Poèmes (Canora, 1905)/À une fiancée

(p. 32-33).

À UNE FIANCÉE


À madame Abel Chevalet.


Puisque, vous êtes deux qu’anime l’espérance,
D’un avenir moins lourd pour les déshérités,
Aimez et répandez l’amour de tous côtés,
Brisez autour de vous la haine et la souffrance.

Aux humbles qui n’ont pas de pain, sève du corps,
Qui n’ont pas l’idéal sacré, sève de l’âme,
De votre jeune amour montrez la claire flamme,
Et dites de vouloir et de combattre encor !

Contez-leur que, la nuit de vingt siècles de larmes
Va faire place au jour d’un siècle clair et beau.
L’Humanité rira sous le soleil nouveau
Quand le travail vainqueur aura brisé les armes !


Épuisez chaque jour sans craindre l’avenir.
L’amour a tôt pansé les blessures cruelles !
Abandonnez votre être aux forces éternelles,
Après avoir su vivre, il est doux de mourir.

Voici venir des flots d’exquise violette,
De jacinthe bleutée, et de grisant lilas,
La fleur de l’oranger va parer votre tête,
Des amis verseront les roses sous vos pas.

Les uns ont apporté de blanches primevères,
D’autres de fins tissus, des voiles odorants,
Tout ce qui fait envie aux vierges de vingt ans,
Pour l’offrir en hommage à votre beauté chère.

Moi, plutôt que des fleurs qui meurent sous le ciel,
Je vous donne ces vers : acceptez-les, Madame,
La poésie ailée est une fleur de l’âme
Ouvrant sur l’avenir son calice immortel.