Poème de la prison/Ballade XL

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 55-56).

BALLADE XL.

     Fortune, vueilliez moy laissier
En paix, une fois, je vous prie ;
Trop longuement, à vray compter,
Avés eu sur moy seigneurie.
Tousjours faittes la rencherie
Vers moy et ne voulez ouir
Les maulx que m’avez fait souffrir,
Il a jà plusieurs ans passez ;
Doy je tousjours ainsi languir ?
Helas ! et n’est ce pas assés ?
     Plus ne puis en ce point durer ;

Et à Mercy, mercy je crie ;
Souspirs m’empeschent le parler :
Veoir le povez, sans mocquerie,
Il ne fault jà que je le dye ;
Pource, vous vueil je requérir
Qu’il vous plaise de me tollir
Les maulx que m’avez amassez,
Qui m’ont mis jusques au mourir ;
Helas ! et n’est ce pas assez ?
     Tous maulx suy contant de porter,
Fors un seul, qui trop fort m’ennuye,
C’est qu’il me fault loing demourer
De celle que tiens pour amye ;
Car pieçà en sa compaignie
Laissay mon cueur et mon desir ;
Vers moy ne veulent revenir,
D’elle ne sont jamais lassez.
Ainsi suy seul, sans nul plaisir,
Helas ! et n’est ce pas assez ?


ENVOI

     De balader j’ay beau loisir.
Autres deduiz me sont cassez,
Prisonnier suis, d’Amour martir :
Helas ! et n’est ce pas assez ?