Plus belle que fée

chez Pierre Mortier, Libraire (p. 1-41).
Une jeune femme fasse à un aigle sur le haut d’une falaise. En contrebat, une autre allongée écrit du doigt sur le sable.
Une jeune femme fasse à un aigle sur le haut d’une falaise. En contrebat, une autre allongée écrit du doigt sur le sable.


PLUS BELLE QUE FÉE


CONTE.

IL y avoit une fois dans l’Europe un Roy, qui ayant eu déja quelques enfans d’une Princeſſe qu’il avoit épouſée, eut envie de voyager, & d’aller d’un bout à l’autre de ſon Royaume. Il s’arrêtoit agreablement de Province en Province ; & comme il fut dans un beau Château, qui étoit à l’extremité des ſes Etats, la Reine ſa femme y accoucha, & donna la vie à une fille, qui parut ſi prodigieuſement belle au moment de ſa naiſſance, que les Courtiſans, ſoit pour ſa beauté ou par envie de faire leur Cour la nommerent plus belle que Fée ; l’avenir fit bien voir qu’elle meritoit un nom ſi illuſtre. À peine la Reine fut elle relevée de couche, qu’il fallut qu’elle ſuivit le Roy ſon mary qui partit en diligence, pour aller défendre une Province éloignée que ſes ennemis attaquoient.

On laiſſa la petite Plus belle que Fée avec ſa Gouvernante, & les Dames qui lui étoient neceſſaires. On l’éleva avec beaucoup de ſoin ; & comme ſon pere eut à ſoûtenir une longue & cruelle guerre, elle eut le loiſir de croître & d’embellir. Sa beauté ſe rendit fameuſe par tous les Païs circonvoiſins, on ne parloit d’autre choſe ; & à douze ans on l’eût plûtôt priſe pour une Divinté, que pour une perſonne mortelle : un frere qu’elle avoit la vint voir pendant une Tréve, & ſe lia avec elle d’une parfaite amitié.

Cependant la renommée de ſa beauté, & le nom qu’elle portoit irriterent tellement les Fées contre elle, qu’il n’y eut rien qu’elles ne penſaſſent pour ſe venger de l’orgüeil de ſon nom, & pour détruire une beauté qui leur cauſoit tant de jolouſie.

La Reine des Fées n’étoit pas une de ſes bonnes Fées, qui ſont les protectrices de la vertu, & qui ne ſe plaiſent qu’à bien faire. Aprés le cours de pluſieurs ſiécles, elle étoit parvenuë à la Royauté par ſon grand ſçavoir, & par ſon artifice. Le nombre de ſes ans l’avoit renduë fort petite, & l’on ne l’appelloit plus que Nabote.

Nabote donc aſſembla fon Conſeil, & lui fit ſavoir qu’elle avoit reſolu de venger tant de belles perſonnes qu’elle avoit dans ſa Cour, & toutes celles qui étoient par toute la terre, qu’elle vouloit s’apſenter & aller elle même voir & ravir cette beauté qui faiſoit un bruit ſi deſavantaganx à leurs charmes : ainſi fut dit, ainſi fut fait. Elle partit, & prenant des vêtemens ſimples, elle ſe tranſporta au Château qui renfermoit cette merveiile, elle s’y rendit bientôt familiere, & engagea par ſon eſprit les Dames de la Princeſſe à la recevoir parmi elles. Mais Nabote fut frappée d’un grand étonnement, quand aprés avoir conſideré le Château, elle reconnut, par la force de ſon Art, qu’un grand Magicien l’avoit conſtruit, & qu’il y avoit attaché telle vertu, que dans toute ſon enceinte, & celle de ſes promenades, on n’en pouvoit ſortir que volontairement, & qu’il n’étoit pas poſſible de ſe ſervir d’aucunes ſortes de charmes contre les perſonnes qui l’habitoient. Ce n’étoit pas un ſecret ignoré de la Gouvernante de Plus belle que Fée, qui conoiſſant bien le treſor ſans prix qui étoit confié à ſes ſoins, vivoit ſans crainte, ſachant que perſonne au monde ne pouvoit luy ôter cette jeune Princeſſe, tant qu’elle ne ſortiroit pas du Château ni des Jardins. Elle luy avoit défendu expreſſément de le faire, & Plus belle que Fée, qui avoit déja beaucoup de prudence, n’avoit garde de manquer à cette précaution. Mil Amans qu’elle avoit tentoient des effors inutiles pour l’enlever, mais vivant aſſurée, elle ne redoutoit point leur violence.

Il ne falut pas beaucoup de temps à Nabote pour s’inſinuer dans ſes bonnes graces ; elle lui apprenoit à faire de beaux ouvrages, & pendant un travail qu’elle rendoit divertiſſant, elle lui faiſoit des hiſtoriettes agréables ; elle n’oublioit rien pour la divertir, & elle lui plaiſoit ſi naturellement, qu’on ne les voyoit plus l’une ſans l’autre.

Nabote dans tous ſes ſoins n’étoit pas moins occupé de ſa vengeance. Elle cherchoit le moyen de ſeduire Plus belle que Fée, & de l’obliger par fineſſe à mettre ſeulement le pied hors du ſeüil des portes du Château. Elle étoit toûjours preparée à faire ſon coup & à l’enlever.

Un jour qu’elle l’avoit menée dans le Jardin, où de jeunes ſilles aprés avoir cüeilli des fleurs, en ornoient la belle tête de Plus belle que Fée, Nabote ouvrit une petite porte qui donnoit ſur la campagne ; & l’ayant paſſée, elle faiſoit cent ſingeries, qui faiſoient rire la Princeſſe & la jeune troupe qui l’environnoit, quand tout d’un coup la méchante Nabote fit ſemblant de ſe trouver mal, & le moment d’aprés elle ſe laiſſa tomber comme évanoüie. Quelques jeunes filles coururent à ſon ſecours, blus belle que Fée y vola ; & à peine la malheureuſe fut-elle hors de cette fatale porte, que Nabote ſe releva, la ſaiſit d’un bras puiſſant ; & faiſant un cercle avec ſa baguette, il ſe forma un broüillard épais & noir ; qui s’étant auſſitôt diſſipé, la terre s’ouvrit : il en ſortit deux taupes, avec des aîles de feüilles de roſes, qui traînoient un char d’ébeine ; & ſe mettant dedans avec Plus belle que Fée, elle s’éleva en l’air, & le fendit avec une vîteſſe incroyable, ſe perdant incontinent aux yeux des jeunes filles, qui par leurs pleurs & leurs cris annoncerent bientôt dans tout le Chêteau la perte qu’on venoit de faire.

