Philosophie zoologique (1809)/Troisième Partie/Deuxième Chapitre

Troisième Partie, Deuxième Chapitre
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CHAPITRE II


Du Fluide nerveux.


UNE matière subtile, remarquable par la célérité de ses mouvemens, et qu’on néglige de considérer, parce qu’il n’est pas en notre pouvoir de l’observer directement nous-mêmes, de nous la procurer, et de la soumettre à nos expériences ; cette matière, dis-je, est l’agent le plus singulier, et en même temps l’instrument le plus admirable que puisse employer la nature pour produire le mouvement musculaire, le sentiment, les émotions intérieures, les idées, et les actes d’intelligence dont quantité d’animaux sont susceptibles.

Or, comme il nous est possible de connoître cette matière par les effets qu’elle produit, il importe que nous la prenions en considération, dès le commencement de la troisième partie de cet ouvrage ; car le fluide qu’elle constitue étant le seul qui soit capable d’opérer les phénomènes qui excitent tant notre admiration, si nous refusons de reconnoître son existence et ses facultés, il nous faudra donc abandonner toute recherche sur les causes physiques de ces phénomènes, et recourir de nouveau à des idées vagues et sans base, pour satisfaire notre curiosité à leur égard.

Relativement à la nécessité où l’on se trouve de rechercher dans les effets qu’il produit, la connoissance du fluide dont il est question, n’est-ce pas maintenant une chose reconnue, qu’il existe dans la nature différentes sortes de matières qui échappent à nos sens, dont nous ne pouvons nous emparer, et qu’il nous est impossible de retenir et d’examiner à notre gré ; des matières d’une ténuité et d’une subtilité si considérables, qu’elles ne peuvent manifester leur existence que dans certaines circonstances, et qu’au moyen de quelques-uns de leurs résultats qu’avec beaucoup d’attention nous parvenons à saisir ; des matières, en un mot, dont nous ne pouvons, jusqu’à un certain point, reconnoître la nature, que par des inductions et des déterminations d’analogie, que la réunion d’un grand nombre d’observations peut seule nous faire obtenir ? Cependant l’existence de ces matières nous est prouvée par les résultats qu’elles seules peuvent produire ; résultats qu’il nous importe tant de considérer dans différens phénomènes dont nous recherchons les causes.

Dira-t-on que, puisque nous possédons si peu de moyens pour déterminer, avec la précision et l’évidence que toute démonstration exige, la nature et les qualités de ces matières, tout homme sage, et qui fait cas seulement des connoissances exactes, doit négliger leur considération ?

Peut-être me trompé-je ; mais j’avouerai que je ne suis point du tout de cet avis ; au contraire, je suis fermement persuadé que ces mêmes matières jouant un rôle important dans la plupart des faits physiques que nous observons, et surtout dans le plus grand nombre des phénomènes organiques que les corps vivans nous présentent, leur considération est du plus grand intérêt pour l’avancement de nos connoissances à l’égard de ces faits et de ces phénomènes.

Ainsi, quoiqu’il soit impossible de connoître directement toutes les matières subtiles qui existent dans la nature, renoncer à des recherches relatives à certaines d’entre elles, ce seroit, à ce qu’il me semble, refuser de saisir le seul fil que nous offre la nature pour nous conduire à la connoissance de ses lois ; ce seroit renoncer aux progrès réels de celle que nous possédons sur les corps vivans, ainsi que sur les causes des phénomènes que nous observons dans les fonctions de leurs organes ; et ce seroit, en même temps, renoncer à la seule voie qui puisse nous procurer les moyens de perfectionner les théories physiques et chimiques que nous pouvons former.

On verra bientôt que ces considérations ne sont point étrangères à mon objet, qu’il est nécessaire d’y avoir égard, et qu’elles s’appliquent parfaitement à ce que j’ai à dire sur le fluide nerveux qu’il nous est si intéressant de connoître.

Nos observations étant maintenant trop avancées pour nous permettre de contester solidement ou de révoquer en doute l’existence d’un fluide subtil qui circule et se meut dans la substance pulpeuse des nerfs, voyons, sur ce sujet délicat et difficile, ce qu’il est possible de proposer de vraisemblable d’après l’état actuel des connoissances.

