et je me sacrifie

Aux lois des destins ennemis :

Afin que je sois grand, que tu m’immortalises,
Que mon nom me survive, et que tu réalises

Tous les biens que tu m’as promis !

Et, nouveau Mazeppa, sur la fatale croupe
Déjà nous franchissions les mers. L’humide troupe
Des vagues regardait notre rapide groupe

Dépasser l’horizon.
Et leur blanche toison

S’agitait pour nous suivre. Et bien loin, en arrière,
Nous les laissions toujours, dans l’immense carrière
Où nos pas soulevaient en guise de poussière,

L’écume de leurs fronts.
Leurs nombreux escadrons

Ne semblèrent bientôt qu’une large surface :
Et nous disparaissions dans les champs de l’espace,
Pareils à la vapeur qui dans les cieux s’efface.

Des colosses ailés
Sur les flots dentelés

Passaient auprès de nous, comme de hauts fantômes ;
Puis, dans L’éloignement, on eût dit des atomes ;

Et j’entendais, au loin, les mystérieux gnomes

Gémir dans les rochers,
Effroi des vieux nochers.

Et soudain je voyais surgir de l’onde amère
Les mille dieux marins de Virgile et d’Homère,
Animant l’océan de leur propre colère,

Et ces dieux irrités
Nous criaient : arrêtez !

« Arrêtez ! c’est ici notre éternel empire :
« Ici des vains mortels l’ambition expire ;
« Ici deux sont venus, en trait de flamme inscrire

« Sur les flots en courroux :
« Aucun autre après nous !



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