Plus belle que Fée ne revint de ſon étonnement que pour tomber dans un plus épouvantable. La rapidité avec laquelle ce char voloit en l’air, l’avoit tellement étourdie, qu’elle en avoit preſque perdu la connoiſſance. Enfin reprenant ſes eſprits elle baiſſa les yeux. Qu’elle fut effrayée de ne trouver au deſſous d’elle que l’étenduë prodigieuſe de la vaſte mer ! elle fit un cri perçant, ſe tourna ; & voyant prés d’elle ſa chere Nabote, elle l’embraſſa tendrement, & la tenoit ſerrée entre ſes bras, comme on a coûtume de faire pour ſe raſſurer. Mais la Fée la repouſſant rudement : Ritirez vous, petite effrontée, lui dit-elle, reconnoiſſez en moy vôtre plus mortelle ennemie. Je ſuis la Reine des Fées, vous m’allez payer l’inſolence du nom orgüeilleux que vous portez.

Plus belle que Fée, plus tremblante à ces paroles, que ſi le foudre fût tombé à ſes pieds, en eut plus de frayeur encore que de l’horrible route qu’elle tenoit. Le char fondit enfin au milieu d’une Cour magniſique du plus ſuperbe Palais qui ſe ſoit jamais veu.

L’aſpect d’un ſi beau lieu raſſuroit un peu la timide Princeſſe, ſur tout quand à la ſortie de ce char elle vit cent jeunes Beautez qui vinrent toutes courtoiſement faire la reverence à la Fée. Un ſi riant ſéjour ne ſembloit pas lui annoncer d’infortune ; elle eut même une conſolation : qui ne manque gueres de flater dans un auſſi grand malheur que le ſien : elle remarqua que toutes ces belles perſonnes étoient frapées d’admiration en la regardant, & elle entendit un murmure confus de loüange & d’envie, qui la ſatisfit merveilleuſement

Mais que ce pitit moment de vanité dura peu. Nabote ordonna impcrieuſement qu’on ôtât les beaux habits de Plus belle que Fée, croyant lui dérober une partie de ſes charmes. On la dépoüilla donc : mais la fureur de Nabote n’eut par là que plus à croître. Que de beautez parurent au jour ! & que de confuſion pour toutes les Fées du monde ! On la vêtit de méchans haillions : on eût dit dans cet état que la beauté ſimple & naïve vouloit triompher de la ſorte ſur la parure des plus grands ornemens ; jamais elle ne fut plus charmante. Nabote commanda qu’on la conduiſît au lieu qu’elle avoit ordonné, & qu’on lui donnât ſa tâche.

Deux Fées la prirent, & la firent paſſer par les plus beaux & les plus ſomptueux appartemens que l’on ſauroit jamais voir. Plus belle que Fée les conſideroit malgré la vûë de ſa miſere ; elle diſoit en elle-même : Quelques tourmens qu’on me prepare, le cœur me dit que je ne ſeray pas toûjours malheureuſe dans ces beaux lieux.

On la fit deſcendre par un grand eſcalier, de marbre noir, qui avoit plus de mille marches ; elle crut aller aux abîmes de la terre, ou plûtôt qu’on la conduiſoit aux enfers. Enfin elle entra dans un petit cabinet tout lambriſſé d’ébeine, où l’on lui dit qu’elle coucheroit ſur un peu de paille, & il y avoit une once de pain & une tafſe d’eau pour ſon ſouper. De là on la fit paſſer dans une grande galerie, dont les murailles de haut en bas étoient de marbre noir, & qui ne recevoit de clarté que par celle qui venoit de cinq lampes de geais, qui jettoient une lueur ſombre capable plûtôt d’épouvanter que de raſſurer. Ces triſtes murailles étoient tapiſſées de toiles d’araignée depuis le haut juſqu’en bas, dont la fatalité étoit telle, que plus on en ôtoit, & plus elles ſe multiplioient. Les deux Fées dirent à la Princeſſe, qu’il faloit que cette galerie fût nettoyée au point du jour, ou bien qu’on lui feroit ſouffrir des ſupplices effroyables : & poſant une échelle à deux mains, & lui donnant un balay de jonc, elles lui dirent de travailler, & la laiſſerent. Plus belle que Fée ſoûpira, & ne ſachant point le ſort de ces toiles d’araignée, quoique la galerie fût fort grande, elle ſe reſolut avec courage d’obéïr. Elle prit ſon balay, & monta legerement ſur l’échelle. Mais, ô Dieu ! quelle fut ſa ſurpriſe, lorſque penſant nettoyur ce marbre & ôter ces toiles d’araignée, elle trouva qu’elles ne faiſoient qu’augmenter ; elle ſe laſſa quelque temps ; & voyant avec triſteſſe que c’étoit vainement, elle jetta ſon balay, deſcendit, & s’aſſeyant ſur le dernier échelon de l’échelle, elle ſe mit tendrement à pleurer, & à connoître tout ſon malheur. Ses ſanglots ſe precipitoient ſi fort les uns ſur les autres, qu’elle n’avoit plus la force de ſoûtenir ſon beau corps, quand levant un peu la tête, ſes yeux furent frapez d’une vive lumiere. Toute la galerie fut dans un inſtant éclairée, & elle vit à genoux devant elle un jeune garçon ſi beau & ſi agréable, qu’à l’habillement prés, elle le prit pour l’Amour : mais elle ſe ſouvint qu’on peignoit l’Amour tout nud ; & ce beau garçon avoit un habit tout couvert de pierreries. Elle douta aufſi ſi toute cette lumiere ne partoit pas du feu de ſes yeux, qu’elle voyoit ſi beaux & ſi brillans. Ce jeune garçon la conſideroit toûjours à genoux, elle s’y voulut mettre auſſi. Qui étes-vous, lui dit-elle toute étonnée ? Etes-vous un Dieu ? étes-vous l’Amour ? Je ne ſuis pas un Dieu, lui répondit il : mais j’ay plus d’amour moy ſeul qu’il n’y en a dans le Ciel ni ſur la terre. Je ſuis Phraates, le fils de la Reine des Fées, qui vous aime & qui veut vous ſecourir. Alors prenant le balay qu’elle avoit jetté, il toucha toutes ces toiles d’araignée ; qui devinrent auſſitôt un tiſſu d’or d’un ouvrage merveilleux, le feu des lampes demeura vif & lumineux, & Phraates donnant une clef d’or à la Princeſſe : Vous trouverez une ſerrure, lui dit-il, au grand quarré de vôtre cellule, ouvrez-la tout doucement : Adieu, je me retire, de peur de me rendre ſuſpect ; allez vous repoſer, vous trouverez tout ce que vous eſt neceſſaire. Et mettant un genoux à terre » il lui baiſa reſpectueuſement la main.

