Éditions Georges du Cayla (p. 137-148).

CHAPITRE XV

J’avais perdu, par ma faute, mon foyer, ma situation sociale. J’étais folle, je le savais. Mais j’en acceptais le sacrifice. Le sort de Guy, seul, m’importait. Guy, mon Guy, était en prison. Qu’allais-je devenir sans lui, privée désormais de sa chère présence, de ses caresses ?

J’avais pris le monde en horreur. Je le rendais responsable de ma douleur. Que d’ignominies. Je devais m’agiter en vain, chassée de partout autour de moi, montaient des relents impurs d’hypocrisie et de fausseté.

J’avais connu de trop beaux jours, de trop belles nuits. Les amants doivent lutter contre tant d’ennemis, tenir tête aux éléments mauvais que la vie s’acharne à poser sur leur route.

J’avais goûté le délice de cette passion que je savais éternelle, l’épreuve n’avait rien pu contre elle.

J’atteignais les sommets de mon âme endeuillée. J’avais trop aimé. Je devais payer la dette d’un trop grand amour. Mon cœur était pur, sans mensonge.

Dans les catacombes se cachaient les martyrs, les saints. À la lumière, ils étaient livrés aux bêtes. Le pouce se tournait vers le sol. L’inexorable arrêt de mort.

Je revis Maxwell, chez son avoué. J’avais quitté sa demeure où j’avais toujours été une étrangère. Un oiseau de passage. Ma cage s’était ouverte.

J’emmenais Lou avec moi. Je laissais à mon ex-mari, tout ce qu’il avait cru devoir m’offrir.

Ma mère me fit des reproches. Je ne voulus pas lui avouer toute la vérité. Après lui avoir demandé asile, je repris ma liberté. Je pris une chambre dans un hôtel modeste.

Sur la recommandation de l’avocat de Guy, je fus autorisée à avoir une entrevue avec lui, dans sa prison. On nous accorda un pauvre quart d’heure. Il était condamné à trois ans de prison. Nos adieux furent déchirants. Je promis d’être fidèle. De l’attendre. De l’aider de toutes les façons.

Puis ce fut mon procès en divorce.

Notre dernière entrevue avec Maxwell fut extrêmement pénible. Toutes conciliations étaient impossibles. Aux yeux de mon mari, comme aux yeux du monde, j’étais bien coupable. Trahir ainsi la grande confiance qu’il avait mise en moi. Lui qui ne m’avait jamais demandé aucun compte de mon emploi du temps. J’étais aussi tremblante que lui.

C’est ainsi que j’appris que Maxwell avait su, depuis longtemps, que j’avais un amant.

Par qui ? Par Juju, cette méchante petite juive, que je croyais ma meilleure amie. Elle n’avait qu’un désir : celui de prendre ma place auprès de Maxwell. Mon mari avait fermé les yeux sur ma trahison. Il savait qu’il lui était impossible de me donner les caresses auxquelles j’avais droit.

Il ne pouvait garder la même attitude devant un scandale public.

Ces révélations produisirent sur moi un effet inattendu. Mon ex-mari perdait de son prestige. Je fus très dure. Je lui reprochai vivement sa conduite. Il m’offrit une rente appréciable. Je refusai. Je ne voulais rien lui devoir. Je lui répondis par des paroles blessantes. Lui faisant cadeau de Juju. Le divorce fut prononcé contre moi.

Qu’allais-je devenir en attendant le retour de Guy ? Trois ans, c’était bien long !

Lui venir en aide surtout, l’encourager, le consoler, voilà mon devoir.

Chaque semaine, nous pouvions correspondre, ses lettres brûlantes, toutes imprégnées de baisers, de souvenirs. Il me cachait ses souffrances, son chagrin, se plaignant de la promiscuité et du manque de nourriture.

Il n’était pas coupable. Je le savais. Deux Américaines l’avait emmené, dieu sait dans quel but, avec un de ses collègues, un Argentin. Ce dernier avait volé. Il avait accusé mon pauvre Guy.

La justice, si indulgente pour les métèques, n’hésita pas à châtier un Français. Un déclassé.

Je le plaignais, je l’en aimais davantage encore.

J’étais seule, désormais, à veiller sur lui. À l’attendre.

Je devais assurer son existence et la mienne.

J’allai sonner à la porte de Guy Dimier.

Il m’accueillit froidement. J’avais une certaine expérience de sa muflerie. Ce fut pire. Il me fit comprendre que je n’avais plus rien à espérer de lui. J’eus tout au moins la satisfaction de lui dire ses vérités. Mais cela ne me servit à rien. Je songeais à tous ceux qui m’avaient fait une cour discrète ou indiscrète. Partout, je ne devais trouver que portes closes.

