Petites Misères de la vie conjugale/2/06


LES INDISCRÉTIONS.


Les femmes sont, — ou chastes, — ou vaniteuses, — ou simplement orgueilleuses. — Toutes peuvent donc être atteintes par la petite misère que voici :

Certains maris sont si ravis d’avoir une femme à eux, chance uniquement due à la légalité, qu’ils craignent une erreur chez le public, et ils se hâtent de marquer leur épouse, comme les marchands de bois marquent les bûches au flottage, ou les propriétaires de Berry leurs moutons. Devant tout le monde, ils prodiguent à la façon romaine (columbella) à leurs femmes des surnoms pris au règne animal, et ils les appellent : — ma poule, — ma chatte, — mon rat, — mon petit lapin ; ou, passant au règne végétal, ils les nomment : — mon chou, — ma figue (en Provence seulement), — ma prune (en Alsace seulement),

Et jamais : ─ Ma fleur ! remarquez cette discrétion ;

Ou, ce qui devient plus grave ! — Bobonne, — ma mère, — ma fille, — la bourgeoise, — ma vieille ! (quand la femme est très-jeune.)

Quelques-uns hasardent des surnoms d’une décence douteuse, tels que : — Mon bichon, — ma niniche, — Tronquette !

Nous avons entendu un de nos hommes politiques le plus remarquable par sa laideur appelant sa femme : ─ Moumoutte !

— J’aimerais mieux, disait à sa voisine cette infortunée, qu’il me donnât un soufflet.

— Pauvre petite femme, elle est bien malheureuse ! reprit la voisine en me regardant quand Moumoutte fut partie ; lorsqu’elle est dans le monde avec son mari, elle est sur les épines, elle le fuit. Un soir, ne l’a-t-il pas prise par le cou en lui disant : ─ Allons, viens, ma grosse !

On prétend que la cause d’un très-célèbre empoisonnement d’un mari par l’arsenic, provenait des indiscrétions continuelles que subissait la femme dans le monde. Ce mari donnait de légères tapes sur les épaules de cette femme conquise à la pointe du Code, il la surprenait par un baiser retentissant, il la déshonorait par une tendresse publique assaisonnée de ces fatuités grossières dont le secret appartient à ces sauvages de France, vivant au fond des campagnes, et dont les mœurs sont encore peu connues malgré les efforts des naturalistes du roman.

Ce fut, dit-on, cette situation choquante qui, bien appréciée par des jurés pleins d’esprit, valut à l’accusée un verdict adouci par les circonstances atténuantes.

Les jurés se dirent :

— Punir de mort ces délits conjugaux, c’est aller un peu loin ; mais une femme est très-excusable quand elle est si molestée !…

Nous regrettons infiniment, dans l’intérêt des mœurs élégantes, que ces raisons ne soient pas généralement connues. Aussi Dieu veuille que notre livre ait un immense succès, les femmes y gagneront d’être traitées comme elles doivent l’être, en reines.

En ceci, l’amour est bien supérieur au mariage, il est fier des indiscrétions, certaines femmes les quêtent, les préparent, et malheur à l’homme qui ne s’en permet pas quelques-unes !

Combien de passion dans un tu égaré !

J’ai entendu, c’était en province, un mari qui nommait sa femme : ─ Ma berline… Elle en était heureuse, elle n’y voyait rien de ridicule ; elle l’appelait ─ son fiston !… Aussi ce délicieux couple ignorait-il qu’il existât des petites misères.

Ce fut en observant cet heureux ménage que l’auteur trouva cet axiome.


axiome.

Pour être heureux en ménage, il faut être ou homme de génie marié à une femme tendre et spirituelle, ou se trouver, par l’effet d’un hasard qui n’est pas aussi commun qu’on pourrait le penser, tous les deux excessivement bêtes.

L’histoire un peu trop célèbre de la cure par l’arsenic d’un amour-propre blessé, prouve qu’à proprement parler, il n’y a pas de petites misères pour la femme dans la vie conjugale.


axiome.

La femme vit par le sentiment, là où l’homme vit par l’action.

Or, le sentiment peut à tout moment faire d’une petite misère soit un grand malheur, soit une vie brisée, soit une éternelle infortune.

