Phonétique d’un parler irlandais de Kerry/1-1

Première partie. Le système consonantique.
Chapitre I. — Généralités




Première partie


Le système consonantique








Chapitre premier
Généralités

§ 1. L’obser­vateur qui, arrivant dans une région de langue irlan­daise, entend pour la première fois le parler local, est tout d’abord frappé par la multi­plicité des sons de ce parler.

Le conso­nantisme présente un nombre de variétés approxima­tive­ment double de celui qu’on rencontre dans la plupart des autres langues euro­péennes, et presque chacune de ces variétés doit être consi­dérée comme un phonème distinct, presque toutes présen­tent ce triple caractère : de se laisser nettement définir par oppo­sition aux autres variétés ; d’être sensible­ment identi­ques chez tous les sujets en une région donnée (à part quelques phonèmes actuelle­ment en cours de trans­formation, cf. § 48 sq.) ; d’appa­raître indépen­dam­ment des phonèmes environ­nants. Aussi presque toutes ces variétés sont-elles normale­ment utilisées pour distin­guer diffé­rents mots ou diffé­rentes formes d’un même mot.

§ 2. Le vocalisme, au premier abord, ne paraît guère moins complexe. Cependant les condi­tions de cette com­plexité sont tout autres et l’impor­tance au point de vuedu système de la langue en est bien moindre. Les variétés voca­liques sont en effet le plus souvent mal carac­térisées par oppo­sition les unes aux autres, sujettes à des fluctu­ations consi­dérables d’un sujet à l’autre, dépen­dantes quant à leur répar­tition des phonèmes environ­nants. Aussi la plupart des oppo­sitions conce­vables entre ces diverses variétés ne peuvent-elles être utilisées pour des fins séman­tiques. C’est dire que le vocalisme du parler présente, avec un jeu étendu de sons divers, un nombre restreint de phonèmes distincts.

Ce déséqui­libre entre conso­nantisme et vocalisme domine tout le système phoné­tique.

§ 3. Tableau du système consonantique.
 
vélaires
palatales
  lab. dent. gutt. lab. dent. gutt.
 
I. — Occlusives pures.
sourdes p t k ()
sonores b d g ()
(assourdies) ()   () (b̬ʹ)   (g̬ʹ)
 
II. — Occlusives nasales.
  m n ŋ ŋʹ
 
III. — Spirantes.
sourdes f   χ (χʺ)   ç
sonores v, w   ǥ (ǥʺ)   j
 
IV. — Sifflantes et chuintantes.
    s     ʃ  
 
V. — Liquides.
    r      
    l      
 
VI.
    h      

§ 4. Nous notons la mouillure par un ʲ, là où elle est déve­loppée en un son distinct (§ 94 sq.) : la labiale sourde palatale peut donc être notée ou (le signe de palata­lisation étant omis là où on a ʲ, comme superflu).

Les consonnes indiquées entre paren­thèses sont, non des types ayant une existence indépen­dante, mais des variétés n’appa­raissant qu’en contact avec certains phonèmes : et , χʺ et ǥʺ (d’ordinaire notés dans notre tran­scription k, g, χ, ǥ) n’appa­raissent que devant liquides ou nasales palata­lisées ; , b̬ʹ, , g̬ʹ, n’appa­raissent qu’après s ou ʃ.

Des autres phonèmes portés au tableau, les occlu­sives buccales et nasales (sauf ŋ et ŋʹ) se trouvent en toutes positions, initiale, médiane ou finale. Les spirantes se placent un peu à part, ne pouvant appa­raître que dans des condi­tions définies : aucune spirante, sauf f et , n’apparaît à l’initiale autrement que comme forme alter­nante d’une occlusive ayant le même point d’arti­culation (cf. § 285) ; certaines (ç, ǥ), n’appa­raissant que dans ce cas, ne se trouvent pas en position médiane ou finale.

