Poésies (Dujardin)/Te souvient-il

PoésiesMercure de France (p. 173-179).


TE SOUVIENT-IL…


THÈME


 
Te souvient-il, ô la plus douce des femmes,
De notre printemps puéril,
Te souvient-il
Des rêves que nous échangeâmes ?

Non, dans ton âme.
Dans ton cœur subtil,
Il ne peut se rompre, le fil
Par qui tous deux nous nous liâmes !

Je veux,
Tandis que la brume monte dans les cieux,
Dire un refrain de choses passées ;

Oh ! souviens-toi !
Mes pensées
S’extasient de songer aux autrefois.


VARIATIONS

I


On disait que vous étiez belle ;
Moi, je sais
Qu’en vos prunelles
Votre âme avait des reflets,
Ô délicieuse demoiselle,

Où mon âme lasse
Mélancoliquement
Épiait la trace
Des confiances d’antan
Et des sérénités que la vie efface.

On vous disait belle et jolie ;
Je me souviens
Que vos lèvres avaient des ironies
Pleines de pitiés et que rien
N’était plus tendre que vos moqueries.


Fûtes-vous si secourable et consolante ?
Mon cœur
En vos chansons caressantes
Reposait ses langueurs
Et s’enveloppait de tristesses bienfaisantes.

Chacun loua la gaîté folle
Que les rires et les sourires de vos yeux
Et vos paroles
Répandaient à la lueur des soirs joyeux ;
En vos rires je me berçais comme en des barcarolles.

Les autres proclamèrent
Et votre charme et votre front divin,
Et ces enfantines et souveraines manières
D’être une reine au sourire mutin
Et une enfant de séduction et de chimère.

Moi, dans votre grâce douce
Je reposais mon souci.
Et sans songer si vous étiez la blonde frêle ou la rousse
Farouche, ou la reine ou l’enfant, en votre cœur ami
Je me faisais un nid d’harmonie et de mousse.


II



Te souvient-il, ô belle,
Que nous eûmes tous deux
Des rêves bleus,
Et que de semblables ailes
Hors du cours
Des ordinaires jours
Portèrent nos pensées jumelles ?

As-tu gardé la souvenance
Des matins vermeils
Et des soleils
Qui rirent à nos espérances,
Des soirs attiédis
Où flottèrent nos pas unis
Dans la cadence d’invisibles danses ?

Côte à côte
Et pas à pas
Et ton bras appuyé à mon bras,
Qu’il fut doux, en gravissant la côte,
De cheminer si fraternellement !
Si amoureusement
Dans ton cœur mon cœur était ton hôte !


III


Le soir où je te rencontrai
Était un soir de folie ;
Au milieu des musiques et des clartés
La vie
Rayonnait éblouie.

Chacun
Avait en soi cette éphémère et grisante ivresse
De passer à travers le destin,
Comme un songe de liesse
Traverse pour une heure la quotidienne détresse.

Ô regards
Qui s’unissent !
Parmi le hasard
Des joies factices,
Voici que les âmes frémissent ;


Le rythme des danses et leur fracas se tait ;
Je te regarde ; une pure musique
Sourd en mon cœur ; tu m’apparais ;
Et la douceur magique
De tes yeux devient ma lumière unique.

Ô fête, ô tourbillon
Où toutes choses s’amalgament !
Pendant qu’autour de nous roulait le flot profond
Des cris, des désirs et des flammes,
Notre doux amour naissait au fond de nos âmes.


IV


Aujourd’hui,
En d’harmonieuses volutes,
Ainsi qu’une lueur d’étoiles que nul de nos regards ne scrute,
Une calme clarté sereine luit.

Dans la claire et sereine calme nuit
Un doux orchestre se répercute
A travers les heures graves et les fugaces minutes…
Oh ! sois béni.

Souvenir des heures primitives,
Heures lascives.
Heures de fraternel émoi,

Premier sourire
De notre amour, repose-toi
En nos cœurs qui le bénissent et t’admirent.