Poésies (Amélie Gex)/Un Opéra dans le buisson

Claude-Paul Ménard Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 82-88).

UN OPÉRA DANS LE BUISSQN

VARIATIONS PRINTANIÈRES

RÉCITATIF



Ils étaient deux dans les grands bois,
Tous deux chanteurs aux douces voix,
L’un rossignol, l’autre poète ;
Ils écoutaient, tout en révant,
Le saule qui toujours mouvant
Sur les ruisseaux courbe la tête.

Ayant au cœur mêmes amours,
Ils se tenaient mêmes discours,
L’homme et l’oiseau fondaient leur réve…
Leurs âmes pleines de chansons
Semblaient planer sur les buissons
Ainsi qu’une aube qui se lève.

— Sous le ciel tout est endormi :
Rossignel, mon tant doux ami,
L’âme du jour s’est envolée.…

Vois ! le soir gris brunit les eaux…
« Pour bercer les petits oiseaux,
Jette en l’azur ta note ailée !

« De chaud duvet environnés,
Dans les nids, tous les nouveau-nés
Agitent leur aile frileuse ;
Pour qu’ils dorment toute la nuit,
Toi qui d’amour sais le déduit,
Rossignol, chante une berceuse !

« — Frère, répond le musicien,
Pour toi, poète, je veux bien
Chanter l’amour sous la ramée :
Je te dirai, mais sois discret,
Frère, — c’est un si grand secret ! —
Où demeure ma bien aimée…

« Je te dirai tout bas, tout bas,
Pour qu’un merle n’entende pas,
Où notre petit nid repose ;
Car, poète, il faut y songer,
Vite il nous faudrait déloger
Si le bavard savait la chose !… »



PRÉLUDE


Do… do… do…
Fa, sol, si, rẻ !
Je chanterai,
— Do, ré, mi, sol, —
En si bémol,
Chansons si belles,
Refrains si doux
Que les hiboux,
— Sol, fa, ré, do, —
Criant : « Bravo ! »
Battront des ailes…


ROMANCE

Je sais un coin sur terre
À nul autre pareil,
Un Eden solitaire
Tout vêtu de soleil.
Je sais une rivière
Où l’onde sur la pierre

Va gazouillant toujours ;
Sur l’aubépine blanche,
Je connais une branche
Qui garde mes amours…

C’est là-bas près des aulnes
Où, sur les flots plus lents,
Les grands nénuphars jaunes
S’endorment nonchalants ;
Des guirlandes fleuries,
Comme des broderies,
Courent aux alentours ;
Là vit ma bien-aimée,
Sous la fleur parfumée,
Protégeant nos amours !

Nous avons même rêve,
Même cœur à nous deux ;
Même espoir qui se lève
Sur nos horizons bleus !…
Rien pour nous n’est tristesse ;
Notre unique richesse
C’est tout l’or des beaux jours ;
L’eau, les fleurs, le zéphire,
Frère, savent suffire,
Suffire à nos amours !…


REPRISE



Do… do… do…
Fa, ré, mi, sol !
Reprends ton vol,
Ma voix sonore :
La, sol, ré, mi,
Mon doux ami,
M’écoute encore :
Je lui dirai
— La, sol, mi, ré, —
Un air si tendre
Que tout écho
— Fa, mi, ré, do,
Voudra l’entendre !…


BERCEUSE


La brise balance
Les frèles buissons,
Sa lente romance
Endort les pinsons ;
Dans votre couchette,
Sans peur des hiboux,
Petite fauvette,
Vite, endormez-vous !

La lune frileuse,
En blanc domino,
Semble une veilleuse
Derrière un rideau ;
Sa lueur, si douce,
Caresse les houx ;
Dans vos nids de mousse,
Vite, endormez-vous !
Les cieux, vêtus d’ombre,
Changent de décor,
Sur leur voûte sombre
Brillent des yeux d’or ;
Ce sont des yeux d’anges
Qui veillent sur nous ;
Linots et mésanges,
Vite, endormez-vous !


ACCORDS



Do… do… do…
Si, fa, sol, ut.
Chacun dit : « Chut ! »
Sous la feuillée…
Pourtant ami,
— Fa, sol, ré, mi, —

Près du bouleau,
La voix de l’eau
Reste éveillée.
— Si, la, sol, fa, —
L’onde s’en va
Vers d’autres grèves,
— Do, fa, sol, si. —
Comme elle aussi
S’en vont les rêves !…