Mais avant de parler du fluide nerveux, il est très-important de présenter la proposition suivante :

Tous les fluides visibles, contenus dans le corps d’un animal, tels que le sang ou ce qui en tient lieu, la lymphe, les fluides sécrétés, etc., se meuvent avec trop de lenteur dans les canaux ou les parties qui les contiennent, pour pouvoir être capables de porter, avec la célérité nécessaire, le mouvement ou la cause du mouvement qui produit les actions des animaux ; ces actions, dans quantité d’animaux où on les observe, s’exécutant avec une promptitude et une vivacité surprenantes, et ces animaux les interrompant, les reprenant et les variant avec toutes les nuances d’irrégularité possibles. La moindre réflexion doit suffire pour nous faire comprendre qu’il est absolument impossible que des fluides aussi grossiers que ceux que je viens de citer, et dont les mouvemens sont, en général, assez réguliers, puissent être la cause des actions diverses des animaux. Cependant, tout ce qu’on observe en eux, résulte de relations entre leurs fluides contenus, ou ceux de ces fluides qui les pénètrent, et leurs parties contenantes, ou les organes affectés par ces fluides contenus.

Assurément, ce ne peut être qu’un fluide presqu’aussi prompt que l’éclair, dans ses mouvemens et ses déplacemens, qui puisse opérer des effets semblables à ceux que je viens d’indiquer ; or, nous connoissons maintenant des fluides qui ont cette faculté.

Comme toute action est toujours le produit d’un mouvement quelconque, et qu’assurément c’est par un mouvement, quel qu’il soit, que les nerfs agissent ; M. Richerand a discuté et réfuté solidement dans sa Physiologie (vol. II, pag. 144 et suiv.), l’opinion de ceux qui ont regardé les nerfs comme des cordes vibrantes. « Cette hypothèse, dit ce savant, est tellement absurde, qu’on a lieu d’être étonné de la longue faveur dont elle a joui. »

On seroit autorisé à dire la même chose de l’hypothèse du mouvement de vibration, communiqué entre des molécules aussi molles et aussi peu élastiques que celles de la pulpe médullaire des nerfs, si quelqu’un la proposoit.

« Il est bien plus raisonnable, dit ensuite M. Richerand, de croire que les nerfs agissent au moyen d’un fluide subtil, invisible, impalpable, auquel les anciens donnèrent le nom d'esprits animaux. »

Enfin, plus loin, en considérant les qualités particulières du fluide nerveux, ce physiologiste ajoute : « Ces conjectures n’ont-elles pas acquis un certain degré de probabilité, depuis que l’analogie du galvanisme avec l’électricité, d’abord présumée par l’auteur de cette découverte, a été confirmée par les expériences si curieuses de VOLTA, répétées, commentées, expliquées dans ce moment par tous les physiciens de l’Europe ? »

Quelqu’évidente que soit l’existence du fluide subtil au moyen duquel les nerfs agissent, il y aura long-temps, et peut-être toujours, des hommes qui la contesteront ; parce qu’on ne peut la prouver autrement que par les phénomènes que ce fluide seul peut produire.

Cependant il me semble que lorsque tous les effets de ce fluide dont il s’agit démontrent son existence, il n’est nullement raisonnable de la nier, par la seule raison qu’il nous est impossible de voir ce fluide. Il est surtout très-inconvenable de le faire, lorsqu’on sait que tous les phénomènes organiques résultent uniquement de relations entre des fluides en mouvement et les organes qui donnent lieu à ces phénomènes. Enfin, cette inconvenance est bien plus grande encore, lorsqu’on est convaincu que les fluides visibles (le sang, la lymphe, etc.) qui arrivent et pénètrent dans la substance des nerfs et du cerveau, sont trop grossiers et ont trop de lenteur dans leurs mouvemens, pour pouvoir donner lieu à des actes aussi rapides que ceux qui constituent le mouvement musculaire, le sentiment, les idées, la pensée, etc.

