Poème de la prison/Ballade XXXIX

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 54-55).

BALLADE XXXIX.

     Se je povoye mes souhais
Et mes soupirs faire voler,
Si tost que mon cueur les a fais,
Passer leur feroye la mer
Et vers celle, tout droit aler,
Que j’ayme du cueur si tresfort,
Comme ma liesse mondaine,
Que je tendray jusqu’à la mort

Pour ma maistresse souveraine.
     Helas ! la verray je jamais ?
Qu’en dittes vous, tresdoulx Penser ?
Espoir m’a promis ouil, mais
Trop long temps me fait endurer ;
Et, quant je lui viens demander
Secours à mon besoing, il dort.
Ainsi suis chascune sepmaine
En maint ennuy, sans reconfort,
Pour ma maistresse souveraine.
     Je ne puis demourer en paix,
Fortune ne m’y veult laissier ;
Au fort, à présent je me tais
Et vueil laisser le temps passer.
Pensant d’avoir, au par aler.
Par Léauté où mon ressort
J’ay mis, de Plaisance l’estraine,
En guerdon des maulx qu’ay à tort
Pour ma maistresse souveraine.