chez Pierre Mortier, Libraire (p. 42-57).


PERSINETTE.


CONTE.


Deux jeunes Amans s’étoient mariez enſemble aprés une longue pourſuite de leurs amours : rien n’étoit égal à leur ardeur : ils vivoient contens & heureux, quand pour combler leur felicité la jeune épouſe ſe trouva groſſe ; & ſe fut une grande joye dans ce petit ménage, ils ſouhaitoient fort un enfant, leur deſir ſe trouvoit accompli.

Il y avoit dans leur voiſinage une Fée, qui ſur tout étoit curieuſe d’avoir un beau jardin, on y voyoit avec abondance de toutes ſortes de fruits, de plantes & de fleurs.

En ce temps là le perſil étoit fort rare dans ces contrées ; la Fée en avoit fait apporter des Indes, & on n’en eût ſçû trouver dans tout le païs que dans ſon Jardin.

La nouvelle épouſe eut une grande envie d’en manger, & comme elle ſavoit bien qu’il étoit mal aiſé de la ſatisfaire, parce que perſonne n’entroit dans ce jardin, elle tomba dans un chagrin qui la rendit même méconnoiſſable aux yeux de ſon époux. Il la tourmenta pour ſavoir la cauſe de ce changement prodigieux qui paroiſſoit dans ſon eſprit auſſi bien que ſur ſon corps : & aprés luy avoir trop reſiſté, ſa femme luy avoüa enfin qu’elle voudroit bien manger du perſil. Le mary ſoûpira, & ſe troubla pour une envie ſi mal-aiſée à ſatisfaire : neanmoins comme rien ne paroît difficile en amour, il alloit jour & nuit autour des murs de ce jardin pour tâcher d’y monter ; mais ils étoient d’une hauteur qui rendoit la choſe impoſſible.

Enfin un ſoir il apperçût une des portes du jardin ouverte. Ils s’y gliſſa doucement, & il fut ſi heureux, qu’il prit à la hâte une poignée de perſil : il reſortit comme il étoit entré, & porta ſon vol à ſa femme, qui le mangea avec avidité, & qui deux jours aprés ſe trouva plus preſſée que jamais de l’envie d’en remanger encore.

Il faloit que dans ce temps-là le perſil fût d’un goût excellent.

Le pauvre mary retourna enſuite pluſieurs fois inutilement : mais enfin ſa perſeverance fut recompenſée ; il trouva encore la porte du jardin ouverte : il y entra, & fut bien ſurpris d’appercevoir la Fée elle-même, qui le gronda fort de la hardieſſe qu’il avoit de venir ainſi dans un lieu dont l’entrée n’étoit permiſe à qui ce fût. Le bon homme confus ſe mit à genoux, luy demanda pardon, & luy dit que ſa femme ſe mouroit ſi elle ne mangeoit pas un peu de perſil ; qu’elle étoit groſſe, & que cette envie étoit bien pardonnable. Eh bien, luy dit la Fée, je vous donnerai du perſil tout autant que vous en voudrez, ſi vous me voulez donner l’enfant dont vôtre femme accouchera.

Le mary aprés une courte déliberation le promit, il prit du perſil autant qu’il en voulut.

Quand le temps de l’accouchement fut arrivé, la Fée ſe rendit prés de la mere, qui mit au monde une fille, à qui la Fée donna le nom de Perſinette : elle la reçût dans des langes de toile d’or, & luy arroſa le viſage d’une eau précieuſe qu’elle avoit dans un vaſe de criſtal, qui la rendit au moment même la plus belle creature du monde.

Aprés ces ceremonies de beauté la Fée prit la petite Perſinette, l’emporta chez elle, & la fit élever avec tous les ſoins imaginables. Ce fut une merveille, avant qu’elle eût atteint ſa douziéme année, & comme la Feé connoiſſoit ſa fatallité, elle réſolut de la dérober à ſes deſtinées.

Pour cet effet elle éleva par le moyen de ſes charmes une Tour d’argent au milieu d’une forêt : cette mysterieuſe Tour n’avoit point de porte pour y entrer ; il y avoit de grands & beaux appartemens auſſi éclairez que ſi la lumiere du ſoleil y fût entrée, & qui recevoient le jour par le feu des aſcarpoucles dont toutes ces chambres brilloient. Tout ce qui étoit neceſſaire à la vie s’y trouvoit ſplendidement ; toutes les raretez étoient ramaſſées dans ce lieu. Perſinette n’avoit qu’à ouvrir les tiroirs de ſes cabinets, elle les trouvoit pleins des plus beaux bijoux, ſes garderobes étoient magnifiques autant que celles des Reines d’Afie, & il n’y avoit pas une mode qu’elle ne fût la premiere à avoir. Elle étoit ſeule dans ce beau ſéjour, où elle n’avoit rien à deſirer que de la compagnie ; à cela prés tous ſes déſirs étoient prévenus & ſatisfaits.

