PleureusesErnest Flammarion (p. 123-126).
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L’OUVRIÈRE


La vie imparfaite.


Ta blanche lampe t’illumine,
Quand frileuse, ayant peur du bruit,
Tu travailles tard dans la nuit
À quelque tâche un peu divine.

Déjà ton labeur est moins sûr…
Tu lèves les yeux, comme un crime,
Tu vois venir la paix sublime,
Et la charité de l’azur.


Humble devant ta destinée
Tu sombres doucement en tout…
Le sommeil a surpris ton cou,
Tu te redresses, étonnée…

Pauvre enfant qui n’a pas régné,
Pauvre femme, pauvre princesse…
Voici qu’en ce soir de caresse
Ton cœur trop paisible a saigné.

Et nul n’est là pour le sourire,
Et doucement, tu te souris.
L’ombre a des rideaux attendris…
Tu t’étonnes d’être martyre.

Et la misère de tes mains
S’entr’ouvre ; la lampe t’embrase,
De tes regards voilés d’extase
Tu sens couler des pleurs humains…


Sous le rayonnement suprême,
L’ouvrage s’affaisse et s’endort,
Et pleine de paresse d’or
Tu t’émerveilles de toi-même.

C’est le bonheur très bon, sans fin,
La bénédiction sans cause,
En la pauvre âme pauvre éclose
Pour qui la fatigue est du pain.

La nuit est indistincte et sage,
Elle chante à mi-voix le jour,
L’ombre est pleine d’un grand amour
Comme une chose qu’on partage.

Faible en même temps et vainqueur,
Tu recueilles le grand silence,
La bonne et douce récompense
Qui te caresse jusqu’au cœur.


La lumière pauvre et profonde
T’enveloppe d’enchantement,
Tu souris, tu crois vaguement
Sentir la justice du monde.

Béni, celui qui vit ses yeux
Éblouis par un bon mystère,
Bénis, ceux qui trouvent sur terre
Le vague salut d’être heureux !…

Tendrement, tu luttes encore,
Et comme une grâce des cieux,
Le sommeil exauce tes yeux
Et le front penché qui l’adore.