Éditions Georges du Cayla (p. 83-88).

CHAPITRE IX

J’avais accepté sans difficulté d’unir ma destinée à celle de Monsieur Maxwell. J’étais bien seule. Grâce à lui, j’allais être riche, considérée, peut-être heureuse. Je pourrais aider ma mère, ma petite sœur.

Je payais ma dette de reconnaissance. Il avait été si bon.

Il avait trente-cinq ans de plus que moi. Après tout, que pouvais-je désirer de mieux ?

Je devais l’aimer. Il le méritait bien.

L’annonce de notre mariage produisit une certaine sensation. Comme mon fiancé me comblait d’attentions, je fermais mes oreilles aux propos méchants colportés autour de nous. J’allais avoir mon hôtel particulier, ma voiture, des bijoux, je pourrais alors faire du bien.

Quelle vengeance serait la mienne, j’allais pouvoir faire payer à Guy de Saivre sa muflerie à mon égard. Juju venait souvent admirer les nouvelles merveilles dont Maxwell voulait chaque jour m’entourer. Je l’interrogeais à ce sujet. Elle m’avoua qu’il avait déclaré :

— J’irai présenter mes compliments à cette chère Irène.

Qu’il vienne, je me chargerai alors de le recevoir.

Nous décidâmes que le mariage aurait lieu dans la plus stricte intimité. Monsieur Maxwell m’accompagnait dans les magasins. Il me conduisait chez les couturiers, m’offrant tout ce qui pouvait me faire plaisir. Avec ma mère, nous visitâmes son hôtel particulier, y admirant le luxe où j’allais vivre, où j’espérais bien être heureuse.

Enfin, le jour du mariage finit par arriver. Nous devions partir en voyage de noces sur la côte d’Azur, le soir même. La veille, ma pauvre maman me fit toutes les recommandations nécessaires. J’en savais assez long sur ce sujet. Si en pratique j’avais ma virginité, en théorie, j’en savais assez long.

J’étais paraît-il très jolie, un peu rougissante lorsque, au bras de mon mari, je sortis de l’église. J’avais une robe qui m’allait à ravir. Je portais pour la première fois un manteau de petit-gris que m’avait offert celui qui était désormais devant Dieu et les hommes mon époux.

Quelques amis étaient venus nous saluer, je pâlis en voyant celui qui était désormais mon neveu, Guy Dimier ; ses félicitations furent respectueuses. Il se contenta de m’adresser un petit sourire narquois. J’y opposai un visage impénétrable. Et quoique n’ayant plus beaucoup d’illusions sur la galanterie des jeunes gens, j’avais pourtant confiance en sa discrétion. Plus tard, je saurais aviser et m’assurer de son silence.

Ma pauvre mère m’accompagna à la gare. Elle pleura bien fort lorsqu’il me fallut la quitter. Mon mari me fit signe de monter, car on fermait les portières. Je le rejoignis dans le wagon-couchette.

J’étais un peu inquiète. Comment allait se passer notre première nuit ? Je jouais la comédie essayant de paraître très calme.

Ouvrant ma valise, je commençais à en sortir mes objets de toilette.

Jean, je le nommerai désormais ainsi, je tâcherai du moins, me regardait. Il souriait. Il me demanda l’autorisation d’allumer une cigarette.

Le train roulait dans la nuit noire. J’attendais tremblante et émue. Devant son silence, je ne savais quelle décision prendre. Alors je commençais lentement à me dévêtir. J’allais dans le lavabo, je mis un pyjama et je revins dans le compartiment.

Jean m’attira dans ses bras. Je fermais les yeux. Il m’embrassa sur le cou. Puis sur le front.

— Allez vous coucher petite fille, me dit-il, vous devez être bien fatiguée.

Il me porta sur la couchette. Rabattit les draps. Me borda avec des gestes presque maternels. Il voila la lumière.

Je l’entendis qui se déshabillait. Il enjamba lestement, faisant un rétablissement par la force des poignets au-dessus de ma couche. Gagnant ainsi le lit au-dessus du mien. Puis je n’entendis plus rien, que la vapeur du train et les quelques bruits étouffés venant du couloir. Alors je restai longtemps les yeux fixés dans l’obscurité, je songeais.

Peut-être étais-je un peu déçue ? C’est possible. Mais je devais pourtant apprécier sa délicatesse envers moi. Il pouvait tout exiger. Il s’était montré d’une exquise générosité. Je devais lui donner en échange tout mon amour, toute ma gratitude.

Il avait trente-cinq années de plus que moi. Pourquoi ne ressemblait-il pas à Guy de Saivre ? Pourquoi n’avait-il pas sa jeunesse ?