Plus belle que Fée plus étonnée de cette rencontre, que de tout ce qui lui étoit arrivé dans la journée, rentra dans la petite chambre, & cherchant à trouver cette ſerrure dont on lui avoit parlé, en s’approchant du lambris elle entendit une voix la plus aimable du monde, qui ſembloit ſe plaindre avec douleur : elle crut que c’étoit quelque miſerable comme elle qu’on vouloit tourmenter. Elle prêta curieuſemenr l’oreille. Mais que feray-je, diſoit cette voix ; On veut que je change les glands qui ſont dans ce boiſſeau en des perles Orientales. Plus belle que Fée, moins ſurpriſe qu’elle ne l’auroit été deux heures auparavant, frapa deux ou trois petits coups contre les ais, & dit aſſez haut : Si l’on donne des peines icy, il s’y fait en même temps des miracles ; eſperez. Mais contez-moi, je vous prie, qui vous étes, je vous diray auſſi qui je ſuis. Il m’eſt plus doux de vous ſatisfaire, réprit l’autre perſonne, que de continuer mon employ. Je ſuis fille de Roy ; on dit que je nâquis charmante : les Fées n’aſſiſterent point à ma naiſſance ; vous ſavez qu’elles ſont cruelles à ceux dont elles n’ont pas pris la protection en naiſſant. Ah je ſe ſay trop, réprit Plus belle que Fée : Je ſuis belle comme vous, fille de Roy & malheureuſe, par ce que je ſuis aimable ſans le ſecours de leurs dons. Nous voilà donc compagnes, réprit l’autre ? Mais étes vous amoureuſe ? Il ne s’en faut gueres, dit aſſez bas Plus belle que Fée ; continuez, réprit elle tout haut, & ne me queſtionnez plus. Je fus eſtimée, pourſuivoit l’autre, la plus charmante choſe qu’il y ait jamais eu, & tout le monde m’aima & me voulut poſſeder ; on m’appelle Deſirs : toutes les volontez m’étoient ſoûmiſes, & j’avois place dans tous les cœurs. Un jeune Prince plus rempli de moi qu’aucun autre, s’attacha uniquement à moy ; je le comblay d’eſperance & de ſatisfaction. Nous allions nous unir pour toûjours l’un à l’autre, quand les Fées jalouſes de me voir la paſſion univerſelle, & ne pouvant ſouffrir les agrémens qu’elles n’ont pas donnez, m’enleverent un jour au milieu de ma gloire, & m’ont miſe icy dans un vilain lieu. Elles m’ont dit qu’elles m’étoufferoient demain matin, ſi je n’ay pas executé un ordre ridicule qu’elles m’ont impoſé ; dites-moy preſentement qui vous étes. Je vous ay tout dit, réprit Plus belle que Fée, à mon nom prés. On m’appelle Plus belle que Fée. Vous devez donc être bien belle, réprit la Princeſſe Deſirs ; j’ay grande envie de vous voir. J’en ay bien autant de mon côté, répartit Plus belle que Fée. Y a t-il une porte qui donne icy, car j’ay une petite clef qui peut être ne vous ſeroit pas inutile. Lors cherchant, elle en trouva une qu’elle pouvoit effectivement ouvrir. Elle la pouſſa, & paroiſſant tout d’un coup, elles ſe ſurprirent beaucoup l’une & l’autre par la beauté merveilleuſe qu’elles avoient toutes deux. Aprés s’être fort embraſſées & s’être dit bien des choſes obligeantes, Plus belle que Fée ſe mit à rire de voir que la Princeſſe Deſirs frotoit continuellement ſe glands avec une petite pierre blanche, comme on lui avoit ordonné. Elle lui conta la tâche qu’on lui avoit donnée à faire, & comme je ne ſay quoi de ſi aimable l’avoit aſſiſtée miraculeuſement. Mais que peut-ce être, lui dit la Princeſſe Deſirs ? Ie crois que c’eſt, un homme, réprit Plus belle que Fée. Un homme, s’écria Deſirs ; vous rougiſſez, vous l’aimez. Non pas encore, réprit-elle : mais il m’a dit qu’il m’aime, & s’il m’aime comme il le dit, il vous aſſiſtera. À peine eut elle proferé ces paroles, que le boiſſeau fremit, & agitant ces glands comme le chêne ſur lequel ils avoient éte cüeillis auroit pû faire, ils ſe changerent tout d’un coup dans les plus belles perles en poires & de la premiere eau : ce fut une de celles-là dont la Reine Cleopatre fit un ſi riche banquet à Marc-Antoine. Les deux Princeſſes furent tres-contentes de ce changement ; & Plus belle que Fée qui commençoit à s’accoûtumer aux prodiges, prenant Deſirs par la main, repaſſa dans ſa chambre, & trouvant le quarré où étoit la ſerrure dont on lui avoit parlé, elle l’ouvrit avec la clef d’or, & entra dans une chambre, dont la magnificence la ſurprit & la toucha, parce qu’elle y vit par tout des ſoins de ſon amant. Elle étoit jonchée des plus belles fleurs, elle exhaloit un parfum divin. Il y avoit à un des bouts de cette charmante chambre une table couverte de tout ce qui pouvoit contenter la délicateſſe du goût, & deux fontaines de liqueurs qui couloient dans des baſſins de porphyre. Les jeunes Princeſſes s’aſſirent dans deux chaiſes d’yvoire enrichies d’émeraudes, elles mangerent avec appetit ; & quand elles eurent ſoupé la table diſparut, & il s’éleva à la place où elle étoit un bain delicieux, où elles ſe mirent toutes deux. À ſix pas de là on voyoit une ſuperbe toilette & de grandes mannes d’or trait, toutes pleines de linge d’une propreté à donner envie de s’en ſervir. Un lit d’une forme ſinguliere & d’une richeſſe extraordinaire terminoit cette merveilleuſe chambre, qui étoit bordée d’orangers dans de caiſſes d’or garnies de rubis, & des colonnes de cornaline ſoûtenoient tout autour la voute ſomptueuſe de cette chambre : elles n’étoient ſeparées que par de grandes glaces de criſtal, qui prenoient depuis le bas juſques en haut. Quelques conſoles, de matieres rares portoient des vaſes de pierreries pleins de toutes ſortes de fleurs.

