Éditions Georges du Cayla (p. 113-119).

CHAPITRE XII

Par chantage d’abord, puis par habitude, ensuite par plaisir je dus céder à tous les caprices de Guy Dimier.

J’arrivais à mieux le connaître. Il se croyait un grand artiste. Il adaptait l’art à sa recherche de sensations nouvelles. À son désir de voluptés neuves, de sadisme.

Bientôt je rencontrai dans son atelier d’autres chercheurs des deux sexes. Des sympathies se nouaient. Les disciples du vice savent se retrouver.

Le tableau me représentait nue, faisant l’objet de toutes les convoitises. Quoiqu’il soit d’une ressemblance douteuse. On demandait à comparer le modèle à l’œuvre. Tout d’abord je fis en sorte de ne pas comprendre les allusions. Puis un soir, sur la demande de Dimier, devant quelques intimes, je pris la pose. Un projecteur m’entourait d’une lumière bleue. Je voyais des désirs s’affirmer. Des bras se tendre vers moi. Je fermais les yeux. L’obscurité subite me sauva. Je m’enfuis derrière le paravent. Dimier par la suite m’informa que je devais venir à la soirée d’art qu’il donnait dans son atelier. Par curiosité et aussi par crainte des menaces de celui à qui désormais je ne pouvais rien refuser, je fus une des habituées de ces nuits d’orgies.

Une soirée, particulièrement, resta dans mes souvenirs.

Nous étions allongés sur les divans, hommes et femmes en pyjamas et pieds nus. Les sexes mélangés.

Un piano et un violon préludèrent, puis entonnèrent un chant plaintif, lointain.

Le paravent s’entr’ouvrit, une femme nue, le corps peint, traversa la salle, monta sur l’estrade. Le projecteur l’inondait d’une lumière étrange et irréelle. Elle commença à danser, faisant onduler ses bras comme deux serpents, puis les ramenait sur sa poitrine, semblant appeler le désir dans une prière à l’amour.

Un homme surgit de l’ombre et se joignit à la danseuse. Une tunique grecque moulait son corps musclé. Il s’agenouilla devant la femme. Celle-ci, se penchant vers lui, le baisa sur les lèvres, puis d’un geste lent défit sa tunique.

Nu, il l’attira vers lui. Sa main frôla son sexe et remonta le long de son corps.

Il se dressa lentement. La femme mit ses mains sur l’épaule de son partenaire, ils commencèrent à tourner, se tenant ventre contre ventre. Alors au plus fort de la danse, d’un brusque mouvement de reins, ils se possédèrent.

Ce geste fut un signal. Il y eut des petits cris étouffés dans l’assistance. Des bruits de baisers. Des frôlements, quelques gémissements. Deuxième tableau. — Le berger Pâris et les déesses, annonçait notre hôte.

Sur l’estrade, trois femmes aussi nues que la première prirent alors place. Un jeune homme beau, au corps délicat et sensuel, se mêla à leur groupe, il y eut une poursuite à travers l’atelier. Je vis le jeune homme s’emparer d’une des déesses. Il la traîna par les cheveux sur le tapis. Elle simulait une vive frayeur. Il la frappa avec violence. Alors elle s’agenouilla devant lui, comme domptée. Elle éleva dans ses deux mains le sexe du jeune homme comme en adoration muette, simulant une offrande aux dieux. Il la renversa. Ce fut dans un rut bestial, sauvage, qu’ils s’accouplèrent.

L’assistance ne s’occupait plus de ce spectacle d’art. Les uns s’étaient précipités derrière les paravents, d’autres s’aimaient sur le plancher, sur les coussins, sur les divans. Les cris, les hurlements conduisaient cette ronde infernale.

Près de moi un jeune homme, presque un enfant, était couché. Une jeune femme, une jeune fille paraît-il, dont j’avais admiré la réserve, ne la croyant pas dans son élément, était agenouillée au pied du divan. Une curieuse probablement, pensais-je… Elle n’avait rien perdu du spectacle. J’avais remarqué que ses yeux étaient brillants, avaient des lueurs inquiétantes.

Le jeune homme avait rampé vers moi.

Il me tendait ses lèvres. Je pris sa tête entre mes mains. Il était blond. Il était si délicat, si fin. Des yeux bleus où se lisait l’infini du ciel. Figure d’ange. Mais d’un ange tombé en enfer.

Ses bras cherchaient à m’enlacer, sa main pénétrait à travers ma veste… Je lui laissais prendre mes seins. Puis je sentis ses doigts monter le long de mes cuisses. Je comprenais son désir. Ce spectacle, ces lumières étranges, cette musique sensuelle. Sa main fouaillait dans le plus secret de mon corps. Elle se plaisait à picorer, comme un oiseau, dans la mousse. À mon tour, je rabattis le pantalon de son pyjama, ses cuisses m’apparurent tendres et dorées, sa virilité fine, juvénile, si fragile. Je la pris. Je m’amusais à la caresser. La jeune femme nous regardait.

Elle poussa un cri de rage. Comme prise soudain d’une crise de démence, elle se jeta sur nous. Arracha le vêtement du chérubin, le renversa et goulûment colla ses lèvres entre ses cuisses. Elle aspirait sa vie. Elle buvait aux sources de sa virilité. L’ange, sous le baiser, se tordait de douleur et de jouissance.

C’était bestial, infernal, odieux. La volupté m’emportait dans son tourbillon.