Poèmes suivis de Venise sauvée/Venise sauvée/02

Gallimard (collection Espoir) (p. 65-97).


ACTE II



Scène I


PIERRE, RENAUD


Pierre a reçu du Conseil des Dix l’ordre d’appareiller sur-le-champ. Il ne croit pas que ce soit mauvais signe, mais ne peut pas désobéir sans exciter des soupçons. Mais il a une bonne idée : Jaffier le remplacera, cette nuit, pour commander les conjurés dans la capture de la ville, puis ensuite dans le commandement de Venise et de ses dépendances. Ainsi, en admettant qu’il ait vraiment eu une défaillance, ce que Pierre ne croit pas, cette responsabilité et cette puissance vont lui rendre tout son courage. Pierre est heureux à la pensée qu’il aura la fortune qu’il mérite. Pierre a déjà fait accepter cette substitution par le marquis de Bedmar, à condition que Renaud soit d’accord, Renaud consent, mais s’étonne.

RENAUD

Moi, je ne céderais pour rien au monde la récompense qui m’est promise pour ma part dans la conjuration ; vous savez que je dois avoir une haute charge à la cour de Madrid.

Il pense que les êtres pensants sans exception tendent à exercer tout le pouvoir qu’il leur est possible d’exercer. Cela lui paraît la loi des êtres pensants, comme la pesanteur est la loi de la matière. Céder volontairement du pouvoir lui paraît contre nature.

PIERRE

C’est que vous ne savez pas ce que c’est que l’amitié. Vous auriez raison s’il s’agissait de tout autre que Jaffier. Mais Jaffier est plus moi que moi-même. Le voici. Voulez-vous vous éloigner quelque temps ? Je vais le sonder.



Scène II


PIERRE, JAFFIER


Pierre annonce à Jaffier la substitution, presque sèchement. Jaffier : explosion de regret et de gratitude à la fois.

JAFFIER

Il n’y a que toi au monde capable de cela. Mais je ne veux pas. Je te remplacerai cette nuit, mais après…

PIERRE

Non, non, c’est bien mieux ainsi. Cette haute fortune te revient bien plus légitimement qu’à moi. Tu es bien plus capable. Tu vas enfin posséder la ville que tu aimes, car comme tu l’aimes, cette ville ! Tu en seras le maître.

JAFFIER

Oui, toute cette beauté sera à moi ; comment l’imaginer ?

Dans cette évocation (de préférence dans la bouche de Jaffier), qu’il soit question de l’heure (milieu du jour), du cours du soleil et de la lumière.

Amitié et bonheur, crescendo ; au point maximum arrive Violetta.



Scène III


PIERRE, JAFFIER, VIOLETTA


Violetta déborde de joie pure à cause de la fête.


VIOLETTA

Oh ! que je voudrais être à demain ! Vous n’avez jamais vu la fête de Venise ? Il n’y a rien de comparable dans le monde ; vous verrez, demain ! Quelle joie pour moi, demain, de vous montrer ma ville dans sa plus parfaite splendeur ! Il y aura une si belle musique…

(Monteverdi), etc. Elle regrette que Pierre ne doive pas être là ; Jaffier du moins verra… etc. Eux répondent convenablement, Jaffier très peu.



Scène IV


PIERRE, JAFFIER


JAFFIER

J’ai cru voir que tu avais de l’inclination pour cette jeune fille. As-tu des instructions à me donner à son sujet, pour la nuit prochaine ? Faudra-t-il avoir soin de sa sécurité ?

PIERRE

Non, non, tu serais perdu si tu t’occupais de pareilles choses au cours de cette nuit. Tu auras trop de choses importantes à quoi veiller. C’est vrai qu’elle me plaît. Après notre victoire je la prendrai avec plaisir, si elle n’a été ni tuée ni souillée dans le sac. Autrement, j’en aurai assez d’autres. À partir de demain nous n’aurons qu’à choisir parmi les jeunes filles nobles, surtout toi, qui es beau et fier, et qui seras le maître. Mais assez là-dessus. Écoute : tu es bien au courant de

toutes les mesures à prendre ce soir, n’est-ce pas ?
Quelques détails techniques.


JAFFIER

Oui.

PIERRE

Et — excuse-moi de te poser cette question, je connais la réponse, mais mon devoir m’y oblige — tu es prêt pour assumer le commandement d’une si glorieuse entreprise, n’est-ce pas ? Tu n’as ressenti aucune crainte, aucun trouble à voir la date de l’action s’approcher ?

JAFFIER

Aucune crainte certes ; que peut-il y avoir à craindre dans une entreprise si bien préparée ? Je serai heureux de commander une si grande action, de commander un groupe d’hommes si vaillants, si unis, tel qu’on en voit un peut-être en plusieurs siècles. Aucun trouble, non — sinon que cette nuit, quand Renaud a parlé, je n’ai pu m’empêcher d’être un peu troublé par la pitié à l’idée du saccage de la ville.

