Poèmes (Canora, 1905)/In memoriam

(p. 211-214).


IN MEMORIAM


23 mai 1902.

 
Un jour, au fond des bois remplis d’odeurs légères,
Sous l’abri dentelé des humides fougères
Dont les palmes avaient de longs frémissements,
Nous avions confondu nos bouches lentement,
Lorsque ta voix, soudain, ainsi qu’une caresse,
Glissa jusqu’à mon cœur avide de tendresse.
« Je t’aime », disais-tu, « je t’aime, désormais,
« Il ne faut plus douter ni défaillir jamais !

« Si tu ris, au Printemps, parmi les fleurs nouvelles,
« Si, comme un rossignol fait vibrer sous ses ailes
« Le large azur du ciel inondé de soleil,
« Ton esprit prend son vol, pour fêter le réveil
« Des arbres couronnés de fleurs blanches et roses,
« Je rirai comme toi de la beauté des choses.

 

« Lorsque les vents d’Été font courir un frisson
« Sur l’océan doré des lointaines moissons,
« Si tu sens, en ton cœur, naître un désir superbe
« De donner à celui qui fait croître une gerbe
« Une part d’idéal aux siècles à venir,
« Tu sentiras mon cœur, comme le tien bondir !

« Aux mois d’automne, si, d’une marche plus lente,
« Tu traverses les bois pleins de senteurs troublantes
« À l’heure où le couchant caresse le chemin
« D’un long baiser muet… Si, de voir sur ta main
« Tomber comme une larme une feuille pâlie,
« Tu souffres. — Nous aurons même mélancolie,

« Si tu songes, l’hiver, devant les hameaux blancs,
« Où gîtent, le front pâle et les membres tremblants,
« Des frères inconnus qui n’ont point d’espérance,
« À ce que l’avenir récèle de souffrance
« Pour notre Humanité que guette au loin la mort,
« Au néant de lutter, je te dirai : sois fort.

« Sois libre ; de tes mains, brise les lourdes chaînes
« Que nous mettent au cœur l’égoïsme et la haine,
« Domine les longs flots des siècles agités
« D’où tu verras surgir l’éternelle beauté !

 

« Transforme en vers ailés la splendeur de la terre,
« La gloire des héros et la bonté des mères,
« Chante l’avènement d’une nouvelle foi
« Et j’aurai des baisers, j’aurai des fleurs pour toi ! »

Et lorsque je chantai la chanson de mon âme
Devant un peuple ému, je te revis, ô femme,
Ô bien-aimée ! avec des roses dans les bras !
La flamme de tes yeux s’en fut dans mes yeux las.
Et je mis la ferveur de ta tendresse immense
Dans les accents profonds des hymnes d’espérance.
Et l’encens de tes fleurs s’éleva tout ce jour
Et mon premier effort naquit de ton amour.