Philosophie zoologique (1809)/Seconde Partie/Quatrième Chapitre

Seconde Partie, Quatrième Chapitre
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CHAPITRE IV.

De l’Orgasme et de l’Irritabilité.

CE n’est pas de l’affection particulière qu’on nomme orgasme dont il va être ici question ; mais il s’agira, sous la même dénomination, de l’état que conservent les parties souples et intérieures des animaux tant qu’ils possèdent la vie ; état qui leur est naturel, puisqu’il est essentiel à leur conservation ; état, enfin, qui nécessairement n’existe plus dans leurs parties, lorsqu’ils ont cessé de vivre, ou peu de temps après.

Il est certain que parmi les parties solides et intérieures des animaux, celles qui sont souples sont animées, pendant la vie, d’un orgasme ou espèce d’éréthisme particulier qui leur donne la faculté de s’affaisser et de réagir aussitôt, lorsqu’elles reçoivent quelque impression.

Un orgasme analogue existe aussi dans les parties solides les plus souples des végétaux tant qu’ils sont vivans ; mais il y est très-obscur, et tellement foible, qu’il ne donne nullement aux parties qui en sont douées, la faculté de réagir subitement contre les impressions qu’elles pourroient recevoir. L'orgasme des parties souples et intérieures des animaux concourt, plus ou moins, à la production des phénomènes organiques de ces corps vivans ; il y est entretenu par un fluide (peut-être plusieurs) invisible, expansif et pénétrant, qui traverse avec une certaine lenteur les parties qui en jouissent, et produit en elles la tension ou l’espèce d’éréthisme que je viens de citer. L’orgasme qui résulte de cet état de choses dans les parties, s’y maintient, pendant la durée de la vie, avec une énergie d’autant plus grande, que les parties qui l’éprouvent ont une disposition et sont d’une nature qui s’y trouvent plus favorables, et qu’elles ont plus de souplesse et sont moins desséchées.

C’est ce même orgasme, dont on a reconnu la nécessité pour l’existence de la vie dans un corps, et que quelques physiologistes modernes ont regardé comme une espèce de sensibilité ; de là ils ont prétendu que la sensibilité étoit le propre de tout corps vivant ; que tous sont à la fois sensibles et irritables ; que leurs organes sont tous imprégnés de ces deux facultés nécessairement cœxistantes ; en un mot, qu’elles sont communes à tout ce qui a vie, conséquemment aux animaux et aux végétaux. Enfin, Cabanis, qui partageoit cette opinion avec M. Richerand, et vraisemblablement avec d’autres, dit, en effet, que la sensibilité est le fait général de la nature vivante.

Cependant, M. Richerand, qui a particulièrement développé cette même opinion dans les prolégomènes de sa physiologie, reconnoissant que la sensibilité qui nous donne la faculté de recevoir des sensations, et qui dépend des nerfs, n’est pas la même chose que cette espèce de sensibilité plus générale à laquelle le système nerveux n’est pas nécessaire, propose de donner à la première le nom de perceptibilité, et il nomme la seconde sensibilité latente.

Puisque ces deux objets sont différens, et par leur source, et par leurs produits, pourquoi donner un nom nouveau au phénomène connu, depuis long-temps, sous celui de sensibilité, et transporter le nom de sensibilité à un phénomène plus nouvellement remarqué, et d’une nature tout-à-fait particulière ? Il est assurément plus convenable de donner un nom particulier au phénomène général dont la vie dépend ; et c’est ce que j’ai fait en le désignant sous la dénomination d'orgasme.

Probablement, sans l’orgasme (la sensibilité latente), aucune fonction vitale ne pourroit s’exécuter ; car partout où il existe, il n’y a point d’inertie réelle dans les parties, et ces parties ne sont point simplement passives. On l’a senti ; mais on a porté trop loin l’idée que l’on s’est formée des facultés des parties vivantes, lorsqu’on a dit qu’elles sentent et agissent chacune à leur manière, qu’elles reconnoissent dans les fluides qui les arrosent ce qui convient à leur nutrition, et qu’elles en séparent les matières qui ont affecté leur mode particulier de sensibilité.

