Poèmes (Canora, 1905)/Berceuse

(p. 75-76).


V

BERCEUSE


Repose en paix, rêve longtemps.
La fougère morte est ta couche.
Ferme tes yeux bleus et ta bouche
Qui fêtait les joyeux printemps.

Voici l’heure où l’automne expire,
Rêve sans songer au réveil ;
Pour bercer ton dernier sommeil,
Mes doigts caresseront la lyre.

« La nuit tombe, les peupliers
S’inclinent, ô ma bien-Aimée !
Laisse la brise parfumée
Emporter tes rêves légers.


Le pâle essaim des feuilles mortes
Neige sur tes longs cheveux d’or
Et le soleil hésite encor
À franchir les célestes portes.

Par les combes et les grands bois
Déjà le feu follet chemine
Et s’attarde sur la colline
Parmi les tombes et les croix.

Ô ne t’éveille pas, la vie
Flétrirait ton rêve enchanté !
Jusqu’à la suprême clarté
Je te veillerai, mon amie !…

Puis je dormirai dans la nuit.
La mort viendra pâle et très belle,
Semer notre cendre mortelle
Au vent d’automne qui s’enfuit.