Poèmes incongrus/Le Bal de l’Hôtel de Ville

Pour les autres éditions de ce texte, voir Un Bal à l’hôtel de ville.

Poèmes Incongrus : suite aux Poèmes mobilesLéon Vanier, bibliopole (p. 9-12).

LE BAL DE L’HÔTEL DE VILLE


Un soir j’dis à ma femme : « Faudrait
Qu’j’aille à l’Hôtel de Ville :
Y a z’un bal épatant, paraît
Qu’on n’s’y fait pas trop d’bile ! »
« Mais mon homm’, qu’ell’ dit,
Tu n’as pas d’habit ! »
« Bah ! c’est pas ça qui m’gêne :
Pass’-moi mon complet
Qu’t’as rafistolé
Pour la noce à Ugène ! »

J’arrive à la porte du bal,
J’vois des gens qu’on salue,
C’est tout l’ conseil municipal
Debout en grand’ tenue :
Des complets marrons
Et des chapeaux ronds.
Dam, c’est pas d’la p’tite bière ;
Tous ces gaillards-là,
Ils ont pigé ça
À la Bell’ Jardinière !


J’entre et j’tomb’ dans un restaurant
Où d’un coup d’œil rapide
J’avise un espèc’ de croquant
Qui versait du liquide.
J’avale un d’mi-s’tier
Et j’tends pour payer
Quarant’ sous au bonhomme.
Il me dit : « Monsieurr,
Vous faites erreur,
C’est à l’œil qu’on consomme ! »

Quand j’ai vu ça j’m’en suis flanqué
Par-dessus les oreilles !
Jamais j’avais tant tortillé
Ni tant sifflé d’bouteilles.
Comme on peut pas tout
Manger d’un seul coup,
J’en ai mis plein mes poches.
Quand on a bon cœur,
On pense à sa sœur,
À sa femme, à ses mioches !

Après ça j’arrive en m’prom’nant
Dans l’fumoir où qu’l’on fume.
Je m’assois et j’tir’ tranquill’ment
Mon brûl’-gueul’ que j’allume.
Mais v’là qu’un larbin,
Pour fair’ le malin,

M’tend un’ boît’ de cigares.
J’la mets sous mon bras,
Des panatellas !
Quel coup pour la fanfare !

Soudain j’me dis : « C’est pas tout ça,
T’es au bal, faut qu’tu danses
Et qu’tu montr’ à tous ces muff’là
Qu’tu connais les conv’nances ! »
J’fais l’tour du salon
Comme un papillon.
Et j’dégote un’ bell’ brune :
« Madam’, que j’y dis.
V’là mon abatis.
Nous allons en suer une ! »

« Pardon, fait un vilain gommeux,
C’est moi qui l’a r’tenue. »
Alors on s’attrap’ tous les deux,
J’arrach’ sa queue d’morue.
Y m’pouss’ dans un coin
Et m’colle un coup de poing
Sans mêm’que j’y réponde.
Et voilà comme on
R’çoit des coups d’tampon
Quand on va dans l’grand monde !


J’ai l’œil poché, mais c’est égal,
J’ai rigolé tout d’même,
Car, voyez-vous, un pareil bal,
Faut avouer qu’c’est la crème.
Le nec plus ultra.
C’est qu’à c’t’endroit-là
Ça coût’pas un centime.
Aussi, nom d’un chien.
Je r’piqu’l’an prochain
Avec ma légitime !