La Princeſſe Deſirs admiroit la fortune de ſa compagne ; & ſe tournant vers elle : Vôtre Amant eſt galant, lui dit-elle, il peut beaucoup, & il veut tout pouvoir pour vous ; vôtre bonheur n’eſt pas commun. Une pendule ſonnant minuit leur fit entendre à chaque heure le nom de Phraates. Plus belle que Fée rougit, & ſe jetta dans ſon lit : elle crut prendre un repos, qui fut troublé par l’image de Phraates.

Le lendemain il y eut un grand étonnement dans la Cour des Fées, de voir & la galerie ſi richement parée, & les belles Perles à plein boiſſeau. Elles avoient crû punir les jeunes Princeſſes ; leur cruauté fut déconcertée, elles les trouverent chacune retirées dans leur petite chambre. Agitant de nouveau leur conſeil pour leur donner des emplois où elles les viſſent ſuccomber, elles dirent à Deſirs d’aller ſur le bord de la mer écrire ſur le ſable, avec ordre exprés que ce qu’elle y mettroit ne s’effaçât jamais : & commanderent à Plus belle que Fée de ſe rendre au pied du Mont avantureux, de voler au haut, & de leur apporter un vaſe plein d’eau de vie immortelle. Pour cet effet elles lui donnerent des Plumes & de la cire, afin que ſe faiſant des aîles elle ſe perdît comme une autre Jeare. Deſirs & Plus belle que Fée ſe regarderent à cet affreux commandement, & s’embraſſant tendrement elles ſe quitterent, comme en ſe diſant le dernier adieu. On en conduiſit une prés du rivage, & l’autre au pied du Mond avantureux.

Quand Plus belle que Fée ſe vit ainſi ſeule, elle prit les plumes & la cire, & les acommodoit fort mal ; aprés avoir travaillé tres inutilement, elle tourna ſa penſée vers Phraates : Si vous m’aimiez, dit-elle, vous viendriez encore à mon ſecours. À peine eut elle achevé le dernier mot, quelle le vit devant ſes yeux, plus beau mille fois que la nuit derniere. Le grand jour lui étoit fort avantageux Doutez vous de mon amour, lui dit-il, eſt il rien de difficile pour qui vous aime ? Lors il la pria d’ôter une partie de ſes habits, & ayant pris ſa récompenſe ordinaîre, qui étoit un baiſer ſur ſa main, il ſe transforma tout d’un coup en Aigle. Elle eut quelque chagrin de voir changer ainſi cette aimable figure, qui ſe mettant à ſes pieds en étendant les aîles, lui fit aiſément comprendre ſon deſſein. Elle ſe baiſſa ſur lui, & ſerrant ſon col ſuperbe avec ſes beaux bras, il s’éleva doucement en haut. On ne ſauroit dire quel étoit le plus content, ou d’elle d’éviter la mort, en executant les ordres qu’on lui avoit donnez, ou lui d’être chargé d’un fardeau ſi precieux.

Il la porta doucement au haut du Mont, où elle entendit une agreable harmonie de mille oiſeaux qui vinrent rendre hommage au divin oiſeau qui l’avoit portée. Le haut de ce Mont étoit une plaine fleurie, entourée de beaux Cedres, au milieu deſquels étoit un petit ruiſſeau, qui couloit ſes eaux argentées ſur un ſable d’or ſemé de diamans brillans. Plus belle que Fée ſe courba ſur le genoüil, & avant toutes choſes elle mit dans ſa main de cette eau precieuſe & en but. Aprés elle remplit ſon vaſe, & ſe tournant vers ſon Aigle : Ha ! dit-elle, que je voudrois que Deſirs eût de cette eau, à peine eut-elle lâché la parole, que l’Aigle vôla en bas, prit une des pantoufles de Plus belle que Fée & revenant il puiſa de l’eau dedans, & en alla porter à la Princeſſe Deſirs au bord de la mer, où elle étoit inutilement occupée à écrire ſur l’aréne.

L’Aigle revint trouver Plus belle que Fée, & reprit ſa belle charge, helas dit-elle, que fait Deſirs ? mettez nous enſemble. Il luy obéït ; ils la trouverent écrivoit toûjours, & à meſure qu’elle écrivant, une onde venoit qui effaçoit ce qu’elle avoit écrit. Quelle cruauté, dit cette Princeſſe à Plus belle que Fée, d’ordonner ce qu’on ne peut faire ! Je juge à l’étrange monture que je vous vois, que vous avez réuſſi : Plus belle que Fée deſcendit ; & touchée du malheur de ſa compagne, elle prit ainſi la parole ſe tournant vers ſon amant. Faites moi voir vôtre toute puiſſance ; ou plûtôt mon amour, répartit ce Prince, en reprenant ſa forme ordinaire. Deſirs voyant la beauté & les graces de ſa perſonne fit briller de la ſurpriſe & de la joye dans ſes yeux. Plus belle que Fée en rougit par un mouvement dont elle ne fut pas la maîtreſſe. & ſe mettant devant lui pour le cacher à ſa compagne ; faites ce qu’on vous dit, continua-t-elle, avec une inquiétude charmante ; Phraates connut fon bonheur, & voulant terminer promptement ſa peine, liſez, lui dit-il, en diſparoiſſant plus vîte qu’un éclair.

Au même inſtant une vague vint ſe briſer aux pieds de Plus belle que Fée, & en s’en retournant on vit une table d’airain auſſi enchaſſée dans l’arene, que ſi elle eût été de toute éternité, & comme y devant demeurer juſq’a la fin du monde, & à meſure qu’elle la regardoit elle appercevoit des lettres qui ſe formoient profondement gravées, qui compoſoient ces vers :

La foi des vulgaires Amans,
Leur ardeur & tous leurs ſermens,
Ne s’écrivent que ſur l’Aréne,
Mais ce qu’on ſent pour vos beaux yeux,
En caractere d’Aſtre eſt écrit dans les
      Cieux,

Qui voudroit l’effacer la peine en ſeroit vaine


Je le comprens, s’écria Deſirs, qui vous aime vous doit toûjours aimer, que vôtre aimable Amant ſait bien exprimer ſa tendreſſe ; & lors elle embraſſa Plus belle que Fée, que diſſipant entre ſes bras ſa confuſion ſur la petite jalouſie qu’elle venoit d’avoir, elle l’avoüa a ſon amie ſur la guerre qu’elle lui en fit, & toutes deux ſatisſaites de leur amitié, s’abandonnerent à la douceur d’un entretien agreable & plein de ſincerité.