Il résulte de ce fait que ces spirantes (ç, ǥ) sont toujours explo­sives. Les autres consonnes peuvent être explo­sives ou implo­sives. Les géminées n’existent pas dans le parler en dehors des cas de sandhi.

La quantité des consonnes est normale­ment moyenne. Les varia­tions de quantité que peuvent présenter certaines consonnes (cf. § 26 et 76), étant déter­minées extéri­eure­ment, en fonction de la place dans le mot, ne consti­tuent pas des alter­nances caracté­ristiques.

§ 5. L’oppo­sition qui domine tout le système conso­nantique et qui en constitue la prin­cipale origi­nalité est l’oppo­sition entre les deux séries, vélarisée et pala­talisée, ou, pour plus de commodité, « vélaire » et « palatale ».

Le mécanisme de la vélari­sation et de la palata­lisation varie dans le détail selon la nature des phonèmes. De façon générale, pour toute consonne du parler, la langue est soit rétractée et soulevée dans la direction de la position u, soit avancée et soulevée dans la direction de la position i. Dans le premier cas, on a une consonne que nous désignons comme « vélaire » (rigou­reuse­ment : « vélarisée ») ; dans le second cas, une consonne que nous désignons comme « palatale » (rigou­reuse­ment : « pala­talisée »).

§ 6. L’oppo­sition vélaire-palatale joue un rôle important dans le voca­bulaire et dans la morpho­logie du parler. Si dans les mots (ou formes) à voyelle brève, l’oppo­sition conso­nantique se double automati­que­ment d’une alter­nance vocalique (cf. 2e partie, chap. 1), si bien qu’on a, en face de αr (fear) « homme », le génitif fʹirʹ (fir), dans les mots à voyelle longue, le timbre de la voyelle n’étant pas modifié, l’oppo­sition des deux types de consonnes ressort avec le maximum de netteté, comme le montrent les exemples suivants :

pɑkə (paca) « sac ». α (peaca) « péché ».
bo꞉ (bó) « vache ». bʲo꞉ (beó) « vivant ».
tᴀᴜn (tonn) « une vague ». tʲaᴜn (teann) « trapu ».
do꞉ (dóghadh) « brûler ». dʲo꞉ (deó), dans go dʲo꞉ « toujours ».
kɑrtʹ (cairt) « voiture » αrt (ceart) « droit, juste »
gɑl (gal) « fumée ». αl (geal) « brillant ».
mᴜ꞉ⁱnʹ (móin) « tourbe ». mʲᴜ꞉n (meón) « caractère ».
ə ŋᴀᴜl (i ngabhal) « entre, mêlé à », de gᴀᴜl (gabhal) « fourche » :
ɩ ŋʲaᴜl (i ngeall) « en garantie », de aᴜl (geall) « promesse ».
kɑ꞉s (cás) « destin ». kɑ꞉ʃ (cáis) « fromage ».
fɑd (fad) « longueur ». αd (fead) « sifflet ».
do vᴜ꞉ⁱnʹ (do mhóin) « ta tourbe ». do vʲᴜ꞉n (do mheón) « ton content ».
χɑrtʹ (do chairt) « ta voiture » də çαrt (do cheart) « ton droit »
ɑnəǥɑl (anaghal) « fumée épaisse ». ɑnɩjαl (anagheal) « très brillant ».
kɑ꞉l (cál) « droit, récla­mation ». kɑ꞉ⁱlʹ (cáil) « répu­tation ».
ᴜ꞉r (úr) « frais ». ᴜ꞉ⁱrʹ (úir) « terre, terreau ».

Par ailleurs, dans la morpho­logie, des alter­nances du type : bro꞉g (bróg) « soulier », dat. bro꞉ⁱgʹ (bróig) ; bro꞉n (brón) « chagrin », gén. bro꞉ⁱnʹ (bróin) ; sɑgərt (sagart) « prêtre », plur. sɑgərtʹ (sagairt), sont d’une impor­tance fonda­mentale.