Poème de la prison/Ballade XXXVIII

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 53-54).
BALLADE XXXVIII.

     Haa, Doulx Penser, jamais je ne pourroye
Vous desservir les biens que me donnez,
Car, quant Ennuy mon povre cueur guerroye
Par Fortune, comme bien le savés.
Toutes les fois qu’amener me voulés
Un souvenir de ma belle maistresse ,
Tantost Doleur, Desplaisir et Tristesse
S’en vont fuiant ; ilz n’osent demourer
Ne se trouver en vostre compaignie ;
Mais se meurent de courrous et d’envie,
Quant il vous plaist d’ainsi me conforter.
     L’aise que j’ay dire je ne sauroye.
Quant Souvenir et vous me racontés
Les tresdoulx fais, plaisans et plains de joye
De ma Dame, qui sont congneuz assés
En plusieurs lieux, et si bien renommés
Que d’en parler chascun en a liesse.
Pource, tous deux, pour me tollir Destresse,
D’elle vueilliez nouvelles m’aporter
Le plus souvent que pourrés, je vous prie ;

Vous me sauvez et maintenez la vie,
Quant il vous plaist d’ainsi me conforter.
     Car lors Amour par vous deux si m’envoye
Ung doulx espoir que vous me présentés,
Qui me donne conseil que joyeux soye ;
Et puis après tous trois me promettés
Qu’à mon besoing jamais ne me fauldrés.
Ainsi m’atens tout à vostre promesse,
Car par vous puis avoir, à grant largesse,
Des biens d’Amours, plus que ne sçay nombrer,
Maugré Dangier, Dueil et Merencolie
Que je ne crains en riens, mais les deffie.
Quant il vous plaist d’ainsi me conforter.


ENVOI

     Jeune, gente, nompareille Princesse,
Puis que ne puis véoir vostre jeunesse,
De m’escrire ne vous vueilliez lasser ;
Car vous faittes, je le vous certiffie,
Grant aumosne dont je vous remercie,
Quant il vous plaist d’ainsi me conforter.