Il eſt inutile de dire qu’à tous ſes repas les mets les plus délicats faiſoient ſa nourriture : mais j’aſſureray que comme elle ne connoiſſoit que la Fée, elle ne s’ennuyoit point dans ſa ſolitude, elle liſoit, elle peignoit, elle joüoit des inſtrumens & s’amuſoit à toutes ces choſes qu’une fille qui a été parfaitement élévée n’ignore point.

La Fée luy ordonna de coucher au haut de la Tour, où il y avoit une ſeule fenêtre ; & aprés l’avoir établie dans cette charmante ſolitude, elle deſcendit par cette fenêtre, & s’en retourna chez elle.

Perſinette ſe divertit à cent choſes differentes dés qu’elle fut ſeule. Quand elle n’auroit fait que foüiller dans ſes caſſettes, c’étoit une aſſez grande occupation ; combien de gens en voudroient avoir une ſemblable :

La vûë de la fenêtre de la Tour était la plus belle vûë du monde, car on voyoit la mer d’un côté, & de l’autre cette vaſte forêt ; ces deux objets étoient ſinguliers & charmans. Perſinette avoit la voix divine, elle ſe plaiſoit fort à chanter, & c’étoit ſouvent ſon divertiſſement, ſur tout aux heures qu’elle attendoit la Fée. Elle la venoit voir fort ſouvent ; & quand elle étoit au bas de la Tour ; elle avoit accoûtumé de dire : Perſinette, deſcendez vos cheveux, que je monte.

C’étoit une des grandes beautez de Perſinette que ſes cheveux, qui avoient trente aunes de longueur ſans l’incommoder : ils étoient blonds comme fin or, cordonnez avec des rubans de toutes couleurs ; & quand elle entendoit la voix de la Fée, elle les détachoit, les mettoit en bas, & la Fée montoit.

Un jour que Perfinette étoit ſeule à ſa fenêtre, elle ſe mit à chanter le plus joliment du monde.

Un jeune Prince chaſſoit dans ce temps-là, il s’étoit écarté à la ſuite d’un Cerf ; en entendant ce chant ſi agréable, il s’en approcha & vit la jeune Perfinette, ſa beauté le toucha, ſa voix le charma. Il fit vingt fois le tour de cette fatale Tour, & n’y voyant point d’entrée, en penſa mourir de douleur ; il avoit de l’amour, il avoit de l’audace, il eût voulu pouvoir eſcalader la Tour.

Perſinette de ſon côte perdit la parole quand elle vit un homme ſi charmant : elle le conſidera long-temps toute étonnée : mais tout à coup elle ſe retira de ſa fenêtre, croyant que ce fut quelque monſtre, ſe ſouvenant d’avoir oüi dire qu’il y en avoit qui tuoient par les yeux, elle avoit trouvé les regards de celui-cy trés-dangereux.

Le Prince fut au deſeſpoir de la voir ainſi diſparoître ; il s’informa aux habitations les plus voiſines de ce que c’étoit, on luy apprit qu’une Fée avoit fait bâtir cette Tour, & y avoit enfermé une jeune fille. Il y rodoit ſous les tours ; enfin il y fut tant, qu’il vit arriver la Fée, & entendit qu’elle diſoit : Perſinette, deſcendez vos cheveux, que je monte. Au même inſtant il remarqua que cette belle perſonne défaiſoit les longues treſſes de ſes cheveux, & que la Fée montoit par eux, il fut tres-ſurpris d’une maniere de rendre viſite ſi peu ordinaire.

Le lendemain quand il crut que l’heure étoit paſſée que la Fée avoit accoûtumé d’entrer dans la Tour, il attendit la nuit avec beaucoup d’impatience, & s’approchant ſous la fenêtre il contrefit admirablement la voix de la Fée, & dit : Perſinette, deſcendez vos cheveux, que je monte.

La pauvre Perſinette abuſée par le ſon de cette voix, accourut & détacha ſes beaux cheveux, le Prince y monta, & quand il fut au haut, & qu’il ſe vit ſur la fenêtre, il penſa tomber en bas, quand il remarqua de fi prés cette prodigieuſe beauté : neanmoins rappellant toute ſon audace naturelle, il ſauta dans la chambre, & ſe mettant aux pieds de Perſinette, il luy embraſſa les genoux avec une ardeur qui pouvoit la perſuader : elle s’effraya d’abord, elle cria, un moment aprés elle trembla, & rien ne fut capable de la rafſurer, que quand elle ſentit dans ſon cœur autant d’amour qu’elle en avoit mis dans celuy du Prince. Il luy diſoit les plus belles choſes du monde, à quoi elle ne répondit que par un trouble qui donna de l’eſperance au Prince : enfin devenu plus hardy, il luy propoſa de l’épouſer ſur l’heure ; elle y conſenti ſans ſavoir preſque ce qu’elle faiſoit, elle acheva de même toute la cerernonie.