PIERRE

Ah ! c’est donc là ce qui t’a fait pâlir ! Mais ce n’est rien, cela. Beaucoup de grands hommes ont éprouvé un instant de pitié, et même en ont versé des larmes, sur le point d’accomplir une grande action. Cela ne les a jamais fait hésiter. Les Romains ont pleuré sur Carthage, mais ils l’ont détruite.

Allusion à Cortès ?

Le mal que nous ferons est nécessaire, d’ailleurs il sera court et il y en aura peu. La pitié n’a jamais arrêté personne. C’est une émotion superficielle de la sensibilité qui est souvent la faiblesse des plus généreux, mais ne pénètre jamais au fond de l’âme. Ceux qui disent avoir été arrêtés dans une action par la pitié, ils emploient ce mot pour déguiser leur peur. Mais toi, mon ami, tu n’as jamais eu peur, et quelle joie de penser que nous allons nous couvrir de gloire. Je voudrais être à demain. Quel jour pour nous que demain ! Quelle joie de savoir que demain tu seras enfin dans l’état que tu mérites, entouré, objet de tous les regards.

Pierre évoque leurs destinées personnelles, leur passé misérable.

JAFFIER

Comment ne tenterais-je pas de me surpasser, la nuit prochaine, pour être digne d’un ami tel que toi ? Il n’y a rien en moi qui ne soit tendu vers l’exécution de notre plan.

PIERRE

Regarde, mon ami, quelle splendeur va être le prix d’une seule nuit d’effort ! Quel fruit est à portée de ta main ! Tu n’auras qu’à la tendre.

The sweet fruition.

Regarde la ville à tes pieds, image de ce qui sera demain !

Peut-être :


PIERRE

Mon ami bien-aimé, te voici prêt pour la victoire.
Cette ville est à toi, et cette nuit tu vas l’étreindre
D’une étreinte mortelle où tout son corps t’obéira.
Tu la posséderas. Comme il est beau d’être le maître !
Tu es né pour cela, pour conquérir, pour commander.
Demain, ami, demain, qu’il sera doux de nous revoir,
Tu me raconteras notre triomphe, en parcourant
Cette grande cité qui sera nôtre tout entière !
Nôtre, à nous deux, ami. Ah ! je voudrais être à demain.

Changer l’ordre. Violetta doit arriver à la fin du dialogue Pierre-Jaffier, au point le plus haut de l’exaltation de Jaffier, juste après ces vers. Elle partie, seulement le bout de dialogue qui la concerne. Taffer ne dit presque rien, sinon à la fin : « Tu as raison, qu’est-ce qu’un homme ou une femme devant une telle entreprise ? »

Voici Renaud. Suis bien tous ses conseils. Cet homme est un esprit d’une pénétration prodigieuse, un trésor inépuisable de haute sagesse politique.

Portrait très court de Renaud. (N. B. Jaffier a-t-il dormi entre I et II ? Entre II et III, il ne dort pas.)



Scène V


PIERRE, JAFFIER, RENAUD


PIERRE, à Renaud.

Je m’en vais, et je suis plus tranquille pour le succès de notre entreprise que si je restais. Vous pouvez m’en croire ; je connais mon ami ; pas un de nous n’est fait comme lui pour les grandes choses. Il est de loin supérieur à nous tous, et il le montrera. Quel bonheur qu’il soit là pour me remplacer ! Autrement, je partirais très inquiet. Je n’ai jamais eu peur dans ma vie, quoique j’aie traversé beaucoup de périls ; mais j’avoue que s’il est une chose capable de me faire trembler, ce sont les tortures raffinées de la République de Venise. Tout le monde dit que même un héros ne pourrait pas y résister. La possibilité de tomber vivant aux mains du Conseil des Dix me ferait frémir de peur si pareille chose était à craindre. Mais avec mon ami pour diriger l’entreprise de cette nuit, il n’y a aucun danger. Nous avons tout prévu ; sa résolution, son audace, sa prudence sont incomparables. Le succès est infaillible. Instruisez-le, Renaud, comme vous m’avez instruit. À bientôt, ami ; je ne te quitte que pour un jour. Demain, à pareille heure, nous serons ensemble, vainqueurs et pleins de gloire.



Scène VI


JAFFIER, RENAUD


Cette scène est un cours de haute politique de Renaud à Jaffier, pour le préparer à ses nouvelles responsabilités. Renaud félicite Jaffier sur un ton de grand respect. Puis quelques détails techniques. Jaffier lui demande quelles mesures il conseille pour limiter les dégâts au cours du saccage.

RENAUD

Surtout n’ayez pas ce souci.

JAFFIER

Mais n’est-ce pas mon devoir de veiller à ce que cette cité soit donnée en aussi bon état que possible au roi d’Espagne ?

RENAUD

Ce sentiment de votre devoir vous fait honneur, mais vous perdriez tout en ayant un tel souci maintenant. Il ne sera temps de l’avoir qu’après notre victoire, non pas même demain, mais plutôt après-demain.

Exposé. (L’ordre de cet exposé n’est pas définitif.)

