PoésiesMercure de France (p. 167-169).


CHANSON


 
Faut-il aimer si tendrement
Pour n’en avoir que du tourment ?

Faut-il si tendrement aimer
Et n’en être jamais payé ?

Faut-il aimer avec tant de tendresse
Et qu’on vous laisse et vous délaisse ?

Faut-il être si bon amant
Pour n’en avoir que du tourment ?


*


J’avais une chère amie ;
Hélas ! elle est partie,

Un soir que les rossignols
Chantaient comme des fols ;


Elle a quitté la maison,
Et zon, zon, zon !

Elle a pris la grand’route ;
Moi, j’étais aux écoutes ;

Les violoneux
Faisaient danser les gens heureux ;

La porte n’était point verrouillée ;
Mon âme n’était point troublée ;

Et des refrains
Chantaient dans les lointains ;

Lors le démon de l’inconnu
En son esprit s’est abattu ;

Et d’un coup d’aile
A son à me si frêle

Il a fait voir
Des soirs d’espoir,

Des plages délicieuses
Et tant de choses nébuleuses


Et si troublantes,
Si tentantes,

Que son petit cœur enfiévré
Là tout d’un coup s’en est allé…


*


Faut-il aimer si tendrement,
Faut-il être si bon amant.

Faut-il si tendrement aimer,
Faut-il être si enflammé,

Pour n’en avoir, de-ci, de-là,
Et cœtera… et cœtera…