Quoiqu’on ne connoisse pas positivement ce qui se passe dans l’exécution de chaque fonction vitale, au lieu d’attribuer gratuitement aux parties une connoissance et un choix des objets qu’elles ont à séparer, à retenir, à fixer ou à évacuer, on a bien plus de raisons pour penser :

1°. Que les mouvemens organiques excités s’exécutent simplement par l’action et la réaction des parties ;

2°. Qu’il résulte de ces actions et réactions que les parties subissent dans leur état et leur nature, des changemens, des décompositions, des combinaisons nouvelles, etc. ;

3°. Qu’à la suite de ces changemens, il s’opère des sécrétions que le diamètre des canaux sécréteurs favorise ; des dépôts que la convenance des lieux et la nature des parties permettent, tantôt de retenir en isolement, et tantôt de fixer dans ces parties mêmes ; enfin, des évacuations diverses, des absorptions, des résorptions, etc. Toutes ces opérations sont mécaniques, assujetties aux lois physiques, et s’exécutent à l’aide de la cause excitatrice et de l’orgasme qui entretiennent les mouvemens et les actions ; en sorte que, par ces moyens, ainsi que par la forme, la disposition et la situation des organes, les fonctions vitales sont diversifiées, régularisées, et s’opèrent chacune selon leur mode particulier.

L'orgasme dont il s’agit dans ce chapitre, est un fait positif qui, quelque nom qu’on lui donne, ne peut plus être méconnu. Nous verrons qu’il est très-foible et très-obscur dans les végétaux, où il n’a que des facultés très-bornées ; et qu’il se montre, au contraire, dans les animaux, d’une manière des plus éminentes ; car il produit en eux cette faculté remarquable qui les distingue et qu’on nomme irritabilité : considérons-le d’abord dans les animaux.


De l’Orgasme animal.

Je nomme orgasme animal, cet état singulier des parties souples d’un animal vivant, qui constitue, dans tous les points de ces parties, une tension particulière et si active, qu’elle les rend susceptibles de réaction subite et instantanée, contre toute impression qu’elles peuvent éprouver, et qui les fait conséquemment réagir sur les fluides en mouvement qu’elles contiennent. Cette tension, variable dans son intensité, selon l’état des parties qui la subissent, constitue ce que les physiologistes nomment le ton des parties ; elle paroît due, comme je l’ai dit, à la présence d’un fluide expansif qui pénètre ces mêmes parties ; qui s’y maintient pendant un temps quelconque ; qui tient leurs molécules dans un certain degré d’écartement entre elles, sans détruire leur adhérence ou leur ténacité ; et qui s’en échappe en partie et subitement, à tout contact provocateur d’une contraction, se rétablissant aussitôt après.

Ainsi, à l’instant de la dissipation du fluide expansif qui distendoit une partie, cette partie s’affaisse sur elle-même par l’effet de cette dissipation ; mais elle se rétablit aussitôt dans sa distension première par l’arrivée de nouveau fluide expansif remplaçant. Il en résulte que l’orgasme de cette partie lui donne la faculté de réagir contre les fluides visibles qui agissoient sur elle.

Cette tension des parties molles des animaux vivans ne va pas au point d’empêcher la cohésion des molécules qui forment ces parties, et de détruire leur adhérence, leur agglutination et leur ténacité, tant que l’intensité de l'orgasme n’excède pas certaines proportions. Mais la tension dont il s’agit empêche le rapprochement et l’affaissement qu’auroient ces molécules, si la cause de cette tension n’existoit pas, puisque les parties molles tombent réellement dans un affaissement remarquable aussitôt que cette cause cesse son influence.

En effet, dans les animaux surtout, et même dans les végétaux, l’anéantissement de l'orgasme, qui ne s’effectue qu’à la mort des individus, donne alors lieu à un relâchement et un affaissement des parties souples qui les rend plus molles et plus flasques que dans l’état vivant. C’est ce qui a fait croire que ces parties flasques, considérées dans des vieillards après leur mort, n’avoient point acquis la rigidité qu’amène graduellement dans les organes la durée de la vie.