Regardez cette ville avec tous ceux qui la peuplent comme un jouet qu’on peut jeter de côté et d’autre, qu’on peut briser. Vous avez dû vous apercevoir que c’est le sentiment des mercenaires et même des officiers qui sont avec nous. Nous, bien entendu, nous sommes au-dessus de cela ; nous faisons de l’histoire. Et pourtant, pour moi-même, quand comme nous… (encore rappel de leur détresse passée et de leur condition d’aventuriers, d’exilés), c’est un plaisir délicieux de voir aujourd’hui ces hommes de Venise, si fiers, qui croient qu’ils existent. Ils croient avoir chacun une famille, une maison, des biens, des livres, des tableaux rares. Ils se prennent au sérieux. Et dès maintenant ils n’existent plus, ce sont des ombres. Oui, cela me donne du plaisir, mais pour nous c’est un plaisir à côté. Pour les soldats, c’est le seul plaisir. Que leur importe l’histoire, à la plupart d’entre eux ? Et l’entreprise de cette nuit ne leur donnera ni fortune ni gloire ; après comme avant, ils seront des soldats. Il faut leur donner cette ville comme jouet pour une nuit, ou même aussi pour le jour d’après. Surtout, vous, le chef, si vous avez des amis particuliers à Venise, ne cherchez pas à les protéger. Les officiers voudraient en faire autant. Ce soin est fatal à des entreprises comme la nôtre. Cela refroidit les troupes. Il faut qu’elles aient pleine licence de tuer tout ce qui leur résiste et même ce qu’il leur plaît. Une telle licence donne seule à l’action ce caractère foudroyant qui emporte la victoire.

Mais c’est aussi dans l’intérêt des gens de Venise eux-mêmes qu’il faut agir ainsi. Ces gens qui dès demain se trouveront sujets du roi d’Espagne. Il faut abattre leur courage d’un coup et une fois pour toutes, dans leur intérêt, pour pouvoir ensuite les faire obéir sans effusion de sang. Vous n’y parviendrez pas autrement. Car, quoi que j’aie pu dire dans mon discours aux conjurés, presque tous haïssent l’Espagne et sont passionnément attachés à leur patrie et à leur liberté, le peuple autant que les nobles. Ainsi, si vous n’abattez pas leur courage une fois pour toutes, ils se révolteront tôt ou tard, et la répression de la révolte exigera plus d’effusion de sang et causera plus de dommage à votre réputation que les horreurs du sac. Les cruautés de cette nuit ne feront pas tort à votre réputation, car tout le monde sait quelle est la licence des soldats dans un sac. Vous arrêterez cette licence quand elle sera allée assez loin ; comme c’est vous qui aurez rendu l’ordre et la sécurité après la terreur, les gens d’ici vous obéiront aveuglément. Ils vous obéiront contre leur gré, mais c’est ainsi qu’un vrai chef aime être obéi. Et presque aussitôt ils vous aimeront, car ils n’attendront leurs maux et leurs biens que de vous, et l’on aime celui dont on dépend absolument. Mais il faut que cette nuit les ait changés. Voyez-les, fiers, libres et heureux. Demain, il faut qu’aucun d’eux n’ose lever les yeux devant le dernier de vos mercenaires. Il vous sera facile après de gouverner la ville paisiblement et avec gloire pour vous, pourvu que vous preniez soin d’humilier les nobles, ce qui effraiera le peuple, et de satisfaire quelques bourgeois en leur donnant ces fonctions que les nobles leur refusaient ; bien entendu, ces fonctions n’auront plus d’autorité. Les nobles ne devront plus avoir aucune place ; eux qui étaient trop fiers pour parler aux étrangers ne devront rien pouvoir faire, ni commerce, ni mariage, ni déplacement, sans passer de longues heures dans les antichambres d’Espagnols pour obtenir des autorisations.

Il faut que cette nuit et demain les gens d’ici sentent qu’ils ne sont que des jouets, se sentent perdus. Il faut que le sol leur manque sous les pieds soudain et pour toujours, qu’ils ne puissent trouver un équilibre qu’en vous obéissant. Alors, si durement que vous les gouverniez, ceux mêmes à qui les soldats que vous commandez auront tué un père ou un fils, déshonoré une sœur ou une fille, vous regarderont comme un dieu. Ils s’accrocheront à vous comme un enfant au manteau de sa mère. Mais pour cela il faut que cette nuit rien ne soit respecté, que tout ce qu’ils tiennent pour éternel et sacré, que leurs corps et les corps des êtres chers, que tout cela soit sous leurs yeux livré comme jouet à ces grands enfants que sont les soldats. Il faut que demain ils ne sachent plus où ils en sont, ne reconnaissent plus rien autour d’eux, ne se reconnaissent plus eux-mêmes. C’est pourquoi, outre ceux qui résisteront, et qui, bien entendu, devront être tous tués, il sera bon que les massacres aillent un peu plus loin, que plusieurs de ceux qui survivront aient souffert patiemment qu’un être cher ait été tué ou déshonoré sous leurs yeux. Après cela, on en fera ce qu’on voudra.