D’après ces considérations, je reconnois que, dans tout animal qui possède un système nerveux, il existe dans les nerfs et dans les foyers médullaires auxquels ces nerfs aboutissent, un fluide invisible, très-subtil, contenable, et à peu près inconnu dans sa nature, parce qu’on manque de moyens pour l’examiner directement. Ce fluide, que je nomme fluide nerveux, se meut dans la substance pulpeuse des nerfs et du cerveau, avec une célérité extraordinaire, et cependant n’y forme, pour l’exécution de ses mouvemens, aucuns conduits perceptibles.

C’est par le moyen de ce fluide subtil que les nerfs agissent ; que le mouvement musculaire se met en action ; que le sentiment se produit ; et que les hémisphères du cerveau exécutent tous les actes d’intelligence auxquels, selon leurs développemens, ils ont la faculté de donner lieu.

Quoique la nature propre du fluide nerveux ne nous soit pas bien connue, puisque nous ne pouvons l’apprécier que par ses effets ; depuis la découverte du galvanisme, il devient de plus en plus probable qu’elle est très-analogue au fluide électrique. Je suis même persuadé que c’est ce fluide électrique qui a été modifié dans l’économie animale, s’y étant en quelque sorte animalisé par son séjour dans le sang, et s’y étant assez changé pour devenir contenable et se maintenir uniquement dans la substance médullaire des nerfs et du cerveau, à laquelle le sang en fournit sans cesse.

Pour pouvoir dire que le fluide nerveux n’est que de l’électricité modifiée par son séjour dans l’économie animale, je me fonde sur ce que ce fluide nerveux, quoique fort ressemblant par ses effets à plusieurs de ceux que produit le fluide électrique, s’en distingue néanmoins par quelques qualités particulières, parmi lesquelles celle de pouvoir être retenu dans un organe, et de s’y mouvoir, soit dans un sens, soit dans un autre, paroît lui être propre.

Le fluide nerveux est donc réellement distinct du fluide électrique ordinaire, puisque celui-ci traverse sans s’arrêter, et avec sa célérité connue, toutes les parties de notre corps, lorsqu’on forme la chaîne dans la décharge, soit d’une bouteille de Leyde, soit d’un conducteur électrique.

Il est même différent du fluide galvanique obtenu et mis en action par la pile de Volta : en effet, ce dernier, qui n’est encore que le fluide électrique lui-même, mais agissant avec moins de masse, de densité et d’activité que le fluide électrique que l’on dégage de la bouteille de Leyde, ou d’un conducteur chargé, reçoit de la circonstance dans laquelle il se trouve, quelques qualités ou facultés qui le distinguent du fluide électrique rassemblé et condensé par nos moyens ordinaires. Aussi ce fluide galvanique exerce-t-il plus d’action sur nos nerfs et sur nos muscles que le fluide électrique ordinaire : cependant le fluide galvanique dont il est question, n’étant point animalisé, c’est-à-dire, n’ayant point reçu l’influence que son séjour dans le sang (surtout dans le sang des animaux à sang chaud) lui fait acquérir, ne possède pas toutes les qualités du fluide nerveux.

Le fluide nerveux des animaux à sang froid étant moins animalisé, se trouve plus voisin du fluide électrique ordinaire, et surtout du fluide galvanique. C’est ce qui est cause que nos expériences galvaniques produisent sur les parties des animaux à sang froid, comme les grenouilles, des effets très-énergiques ; et que dans certains poissons, comme la torpille, la gymnote et le silure trembleur, un organe électrique bien prononcé, y montre l’électricité tout-à-fait appropriée à l’animal pour ses besoins. Voyez dans les Annales du Muséum d’Histoire naturelle, vol. I, pag. 392, l’intéressant mémoire de M. Geoffroi sur ces poissons.

Malgré les modifications que le fluide électrique a reçues dans l’économie animale, et qui l’ont amené à l’état de fluide nerveux, il a conservé néanmoins, en très-grande partie, son extrême subtilité, et son aptitude aux prompts déplacemens ; qualités qui le rendent propre à l’exécution des fonctions qu’il doit exercer pour satisfaire aux besoins de l’animal.

Ce fluide électrique pénétrant sans cesse dans le sang, soit par la voie de la respiration, soit par toute autre, s’y modifie graduellement, s’y animalise, et acquiert, enfin, les qualités de fluide nerveux. Or, il paroît qu’on peut regarder les ganglions, la moelle épinière, et surtout le cerveau avec ses accessoires, comme constituant les organes sécrétoires de ce fluide animal.