Voilà le Prince heureux, Perſinette s’accoûtume auſſi à l’aimer ; ils fe voyoient tous les jours, & peu de temps aprés elle ſe trouva groſſe. Cet état inconnu l’inquieta fort, le Prince s’en douta, & ne luy voulut pas expliquer de peur de l’affliger. Mais la Fée l’étant allée voir, ne l’eut pas fi tôt conſiderée qu’elle connut ſa maladie. Ah malheureuſe ! luy dit elle, vous étes tombée dans une grande faute, vous en ſerez punie, les deſtinées ne ſe peuvent éviter, & ma prévoyance a été bien vaine. En diſant cela elle luy demanda d’un ton imperieux de luy avoüer toute fon avanture ; ce que la pauvre Perſinette fit les yeux tous trempez de larmes.

Aprés ce recit la Fée ne parut point touché de toute l’amour dont Perſinette luy racontoit des traits ſi touchans, & la prenant par ſes cheveux elle en coupa les precieux cordons ; aprés quoi elle la fit deſcendre, & deſcendit auſſi par la fenêtre. Quand elles furent au bas elle s’envelopa avec elle d’un nuage, qui les porta toutes deux au bord de la mer dans un endroit tres-ſolitaire, mais aſſez agreable : il y avoit des prez, des bois, un ruiſſeau d’eau douce, une petite hutte faite de feüillages toûjours verds ; & il y avoit dedans un lit de jonc marin, & à côté une corbeille, dans laquelle il y avoit de certains biſcuits qui étoient aſſez bons, & qui ne finiſſoient point. Ce fut en cet endroit que la Fée conduiſit Perfinette, & la laiſſa, aprés luy avoir fait des reproches qui luy parurent cent fois plus cruels que ſes propres malheurs.

Ce fut en cet endroit qu’elle donna naiffance à un petit Prince & à une petite Princeſſe, & ce fut en cet endroit qu’elle les nourrit, & qu’elle eut tout le temps de pleurer ſon infortune.

Mais la Fée ne ſe trouva pas une vengeance aſſez pleine, il faloit qu’elle eût en ſon pouvoir le Prince, & qu’elle le punît auſſi. Dés qu’elle eut quitté la malheureuſe Perſinette, elle remonta à la Tour, & ſe mettant à chanter du ton dont chantoit Perſinette, le Prince trompé par cette voix & qui revenoit pour la voir, luy redemanda ſes cheveux pour monter comme il avoit accoûtumé ; la perfide Fée les avoit exprés coupez à la belle Perſinette, & les luy tendant le pauvre Prince parut à la fenêtre, où il eut bien moins d’étonnement que de douleur de ne trouver pas ſa maîtreſſe. Il la chercha des yeux ; mais la Fée le regardant avec colere : Temeraire, luy dit-elle, vôtre crime eſt infini, la punition en ſera terrible. Mais luy ſans écouter des menaces qui ne regardoient que luy ſeul : Où eſt Perſinette, luy répondit-il ? Elle n’eſt plus pour vous, répliqua-t-elle. Lors le Prince plus agité des fureurs de ſa douleur, que contraint par la puiſſance de l’art de la Fée, ſe précipita du haut de la Tour en bas. Il devoit mille fois ſe briſer tout le corps ; il tomba ſans ſe faire autre mal que celuy de perdre la vûë.

Il fut trés étonné de ſentir qu’il ne voyoit plus, il demeura quelque temps au pied de la Tour à gémir & à prononcer cent fois le nom de Perſinette.

Il marcha comme il put en tâtonnant d’apord, enſuite ſes pas furent plus aſſurez ; il fut ainſi je ne ſay combien de temps ſans rencontrer qui que ce fût qui pût l’aſſiſter & le conduire : il ſe nourriſſoit des herbes & des racines qu’il rencontroit quand la faim le preſſoit.

Au bout de quelques années il ſe trouva un jour plus preſſé du ſouvenir de ſes amours & de ſes malheurs qu’à l’ordinaire, il ſe coucha ſous un arbre & donna toutes ſes penſées aux triſtes reflexions qu’il faiſoit. Cette occupation eſt cruelle à qui penſe meriter un meilleur ſort ; mais tout à coup il ſortit de ſa réverie par le ſon d’une voix charmante qu’il entendit. Ces premiers ſons allerent juſqu’à ſon cœur, ils le penetrerent, & y porterent de doux mouvemens avec leſquels il y avoit long-temps qu’il n’avoit plus d’habitude. Ô Dieux ! s’écria-t-il, voilà la voix de Perſinette.