JAFFIER

Quand je vois cette ville si belle, si puissante et si paisible, et que je pense qu’en une nuit nous, quelques hommes obscurs, nous allons en devenir les maîtres, je crois rêver.

RENAUD

Oui, nous rêvons. Les hommes d’action et d’entreprise sont des rêveurs ; ils préfèrent le rêve à la réalité. Mais, par les armes, ils contraignent les autres à rêver leurs rêves. Le vainqueur vit son rêve, le vaincu vit le rêve d’autrui. Tous les hommes de Venise qui auront vécu la nuit prochaine et la journée de demain resteront jusqu’à leur mort sans savoir s’ils rêvent ou veillent. Mais, dès demain, leur cité, leur liberté, leur puissance leur paraîtra encore plus irréelle qu’un rêve. Les armes font le rêve plus fort que la réalité ; c’est cette stupeur qui fait la soumission. Dès demain, il faut qu’ils croient avoir toujours été soumis à l’Espagne, n’avoir jamais été libres. Le ciel, le soleil, la mer, les monuments de pierre ne seront plus réels pour eux. Quant aux enfants, ils naîtront déracinés. Mais il faut que le choc soit violent pour leur ôter pour toujours le sentiment du réel. Il est bon que la nuit de notre entreprise soit celle même qui précède la fête, que l’aube qui aurait dû être celle de la fête se lève sur leur ruine. Excellent dressage. Ils se lèveront demain pour tout autre chose que pour leur fête.

Etc. Thème de l’irréalité. Carthage, Carthagène, Persépolis.

Il sera bon aussi qu’après avoir mis fin à la licence des troupes, rétabli l’ordre et la sécurité, vous commandiez durement. Il faut que toute leur vie soit changée, leur vie de chaque jour. Qu’ils sentent chaque jour qu’ils ne sont pas chez eux, mais chez autrui, à la merci d’autrui ; ainsi seulement ils obéiront sans effusion de sang. Autrement se résigneraient-ils à avoir tout perdu en une nuit ? Il sera bon qu’il y ait beaucoup d’églises et de fresques détruites ; on bâtira à la place des églises de style espagnol. Voyant sans cesse ce qu’ils haïssent, même quand ils cherchent Dieu, ils se connaîtront faits pour obéir. Il faudra interdire complètement leurs chants, leurs spectacles, leurs fêtes. On enverra leurs peintres et leurs musiciens à la cour de Madrid ; ils y seront estimés. Il faut que les gens d’ici se sentent étrangers chez eux. Déraciner les peuples conquis a toujours été, sera toujours la politique des conquérants. Il faut tuer la cité au point que les citoyens sentent qu’une insurrection, même si elle réussissait, ne pourrait la ressusciter ; alors ils se soumettent. Vos volontés, vos fantaisies, vos rêves, à vous leur maître, doivent être désormais pour eux la seule réalité. Vous serez un de ces hommes dont les peuples sont contraints de vivre le rêve. Quand vous penserez la mort d’un de ceux-là, il mourra. Chaque objet chaque jour rappellera à chacun — il le faut — qu’il vit seulement aussi longtemps que vous le préférez vivant. Et leur vie aussi se modèlera sur votre pensée. Leur vie et leur mort ne seront que votre rêve. Y a-t-il destin plus glorieux ? Tel est le doux fruit de la victoire ! Que vous devez vous sentir heureux !

Taffer coupe cet exposé de répliques et questions fréquentes. Ton, au début, de respect, d’ardeur et d’admiration sincère ; puis de plus en plus sombre, sec et froid. À la fin, d’un ton sec et hautain, remercie Renaud, loue sa sagesse, se dit résolu à suivre en tous points ses conseils si parfaitement prudents ; en attendant il va achever les préparatifs.

Paroles ambiguës de Jaffier à la fin :

JAFFIER

Je suis entièrement pénétré de la vérité de vos paroles, et je me conduirai en conséquence.

Taffer se montre (et est) pleinement convaincu de la justesse des raisonnements de Renaud, qu’il a comprise du premier coup. S’en va.



Scène VII


RENAUD (seul).


RENAUD

Pierre avait raison. Ce Jaffier est fait pour les grandes choses.

Loue aussi sa hauteur d’intelligence, qui a dû un peu apparaître dans les répliques.

Je m’étonne seulement qu’il ne soit pas plus joyeux de la haute fortune qui l’attend. Mais il est certainement incapable de peur. J’ai dû mal voir cette nuit, j’ai dû me tromper. Je ne sais pourquoi cependant je me sens encore inquiet.



Scène VIII


RENAUD, OFFICIERS

Les Officiers font part à Renaud de leurs difficultés avec les Mercenaïres, qui ne peuvent s’empêcher d’être déjà insolents avec les gens de Venise. D’où danger d’exciter des soupçons. Puis propos décousus sur la conjuration.

Joie, ivresse du jeu.

OFFICIER I

Voici venir le moment le plus intense… Comme dans mes jeux d’enfant…

L’un évoque-t-il Plutarque ? (Cf. Retz.) Évocation des voluptés des sacs des villes ; souvenirs.

