Éditions Georges du Cayla (p. 73-81).

CHAPITRE VIII

Monsieur Maxwell continuait à me combler de ses prévenances au point que même mon père en fut intrigué. Il ignorait mes visites et mes séances de pose chez son beau neveu.

Bientôt j’en arrivais à le fuir. Ma mère qui ne voyait de mal nulle part, trouvait que je ne devais pas refuser ses avances. Elle me blâmait de refuser ce qu’elle nommait l’intérêt que me portait le sénateur. Je me sentais encouragée par mon père. Pourtant je dus accepter quelques promenades en voiture.

Ce fut au cours d’une randonnée que je rencontrai Guy de Saivre. J’eus une émotion très vive en l’apercevant. Je vis alors qu’il n’était pas seul. Une jeune femme l’accompagnait. Elle était très élégante. Très maquillée aussi.

Voilà ma rivale, pensai-je avec dépit. Une grue naturellement !

M’avait-il vue ? je le suppose. J’aurais voulu pouvoir repasser devant lui afin qu’il remarque que moi aussi je n’étais pas seule. Tout d’abord aux interrogations de Maxwell, inquiet de me voir tout à coup si troublée, je répondis avec brusquerie. Puis je me calmai. Je fus même assez gentille avec lui. C’était ma réaction à la trahison de mon cher Guy. Maxwell tout d’abord étonné fut enchanté de mes bons sentiments à son égard. Il continua à me combler de prévenances.

Le soir j’éclatais en sanglots lorsque je me retrouvais dans ma petite chambre. Je me livrais enfin à mon désespoir. Puis prise d’une rage intense je brisais la boîte de chocolats qu’il m’avait offerte. Elle était d’ailleurs vide. Enfin comme pour le punir ou pour apaiser mes nerfs je saisis Lou par son collier, je l’attirai vers moi. La bonne bête bien dressée, m’obéit immédiatement. J’exhalais dans un gémissement voluptueux toute ma douleur, tous mes regrets.

 

Une catastrophe allait changer mes projets, détruire mes rêves. Après ma désillusion avec Guy de Saivre la malchance devait s’appesantir sur moi et sur mon foyer.

Je savais que mon père s’occupait d’affaires de bourse. Je ne m’y intéressais guère. Nous avions remarqué depuis quelque temps son air soucieux et préoccupé. Un matin il nous quitta. Nous ne devions plus le revoir. Nous apprîmes le soir que par suite d’une panique boursière, les affaires de mon père s’étaient écroulées. Il avait perdu la tête. Il avait lutté. Il n’avait pas eu la force de réagir. D’affronter la ruine. Il aurait pu penser à nous ! Eut-il un moment de démence ? On le trouva mort dans son bureau. Il s’était suicidé.

Je dus dissimuler ma détresse pour essayer de donner un peu de courage à ma pauvre maman.

Les jours qui suivirent furent épouvantables. Après les obsèques de mon père je dus surmonter ma souffrance pour essayer de régler le mieux possible notre situation désastreuse. Maxwell fut très bon. Il me donna de sages conseils. Nous parvînmes à obtenir une liquidation possible.

Nous avions quelques petites rentes. Mais si modeste ! Qu’allions-nous devenir ?

Après avoir pris un appartement plus en rapport avec nos revenus je songeais à travailler. Cela me semblait difficile.

J’eus la tentation de m’adresser à Maxwell.

Puis le souvenir de Guy de Saivre s’imposa entre nous. Je voulais savoir quels étaient ses sentiments à mon égard. Il m’avait écrit une lettre de condoléances tendre et affectueuse. Songeait-il encore à notre union ? Il ne pouvait être question d’âge entre nous. Ma triste situation l’inciterait à agir en homme loyal.

Comme je me trompais !

Il vint à mon rendez-vous. Il déclara compatir à ma douleur. Il m’assura de sa tendresse et de son amour. Je lui rappelai ses intentions d’autrefois. Rien ne s’opposait désormais à notre union.

Il ne répondit pas tout de suite. Puis se lança dans des explications aussi embrouillées qu’hypocrites. Considérations de famille, situation difficile. Enfin me déclara qu’il pouvait faire beaucoup pour moi si je consentais à devenir sa maîtresse.

Ce fut pour moi un déchirement. Il ne pouvait soupçonner tout le mal qu’il venait de me faire. Le lâche. Il avait tout détruit.

Comme il s’était moqué de mon amour, de mon espoir.

Le cœur d’une jeune fille est fragile. Il peut côtoyer des abîmes. Il évite les heurts. Il croit à la franchise. À la justice.

Un misérable peut jongler avec. Un maladroit le laisser échapper. Il se brise. Comme il est difficile de le réparer. Poussières, ruines, désillusions. Chute. Désormais ballotté par les éléments trompeurs et méchants que peut-il devenir ?

Je quittais brusquement Guy de Saivre. Je pensais ne plus jamais le revoir.

Nos rapports avaient été coupables. J’avais pourtant un idéal. Comme tous les hommes se ressemblaient !

Jouir, posséder, avilir, détruire.

Moi aussi désormais je voulais être cruelle. Je voulais briser. Anéantir. Hélas ! en aurais-je la force ?

J’allais mélancoliquement à travers les allées du champ des morts porter quelques fleurs sur la tombe de mon cher papa. Lou marchait à mon côté. Il baissait la tête. Unissant sa tristesse à la mienne. Mes voiles noirs flottaient au vent. La brume froide et lourde pesait sur les acacias. Leurs petites feuilles tombaient lentement comme des larmes. La tristesse de cet automne malade était à l’unisson de mon cœur. Je m’agenouillais devant cette morne tombe. Mon père dormait là indifférent aux bruits du monde. Lou reniflait inquiet. Il sentait la mort.

Un désespoir immense m’envahit. Je pleurai d’abord silencieusement. Puis mes nerfs me firent mal. J’éclatai en sanglots convulsifs. Je m’écroulai. J’étreignis la pierre. Tout tourbillonnait. J’avais mal, très mal. Je voulais mourir. Me coucher sur cette pierre. Rejoindre celui qui dormait sous la dalle.

Je me frappais le front contre la croix. J’étais folle.

Quelqu’un tout à coup s’approcha de moi. Voulut m’entraîner.

J’écumais.

— Laissez-moi, lui criai-je, que me voulez-vous ? Qui vous a permis ?

— Irène, soyez raisonnable. Venez. Je vous veux du bien. Pardonnez-moi de vous avoir suivie. Dieu merci, j’arrive à temps !

— Laissez-moi !

— Venez, mon petit, je vous en prie.

— De quel droit vous mêlez-vous de ce qui ne peut en rien vous regarder ?

— J’ai le droit de veiller sur vous, Irène.

— Pourquoi ?

— Parce que je vous aime.

Je levais les yeux. Cet homme c’était M. Maxwell. Alors résignée, je le suivis.