La Reine Nabote envoya au pied du Mont, pour ſavoir ce que Plus belle que Fée ſeroit devenuë. On trouva les plumes éparſes & une partie de ſes habits, on jugea qu’elle étoit écraſée comme on le defiroit.

Dans cette penſée les Fées coururent au bord de la mer ; elles s’écrierent à la vûë de la table d’airain, & furent épouvantées d’appercevoir les deux Princeſſes qui ſe joüoient tranquillement ſur la pointe d’un rocher ; elle les appellerent. Plus belle que Fée donna ſon eau de vie immortelle, & rioit tout doucement avec Deſirs de la fureur de ces Fées.

La Reine n’entendoit pas raillerie, elle connut qu’un Art auſſi grand que le ſien les aſſiſtoit, & ſa rage en crût à tel point, que ſans heſiter, elle conclut leur ruïne totale par la derniere & la plus cruelle des épreuves.

Deſirs fut condamné à aller le lendemain à la Foire des temps, chercher le fard de jeuneſſe, & Plus belle que Fée de ſe rendre dans la Forêt des Merveilles pour prendre la Biche aux pieds d’argent.

La Princeſſe Deſirs fut conduite dans une grande Plaine, au bout de laquelle étoit un bâtiment prodigieux tout partagé en ſales & en galeries pleines de Boutiques ſi fuperbes, qu’il n’y a, pour y trouver une comparaifon, qu’à ſe ſouvenir des magnifique Banques de Marly. À chacune de ces Boutiques il y avoit de jeunes & d’agreables Fées, & auprés d’elles, pour les aider, les perſonnes qu’elles aimoient le mieux. Auſſi tôt que Deſirs parut, ſes agrémens charmerent tous le monde, elle prit poſſeſſion de tous les cœurs. Aux premieres Boutiques où elle s’adreſſa, elle fit grande pitié en demandant le fard de jeuneſſe, aucun ne lui voulut dire où il ſe trouvoit, parce que quand ce n’étoit pas une Fée qui le venoit chercher, il deſignoit un ſupplice pour la perſonne qui étoit chargée de cette dangereuſe commiſſion.

Les bonnes Fées diſoient à Deſirs qu’elle s’en retournât, & qu’elle ne demandât plus ce qu’elle cherchoit. Elle étoit ſi belle, qu’on couroit au devant d’elle aux lieux où elle paſſoit. Son malheur la mena à la fatale boutique d’une mauvaiſe Fée. À peine eut-elle demandé le fard de jeuneſſe de la part de la Reine des Fées, que lui lançant un regard terrible, elle lui dit qu’elle l’avoit, & qu’elle le lui donneroit le lendemain, & lui commanda de Paſſer dans une chambre pour attendre qu’il fût preparé. Mais on la mena dans un lieu tenebreux & puant, où elle ne voyoit goute. Elle fut atteinte de quelque terreur : Ah ! dit-elle ! aimable amant de Plus belle que Fée, hâtez vous de me ſecourir, ou je ſuis perduë.

Il fut ſourd à ſa voix ou dans l’impoſſibilté d’agir en ce lieu là, comme il avoit dans les autres. Deſirs ſe tourmenta une partie de la nuit, elle dormit l’autre, & ſe ſentit reveillée par une agreable fille que lui vint dire en lui portant un peu de nourriture, que c’étoit de la part du favori de la Fée ſa maîtreſſe, qui étoit reſolu de la ſecourir ; qu’elle ſeroit heureuſe ſi cela étoit, parce que la Fée avoit envoyé chercher un méchant eſprit, afin qu’il vint lui ſouffler au nez de la laideur, & qu’en cet état difforme & plein d’ignominie, elle la renvoiroit à la Reine des Fées, afin qu’elle ſervît au triomphe de leurs reſſentimens. La Princeſſe Deſirs penſa mourir de frayeur à cette menace de perdre tout d’un coup tous ſes charmes, & elle ſouhaita de mourir.

Son tourment étoit horrible ; elle ſe promenoit à tâtons dans ſa noire demeure, quand on la prit par le bras, elle ſentit en ſon cœur une émotion fort douce. On la mema vers un peu de lumiere, & quand ſa vûë fut raſſûrée, elle l’eut frappée de l’objet de tous le plus charmant, elle reconnut ce cher Prince qui l’aimoit tant, & de qui on l’avoit ſeparée la veille de ſes nôces. Ses tranſports & ſa joye furent extrêmes ; eſt ce vous, lui dit-elle cent fois ; Enfin quand elle en fut bien perſuadée, oubliant tous ſes malheurs preſens. Mais eſt-ce vous qui étes le favori de cette malheureuſe Feé, continua t-elle ; eſt ce avec ce beau titre que je vous vois ? N’en doutez point, lui répondit-il, & nous luy devrons la fin de nos peines & nôtre bonne fortune.

Alors il luy conta qu’au deſeſpoir de ſon enlevement il étoit allé trouver un Sage, qui lui avoit appris où elle étoit, & qu’il ne la recouvreroit jamais qu’au Royaume des Fées, qu’il luy avoit donné le moyen de le trouver, mais qu’il avoit été arrêté d’abord par cette cruelle Fée, qui étoit devenuë amoureuſe de luy ; que ſuivant le conſeil de ſon Sage il l’avoit amuſée, & que par ſa douceur il s’étoit ſi bien rendu le maître de ſon eſprit, qu’il gardoit tous ſes treſors, & qu’il étoit miniſtre de toutes ſes volontez, qu’elle venoit de partir pour un voyage de ſix mille lieuës, qu’elle ne reviendroit de douze jours, qu’ainſi il ſe falloit ſauver, qu’il alloit dans ſon cabinet prendre une partie de la pierre de l’Anneau de Gigés, qu’elle le mettroit ſur elle, qu’ainſi étant inviſible elle paſſeroit par tout, que pour luy il pouvoit ſe montrer librement ; n’oubliez pas, luy dit-elle, le fard de jeuneſſe. J’en veux mettre & en donner à une compagne que j’ay.

Le Prince rit. Oü irons nous, continua-t-elle ? chez la Reine des Fées, réprit-il. Non pas cela, s’écria t-elle, nous y peririons. Le Sage qui me conſeille, pourſuivit il, m’a dit de vous remener au dernier lieu, d’où vous ſeriez partie, ſi je voulois être aſſuré de mon bonheur. Il ne m’a jamais menti en quoi que ce ſoit, à la Bonne heure, dit Deſirs, allons donc.