Le sang des animaux dont l’organisation est très-composée, jouit lui-même d’une sorte d'orgasme, surtout le sang artériel ; car il est, pendant la vie, pénétré de certains gaz qui se développent dans ses parties, à mesure qu’elles subissent des changemens. Or, ces gaz concourent peut-être aussi à l’excitation des actes d’irritabilité des organes, et conséquemment aux mouvemens vitaux, lorsque le sang qui les contient affecte ces organes.

L’excessive tension que forme l'orgasme dans certaines circonstances, soit dans toutes les parties molles de l’individu, soit dans certaines d’entre elles, et qui ne va pas néanmoins au point de rompre la cohésion de ces parties, est connue sous le nom d’éréthisme, dont le maximum produit l’inflammation ; et l’excessive diminution de l’orgasme, mais qui ne va pas au point de le rendre nul, est, en général, désignée par le nom d’atonie.

La tension qui constitue l’orgasme pouvant varier d’intensité entre certaines limites ; d’une part, sans détruire la cohésion des parties, et de l’autre part, sans cesser d’exister, cette variation rend possibles les contractions et les distensions subites de ces parties, lorsque la cause de l’orgasme est instantanément suspendue et rétablie dans ses effets. Voilà, ce me semble, la cause première de l’irritabilité animale.

La cause qui produit l’orgasme, c’est-à-dire, cette tension particulière des parties souples et intérieures des animaux, fait, sans doute, partie de celle que j’ai nommée cause excitatrice des mouvemens organiques ; elle réside principalement dans le calorique, soit seulement dans celui que fournissent les milieux environnans, soit à la fois dans celui-ci et dans le même calorique qui se produit sans cesse dans l’intérieur de beaucoup d’animaux.

En effet, il s’émane continuellement un calorique expansif du sang artériel de beaucoup d’animaux, qui constitue, dans leurs parties souples, la principale cause de leur orgasme. c’est surtout dans ceux qui ont le sang chaud que l’émanation continuelle de ce calorique devient plus remarquable. Ce fluide expansif se dissipe continuellement des parties dans lesquelles il s’étoit répandu et qu’il distendoit ; mais il y est sans cesse renouvelé par la continuité des émanations nouvelles que le sang artériel de l’animal ne cesse de fournir.

Un fluide expansif semblable à celui dont il vient d’être question, se trouve répandu dans les milieux environnans, et fournit sans cesse à l'orgasme des animaux vivans, soit en complétant ce qui manque au calorique intérieur pour l’exécuter, soit en l’effectuant totalement.

En effet, il aide plus ou moins l'orgasme des animaux les plus parfaits, et suffit seul à l’entretien de celui des autres ; il est surtout la cause de l'orgasme de tous les animaux qui n’ont ni artères, ni veines, c’est-à-dire, qui manquent de système de circulation. Aussi, tout mouvement organique s’affoiblit graduellement dans ces animaux, à mesure que la température des milieux environnans s’abaisse ; et si cet abaissement de température va toujours en augmentant, leur orgasme s’anéantit, et ils périssent. Que l’on se rappelle l’engourdissement qu’éprouvent les abeilles, les fourmis, les serpens, et beaucoup d’autres animaux, lorsque la température s’abaisse jusqu’à un certain point, et l’on jugera si ce que je viens d’exposer peut avoir quelque fondement.

L’abaissement de température qui cause l’engourdissement de beaucoup d’animaux, ne produit cet effet qu’en affoiblissant leur orgasme, et par suite, qu’en ralentissant leurs mouvemens vitaux. Si cet abaissement de température va trop loin, j’ai dit qu’il anéantissoit alors l'orgasme dont il s’agit, ce qui fait périr les animaux qui se trouvent dans ce cas ; mais je remarquerai, à cet égard, que dans les effets d’un refroidissement qui va au point d’amener la mort d’un individu, il y a une particularité observée à l’égard des animaux à sang chaud, et qui s’étend peut-être à tous ceux qui ont des nerfs : la voici.

