Éditions Georges du Cayla (p. 131-136).

CHAPITRE XIV

Ce pauvre Maxwell parut un peu surpris de mon brusque retour. Je n’eus même pas le temps de remarquer sa froideur et une certaine distance dans son accueil.

À peine arrivée, je courus aux nouvelles.

Hélas, c’était vrai, Guy avait volé une cliente de passage.

Que pouvais-je faire pour lui.

Seul, Dimier connaissait notre liaison.

Je le suppliai d’user de son influence auprès d’amis pouvant approcher le juge d’instruction. Il fit mine de promettre afin de m’être agréable. Mais je compris vite qu’il n’en ferait rien. J’étais comme folle. J’échafaudais les plans les plus irréalisables. Désintéresser cette Américaine. J’en parlai encore à Dimier.

Il me persuada que ce remède était pire que le mal.

J’appris alors que mon pauvre Guy allait passer le lendemain en justice.

Devant la quatorzième chambre correctionnelle.

Toute cette journée-là, j’errai à travers Paris, inconsciente, comme en proie à une amnésie totale. Mes pas me ramenèrent devant le Palais de Justice. Il était quatre heures, Guy devait être jugé, condamné. J’entrai, désirant me renseigner. Devant la quatorzième chambre, quelques curieux faisaient la queue.

Un garde municipal en gardait l’entrée. Je m’approchai.

Le garde, un brave gars de la campagne, à la figure ronde et joufflue, me remarqua. Il m’adressa un sourire. Je répondis par un regard triste. Je m’approchai, voulant lui poser quelques questions. Il me fit un signe. M’ouvrit la porte. Me poussa à l’intérieur. Je me trouvai subitement dans la salle d’audience au milieu du public, debout. Un avocat parlait. Les éclats de sa voix venaient, comme dans un rêve, jusqu’à mes oreilles. J’entendis le nom de Guy de Saivre. Je levai les yeux. Entre deux gardes, dans l’enceinte des détenus, je vis Guy, mon Guy, pâle, baissant la tête, sans col. Une véritable loque.

Un avocat ergotait avec le procureur.

Ce dernier parlait d’antécédents fâcheux, de caractère spécial. L’homme noir, sans conviction, protestait.

Tout tourbillonna autour de moi. Je me sentis capable de toutes les audaces. J’avais perdu toute conscience de ma personnalité. Un cri retentit. Comme une folle, je bousculai les curieux, je me précipitai au milieu du prétoire.

— C’est faux, c’est une honte ! m’écriai-je. Cet homme est mon amant. Il n’y a pas d’être plus loyal, plus généreux. Il est innocent. Je vous défends de l’insulter.

Autour de moi, ce fut un tumulte. On s’était précipité. Le président, le procureur, tous étaient debout. Guy, lui aussi, s’était dressé.

— Irène, suppliait-il, c’est fou ce que tu as fait, Irène. Pauvre petite Irène.

Des huissiers, des gardes, m’entouraient. On me conduisait en me bousculant vers la sortie.

Tout à coup, un homme s’approcha, fit écarter ceux qui m’emmenaient. Il déclina son identité. On hésita. Puis, devant sa fermeté, on me libéra.

On consentit à me laisser. Je me tournai vers lui. Je poussai un cri. Maxwell, mon mari ! Il ne disait rien. Il me fit signe de le suivre.

Il m’accompagna jusqu’au boulevard.

Alors, se tournant vers moi, il murmura tristement :

— Vous pouvez rentrer chez vous, Irène. Je passerai la nuit au club. Mais à partir de demain, j’espère bien ne plus vous rencontrer que chez mon avoué, Maître Mallet.

Il me laissa. Je vis sa silhouette, un peu voûtée, se mêler à celle des indifférents.

Alors, je partis dans la nuit, désemparée, brisée.