Le Prince luy donna une précieuſe boëte, dans laquelle étoit le fard de jeuneſſe, & dans l’envïe de paroître plus belle aux yeux de ſon Amant, elle s’en frotta précipitamment tout le viſage, oubliant qu’elle étoit inviſible par la pierre qu’il lui avoit donnée. Elle le prit ſous le bras. Ils traverſerent de la ſorte toute la Foire, & furent ainfi juſques auprés du Palais de la Reine.

Là, le Prince réprit la pierre de Gigés. L’aimable Deſirs ſe montra, & il ſe rendit inviſible au grand regret de la Princeſſe qu’il prit ſous le bras à ſon tour, & ſe rendirent devant Nabote & ſa Cour.

Toutes les Fées ſe regarderent avec un merveilleux étonnement en voyant Deſirs de retour avec le fard de jeuneſſe, & la Reine fronçant le ſourcil, qu’on la garde ſeurement, dit elle, nos adreſſes ſont vaines, il faut la faire mourir ſans y plus chercher tant de façons.

Voilà l’arrêt prononcé. Deſirs en trembla de crainte, ſon amant la raſſura autant qu’il le pût.

Mais revenons à plus belle que Fée. On l’avoit conduite juſques dans la Forêt des Merveilles, & voici le ſujet pourquoi on l’expoſoit à courre la Biche aux pieds d’argent.

Il y avoit eu autrefois un Reine des Fées qui avoit ſuccedé naturellement à ce grand titre, elle étoit belle, bonne & ſage, elle avoit eu pluſieurs amans dont l’amour & les ſoins ſe pordoient auprés d’elle uniquement occupée à proteger la vertu, elle ne s’amuſoit point à conter les ſoupirs de ſes amans. Elle en avoit un que ſes rigueurs rendirent le plus malheureux, parce qu’il l’aimoit mieux qu’aucun autre.

Un jour voyant qu’il ne la pouvoit fléchir, il luy proteſta dans ſon deſeſpoir qu’il ſe tuëroit ; elle ne fut point émuë de cette menace, & la conſidera comme une de ces folies, dont l’eſprit de l’homme eſt ſouvent atteint, mais qui ne paſſeroit pas plus avant. Cependant elle ſçût quelque temps aprés qu’il s’étoit précipité dans la mer.

Un Sage qui avoit élevé ce jeune homme, ſe plaignit aux Intelligences ſuprêmes, & la chaſte Fée fut comdamnée à être Biche cent ans durant, pour faire penitence de ſa rigueur, avec tel ſi, qu’une beauté accomplie qui voudroit s’expoſer à la courre durant dix jours dans la Forêt des Merveilles, pourrroit la prendre & lui redonner ſa premiere forme. Il y avoit déja prés de quarante ans qu’elle paiſſoit ainſi transformée.

Au commencement pluſieurs beautez s’étoient riſquées, pour tenter une ſi belle aventure, & qui promettoit tant de gloire, chacune croyoit être la plus heureuſe : mais comme elles ſe perdoient, & qu’au bout des dix jours on n’en entendoit plus parler, cette ardeur s’étoit refroidie, & l’on ne voyoit plus depuis trés long temps aucune Belle qui s’offrît, de maniere que celles qu’on y conduiſoit depuis, n’y alloient que par l’ordre des Fées pour les abondonner à une perte aſſurée.

C’étoit auſſi pour ſe défaire de Plus belle que Fée qu’on la mena dans la Forêt des Merveilles. On luy donna une legere proviſion de vivres, pour la forme ſeulement, un cordon de ſoye à la main avec un nœud coulant pour arrêter la Biche. Voilà tout ſon équipage de chaſſe.

Elle mit ce qu’on luy donna au pied d’un arbre, & quand elle ſe vit ſeule elle porta ſa vûë dans cette vaſte forêt, où elle n’aperçût dans ce profond ſilence, & dans cette ſolitude qu’un objet de deſeſpoir.

Elle voulut demeurer au bord de la forêt, & ne s’engager pas plus avant, & pour ſe reconnoître, elle marqua l’endroit d’où elle partoit. Mais qu’elle étoit abuſée. On étoit toûjours égaré dans cette forêt ſans en pouvoir ſortir, elle apperçut dans une route la Biche aux pieds d’argent qui marchoit gravement. Elle alla aprés elle avec ſon cordon à la main, croyant la prendre : mais la Biche ſe ſentant pourſuivie couroit, & de temps en temps s’arrêtant, elle tournoit la tête vers Plus belle que Fée. Elle furent enſemble tout le jour ſans s’approcher, & la nuit les ſepara.

La pauvre chaſſeuſe ſe trouva trés-laſſe & avec beauceup de faim, mais elle ne ſavoit plus où étoit la petite proviſion qu’on luy avoit donnée, & de repos elle n’en pouvoit prendre que ſur la terre dure. Elle ſe coucha donc ſous un arbre bien triſtement, elle ne put de long temps dormir ; elle avoit peur, la moindre choſe l’épouvantoit, une feüille qui s’agitoit la faiſoit fremir ; elle tourna, dans cet état miſerable, ſa penſée vers ſon amant, elle l’appella pluſieurs fois, & voyant qu’il luy manquoit dans un fi grand beſoin, ah ! dit elle, en répandant quelques larmes, Phraates, Phraates, vous m’abandonnez. Elle commençoit à s’endormir, quand elle ſentit quelque agitation ſous elle, & il luy ſembla qu’elle étoit dans le meilleur lit du monde. Son ſommeil fut long ſans être interrompu ; elle fut reveillée le matin par le chant de mille Roſſignols, & tournant ſes beaux yeux, elle ſe vit à deux pieds de terre, l’herbe avoit pouſſé ſous ſon beau corps, & avoit pris la vertu de faire une couche delicieuſe. Un grand Oranger jettoit ſes branches ſur elle, pour luy ſervir de pavillon, elle étoit couyerte de ſes fleurs. À côté d’elle, deux Tourterelles luy annonçoient par leur amour ce qu’elle devoit eſperer de celuy de Phraates. La terre étoit tout autour couverte de fraiſes, & de toute ſorte des plus excellens fruits, elle en mangea, & ſe trouva auſſi raſſaſiée & auſſi forte que ſi c’eût été des meilleures viandes. Un ruiſſeau qui couloit tout auprés ſervit à la deſalterer. Ô ſoins de mon amant ! s’écria-t-elle, quand elle ſe trouva ſatisfaite, que vous m’étiez neceſſaires ! je ne murmure plus, mais ne me donnez pas tant, & montrez vous.