On sait qu’un abaissement de température suffisant pour engourdir et réduire à un état de sommeil apparent certains animaux à mamelles, comme les marmottes, les chauves-souris, etc., n’est pas très-considérable. Si la chaleur revient, elle les pénètre, les ranime, les réveille, et leur rend leur activité habituelle ; mais si, au contraire, le froid augmente encore après que ces animaux sont tombés dans l’engourdissement, au lieu de les faire passer insensiblement de leur état de sommeil apparent à la mort, cette augmentation de froid, si elle est un peu forte, produit alors sur leurs nerfs une irritation qui les réveille, les agite, ranime leurs mouvemens organiques, et par suite, leur chaleur interne ; et si cette augmentation de froid subsiste, elle les met bientôt dans un état de maladie qui cause leur mort, à moins que la chaleur ne leur soit promptement rendue.

Il suit de là que pour les animaux à sang chaud, et peut-être pour tous ceux qui ont des nerfs, un simple affoiblissement de leur orgasme peut les réduire à l’état d’engourdissement ; mais qu’alors cet orgasme n’est pas totalement détruit, puisque s’il survient un froid assez grand pour l’anéantir, ce froid, avant d’opérer cet effet, les irrite, les fait souffrir, les agite, et finit par les tuer.

Il y a apparence qu’à l’égard des animaux privés de nerfs, tout abaissement de température capable d’affoiblir leur orgasme, et de les réduire à un état d’engourdissement, peut, s’il augmente suffisamment, les faire passer de leur état de sommeil léthargique à celui de la mort, sans leur rendre auparavant aucune activité passagère.

On a pris l’effet pour la cause même, lorsqu’on a supposé que le premier produit d’un certain degré de froid étoit de ralentir la respiration ; et de là on a attribué l’engourdissement que subissent certains animaux, lorsque la température s’abaisse suffisamment pour cet effet, à un ralentissement direct de la respiration de ces animaux, tandis que le ralentissement réel de cette même respiration n’est lui-même que la suite d’un autre effet produit par le froid, savoir, l’affoiblissement de leur orgasme.

À l’égard des animaux qui respirent par un poumon, ceux d’entre eux qui tombent dans l’engourdissement lorsqu’ils éprouvent certains degrés de froid, subissent, sans doute, un ralentissement considérable dans leur respiration ; mais ici, ce ralentissement de respiration n’est évidemment que le résultat d’un grand affoiblissement survenu dans l'orgasme de ces animaux. Or, cet affoiblissement ralentit tous les mouvemens organiques, l’exécution de toutes les fonctions, la production du calorique intérieur, les pertes que font ces animaux pendant leur activité habituelle, et conséquemment réduit à très-peu de choses, ou presqu’à rien, leurs besoins de réparation pendant leur léthargie.

En effet, les animaux qui respirent par un poumon sont assujettis à des gonflemens et des resserremens alternatifs de la cavité qui contient leur organe respiratoire. Or, ces mouvemens s’exécutent avec une facilité plus ou moins grande, selon que l'orgasme des parties souples a plus ou moins d’énergie. Ainsi plusieurs animaux à mamelles, tels que la marmotte, le loir, et beaucoup de reptiles, comme les serpens, tombent dans l’engourdissement à certains abaissemens de température, parce qu’ils ont alors leur orgasme très-affoibli, et qu’il en résulte, comme second effet, un ralentissement dans toutes leurs fonctions organiques, et par conséquent dans leur respiration.

Si cette diminution dans l’énergie de leur orgasme n’avoit pas lieu, il n’y auroit aucune raison pour que l’air, quoique plus froid, fût moins respiré par ces animaux. Dans les abeilles et les fourmis, qui respirent par des trachées, et dans lesquelles l’organe respiratoire ne subit point de gonflemens et de resserremens alternatifs, on ne peut dire que lorsqu’il fait froid ces animaux respirent moins ; mais on a de bons motifs pour assurer que leur orgasme est alors très-affoibli, et qu’il les réduit à l’engourdissement qu’ils éprouvent dans cette circonstance.