OFFICIER II

Tous ces bourgeois si fiers, la vue d’une épée leur fait aussitôt sentir que le soldat est leur maître. Alors, dans l’espoir d’être bien traités, ils deviennent respectueux, soumis, confiants comme des enfants. J’en ai vu, dans un sac, s’accrocher au manteau d’un soldat qui venait de les frapper.

Renaud ne prend presque aucune part à ces propos.



Scène IX


RENAUD, OFFICIERS (muets), MERCENAIRES


Renaud réprimande les Mercenaires.
RENAUD

Pas d’insolence aujourd’hui, vous allez tout perdre ! Et savez-vous ce qui nous attend si nous sommes découverts avant d’avoir commencé ? Demain, tant que vous voudrez. Demain, tout le jour, vous aurez toute licence. Vous entrerez dans les maisons des bourgeois et des nobles et vous y ferez ce que vous voudrez !

Peut-être :
RENAUD

Regardez à vos pieds la cité pleine de rumeurs.
Tout cela est à vous pour en faire à votre plaisir.
Vous tuerez au hasard, en jouant, ceux qu’il vous plaira,

Et tous les survivants vous devront de voir la lumière.
Demain, les jours suivants, chacun vous cédera le pas.
Les plus fiers parmi eux baisseront les yeux devant vous ;
Aucun d’eux n’osera s’opposer à vos volontés.
Aujourd’hui, dissimulez.


Les Mercenaires promettent brièvement d’obéir. Renaud part.



Scène X


OFFICIERS, COURTISANE,
MERCENAIRES (muets)


La Courtisane demande aux Officiers où en sont les choses. Elle est impatiente et exulte.

OFFICIER I

Tu hais tellement Venise ?

Elle raconte son histoire. Le Vénitien gouverneur de l’île grecque où elle était née (de la famille la plus noble du lieu) l’a séduite après promesse formelle de mariage. Son père ayant voulu le forcer à tenir sa promesse, il l’a fait assassiner. Elle est venue à Venise réclamer justice ; au lieu de lui accorder justice, on l’a ruinée par le coût des démarches. Se trouvant à Venise seule et sans ressources elle a dû se faire courtisane. Elle a contre Venise toute la rancune que peut avoir une femme de sentiments élevés contrainte à un tel abaissement.

OFFICIER II

Et tu t’imagines que tu vas nous faire croire une pareille histoire ? Chacune des courtisanes de Venise raconte cette histoire ou une autre presque pareille. Pourquoi nous mentir, à nous ?

COURTISANE

Ah ! je mens !…

De colère, elle veut s’en aller.
OFFICIER I

Allons, ne te fâche pas, cette nuit nous ferons de toi la reine de Venise. Tout ce que tu désireras sera exécuté. Qu’est-ce que tu désireras ?

Elle répond avec une haine farouche contre les familles.

COURTISANE

Tous les hommes d’ici qui m’ont outragée, j’ai retenu leurs noms. Je veux que leurs femmes et leurs filles soient toutes livrées aux soldats. Et aussi les femmes et les filles de tous ceux qui ont part au gouvernement de cet État. Quelle volupté, demain, de voir les survivants étouffer de honte, et de me moquer d’eux sans qu’ils osent rien répondre !

Y a-t-il, dans cette scène, une allusion à l’histoire des six jeunes filles nobles ?

Les Officiers s’en vont avec la Courtisane, en plaisantant.



Scène XI


MERCENAIRES


Envieux des Officiers à cause de leurs rapports avec la Courtisane. Se consolent en pensant à ce qui les attend la nuit et le lendemain. Évoquent les délices du saccage. Souvenirs. Éloge de Renaud.

UN MERCENAIRE

Lui du moins nous comprend ; il sait qu’il nous faut de tels plaisirs. Nos peines, nos périls…

Passer légèrement là-dessus.

Et quand nous devons quitter le service parce que nous sommes mutilés ou trop vieux, nous devons errer, sans toit, nous ne pouvons manger qu’en tendant la main. Avec quelle insolence alors ces bourgeois nous accordent ou souvent nous refusent une misérable aumône ! Ne nous faut-il pas parfois une revanche ?

Souhaitent que la nuit vienne vite. Entreprise glorieuse et sans risques. Bonheur de tuer des gens surpris en plein sommeil.

UN AUTRE

Il n’y aura peut-être pas un seul tué parmi nous. On ne le croirait pas en les voyant passer si fiers, mais cette nuit, surpris dans le sommeil, ce seront des moutons. Ils se laisseront égorger comme des moutons, sans se défendre.

Voient venir Violetta et son père. Préfèrent ne pas les rencontrer, s’en aller. Mais auparavant échangent des plaisanteries grossières sur Violetta.

UN MERCENAIRE

Je demanderai à être chargé de le tuer ; et la fille, elle est pour moi ; je veux être le premier.

AUTRE MERCENAIRE

Que dis-tu ? Celle-là, c’est pour les Officiers.