En effet, il y a lieu de penser que la substance propre des nerfs qui, par suite de sa nature ' albumino-gélatineuse, est meilleure conductrice du fluide nerveux que toute autre substance du corps, et surtout que les membranes aponévrotiques qui enveloppent les filets et les cordons nerveux, soutire continuellement des dernières artérioles sanguines, le fluide subtil dont il est question et que le sang a préparé. Ce sont, sans doute, ces dernières artérioles et les veinules qui les accompagnent, qui donnent lieu à la couleur grise de la partie externe et comme corticale de la substance médullaire.

Ainsi se produit sans cesse dans les animaux qui ont un système nerveux, le fluide invisible et subtil qui se meut dans la substance de leurs nerfs et dans les foyers médullaires où ces nerfs aboutissent.

Ce fluide nerveux agit dans les nerfs par deux sortes de mouvemens très-opposés ; et, en outre, il exécute, dans les hémisphères du cerveau, une multitude de mouvemens divers que les actes de ces organes rendent probables, mais que nous ne saurions déterminer.

Dans les nerfs destinés à opérer des sensations, on sait que ce fluide se meut de la circonférence, c’est-à-dire, des parties extérieures du corps, vers le centre, ou plutôt vers le foyer qui produit les sensations ; et comme les individus qui ont un système nerveux peuvent aussi éprouver des impressions intérieures, le fluide dont il s’agit se meut alors dans les nerfs des parties intérieures, en se dirigeant pareillement vers le foyer des sensations.

Au contraire, dans les nerfs destinés à la production du mouvement musculaire, soit de celui qui se fait sans la volonté de l’animal, soit de celui que cette volonté seule fait exécuter, le fluide nerveux se meut du centre ou de son foyer commun, vers les parties qui doivent agir.

Dans les deux cas que je viens de citer, relativement au mouvement du fluide nerveux dans les nerfs, et, en outre, aux divers mouvemens qu’il peut exécuter dans le cerveau, l’emploi de ce même fluide, mis en action, en fait consommer une partie qui se dissipe et se trouve perdue pour l’animal. Cette perte exigeoit donc la réparation que le sang, en bon état, en fait continuellement.

Une remarque importante à faire pour l’intelligence des phénomènes de l’organisation, est la suivante :

les individus qui ne consomment du fluide nerveux que pour la production du mouvement musculaire, réparent leurs pertes à cet égard avec abondance, et même avec profit pour l’accroissement de leurs forces ; parce que ce mouvement musculaire hâte la circulation et les autres mouvemens organiques, et qu’alors les sécrétions, réparatrices du fluide consommé, sont promptes et abondantes aux époques des repos.

Au contraire, les individus qui ne consomment du fluide nerveux que pour la production des actes qui dépendent de l’hypocéphale, tels que les pensées soutenues, les méditations profondes, les agitations d’esprit que les passions produisent, etc., ne réparent leurs pertes à cet égard qu’avec lenteur et souvent qu’incomplétement ; parce que le mouvement musculaire restant alors presque sans action, tous les mouvemens organiques s’affoiblissent, les facultés des organes perdent de leur énergie, et les sécrétions, réparatrices du fluide nerveux consommé, deviennent moins abondantes, et les repos d’esprit très-difficiles.

Le fluide nerveux, dans le cerveau, ne se borne pas à y apporter du foyer des sensations les sensations mêmes, et à y subir des mouvemens divers ; mais il y produit aussi des impressions qui se gravent sur l’organe, et qui y subsistent plus ou moins long-temps, selon leur profondeur.

Cette assertion n’est pas un de ces produits monstrueux qu’enfante l’imagination : en examinant rapidement les principaux actes de l’intelligence, j’essayerai de prouver qu’elle est trèsfondée, et qu’on sera forcé de la reconnoître pour une de ces vérités auxquelles cependant on ne peut arriver que par des inductions incontestables.

Je terminerai ce que j’avois à dire sur le fluide singulier dont il est question, par quelques considérations qui peuvent répandre beaucoup de lumières sur diverses fonctions organiques qui s’exécutent à l’aide de ce fluide.