Enfin, dans les animaux à sang chaud, la chaleur interne étant presque entièrement produite en eux, soit par suite de la décomposition de l’air dans la respiration, ainsi qu’on le pense actuellement, soit parce qu’elle émane sans cesse du sang artériel dans les changemens qu’il subit pour passer à l’état de sang veineux, ce qui est mon opinion particulière ; l'orgasme acquiert ou perd de son énergie, selon que le calorique intérieur qui se trouve produit, augmente ou diminue en quantité.

Il est fort indifférent, pour la validité de l’explication que je donne de l'orgasme, que le calorique qui se produit dans l’intérieur des animaux à sang chaud, soit le résultat de la décomposition de l’air dans la respiration, ou qu’il soit une émanation du sang artériel à mesure qu’il se change en sang veineux. Cependant si l’on vouloit revenir à l’examen de cette question, je proposerois les considérations suivantes :

Si vous buvez un verre de liqueur spiritueuse, la chaleur que vous sentez se développer dans votre estomac ne provient pas assurément de votre respiration augmentée. Or, s’il peut s’émaner du calorique de cette liqueur à mesure qu’elle subit des changemens dans votre organe, il en peut s’exhaler pareillement de votre sang à mesure qu’il subit lui-même des changemens dans l’état de ses parties.

Si dans la fièvre la chaleur intérieure est fort augmentée, on observe qu’alors la respiration est aussi plus fréquente, et de là l’on conclut que la consommation d’air est plus considérable ; ce qui appuie l’opinion que le calorique intérieur des animaux à sang chaud résulte de la décomposition de l’air respiré. Je ne connois pas d’expérience qui m’apprenne positivement si, pendant la fièvre, la consommation d’air est réellement plus considérable que dans l’état de santé ; je doute même que cela soit ainsi ; car si la respiration est plus fréquente dans cet état de maladie, il peut y avoir une compensation, en ce qu’alors chaque inspiration est moins grande par la gêne qu’éprouvent les parties ; mais ce que je sais, c’est que lorsque j’éprouve une inflammation locale, comme un furoncle, ou toute autre tumeur enflammée, il s’émane du sang des parties souffrantes un calorique d’une abondance extraordinaire ; et cependant je ne vois pas qu’aucune augmentation de respiration ait alors donné lieu à cette surabondance locale de calorique ; je sens, au contraire, que le sang pressé et cumulé dans la partie malade, doit être exposé à un désordre et à des altérations (ainsi que les parties souples qui le contiennent) qui le mettent dans le cas de produire en ce lieu le calorique observé.

Admettre que l’air atmosphérique contient, dans sa composition, un fluide qui, lorsqu’il en est dégagé, est un calorique expansif, c’est ce que je ne puis faire ; j’ai exposé ailleurs mes motifs à cet égard. À la vérité, je crois que l’air est composé d’oxygène et d’azote, et je sais qu’il contient du calorique interposé entre ses parties, parce que, dans notre globe, il n’y a nulle part de froid absolu. Je suis même très-persuadé que le fluide combiné et fixé qui, dans son dégagement, se trouve changé en calorique expansif, faisoit auparavant partie constituante de notre sang ; que ce fluide combiné s’en dégage sans cesse partiellement, et que, par son dégagement successif, il produit notre chaleur interne. Ce qui doit nous faire sentir que cette chaleur interne ne vient pas de notre respiration, c’est que si nous ne réparions continuellement les pertes que fait notre sang, par des alimens et conséquemment par un chyle toujours renouvelé qui s’y verse, notre respiration, sans cette réparation, ne rendroit pas à notre sang les qualités qu’il doit avoir pour la conservation de notre existence.

Le bénéfice que les animaux retirent de leur respiration n’est pas douteux ; leur sang en reçoit une réparation dont ils ne pourroient se passer sans périr ; et il paroît qu’on est fondé à croire que c’est en s’emparant de l’oxygène de l’air, que le sang reçoit une des réparations qui lui sont indispensables. Mais dans tout cela, il n’y a aucune preuve que le calorique produit, vienne plutôt de l’air ou de son oxygène, que du sang même.