PREMIER MERCENAIRE

Mais non, les Officiers auront bien assez de filles nobles. Celle-là n’est pas noble, elle est bonne pour nous. Je veux être le premier, ou s’il y a un Officier qui y tient, en tout cas le second. Après, vous autres, vous en ferez ce qu’il vous plaira ; vous la tuerez si cela vous amuse.



Scène XII


VIOLETTA,
LE SECRÉTAIRE DES DIX (son père)


Ils parlent de la journée du lendemain, de la fête. Violetta exprime son bonheur. Elle ne sait pourquoi, elle se sent heureuse, si heureuse, presque trop. Et demain elle sera encore plus heureuse, puisque demain c’est la fête. Tout lui sourit, rien ne lui nuit, rien ne la menace. Un an auparavant, elle était encore une enfant, elle ne savait pas encore jouir aussi intensément qu’elle va jouir de la journée de demain. Elle ne sait pas quelle transformation s’est produite en elle, elle ne sait pas ce qu’elle a, mais le ciel, la mer, la lumière, les promenades en gondole, les gens, tout ce qu’elle voit, tout ce qu’elle fait, l’inonde de bonheur.

VIOLETTA

Quel jour que le jour de demain ! Que ce sera beau, à l’aube, de m’éveiller, et de me dire : c’est aujourd’hui !

LE SECRÉTAIRE

Qu’as-tu donc, enfant ? Est-ce que tu n’aimerais pas quelqu’un ?

VIOLETTA

Non, personne, mais je ne sais pas ce que j’ai ; il me semble que je vais aimer. Il me semble aussi que j’aime tout l’univers. Combien il y a d’êtres humains bons et beaux, mon père !

LE SECRÉTAIRE

Je m’étais demandé si tu n’aimais pas soit Pierre, soit Jaffier. Je t’ai vu rougir en les regardant. Il m’a semblé aussi que tous deux ont de l’inclination pour toi, surtout Jaffier. Quoiqu’ils soient étrangers et que leur fortune soit loin de convenir à notre famille, j’ai tant d’amitié pour eux que si tu aimais l’un ou l’autre je ne m’y opposerais pas.

VIOLETTA

Père, j’avais toujours pensé que je ne pourrais pas aimer un étranger. Comment me comprendrait-il, celui qui ne connaît pas le bonheur d’être né membre d’une telle cité ? Il est vrai pourtant que ces deux Provençaux sont vaillants et courtois. Jaffier surtout est beau et généreux, et il a quelque chose qui le fait aimer de tous. Mais regarde, père, comme Venise est belle aujourd’hui, dans cette lumière ! Ah ! elle sera bien plus belle encore demain.

Dans cette scène, le Secrétaire en prose, Violetta en vers blancs ou rimés, selon qu’elle parle surtout à son père ou surtout à elle-même.

LE SECRÉTAIRE

Viens maintenant.

VIOLETTA

Père, n’as-tu donc jamais quelques heures à me donner pour jouir de notre bonheur ? Les affaires ne sont pas si pressantes.

LE SECRÉTAIRE

Mais, enfant, si nous n’étions pas quelques-uns à prendre soin tous les jours de la sécurité de l’État, ta belle Venise serait bientôt détruite par le fer et le feu, ou tout au moins asservie aux Espagnols.

VIOLETTA

Oh ! mon père, comment peux-tu parler d’une chose semblable ? On ne peut même pas y penser !

Jaffier et les Officiers entrent à ce moment ; ils entendent les deux dernières répliques du Secrétaire et de Violetta.



Scène XIII


LE SECRÉTAIRE DES DIX, VIOLETTA,
JAFFIER, OFFICIERS (muets)


VIOLETTA, à Jaffier.

N’est-il pas vrai qu’on ne peut même pas penser que Venise puisse être un jour détruite ou asservie ? Comment vivrions-nous ? Nous ne pourrions pas vivre, nous serions dans un désert.

Cf. paroles de Renaud, scène VI.

Cela n’arrivera jamais, jamais. Dieu ne permettrait pas qu’une chose si belle soit détruite. Et qui voudrait faire du mal à Venise ? L’ennemi le plus haineux n’aurait pas le cœur de le faire. Qu’est-ce qu’un conquérant gagnerait à supprimer la liberté de Venise ? Seulement quelques sujets de plus. Qui voudrait, pour si peu, détruire quelque chose de si beau, quelque chose d’unique ! Faire du mal à Venise ! Sa beauté la défend mieux que les soldats, mieux que les soins des hommes d’État ! N’est-ce pas vrai, monsieur Jaffier ?

Tout cela est coupé de répliques de Jaffier. Il donne raison à Violetta sur un ton mêlé de léger badinage et d’enthousiasme. C’est progressivement, de réplique en réplique (couples de deux vers ?) que le ton de Jaffier passe du badinage à l’amour concernant Venise. Il faut une résonance de douleur dans tout ce qu’il dit là. C’est un des points culminants.

JAFFIER

Une chose telle que Venise, aucun homme ne peut la faire. Dieu seul. Ce qu’un homme peut faire de plus grand, qui l’approche le plus de Dieu, c’est, puisqu’il ne peut créer de telles merveilles, de préserver celles qui existent.

