Poèmes suivis de Venise sauvée/Venise sauvée/01

Gallimard (collection Espoir) (p. 55-64).


ACTE PREMIER



Scène I


Première partie : avant le discours de Renaud. (N. B. Tous les personnages sont censés être là tout l’acte, mais changent de place dans la chambre.)


DEUX OFFICIERS

Nous allons donc voir se lever dans quelques heures le dernier jour de cette grande Venise. L’aurore de demain se lèvera ici sur une simple possession du roi d’Espagne, et c’est nous qui aurons fait cette grande chose. Nous, une poignée d’exilés, etc.


Rappel des détresses, des actes arbitraires qui ont jeté la plupart des conjurés dans la condition d’aventuriers — insister là-dessus.

Propos sur la conjuration, sur les perspectives de gloire et de fortune, sur le marquis de Bedmar (ambassadeur d’Espagne à Venise), Renaud, Pierre, Jaffier. L’éloge de chacun d’eux (rapide portrait), mais surtout de Jaffier. On aimerait l’avoir pour chef. Il est né chef : hautain, beaucoup de fierté, impétueux, mais en même temps juste et même tendre. Il est né pour les grandes choses. Ce serait plutôt à lui qu’à Pierre. Mais lui est heureux pour Pierre ; ils sont tellement amis ! D’ailleurs, quelle union merveilleuse entre tous ces conjurés ; c’est vraiment une bande d’hommes choisis. Sécurité complète pour le secret. Propos divers ; projets d’avenir.



Scène II


OFFICIER, PIERRE, puis JAFFIER,
RENAUD. AUTRES OFFICIERS


L’Offcier félicite Pierre de sa grandeur prochaine. Il va diriger la nuit prochaine l’exécution du projet, la capture de Venise ; ensuite il sera gouverneur de Venise et de tous les territoires qui en dépendent au nom du roi d’Espagne. On peut dire que c’est fait maintenant ; le succès est assuré. Quelle gloire et quelle puissance ! Mais elles sont dignes de vous. Il lui demande sa faveur, au moment de sa puissance. Pierre la lui promet, reconnaît qu’il est un homme heureux ; mais de toutes les faveurs de la fortune il en est une auprès de laquelle les autres ne sont rien à ses yeux ; c’est qu’il a un ami. Conversation sur cet ami, sur cette amitié, sur l’amitié en général.


PIERRE

Jaffier serait bien plus digne que moi d’une si haute fortune. Mais il n’y pense pas ; il est heureux qu’elle me soit accordée. Et moi, de mon côté, je la lui céderais avec plaisir. Qu’est-ce qui peut séparer deux amis qui ne sont pas séparés par l’ambition ?

OFFICIER

On dit que les meilleures amitiés peuvent être brisées par une femme.

PIERRE

Ce ne sera pas le cas pour nous. Car pour moi, une jeune et jolie femme en vaut une autre ; et il y en a beaucoup. Je ne leur demande que du plaisir. Je n’hésiterais pas un instant à sacrifier n’importe quelle maîtresse à mon ami. Et Jaffier est de ces hommes qui, quand ils aiment une femme, la respectent tellement qu’ils respectent aussi son choix, même si elle en aime un autre. Et je crois que, s’il aimait une femme à laquelle il me croie attaché, il ne s’avouerait pas cet amour à lui-même (insister). D’ailleurs, nous nous sommes souvent dit l’un à l’autre que nous n’avons jamais éprouvé un amour qui approche de notre amitié. Moi seul suis proche de lui, et lui de moi. Vous ne pouvez imaginer ce que c’est que notre amitié. Rien ne peut mettre notre amitié en danger. Chacun de ceux qui sont ici est pour moi comme un frère, et Jaffier aussi sent de même ; mais l’un pour l’autre nous sommes bien plus que des frères. Je n’aurais aucun plaisir à ma fortune présente si je ne partageais pas cette joie avec lui.

OFFICIER

Renaud va parler.

RENAUD

Long discours, très exalté, contenant tous les faits concernant la conjuration. En exalte l’objet.

Faire apparaître dans ce discours, et reparaître sans cesse comme un thème sous-jacent, des allusions à la biographie antérieure des conjurés. Presque tous des aventuriers, et jetés dans l’aventure par la détresse, par des violences subies. Renaud, jadis exilé de France, Pierre et Jaffier, de Provence, etc.

Vous allez faire l’histoire. Détruire une puissance tyrannique, intrigante, haïe de ses propres citoyens, qui s’oppose à l’unité de l’Europe. Grâce à vous, l’Europe entière va être unie sous la dynastie des Habsbourg, et les vaisseaux de l’Europe unie, sillonnant les mers, vont conquérir, civiliser, convertir au christianisme le globe terrestre tout entier, comme l’Espagne a fait pour l’Amérique. Et cela grâce à vous.

Entre autres :

Si la domination des Habsbourg n’impose pas la paix à l’Europe, elle peut être ravagée par trente ans de guerre. La maison d’Autriche est tout près de la domination universelle ; si elle la laisse échapper, des luttes sanglantes, longues et ruineuses s’engageront autour.

Danger turc. Nécessité d’une union de la chrétienté, etc. Faire apparaître l’Espagne comme poussée à une telle entreprise par une nécessité extérieure. Ce thème de l’impulsion de la nécessité, à l’échelle individuelle et nationale, apparaît surtout ici, et, au deuxième acte, dans l’entretien Renaud-Jaffier.

Ainsi, quoique l’exécution de notre projet doive nécessairement être horrible,

Description du sac de la ville, en six ou sept vers — ou plus ?

que cela ne vous arrête pas. C’est un mal passager pour un bien durable.