On peut dire la même chose à l’égard de la combustion : l’air en contact avec les matières enflammées peut se décomposer, et son oxygène dégagé peut se fixer dans les résidus de cette combustion ; mais il n’y a nulle preuve que le calorique alors produit, vienne plutôt de l’oxygène de l’air que des matières combustibles, dans lesquelles je pense qu’il étoit combiné. Tous les faits connus s’expliquent mieux, et plus naturellement dans cette dernière opinion que dans aucune autre.

Quoi qu’il en soit, le fait positif est que, dans un grand nombre d’animaux, il y a un calorique expansif continuellement produit dans leur intérieur, et que c’est ce fluide invisible et pénétrant qui y entretient l'orgasme et l’irritabilité de leurs parties souples ; tandis que dans les autres animaux, l'orgasme et l’irritabilité sont principalement le résultat du calorique des milieux environnans.

Refuser de reconnoître l'orgasme dont je viens de parler, et le regarder comme un fait supposé, c’est-à-dire, comme un produit de l’imagination, ce seroit nier, dans les animaux, l’existence du ton des parties dont ces corps jouissent pendant la durée de leur vie. Or, la mort seule anéantit ce ton, ainsi que l’orgasme qui le constituoit.


Orgasme végétal.

Il paroît que, dans les végétaux, la cause excitatrice des mouvemens organiques agit principalement sur les fluides contenus et les met seuls en mouvement ; tandis que le tissu cellulaire végétal, soit simple, soit modifié en tubes vasculiformes, n’en reçoit qu’un orgasme obscur, d’où naît une contractilité générale très-lente, qui n’agit jamais isolément, ni subitement.

Si, dans la saison des chaleurs, une plante cultivée dans un pot ou une caisse, a besoin d’arrosement, on remarque que ses feuilles, l’extrémité de ses rameaux, et ses jeunes pousses sont pendantes et prêtes à se flétrir : la vie, cependant, y existe toujours ; mais l'orgasme des parties souples de ce corps vivant y est alors très-affoibli. Si l’on arrose cette plante, on la voit peu à peu redresser ses parties pendantes, et montrer un air de vie et de vigueur dont elle étoit privée lorsqu’elle manquoit d’eau.

Ce rétablissement de la vigueur du végétal n’est pas, sans doute, uniquement le produit des fluides contenus nouvellement introduits dans la plante ; mais il est aussi l’effet de l'orgasme ranimé de ce végétal, le fluide expansif qui cause cet orgasme, pénétrant les parties de la plante avec d’autant plus de facilité, que ses sucs ou ses fluides contenus sont plus abondans.

Ainsi, l’orgasme obscur des végétaux vivans cause, à la vérité, dans leurs parties solides, surtout dans les plus nouvelles, une contractilité lente et générale, une sorte de tension sans mouvemens instantanés, mais que différens faits autorisent à reconnoître. Néanmoins, cet orgasme végétal ne donne nullement aux organes la faculté de réagir subitement au contact des objets qui devroient les affecter, et conséquemment il n’a nullement la puissance de produire l’irritabilité dans les parties de ces corps vivans.

En effet, il n’est pas vrai, quoiqu’on ait dit le contraire[1], que les canaux dans lesquels se meuvent les fluides visibles de ces corps vivans, soient sensibles aux impressions des fluides excitateurs, et qu’ils se relâchent et se distendent ensuite pour effectuer, par une réaction subite, le transport et l’élaboration de leurs fluides visibles ; en un mot, qu’ils aient un véritable ton.

Enfin, il n’est pas vrai que les mouvemens particuliers observés, à certaines époques, dans les organes de la reproduction de diverses plantes, ni que ceux des feuilles, des pétioles et même des petits rameaux des plantes dites sensitives, soient des produits et des preuves d'irritabilité existante dans ces parties. J’ai observé et examiné ces mouvemens, et je me suis convaincu que leur cause n’avoit rien de comparable à l’irritabilité animale. Voyez ce que j’en ai dit, page 93 à 96.