Il ne ſe trompoit pas ; il étoit inſenſiblement arrivé dans ſon deſert. Elle étoit aſſiſe ſur la porte de ſa cabane, & chantoit l’hiſtoire malheureuſe de ſes amours : deux enfans qu’elle avoit plus beaux que le jour ſe joüoient à quelques pas d’elle ; & s’éloignant un peu ils arriverent juſques auprés de l’arbre ſous lequel le Prince étoit couché. Ils ne l’eurent pas plûtôt vû, que l’un & l’autre ſe jettant à ſon col l’embraſſèrent mille fois, en diſant à tout moment, c’eſt mon pere. Ils appellerent leur mere, & firent de tels cris, qu’elle accourût ne ſachant ce que ce pouvoit être : jamais jeuſqu’à ce moment-là ſa ſolitude n’avoit été troublée par aucun accident.

Quelle fut ſa ſurpriſe & ſa joye quand elle reconnut ſon cher époux ? C’eſt ce qu’il n’eſt pas poſſible d’exprimer. Elle fit un cri perçant auprés de luy, ſon ſaiſiſſement fut ſi ſenſible, que par un effet bien naturel elle verſa un torrent de larmes. Mais ô merveille ! à peine ſes larmes précieuſes furent elles tombées ſur les yeux du Prince, qu’ils reprirent incontinent toute leur lumiere, il vit clair comme il faiſoit autrefois, & il reçût cette faveur par la tendreſſe de la paſſionnée Perfinette, qu’il prit entre ſes bras, & à qui il fit mille fois plus de careſſes qu’il ne luy en avoit jamais fait.

C’étoit un ſpectacle bien touchant de voir ce beau Prince, cette charmante Princeſſe, & ces aimables enfans dans une joye & une tendreſſe qui les tranſportoit hors d’eux-mêmes.

Le reſte du jour s’éccoula ainſi dans ce plaiſir : mais le ſoir étant venu, cette petite famille eut beſoin d’un peu de nourriture. Le Prince croyant prendre du biſcuit, il ſe convertit en pierre : il fut épouvanté de ce prodige, & ſoûpira de douleur, les pauvres enfans pleurerent ; la deſolée mere voulut au moins leur donner un peu d’eau, mais elle ſe changea en criſtal.

Quelle nuit ! ils la paſſerent aſſez mal, ils crurent cent fois qu’elle ſeroit éternelle pour eux.

Dés que le jour parut ils ſe leverent & reſolurent de cüeillir quelques herbes. mais quoy ! elles ſe transformoient en crapaux, en bêtes vinimeuſes ; les oiſeaux les plus innocens devinrent des dragons, des harpies qui voloient autour d’eux, & dont la vûë cauſoit de la terreur. C’en eſt donc fait, s’écria le Prince, ma chere Perſinette, je ne vous ay retrouvée que pour vous perdre d’un maniere plus terrible. Mourons, mon cher Prince, répondit-elle, en l’embraſſant tendrement, & faiſons envier à nos ennemis même la douceur de nôtre mort.

Leurs pauvres petits enfans étoient entre leurs bras dans une défaillance qui les mettoit à deux doigts de la mort. Qui n’auroit pas été touché de voir ainſi mourante cette déplorable famille ; aufſi ſe fit-il pour eux un miracle favorable : la Fée fut attendrie, & rappellant dans cet inſtant toute la tendreſſe qu’elle avoit ſentie autrefois pour l’aimable Perſinette, elle ſe tranſporta dans le lieu où ils étoient, elle parut dans un Char brillant d’or & de pierreries, elle les y fit monter, ſe plaçant au milieu de ces amans fortunez, & mettant à leurs pieds leurs agréables enfans ſur des Carreaux magnifiques : elle les conduiſit de la ſorte juſqu’au Palais du Roy pere du Prince. Ce fut là que l’allegreſſe fut ecceſſive, on reçût comme un Dieu ce beau Prince, que l’on croyoit perdu depuis ſi long-temps ; & il ſe trouva ſi ſatisfait de ſe voir dans le repos aprés avoir été ſi agité de l’orage, que rien au monde ne fut comparable à la felicité dans laquelle il vécût avec ſa parfaite épouſe.


  Tendres époux apprenez par ceux-cy,
  Qu’il eſt avantageux d’être toûjours fideles,
  Les peines, les travaux, le plus cuiſant ſoucy,
      Tout enfin ſe trouve adoucy,
    Quand les ardeurs ſont mutuelles :
  On brave la fortune, on ſurmonte le ſort,
      Tant que deux Epoux ſont d’accord.