Elle eût pourſuivi ſi elle n’eût apperceu la Biche aux pieds d’argent qui étoit ſur ſon cul, & qui la regardoit tranquîllement. Elle crut à cette fois la tenir, elle lui preſenta d’une main une poignée d’herbe ; & de l’autre elle tenoit ſon cordon ; mais la Biche s’éloigna à petits bonds, & quand elle avoit un peu couru, elle s’arrêtoit & la regardoit. Elles firent cet exercice toute la journée. La nuit vint & elle ſe paſſa comme l’autre. Le réveil fut pareil au premier, & quatre jours & quatre nuits ſe paſſerent de même façon. Enfin la cinquiéme matinée Plus belle que Fée en ouvrant les yeux crut voir une clarté plus brillante que celle du jour ; quand elle appercût dans les yeux de ſon amant tout l’amour qu’elle luy avoit donné. Il étoit aſſis un pas d’elle, & baiſoit le bout de ſon pied. Sa preſence & ſon action reſpectueuſe luy plurent fort.

C’eſt donc vous, luy dit-elle, ſi je ne vous ay point vû tous ces jours cy, j’ay au moins reçu des marques de vôtre bonté. Dites de mon amour, Plus belle que Fée, réprit-il ; ma mere ſe doute que c’eſt moy qui vous aſſiſte, elle m’a gardé, je m’échappe un moment par le moyen d’une Fée de mes amies : adieu, je viens ſeulement vous raſſurer, vous me verrez ce ſoir, & ſi fortune le veut, demain nous ſerons heureux.

Il s’en alla & elle courut encore toute la journée. Quand la nuit fut venuë, elle apperçut prés d’elle une petite lumiere qui ſuffiſoit pour lui faire reconnoître ſon amant.

Voilà ma baguette allumé, lui dit-il, mettez-la devant vous, & allez ſans vous effrayer par tout où elle vous conduira. Lors qu’elle s’arrêtera vous rencontrerez un grand amas de feûilles ſeches, mettez y le feu, entrez dans le lieu que vous, verrez, & ſi vous y trouvez la depoüille de quelque bête, brûlez là ; les Aſtres nos amis feront le reſte. Adieu.

Plus belle que Fée auroit bien voulu recevoir une plus ample  : mais voyant qu’il n’y avoit plus de remede, elle poſa devant elle la baguette qui luy montra le chemin. Elle marcha prés de deux heures aſſez ennuyeé de ne faire que cela. Elle s’arrêta enfin, & effectivement elle apperçût un grand amas de feûilles ſeches, auquelles elle ne manqua pas de mettre le feu. La clarté fut bien-tôt ſi grande, qu’elle put remarquer une aſſez haute Montagne, où elle apperçût une ouverture à demy cachée par des broſſailes, elle les écarte avec ſa baguette, & entra dans un lieu obſcur, mais un peu aprés elle ſe trouva dans un grand Salon, orné d’une admirable Architecture, éclairé de pluſieurs lumieres ; mais ce qui la frappa de quelque étonnement, ce fut de voir les peaux de pluſieurs bêtes ſauvages & terribles, penduës à des crochets d’or, qu’elle prit d’abord pour les bêtes mêmes. Elle détourna ſes yeux avec quelque horreur, & les arrêta ſur le milieu du Salon ; où il y avoit un beau palmier, & ſur une de ſes branches la peau de la Biche aux pieds d’argent.

Plus belle que Fée fut ravie de la voir, & la prenant avec ſa baguette elle la porta promptement dans le feu qu’elle avoit allumé à l’entrée de l’antre. Elle fut conſumée au même inſtant, & rentrant toute joyeuſe dans le Salon, elle pénétra dans pluſieurs magnifiquës chambres. Elle s’arrêta dans une, où elle vit ſur des tapis de Perſe pluſieurs petits lits dreſſez, & un plus beau que tous les autres ſous un pavillon de drap d’or. Mais elle n’eut pas le loiſir de conſiderer long-temps une choſe qui lui paroiſſoit ſi ſinguliere, elle entendit de grands éclats de rire, & parler fort haut diverſe perſonnes.

Plus belle que Fée tourna ſes pas de ce côté là. Elle entra dans un lieu merveilleux, où il y avoit quinze jeunes perſonnes d’une beauté divine.

Elle ne les ſurprit pas moins qu’elle fut ſurpriſe, l’excellence de ſa perſonne les charma toutes, & il ſe fit en elles une ſuſpenſion de tous leurs ſens. Un ſilence attentif avoit ſuccedé à des cris d’admiration. Mais une de ces belles perſonnes & plus belle que toutes les autres s’avança d’un air riant & gay vers nôtre charmante Princeſſe. Vous étes ma liberatrice, lui dit elle, je n’en ſaurois douter : nulle perſonne n’entre icy qui ne ſoit revêtuë de la peau d’un de ces animaux que vous avez veus à l’entrée de cette caverne ; C’a été le ſort de toutes ces belles perſonnes que vous voyez auprés de moy. Aprés dix jours de courſe inutile pour me prendre, elles étoient changées en autant d’animaux durant le jour, & la nuit nous reprenons nos figures humaines ; & vous, charmante Princeſſe, ſi vous ne m’euſſiez pas delivrée, vous auriez été changée en lapin blanc. En lapin blanc, s’écria Plus belle que Fée, ah Madame ! il vaut mieux que j’aye conſervé ma forme ordinaire, & qu’une ſi merveilleuſe perſonne que vous ne ſoit plus Biche. Vous nous rendez à toutes nôtre liberté, réprit la Fée, paſſons joyeuſement le reſte de la nuit, & demain nous irons au Palais remplir toute la Cour d’étonnement.

On ne ſauroit exprimer l’allegreſſe dont retentiſſoit cette charmante demeure, & le raviſſement où toutes ces belles perſonnes étoient d’aller joüir de la douceur de revivre, pour ainſi dire, elles étoient toutes dans le même âge auquel elles avoient commencé leur courſe dans la Forêt des Merveilles, & la plus âgée n’avoit pas vingt ans.

La Fée voulut ſe mettre au lit pour trois ou quatre heures, elle fit coucher Plus belle que Fée avec elle, & deſira ſavoir ſon avanture. Elle la luy conta d’un ton de voix ſi touchant, ſon diſcours étoit ſi ſimple & ſi plein de verité, qu’elle l’engagea ſans reſerve à ſervir ſes amours, & à la rendre heureuſe. Elle n’oublia pas de luy parler de Deſirs, & d’abord la Fée luy fut favorable.

Elles s’endormirent après un entretien aſſez long, & qu’elles interrompoient agreablement par les charmantes careſſes qu’elles ſe faiſoient.