Quoique la nature n’ait sans doute qu’un plan unique et général pour l’exécution de ses productions vivantes, elle a néanmoins varié partout ses moyens, en diversifiant ces productions, selon les circonstances et les objets sur lesquels elle a opéré. Mais l’homme, dans sa pensée, s’efforce sans cesse de la restreindre aux mêmes moyens, tant l’idée qu’il s’est formée de la nature est encore éloignée de celle qu’il en doit concevoir.

Que d’efforts n’a-t-on pas faits pour trouver partout la génération sexuelle dans les deux règnes des corps vivans ; et à l’égard des animaux, pour retrouver dans tous des nerfs, des muscles, le sentiment, la volonté même qui est nécessairement un acte d’intelligence ! Que la nature seroit déçue de ce qu’elle est réellement, si elle se trouvoit bornée aux facultés que nous lui attribuons !

On vient de voir que l’orgasme se montre avec une intensité très-différente et par conséquent avec des résultats tout-à-fait particuliers selon la nature des corps vivans dans lesquels il est produit, et que dans les animaux seulement il donne lieu à l'irritabilité. il convient donc d’examiner maintenant en quoi consiste le phénomène singulier qui porte ce nom.


L’Irritabilité.

L'irritabilité est la faculté que possèdent les parties irritables des animaux de produire subitement un phénomène local, qui peut s’exécuter dans chaque point de la surface de ces parties, et se répéter de suite autant de fois que la cause provocatrice de ce phénomène agit sur les points capables d’y donner lieu.

Ce phénomène consiste en une contradiction subite et un affaissement du point irrité ; affaissement accompagné d’un resserrement des points environnans vers celui qui a été affecté, mais qui est bientôt suivi d’un mouvement contraire, c’est-à-dire, d’une distension du point irrité et des parties voisines ; en sorte que l’état naturel des parties que l’orgasme distend se rétablit aussitôt.

J’ai dit, au commencement de ce chapitre, que l'orgasme est formé et entretenu par le calorique, c’est-à-dire, par un fluide invisible, expansif et pénétrant, qui traverse avec une certaine lenteur les parties souples des animaux, et y produit une tension ou une espèce d’éréthisme. Or, si une impression quelconque vient à s’opérer sur telle de ces parties, et qu’elle y provoque une dissipation subite du fluide invisible qui la distendoit, aussitôt cette partie s’affaisse et se contracte : mais si, dans l’instant même, une nouvelle quantité du fluide expansif se développe et vient la distendre de nouveau, alors elle réagit aussitôt, et produit ainsi le phénomène de l'irritabilité.

Enfin, comme les parties voisines du point affecté éprouvent elles-mêmes une légère dissipation du fluide expansif qui les distendoit, leur affaissement et leur rétablissement étant alternatifs, les mettent dans un état de tremblotement très-passager.

Ainsi, une contraction subite de la partie affectée, suivie d’une distension pareillement subite qui rétablit cette partie dans son premier état, constitue le phénomène local de l'irritabilité.

Le phénomène dont il s’agit n’exige nullement, pour se produire, l’action d’aucun organe spécial, car l’état des parties et la cause qui le provoque suffisent seuls à sa production ; et, en effet, on l’observe dans les organisations animales les plus simples : aussi, l’impression qui donne lieu à ce phénomène n’est transportée par aucun organe particulier à aucun centre de rapport, à aucun foyer d’action ; enfin, tout se passe uniquement dans le lieu même de l’impression, et tous les points de la surface des parties irritables sont susceptibles de le produire et de le répéter toujours de la même manière. Ce phénomène, comme on voit, est bien différent, par sa nature, de celui des sensations.

D’après toutes ces considérations, on voit clairement que l’orgasme est la source où l’irritabilité prend naissance ; mais cet orgasme se montre avec une intensité très-différente, selon la nature des corps dans lesquels il est produit. Dans les végétaux, où il est très-obscur, sans énergie, et où il ne cause qu’avec une extrême lenteur les affaissemens et les distensions des parties, il n’a nullement le pouvoir de produire l’irritabilité.