Évoque l’Ancien Testament.

Votre gloire, etc.

Leur condition d’aventuriers ne laisse d’issue à leur ambition que dans de telles entreprises.

Dans toute cette première partie, joie, orgueil, ivresse d’action et de puissance sans ombre d’inquiétude. Rajas.



Scène III


RENAUD, PIERRE


Deuxième partie : après le discours.

Pierre félicite Renaud après son discours. Le voit soucieux, demande pourquoi ? Tout va bien, pourtant. Renaud, après avoir fait quelque difficulté pour le dire, explique qu’en parlant il a vu le visage de Jaffier, qui écoutait, pâlir et se décomposer. Il craint tout d’une telle défaillance. Il craint leur perte à tous et, pour y remédier, propose de faire mourir Jaffier. Horreur de Pierre, protestations ; il se porte garant de Jaffier. Il connaît sa vaillance, sa fidélité, sa tendresse pour ses amis. Jaffier est entré dans la conjuration par amitié pour Pierre (rappelle comment). Il y est entré, il a prêté serment, par pure amitié pour Pierre, sans même savoir de quoi il s’agissait, alors qu’il était loin de Venise. Pierre l’a fait venir pour la conjuration (?). Et il trahirait cette amitié ? Pourquoi ? Il aurait peur ? Jaffier n’a jamais eu peur. Lui, vaillant, impétueux, téméraire pour aider ceux qu’il aime… Renaud insiste. Il a beaucoup d’expérience, il connaît très bien ce type d’hommes, qui s’engagent dans de grandes entreprises, mais défaillent au moment d’en arriver à l’exécution. C’est précisément au moment où Renaud décrivait l’exécution que Jaffier a changé de visage. On ne peut pas, des actes de courage de sa vie précédente, conclure à son courage pour une conjuration. Une conjuration demande un courage d’une espèce particulière, et le cœur peut y manquer à un homme prêt à affronter beaucoup d’autres périls. Le seul remède en pareil cas, c’est la mort. C’est triste, certainement ; Renaud aussi aime Jaffier ; mais c’est nécessaire. Qu’est-ce qu’une vie humaine quand on s’apprête à changer le monde ? Pierre essaie de montrer que, même du seul point de vue de la conjuration, on ne peut pas faire mourir Jaffier. Il est tellement aimé, admiré et respecté qu’il ne peut pas disparaître sans qu’on s’en émeuve. Soit que Renaud donne ou non aux conjurés la véritable explication, le trouble sera grand. Pierre appelle un officier.



Scène IV


RENAUD, PIERRE, OFFICIER


PIERRE, à l’Officier.

Nous nous demandons, Renaud et moi, qui serait le plus propre à me remplacer s’il m’arrivait quelque chose.

OFFICIER

Jaffier, bien entendu, tout le monde vous répondra la même chose.

PIERRE

Et que pensez-vous de Jaffier ? Moi, je suis si proche de lui que je me demande parfois comment il apparaît à ceux qui le connaissent moins bien.

Court éloge de Jaffier par l’Officier. Chef naturel. On désire lui obéir. Dignité, justice. Pierre le congédie et appelle l’autre.



Scène V


RENAUD, PIERRE, AUTRE OFFICIER


Même scène à peu près. L’éloge de Jaffier est assez différent (compagnon de captivité et d’évasion de Jaffier chez les Maures ? Peint sa constance impénétrable aux coups du sort, sa sérénité, que la pitié pouvait parfois troubler ?).



Scène VI


RENAUD, PIERRE


PIERRE

Vous voyez. Vous ne pouvez pas le faire disparaître sans créer une dangereuse inquiétude parmi les nôtres.

RENAUD

Je m’en rends bien compte, mais je crois si sérieusement qu’un grave danger nous menace de sa part que néanmoins sa mort me paraît la seule solution.

PIERRE

Voyons, vous me dites cela, à moi qui renoncerais pour lui au trône d’Allemagne si on me l’offrait à un tel prix ? Moi, qui sacrifierais pour son salut tout le globe terrestre et tous les hommes ? Vous croyez que sa vie est un danger pour vous ; mais si je devenais votre ennemi mortel, résolu à tout pour vous perdre, est-ce que cela aussi ne serait pas dangereux ?

RENAUD

Ne parlez pas ainsi ; je ne ferai rien sans votre consentement. Je croyais qu’en vous engageant dans une si grande entreprise, qui va changer la face du monde et décider des siècles à venir, vous étiez résolu à sacrifier à notre succès tous les sentiments. Nous avons exigé de chacun une telle résolution.

PIERRE

Oui, tous les sentiments, c’est vrai, sauf un, sauf mon amitié. Demandez-moi n’importe quoi d’autre, mais ne touchez pas à mon ami.

RENAUD

Très bien, je cède, et je souhaite que vous ayez raison dans votre confiance en lui. Mais écoutez-moi bien : je sens que votre ami nous perdra. Il a eu une défaillance, il en aura d’autres. Vous regretterez de n’avoir pas écouté la raison. Pour être un bon conjuré, il faut ne rien aimer.

PIERRE

Je le connais, vous verrez qu’il sera notre meilleur appui.

RENAUD

Puissiez-vous dire vrai, mais je crains le contraire. Quoi qu’il en soit, allons dormir quelques heures.



Scène VII


Une dernière scène, courte, où un des officiers dit :


OFFICIER

Voyez, l’aube commence à poindre. À l’aube prochaine, cette ville sera prosternée à nos pieds et nous serons les maîtres.


Rideau