Petite pervertie/04
CHAPITRE IV
Juju, cette dévergondée de Juju, était d’une étrange curiosité. Je lui devais une certaine reconnaissance. Elle était anxieuse de connaître le résultat de mes rencontres avec Guy. Elle me guettait à la sortie du cours. Elle savait avec tact trouver le moyen de me séparer d’avec mes autres amies, de se trouver seule avec moi.
— Alors, ces amours où en sont-elles ?
— Guy de Saivre est un galant homme, un homme du monde. Je l’ai présenté à mon père.
— Non, pas possible, cette Irène elle est impayable. Alors, c’est sérieux ?
— Mais naturellement, Juju, peut-être pourrai-je bientôt épouser Monsieur de Saivre.
Juju eut l’air fort désappointée.
— S’il est question de mariage, alors ! !
— De quoi pouvait-il être question entre nous, lui demandais-je, un peu surprise.
— Je ne sais pas. D’amour, probablement.
— Mais le mariage ce n’est donc pas l’amour ?
Juju éclata de rire, puis, sérieuse, osa se déclarer.
— L’amour sans le mariage c’est bien meilleur.
Je dus lui raconter en détail nos pauvres rendez-vous.
— Il ne t’a même pas embrassée, s’exclama-t-elle. Pauvre petite, comme tu es naïve ! C’est pour cela qu’il n’insiste pas.
— Mais il me demandera en mariage un de ces jours.
Juju eut un geste canaille.
— Compte là-dessus, ma poulette. Les hommes, il ne faut guère s’y fier. Ils promettent toujours plus de beurre que de pain. Si tu avais su le retenir, le rendre heureux, peut-être…
— Mais comment pouvais-je retenir Monsieur de Saivre ?
Juju restait énigmatique ; j’insistai. Elle m’apprit alors des choses qui me rendirent toute songeuse. J’essayais plusieurs fois de lui imposer silence. Elle continuait de plus belle.
L’amour, ce contact de deux corps, ce geste bizarre. Cette réunion de deux parties cachées.
J’avais pourtant conscience de ma naïveté lorsque je lui demandais :
— Mais cette volupté, l’homme peut seul nous l’offrir ?
Juju eut un sourire, elle me donna d’autres précisions. Je la quittai fort troublée.
Certaines idées passaient dans ma tête. J’étais émue. Je me trouvais d’une innocence ridicule. Je comprenais maintenant certaines émotions, certains frissons que je n’avais pu alors m’expliquer. Mes sens s’éveillaient. Ma curiosité et mon imagination s’imposaient. Cette conversation m’avait fait mal. Pourtant il me semblait qu’un voile s’était déchiré. J’étais presque heureuse de découvrir ce que je croyais l’existence et l’amour. Puis l’image de Guy m’apparaissait. Peut-être par mon ignorance l’avais-je perdu ? Il était temps de le reconquérir. J’allais tout essayer dans ce but. Je croyais au succès en cherchant à acquérir un peu plus d’expérience.
Ce soir-là, seule dans ma petite chambre, sachant que tout dormait, je me levais sans bruit. J’allumais. Puis, me dirigeant vers mon miroir, je laissais glisser ma chemise. J’étais nue. Je contemplais mon corps dans la glace. Je me trouvais jolie. Mes petits seins commençaient à poindre, mon ventre était bien cambré, mes jambes longues et minces. Mes regards se portèrent sur une partie intime. Malgré moi, je la caressais, je passais mes doigts sur une toison blonde et soyeuse. Une douce langueur m’envahit. Je poussais plus loin mes recherches. J’eus comme une sorte de vertige. Une multitude de désirs nouveaux dansaient autour de moi.
Mon imagination inventait, s’exhalait :
— Guy, mon Guy, m’écriai-je.
Il me sembla entendre du bruit. J’avais troublé le silence de la nuit. J’eus peur. J’avais honte. Je me blottis sous mes draps, puis j’éclatais en sanglots.
J’espérais le lendemain rencontrer Guy de Saivre. Hélas ! il restait invisible. Peut-être aurai-je été capable de toutes les audaces.
J’évitais Juju ; elle me semblait jouer un double jeu. Quel était son intérêt. Je me méfiais d’elle. Je rentrai vivement à la maison.
— Comme tu es pâle, me dit mon père. Tu n’es pas malade ?
Je prétendis avoir une violente migraine. Il me tardait d’être seule. Je refusai de dîner. Je montais aussitôt dans ma chambre. Je m’y enfermais à double tour. J’essayais tout d’abord de parcourir un livre que j’avais acheté en cachette. Un grognement me fit sursauter sur la descente de lit. Lou, qui m’avait suivi, était étendu. Il me regardait avec ses bons yeux candides.
Je l’embrassais sur le museau.
— Maintenant sois sage, lui ordonnai-je.
J’essayais de lire, mais ma pensée ne pouvait se fixer. Des désirs étranges revenaient avec le calme de la nuit. Il me semblait que Guy était là près de moi, qu’il me tendait les bras. Je me blottissais contre lui. Alors, doucement, il me déshabillait. Je le laissais faire. Pour lui, je dévoilais mon corps. Ce corps qui lui appartenait déjà, même avant le mariage, qui toujours serait à lui.
J’enlevais en effet ma robe, puis le reste suivit. Je restais étendue sur mon lit, les jambes écartées.
Lou me regardait. Il suivait mes mouvements, les oreilles dressées. Lou, lui, ne pouvait parler. Avec une certaine perversion, j’éprouvais un désir mauvais à voir ce témoin muet me contempler ainsi. L’animal se leva lentement, ses deux pattes appuyées sur mon lit ; il tendit sa tête vers moi. Je la lui caressais. Alors, chose étrange, il dirigea son museau vers mon ventre. Je le laissais faire. Cette caresse humide et chaude me semblait étrange. Je fermais les yeux. Je mordais mon oreiller. Mes sens s’ouvrirent pour la première fois à cette volupté nouvelle que je venais de découvrir.
Je chassais toute pudeur de ma vie. J’allais vivre désormais. Hélas, comme je confondais alors perversité et amour !