Le lendemain elles prirent toutes le chemin du Palais, voulant ſurprendre agreablement les Fées. Elles quitterent ſans regret la Foreſt des Merveilles, & arriverent ſans bruit au Palais. Quand elles furent prés de la derniere Cour, elles oüirent mille ſons harmonieux qui compoſoient une excellente Muſique. Voici quelque Fête, dit la Fée, nous arrivons à propos, & avançant elles trouverent cette Cour toute remplie d’une foule incroyable.

La Fée la fit ouvrir, & paſſa avec ſa troupe. Les premiers qui la connurent pouſſerent des cris juſqu’au Ciel, & bientôt on ſçut le ſujet d’une ſi grande joye ; mais en avançant toûjours elle fut frappée par un étrange ſpectacle. Elle vit une jeune fille plus charmante que les Graces, & faite comme Venus, qui étoit attachée à un poteau prés d’un bucher, où apparemment on l’alloit brûler.

Plus belle que Fée fit un grand cri reconnoiſſant Deſirs : mais elle fut bien ſurpriſe quand au même moment elle ne la vit plus, & qu’il parut en ſa place un jeune homme ſi beau & ſi bien fait, qu’on ne ſe pouvoit laſſer de le regarder. À cette vûë Plus belle que Fée fit encore un cri plus grand, & courant ſans garder nulle meſure, elle ſe jetta à ſon col, en diſanr mille fois, c’eſt, mon frere.

C’étoit ſon frere auſſi qui étoit cet heureux amant de la Princeſſe Deſirs, craignant qu’on ne la fiſt mourir, venoit de luy donner la Pierre de Gigés pour la ſouſtraire à la cruauté de la Reine Nabote, il s’étoit ainſi par ce moyen découvert.

Le frere & la ſœur ſe donnoient cent témoignages de tendreſſe, l’inviſible Deſirs y mêloit les ſiens, & ſa voix ſe faiſoit entendre quand ſon corps ne paroiſſoit pas, tandis que toutes les Fées dans un étonnement ſans pareil, donnoient en mille manieres differentes d’éclatantes marques de lueur joye, de revoir leur vertueuſe Reine. Les bonnes Fées venoient ſe jetter à ſes pieds, luy baiſer la main & ſes habits. Elles pleuroient, elles perdoient la parole, chacune s’exprimoit ſelon ſou caractere. Les mauvaiſes Fées ou les partiſanes de Nabote faiſoient auſſi les empreſſées, & la politique donnoit un air de ſincerité à leur fauſſe démonſtration.

Nabote elle-même au deſeſpoir de ce retour, ſe contraignoit avec un art dont elle ſeule étoit capable. Elle voulut d’abord ceder ſon pouvoir à la veritable Reine, qui d’un air grave & majeſtueux demanda pourquoi la jeune fille qu’elle avoit vûë meritoit un pareil ſupplice, & depuis quel temps on ſolemniſoit une mort cruelle par des fêtes & des jeux. Nabore s’excuſoit fort mal, & la Reine l’écoutoit impatiemment, quand l’amant de Deſirs prenant la parole : On punit cette Princeſſe, dit il, parce qu’elle eſt trop aimable. On tourmente de même la Princeſſe ma ſœur. Elles ſont nées toutes deux telles que vous les voyez. Il pria lors ſa maîtreſſe d’envelopper la pierre de Gigés, & elle parut. Deſirs reparoiſſant charma tout ce qui la vit. Elles ſont belles, pourſuivit-il, elles ont mille vertus qu’elles ne tiennent point des Fées, voilà ce qui les ſouléve & les oblige à les perſecuter. Quelle injuſtice de vouloir étendre un pouvoir tyrannique ſur tout ce qui ne dépend point de vous ?

Le Prince ſe tût. La Reine ſe tourna vers l’aſſemblée d’un air agréable. Je demande, leur dit-elle, qu’on me donne ces trois perſonnes. Elles auront le ſort le plus heureux que des mortels puiſſent avoir. Je dois aſſez à Plus belle que Fée, & je recompenſeray ce qu’elle a fait pour moy par les bonheurs les plus conſtans.

Vous regnerez, Madame, pourſuivit-elle, en ſe tournant vers Nabote, cet Empire eſt aſſez grand pour vous & pour moy. Allez dans les belles Iſles qui vous appartiennent. Laiſſez-moy vôtre fils, je l’aſſocie à mon pouvoir, & je veux qu’il épouſe Plus belle que Fée. Cette union nous réconciliera tous.

Nabote enrageoit de tout ce qu’ordonnoit la Reine. Mais quoi, elle n’étoit pas la plus forte ; elle n’avoit qu’à obéïr. Elle l’alloit faire de mauvaiſe grace, quand on vit arriver le beau Phraates, ſuivi d’une galante jeuneſſe qui compoſoit ſa Cour ; il venoit rendre ſes hommages à la Reine, & ſe rejoüir de ſon rerour. Mais en paſſant, il atacha la vûë ſur Plus belle que Fée, & luy fit voir par des regards paſſionnez que c’étoit ſon premier devoir.

La Reine l’embraſſa & luy preſenta Plus belle que Fée, le priant de la recevoir de ſa main. Il ne faut pas demander, s’il obeït avec joye, s’écriant avec tranſport.

Dieu des amans, vous payez la conſtance
      De mille travaux amoureux,
Vous allez devenir pour combler tous mes vœux,
    Mon plaiſir & ma recompenſe.


Les deux Mariages ſe celebrerent dés le même jour : ils furent ſi heureux qu’on dit que ce ſont les ſeuls époux qui ont gagné la vigne d’or, & que ceux dont on a à parlé depuis n’ont été que des idées.

Ainſi la vertu triomphe des malheurs qu’on lui ſuſcite. L’envie & la jaloufie ne ſervent qu’à la faire briller, & ſouvent la juſtice du Ciel permet qu’elle ſoit heureuſe.

Il eſt une deſtinée qui veille à la conduite des hommes, & qui leur fait ſurmonter tout ce que l’on veut oppoſer à leur bonheur.

Naiſſez ſous un aſtre proſpere,
    Sans être façonné par l’art.
Tout vous réüſſira, la plus cruelle affaire
Se rendra bonne un jour par un coup de hazard.
    La fortune un temps nous accable,
Mais c’eſt aprés pour nous mieux aſſiſter ;
    Le bonheur ſe fait bien goûter
À qui ſe reſſouvient d’un état miſerable.
    Mauvaiſe Fée étale ſon pouvoir,
À la vertu toûjours elle fait des obſtacles,
    Fée en ce temps ſe fait encore voir,
    Mais on ne voit plus de miracles.