Alors, pour Guy et aussi pour moi, je descendis, moi aussi, au dancing.

J’étais jolie, je savais être élégante. Tous les soirs, j’allais au « Poisson Rouge ». Je fis des connaissances. J’eus des habitués. Ils payaient mes soirées en leur compagnie. Ils payèrent mes nuits.

Je descendis quelquefois dans la rue. J’avais peur de la police. J’appris vite à me dissimuler. À jouer la comédie. À tout supporter pour amasser. À aimer sans amour. À savoir stimuler le désir. À oublier la jouissance.

Guy me remerciait de mes largesses pour lui.

Grâce à moi, sa vie là-bas était plus supportable.

Il croyait que Maxwell me faisait une rente capable de subvenir à tous mes besoins. Pour qu’il ignore tout, j’avais un compte en banque. À son retour, j’espérais qu’il serait suffisant pour nous permettre d’aller à l’étranger recommencer notre vie.

Hélas ! Au dancing, je fis d’autres rencontres.

La jeune fille de la fameuse soirée de Guy Dimier, que je retrouvai alors, et même le chérubin blanc.

Ils vivaient ensemble depuis ce soir-là.

La belle ténébreuse était, durant la journée, la jeune fille candide qu’on livrait aux vieux messieurs dans une maison de rendez-vous du quartier Saint-Lazare.

Le chérubin, un habitué des grands bars où vont chercher leur idéal, ceux que les femmes n’attirent pas ou plus.

Ils s’aimaient le reste du temps. Lorsque leur travail spécial le leur permettait.

Je ne pus refuser leurs avances. Je devins leur amie intime. Pour avoir de l’argent, je ne pouvais rien refuser. Ils me procurèrent d’autres clients. Ils me persuadèrent d’être leur partenaire. Les orgies spéciales me rapportèrent beaucoup.

J’avais beau amasser, je ne pouvais trouver assez pour m’acquitter de mes dettes. Répondre aux demandes continuelles de Guy.

À cette époque où tout s’achète, tout se vend, même l’honneur, je devais vendre mon corps pour essayer de racheter la liberté de Guy. On m’avait indiqué un avocat possédant de fortes influences. Il me certifia pouvoir venir en aide à mon amant. Mais je dus verser des provisions de plus en plus fortes.

Chaque nouvelle demande était suivie de tant d’espoirs.

L’espoir, c’était toute ma vie !

Pour pouvoir lutter encore, je devais trop compter sur mes forces. Ma santé, minée par les abus, s’était altérée. J’en fus épouvantée. Le chérubin vint à mon secours. Grâce à lui, je retrouvai un peu d’énergie par les stupéfiants. J’y pris goût. Ils me devinrent indispensables.

Bientôt, je compris que je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Courage, bientôt Guy serait libéré. L’avocat me l’avait promis. Hélas, je n’en pouvais plus. Un jour, je ne pus me lever. On fit en hâte venir un médecin. Il hocha la tête. Je dus accepter avec terreur qu’une ambulance m’emmène à l’hôpital.

Voilà six mois que je souffre, que j’attends la guérison. Je suis seule avec mes souvenirs. J’espère et j’ai peur.

Je n’ai plus que Guy, mon amant, mon seul amour.

Je ne peux plus rien lui envoyer. Toutes mes économies sont parties. A-t-il compris ? Il ne se plaint pas. Il m’encourage, ses lettres sont tendres. Mais si tristes. Que sait-il ? Que lui a-t-on dit ?

Pour tromper ma solitude, j’ai mis en ordres ces notes que j’avais écrites au cours de ma vie. J’aime à les relire. À revivre mes souvenirs envolés.

Avec Guy nous pourrons les relire.

Comme je souffre. Qu’a voulu dire le médecin. Pourquoi les infirmières me regardent-elles avec tant de pitié ? Un prêtre a demandé à me voir.

Vais-je mourir ? Non, ce n’est pas possible !

Guy, ma vie, mes souvenirs, qui alors pourra les lire. Non, je vais vivre, vivre pour être heureuse !

J’espère et je suis heureuse de souffrir pour lui.

À tous, je dois demander pardon. Ils pourront alors m’oublier.

Mon cœur sanglote, tout dressé vers ce ciel chimérique où se pelotonnent de petits oiseaux de nuages. Qui me réclame ! Qui m’appelle ! Mais ce sont…

Des anges, des an…

FIN