Éditions Georges du Cayla (p. 121-129).

CHAPITRE XIII

Petit à petit, j’en arrivais à déserter entièrement mon foyer. Ma pauvre maman elle-même ne me voyait que très rarement.

Mon mari finissait par s’en inquiéter.

J’inventais de nouvelles œuvres. Des comités de réception entre femmes, des clubs, etc.

Je partageais mes après-midi entre Guy numéro un et Guy numéro deux.

Le soir, il m’arrivait de quitter Guy Dimier pour attendre Guy de Saivre à la sortie de sa boîte de nuit.

À ce dernier, je devais toujours fournir quelques subsides. Il se montrait de plus en plus exigeant. J’avais beau économiser, engager des bijoux, prétexter des cotisations, cela ne suffisait plus. Il m’arriva même d’emprunter à Guy Dimier pour lui remettre ensuite. Mon neveu ne me demandait aucune explication. Il marchandait un peu, ergotait et s’acquittait loyalement. Mais en échange je devais être son esclave pour ses recherches de sensations étranges.

Il imagina de m’attacher, puis s’étant emparé d’un fouet il me frappa. Je pleurais de rage et de douleur. Bientôt je pris un certain plaisir à souffrir ainsi.

Me tordant sous les coups, je constatais l’excitement sensuel de Guy. Il jetait alors son fouet, se précipitait sur moi. Souvent il n’avait pas le temps de me prendre, sa volupté expirait sur mon corps meurtri, inondant mes blessures.

Je devais dissimuler le mieux possible les cicatrices que me causait cette nouvelle passion.

Un jour avec terreur je m’aperçus que j’étais enceinte. Je pleurai. Je devais tout cacher à mon mari. Il savait bien qu’il ne pouvait en être responsable.

J’avais essayé en vain d’exciter son désir, je me fis plus tendre. Je restais plus souvent à la maison. Un soir, je crus qu’il n’allait pas résister à mon appel. Il passa la nuit à mon côté. Je lui avais prouvé que j’étais experte, tout au moins en théorie. Je fis mon possible pour rallumer ses ardeurs mortes. Hélas, sa volupté expira avant d’avoir pu pénétrer dans ce qu’il était en droit d’exiger.

Qu’allais-je devenir ? Cet enfant que je sentais palpiter en moi était-il de Guy mon amant véritable ou de mon étrange neveu ?

Tour à tour, à chacun d’eux, j’appris la vérité. Guy de Saivre gentiment me fit part de ses craintes, lorsque mon mari constaterait mon état. Des doutes qu’il pourrait avoir en concernant l’auteur.

Guy Dimier tout d’abord osa prétendre que mon autre amant seul devait être le coupable. Puis il déclara qu’il fallait arriver à la solution habituelle. Le faire disparaître avant qu’il ne puisse venir au monde.

J’étais angoissée. Qu’allait-il m’arriver ? Guy de Saivre, à qui je fis part d’un conseil donné par un ami, lui dis-je, trouva que c’était le plus raisonnable.

Quelques jours après, Guy Dimier m’annonçait qu’il avait trouvé aux environs de Paris un médecin qui consentait, moyennant une somme importante, à se charger de l’opération. Je devais me réfugier dans sa clinique aux environs de Paris.

J’avais peur. C’était affreux. Il essaya de me rassurer. Je dus consentir dans mon intérêt. Pour ma tranquillité.

Mais comment arriver à persuader mon mari ? Comment justifier mon départ et mon absence ? Juju voulut bien s’en charger.

Elle annonça à Maxwell son départ prochain pour Vichy. Elle devait se soigner. Puis me proposa de l’accompagner.

Mon mari se montra fort étonné. Devant mon hésitation, il essaya de me convaincre que ma place était à ses côtés. Je fis mine d’approuver. Par la suite, je me plaignis de surmenage. Je déclarai avoir besoin de changement d’air. Je remis en question la proposition de Juju. Il hésita encore, enfin décida que j’irais aux eaux avec lui. Je me crus perdue. Le ciel me fut favorable. Il eut un empêchement, des affaires importantes à régler. Il m’autorisa à partir sans lui. Je bénissais le ciel, le Dieu des amours. Cette décision me sauvait la vie. Il nous accompagna à la gare. Nous descendîmes à la première station et nous prîmes le chemin de la clinique.

Juju, par l’entremise d’une amie, faisait expédier de Vichy des nouvelles rassurantes à mon mari si confiant.

Elle s’installa près de moi. Je fus malade, très malade. Il y eut des complications qui m’obligèrent à prolonger mon séjour. Elles furent même suivies de plusieurs mois de repos.

Je recevais des nouvelles de Guy Dimier, des lettres tendres de mon pauvre mari, des missives toujours brûlantes et quelquefois intéressées de mon amant.

Puis les lettres s’espacèrent. Guy Dimier seul prenait régulièrement de mes nouvelles. J’éprouvais un vif chagrin de la rareté des lettres de mon Guy adoré. Toute à ma peine, je m’apercevais moins du silence étrange de Maxwell à mon égard.

Je commençais à la clinique ma dernière semaine. Je comptais définitivement la quitter le lundi suivant. Étendue sur une chaise longue, je respirais en toute quiétude l’atmosphère embaumée de cette matinée de printemps, lorsque Juju vint me retrouver. Je vis à son air compassé qu’elle m’apportait de mauvaises nouvelles. Elle tenait un journal à la main.

— Ma pauvre Irène, sois forte. Aie du courage. Il vient de se passer un événement grave.

Je bondis. Le nom de mon amant vint sur mes lèvres.

— Qu’y a-t-il ! parle vite ! Guy ! !

Elle me tendit le journal.

— Guy de Saivre a été arrêté ! Il avait volé les bijoux d’une Américaine. On l’a pris la main dans le sac. « Un danseur mondain arrêté », tel était le titre du fait divers.

Je crus m’évanouir.

— Guy, mon Guy, une cliente de passage. Je sanglotais. Juju essayait en vain de me consoler.

— Irène, voyons, calmes-toi, sois raisonnable.

J’aperçus mon médecin. J’allai vers lui.

— Docteur, lui dis-je, je pars dès demain matin. Il le faut. C’est urgent.

En vain, Juju mêla ses supplications à celles du médecin. Je réclamai mes bagages.

Je ne voulais rien entendre.

Le lendemain, le train nous ramenait vers la capitale.