Il donnerait volontiers sa vie, quoique étranger, pour préserver Venise. Violetta est heureuse de ces paroles. Elle regrette que Jaffier ne soit pas de Venise.

LE SECRÉTAIRE, à Violetta.

Enfant, qui crois qu’une ville est défendue par sa beauté ! Heureusement nous avons des raisons plus sérieuses d’être tranquilles ; grâce à nos soins et à notre bonne fortune, rien ne nous menace en ce moment. Mais toi, enfant, ne sais-tu pas que jamais cité n’a été préservée par la pitié d’un ennemi ? Et toi, dans tes jeux, n’as-tu jamais effeuillé une fleur, brisé un jouet, arraché les ailes d’un insecte ?

VIOLETTA

Oh ! non, jamais, jamais !

Puis Violetta dit à son père :

Demain, du moins, il faut que tu aies du temps pour moi. Demain soir, nous passerons quelques heures en gondole, sous les étoiles, n’est-ce pas, mon père ? Demain soir, après tout un jour de fête. Pas ce soir, car je veux après un long sommeil m’éveiller demain à l’aube pour tout un jour de joie. Si vous saviez, monsieur Jaffier, quelle journée vous aurez demain.

Violetta décrit la fête. (C’est plutôt là, peut-être, qu’elle parle de Monteverdi.)

Jaffier lui donne la réplique, lui parle aussi de ce qu’elle verra, fera le lendemain. Violetta évoque les sentiments du peuple de Venise le jour de cette fête.

Même quand vous aurez vu la fête, vous ne saurez pas ce que c’est pour un homme ou une femme de Venise. Cela, personne ne peut le savoir.

LE SECRÉTAIRE

Vous voyez, ici, même les enfants ont de tels sentiments. Ce n’est pas étonnant, dans une cité dont la splendeur et la liberté sont anciennes de plus de six siècles. Ce n’est pas seulement pour les enfants que le jour de demain est un beau jour. Pour les hommes aussi. Pour moi, ce sera un beau jour. Demain, demandez-moi la faveur que vous voudrez, je vous l’accorderai.

S’en va avec Violetta.



Scène XIV


JAFFIER, OFFICIERS

Les Officiers félicitent Jaffier de sa nouvelle et haute fortune et sollicitent sa faveur, sa protection après la victoire. (Peut-être des faveurs particulières.) Louent sa dissimulation dans l’entretien avec le Secrétaire et Violetta. On aurait juré qu’il était sincère. On aurait vraiment cru, à l’entendre, que la fête du lendemain devait avoir lieu.

OFFICIER

J’ai dû me retenir de ne pas rire, quand le Secrétaire a promis des faveurs pour demain ! Demain et les jours suivants, si par miracle il vit encore, c’est lui qui viendra continuellement implorer la protection de chacun de nous, surtout la vôtre, qui serez, après le roi d’Espagne, notre maître et le sien.

À tout cela Jaffier ne répond rien. Les Officiers continuent leurs propos. Parlent de Violetta.

OFFICIER III

Un de mes soldats tient à la prendre le premier.

OFFICIER II

Nous d’abord, les soldats après.

OFFICIER I

Il vaut mieux défendre aux soldats d’y toucher ; sans quoi elle sera finie, et on pourrait être heureux avec elle longtemps.

OFFICIER II

Bah ! Il ne manque pas de jolies filles à Venise, et beaucoup sont à la fois belles et nobles. Il en mourra cette nuit, mais il en restera toujours assez.

Jaffier, prenant brusquement la parole, donne sèchement quelques instructions techniques pour la capture de la ville. Les Officiers répondent avec respect.

JAFFIER, à Officier II.

Monsieur, je sais que vous fréquentez comme ami plusieurs familles de Venise. Si vous désirez qu’on veille à leur sécurité, je m’y prêterai volontiers.

OFFICIER II

Oh ! non ! Il est vrai que j’étais lié avec quelques familles qui ont été très bonnes pour moi pendant mon séjour ici. Je leur disais souvent que mon épée leur appartenait en cas de danger, et je le pensais. En temps ordinaire, j’aurais exposé ma vie pour eux sans hésiter. Mais tout cela est si loin maintenant ! Le moment décisif approche ; tous ces gens sont pour moi comme des fourmis. Ce sont des ombres. Ils croient qu’ils existent, mais ils se trompent. Comment distraire pour eux une de mes pensées, quand toutes mes pensées tendent vers la gloire que nous allons conquérir ?

JAFFIER

J’attendais cette réponse, et je ne vous avais interrogé que pour vous éprouver.

OFFICIER II

C’est singulier, je crois que je ne pourrais même pas me souvenir qui j’avais pour amis ici. J’ai déjà éprouvé la même chose lors d’un sac d’une ville où j’avais des amis. J’avais oublié leur existence. Ils m’ont vu, se sont jetés vers moi, accrochés à mon manteau ; je les ai repoussés sans les reconnaître.