Que Caroline commence, dans l’ignorance de la vie et du monde, par causer à son mari les petites misères de sa bêtise (relire les découvertes), Adolphe a, comme tous les hommes, des compensations dans le mouvement social : il va, vient, sort, fait des affaires. Mais, pour Caroline, en toutes choses il s’agit d’aimer ou de ne pas aimer, d’être ou de ne pas être aimée.

Les indiscrétions sont en harmonie avec les caractères, les temps et les lieux. Deux exemples suffiront.

Voici le premier. Un homme est de sa nature sale et laid ; il est mal fait, repoussant. Il y a des hommes, et souvent des gens riches, qui, par une sorte de constitution inobservée, salissent des habits neufs en vingt-quatre heures. Ils sont nés dégoûtants. Il est enfin si déshonorant pour une femme de ne pas être uniquement l’épouse de ces sortes d’Adolphe, qu’une Caroline avait depuis longtemps exigé la suppression des tutoiements modernes et tous les insignes de la dignité des épouses. Le monde était habitué depuis cinq ou six ans à cette tenue, et croyait madame et monsieur d’autant plus séparés qu’il avait remarqué l’avénement d’un Ferdinand II.

Un soir, devant dix personnes, monsieur dit à sa femme : ─ Caroline, passe-moi les pincettes. Ce n’est rien, et c’est tout. Ce fut une révolution domestique.

Monsieur de Lustrac, l’Amadis-Omnibus, courut chez madame de Fischtaminel, publia cette petite scène le plus spirituellement qu’il le put, et madame de Fischtaminel prit un petit air Célimène pour dire : ─ Pauvre femme, dans quelle extrémité se trouve-t-elle !

— Bah ! nous aurons le mot de cette énigme dans huit mois, répondit une vieille femme qui n’avait plus d’autre plaisir que celui de dire des méchancetés.

On ne vous parle pas de la confusion de Caroline, vous l’avez devinée.

Voici le second. Jugez de la situation affreuse dans laquelle s’est trouvée une femme délicate qui babillait agréablement à sa campagne, près de Paris, au milieu d’un cercle de douze ou quinze personnes, lorsque le valet de chambre de son mari vint lui dire à l’oreille : ─ Monsieur vient d’arriver, madame.

— Bien, Benoît.

Tout le monde avait entendu le roulement de la voiture. On savait que monsieur était à Paris depuis lundi, et ceci se passait le samedi à quatre heures.

— Il a quelque chose de pressé à dire à madame, reprit Benoît.

Quoique ce dialogue se fît à mi-voix, il fut d’autant plus compris que la maîtresse de la maison passa de la couleur des roses du Bengale au cramoisi des coquelicots. Elle fit un signe de tête, continua la conversation, et trouva moyen de quitter la compagnie sous prétexte d’aller savoir si son mari avait réussi dans une entreprise importante ; mais elle paraissait évidemment contrariée du manque d’égards de son Adolphe envers le monde qu’elle avait chez elle.

Pendant leur jeunesse, les femmes veulent être traitées en divinités, elles adorent l’idéal : elles ne supportent pas l’idée d’être ce que la nature veut qu’elles soient.

Quelques maris, de retour aux champs, font pis : ils saluent la compagnie, prennent leur femme par la taille, vont se promener avec elle, paraissent causer confidentiellement, disparaissent dans les bosquets, s’égarent et reparaissent une demi-heure après.

Ceci, mesdames, sont de vraies petites misères pour les jeunes femmes ; mais pour celles d’entre vous qui ont passé quarante ans, ces indiscrétions sont si goûtées, que les plus prudes en sont flattées ; car,

Dans leur dernière jeunesse, les femmes veulent être traitées en mortelles, elles aiment le positif : elles ne supportent pas l’idée de ne plus être ce que la nature a voulu qu’elles fussent.


AXIOME.

La pudeur est une vertu relative : il y a celle de vingt ans, celle de trente ans, celle de quarante-cinq ans.


Aussi l’auteur disait-il à une femme qui lui demandait quel âge elle avait : ─ Vous avez, madame, l’âge des indiscrétions.

Cette charmante jeune personne de trente-neuf ans affichait beaucoup trop un Ferdinand, tandis que sa fille essayait de cacher son Ferdinand Ier.