Au contraire, dans les animaux où, par la nature de la substance de leur corps, l’orgasme est très-développé, il produit avec célérité les contractions et les distensions des parties, à la provocation des causes qui les excitent ; il y constitue l’irritabilité d’une manière éminente.

Cabanis, dans son ouvrage intitulé, Rapports du physique et du moral de l’homme, s’est proposé de prouver que la sensibilité et l’irritabilité sont des phénomènes de même nature et qui ont une source commune (Histoire des Sensations, vol. I, p. 90) ; dans la vue, sans doute, d’accorder ce que l’on sait des animaux les plus imparfaits avec l’opinion ancienne et toujours admise, que tous les animaux, sans exception, jouissent de la faculté de sentir.

Les raisons que ce savant apporte pour montrer l’identité de nature entre le sentiment et l’irritabilité, ne m’ont paru ni claires, ni convaincantes : aussi ne détruisent-elles nullement les considérations suivantes qui distinguent éminemment ces deux facultés.

L’irritabilité est un phénomène propre à l’organisation animale, qui n’exige aucun organe spécial pour s’exécuter, et qui subsiste quelque temps encore après la mort de l’individu. Qu’il y ait, dans l’organisation, des organes spéciaux, ou qu’il n’y en ait aucun, cette faculté pouvant néanmoins exister, est donc générale pour tous les animaux.

La sensibilité, au contraire, est un phénomène particulier à certains animaux, en ce qu’elle ne peut se manifester que dans ceux qui ont un organe spécial essentiellement distinct et seul propre à la produire, et en ce qu’elle cesse constamment avec la vie, ou même un peu avant la mort.

On peut assurer que le sentiment ne peut avoir lieu dans un animal sans l’existence d’un organe spécial propre à le produire, c’est-à-dire, sans un système nerveux. Or, cet organe est toujours très-distinct ; car ne pouvant exister sans un centre de rapport pour les nerfs, il ne sauroit être imperceptible lorsqu’il existe. Cela étant ainsi, et quantité d’animaux n’offrant aucun système nerveux, il est évident que la sensibilité n’est pas une faculté générale pour tous les animaux.

Enfin, le sentiment comparé à l'irritabilité, offre, en outre, cette particularité distinctive, qu’il cesse avec la vie, ou même un peu avant, tandis que l'irritabilité se conserve quelque temps encore après la mort de l’individu, même après qu’il auroit été mis en pièces.

Le temps pendant lequel l'irritabilité se conserve dans les parties d’un individu après sa mort, varie, sans doute, à raison du système d’organisation de cet individu ; mais dans tous les animaux, probablement, l'irritabilité se manifeste encore après la cessation de la vie.

Dans l’homme, l'irritabilité de celles de ses parties qui en sont susceptibles, ne dure guère que deux ou trois heures après qu’il a cessé de vivre, et moins encore, selon la cause qui l’a fait périr : mais trente heures après avoir enlevé le cœur d’une grenouille, ce cœur est encore irritable et susceptible de produire des mouvemens lorsqu’on l’irrite. Il y a des insectes en qui des mouvemens se manifestent plus long-temps encore après avoir été vidés de leurs organes intérieurs.

D’après ce qui vient d’être exposé, on voit que l'irritabilité est une faculté particulière aux animaux ; que tous en sont éminemment doués dans toutes ou dans certaines de leurs parties, et qu’un orgasme énergique en est la source : on voit, en outre, que cette faculté est fortement distincte de celle de sentir ; que l’une est d’une nature très-différente de celle de l’autre, et que le sentiment ne pouvant résulter que des fonctions d’un système nerveux, muni, comme je l’ai fait voir, de son centre de rapport, il n’est propre qu’aux animaux qui possèdent un pareil système d’organes.

Examinons maintenant l’importance du tissu cellulaire dans toute espèce d’organisation.



  1. RICHERAND, Physiologie, I, p. 32.