Jaffier, dans cette scène, parle très brièvement (par répliques d’un vers ?).



Scène XV


JAFFIER, OFFICIERS (muets), RENAUD


Renaud arrive, fait des recommandations à Jaffier, un peu verbeux, sur un ton joyeux et excité (il a enfin perdu toute inquiétude). Jaffier l’interrompt après quelques vers, au milieu d’une phrase, avec dureté et hauteur :

JAFFIER

Je suis le chef, je sais ce que j’ai à faire. Vous, Messieurs (aux Officiers), allez là et là. Vous, Monsieur (à Renaud), voyez telles choses (et revenez m’en rendre compte (?)).

Ordres très secs. Ils obéissent sans un mot.



Scène XVI


JAFFIER (seul).


JAFFIER

La ville et le peuple et la mer vont m’appartenir.
La cité paisible est dans ma main sans le savoir ;

Mais dans peu de temps elle apprendra qu’elle est à moi ;
Car voici qu’il vient, le dur moment où tout d’un coup
Ma main va se fermer et l’écraser.
Rien ne peut la défendre. Elle est faible et gît sans armes
À mes pieds. Désormais, qui pourrait nous arrêter ?
Lentement le soleil va baissant vers l’horizon ;
Quand s’éteindront ses feux sur la mer et les canaux,
La cité que voilà va disparaître.
Le soleil de demain ne pourra la rendre au jour ;
Il ne peut qu’éclairer cruellement dès l’aurore
Un cadavre de ville où le fer aura passé.
Ce qu’a tué le fer, nul soleil ne le voit plus.
Quelques heures encore, et la cité sera morte.
Des pierres, un désert, des corps inertes épars.
Ceux-là qui survivront, ce seront tous des cadavres.
Étonnés et muets, ils ne sauront qu’obéir.
Ayant tous vu souiller ou tuer des êtres chers,
Chacun se hâtera de se soumettre à ce qu’il hait.
Leur regard vide en vain cherchera
Leurs palais, leurs maisons, leurs églises.
Tous leurs chants désormais se tairont.
Ils n’auront pas de voix pour se plaindre.
Cette mer pour eux sera muette.
Jour après jour et toute leur vie
Ils n’entendront rien, sinon des ordres.
Par moi cette nuit la terreur, la honte et la mort
Descendront sur eux, et c’est moi qu’ils auront pour maître.
Demain tous ici, à contrecœur, m’obéiront.

La ville est heureuse encor ce soir en sa splendeur ;
Pour un soir encor son peuple reste intact et fier.
Ce dernier soleil la couvre seul de ses rayons ;
S’il savait, sans doute il s’arrêterait par pitié.
Mais ni le soleil n’a pitié d’elle, hélas, ni moi.
M’est-il donc permis d’être insensible autant que lui,
Moi dont les yeux voient quelle cité devra périr ?



Scène XVII


RENAUD, JAFFIER


Renaud revient, parle d’une petite difficulté imprévue dans un détail d’organisation. Fait l’éloge de Jaffier pour les dispositions arrêtées et l’élan de confiance qu’il a mis en tous. Se félicite que ce soit Jaffier le chef. Nul n’est si apte que lui à une action extraordinaire.

Dans les premiers vers, il pose une question à Jaffier. Jaffier ne répond pas. Renaud (n’osant pas en faire la remarque) continue, assez longuement. Jaffier complètement silencieux. Enfin Renaud s’interrompt :

RENAUD

Qu’y a-t-il ? Vous me regardez, mais on dirait que vous ne m’entendez pas. Y-a-t-il quelque chose qui ne va pas, quelque chose qui vous trouble ?

JAFFIER

Non, au contraire. Je vois clairement ce que j’ai à faire, je suis sûr de réussir et parfaitement résolu. Je sais que mes compagnons et surtout mon ami ont remis leur salut entre mes mains avec une pleine confiance. Ils ont eu raison ; ni la mort ni la torture ne pourraient me causer de défaillance quand j’ai la charge du salut d’hommes de cette valeur. J’exécuterai ce que j’ai décidé avec tant de fermeté que j’écarterai d’eux tous les périls. Rien ne peut faire fléchir ma résolution. Monsieur, allez… Moi, je vais… Ce jour va s’achever. Hâtons-nous d’utiliser au mieux ce qui nous en reste.

Les deux pôles de l’acte sont la scène Renaud-Jaffier et Violetta-Jaffier (et le monologue). Le reste peut être écrit très rapidement.


Rideau


Cet acte, comme le précédent, est écrit pour la plus grande part en vers blancs de 14 syllabes. Les Mercenaires parlent en prose ; Violetta en vers blancs de 11 syllabes (5-6) ; Jaffier lui donne la réplique en vers blancs de 13 syllabes (5-4-4). Ou en 11 aussi ? Ou Violetta en 13 ? ou 12 (4-4-4) ? Autres exceptions ?

Les vers de Violetta et ceux de Jaffier quand il donne la réplique à Violetta sont rimés, mais rimes très faibles (allant jusqu’à l’assonance ?) et groupées par 4, 5 ou 6.