Toutes les parties du fluide nerveux communiquent ensemble dans le système d’organes qui les contient ; en sorte que, selon les causes qui l’excitent, ce fluide ne se meut, tantôt que dans certaines portions comme isolées de sa masse, et tantôt presque toute sa masse, ou du moins toute celle qui est libre, se trouve en mouvement.

Ainsi donc, le fluide dont il s’agit se meut dans certaines portions et même dans de petites portions de sa masse :

1o . Lorsqu’il fournit à l’excitation musculaire, soit celle qui est indépendante de l’individu, soit celle qui en est dépendante ;

2o . Lorsqu’il exécute quelqu’acte d’intelligence.

Le même fluide, au contraire, se meut dans toutes les parties de sa masse libre :

1o . Lorsque, subissant un mouvement général de réaction, il produit une sensation quelconque ;

2°. Toutes les fois qu’éprouvant un ébranlement général sans former de réaction, il cause les émotions du sentiment intérieur.

Ces distinctions relatives aux mouvemens que peut éprouver le fluide nerveux dans le système d’organes qui le contient, ne sauroient être prouvées par des expériences particulières ; au moins je n’en aperçois pas les moyens ; mais l’on trouvera probablement qu’elles sont fondées, si l’on prend fortement en considération les observations que j’expose dans cette troisième partie de ma Philosophie Zoologique, sur les différentes fonctions du système nerveux.

On pourra surtout se convaincre du fondement de ces distinctions, si l’on considère :

1°. Que l’influence nerveuse qui met les muscles en action, n’exige qu’une simple émission d’une portion du fluide nerveux sur les muscles qui doivent agir, et qu’ici le fluide subtil en question n’agit que comme excitateur ;

2°. Que, dans les actes de l’intelligence, les parties de l’organe de l’entendement ne sont que passives ; ne sauroient réagir à cause de leur extrême mollesse ; ne reçoivent point d’excitation de la part du fluide nerveux, mais seulement des impressions dont elles conservent les traces, la portion de ce fluide, qui s’agite dans les diverses parties de cet organe, y modifiant ses mouvemens par l’influence des traits qui s’y trouvent gravés, et y en traçant d’autres ; en sorte que l’organe de l’entendement, qui n’a qu’une communication étroite avec le reste du système nerveux, n’emploie, dans ses actes, qu’une portion du fluide de tout le système ; enfin, qu’il résulte de l’étroite communication citée, que cette portion du fluide nerveux, contenue dans l’organe de l’intelligence, n’est exposée à partager l’ébranlement général qui s’exécute dans les émotions du sentiment intérieur, et dans la formation des sensations, que lorsque cet ébranlement est d’une intensité extrême ; ce qui trouble alors presque toutes les fonctions et les facultés du système.

Il est donc vraisemblable, d’après tout ce que je viens d’exposer, que la totalité du fluide nerveux sécrété et contenu dans le système, n’est pas à la disposition du sentiment intérieur de l’individu, et qu’une partie de ce fluide est, en quelque sorte, en réserve pour fournir continuellement à l’exécution des fonctions vitales. Ainsi, de même qu’il y a des muscles indépendans de la volonté, tandis que d’autres n’entrent en action que lorsque le sentiment intérieur ému par la volonté ou par quelqu’autre cause, les y excite ; de même, sans doute, une partie du fluide nerveux se trouve moins à la disposition de l’individu que l’autre, afin de n’être point exposée à l’épuisement, et de pouvoir fournir sans cesse aux fonctions vitales.

Effectivement, le fluide nerveux n’étant jamais employé sans qu’il s’en consomme proportionnellement à son emploi, il étoit nécessaire que l’individu n’en pût consommer à son gré que la portion dont il peut disposer : il y a même, pour lui, de grands inconvéniens lorsqu’il épuise trop cette portion ; car alors une partie de celle en réserve devenant disponible, ses fonctions vitales en souffrent d’autant plus.

J’aurai plus loin différentes occasions de développer et d’éclaircir ces diverses considérations relatives au fluide nerveux ; mais auparavant examinons quel peut être le mécanisme des sensations, et voyons comment se produit l’admirable faculté de sentir.