Poésies (Poncy)/Vol. 1/À George Sand

PoésiesI (p. 74-78).

À GEORGE SAND


I


Toute âme qui comprend et sonde l’agonie
Qu’à l’aspect de nos maux ta belle âme ressent,

Doit un hommage à ton génie.

Celui que ma voix t'offre est éclos, Georges Sand,
Parmi les chants marins que la mer me récite.
Longtemps mon jeune cœur te l’adressa tacite :
Puisse-t-il en cédant au transport qui l’excite,

Te le peindre comme il le sent.

Bien que je sois marqué du sceau de l’indigence,
Désertant aujourd’hui ma chère obscurité,

J’ose, sûr de ton indulgence,

T’aborder sur les flots de ta célébrité.
Je sais que l’avenir dans ton âme fermente,
Qu’à des fleuves divins ta lèvre s’alimente,
Et que tout cœur battu par l’humaine tourmente

Sous ton amour est abrité.

Aussi, lorsque le fond du ciel s’étoile et semble
Remplir le monde entier de sa sérénité ;

Quand nos flots se fondent ensemble,

Symbole grand et pur de la fraternité ;
Lorsque l’astre des nuits répand ses lueurs molles
Sur la grève des bords échelonnés de môles :
Je murmure ton nom, prophète qui t’immoles

Au bonheur de l’humanité.

Et là, tous les parfums de la plage marine,
Tous ces hymnes d’amour qu’on ne peut définir,

Au fond de ma jeune poitrine

Comme en un encensoir viennent se réunir.
Et je leur dis : « Parlez, voix aux notes légères,
Frais parfums apportés des rives étrangères,
Allez, sur l’aile d’or des brises messagères,

La parfumer et la bénir. »

II


Ô mère de mon cœur ! je voudrais que tu visses,
Au lieu de ce Paris tout gangrené de vices,

Ce Paris dont j’ai peur, ce superbe bourreau
De Gilbert, de Lebras, d’Escousse et de Moreau,
Je voudrais qu’un matin tu visses nos rivages
Où le temps et les flots inscrivent leurs ravages :
Nos vaisseaux à vapeur dont les mâts rabougris
Sont toujours panachés d’un long nuage gris :
L’onde où l’on voit bondir nos vives escadrilles
Ainsi que nos beautés au milieu des quadrilles ;
Le sable que le vent soulève en tourbillons ;
Nos vaisseaux ombragés de brillants pavillons,
Qui semblent, dans la brume aux diaphanes stores,
De grands arbres couverts de feuilles tricolores.

Et tu retrouverais dans ces flots que je peins
L’harmonieux fracas des antiques sapins
Qui virent à leur pied, gigantesque cylindre,
Éclore ton génie aux bruits des flots de l’Indre !
Notre rade d’azur qu’Arago traversa
Bercerait ton esquif comme elle le berça.
Du fond de nos chantiers que Béranger égaie
Où ma voix prolétaire à chaque heure bégaie
Des cantiques d’espoir nés de tes nobles chants,
Peut-être entendrais-tu quelques accords touchants
Salut mélodieux jeté sur ton passage
Par ceux dont les labeurs ont hâlé le visage,
Comme une main chrétienne, alors que juin renaît
Jette au dais du Seigneur les flots d’or du genêt.


III


Que je voudrais te voir lorsque ton œil embrasse
L’immensité des flots que la tempête brasse !
Que je voudrais te voir lorsque le doigt de Dieu
Sous ta tempe gonflée allume un divin feu,
Et que, nouveau Jacob, vers le ciel où tu montes,
Avec ton idéal tu combats et le domptes !
Car c’est dans ces moments que, sourde aux bruits humains,
Ta grande âme s’épuise à tailler des chemins
Dans ces monts inconnus où l’avenir se voile :
Pareille à ce vaisseau qui cingle à pleine voile,
Qui fend les monts du pôle encore inexplorés
Et cherche à découvrir des mondes ignorés !


IV


Ton génie inventif, ton magnifique style
Sympathiques au peuple avide de progrés,
Sont des germes semés dans un sillon fertile.
Les ouvriers, assis sur de vieux blocs de grès,
Oubliant bien des fois que le mistral les gèle
Et toutes ces douleurs dont l’essaim nous flagelle,
T’invoquent, George Sand ! comme une bonne Urgèle,
Comme si du destin tu savais les secrets.

Aussi de quel amour, de quelle sympathie
Ne t’entourons-nous pas ? Dans notre souvenir
Ta gloire, ô noble Archange, est à jamais bâtie ;
Elle y peut défier les siècles à venir.
De tes grandes douleurs chacun te dédommage.
L’art, dans le monde entier, propage ton image,
Tous les soleils levants l’apportent quelque hommage,
Et nos cent voix ne font qu’un chœur pour l’applaudir.

Si tu daignes un jour, ô ma sainte patrone !
Venir te reposer aux bords que nous aimons,
Nos vagues t’offriront leurs falaises pour trône :
Comme de verts tapis, l’algue et les goémons
Courberont sous tes pieds leur élastique soie :
Et les chaudes clartés que notre ciel déploie
Couronneront ta tête où la gloire flamboie
Comme l’aube étincelle aux cimes de nos monts !



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