Pensées et Fragments/Philosophie et Religion

Texte établi par P. Vulliaud, Librairie Bloud & Cie (p. 13-25).


PHILOSOPHIE ET RELIGION



Dieu, avant que rien n’existât, Dieu, puis les substances intelligentes.

(Vision d’Héball, p. 24.)


Avant les choses, il y avait l’esprit des choses, c’est là l’esprit de toute cosmogonie.

(Ville des Expiations ; Séance d’initiation.)


Pour arriver à connaître Dieu, il faut que l’homme étudie en lui-même la ressemblance de Dieu.

(Vision d’Hébal, p. 39.)


La pensée de l’homme étant successive, la pensée de Dieu pour s’assimiler à la pensée de l’homme, devint successive elle-même : Dieu fut dispersé dans ses attributs

(Orphée, liv. IV.)


La création tout entière est une manifestation de la parole divine, la pensée de Dieu écrite.

(Institutions sociales, éd. 1818, p. 305.)


L’acte de la création est un acte éternel et continu : au commencement, comme on l’a remarqué, veut dire, en principe ; c’est une autorité métaphysique.

(Ville des Expiations ; Séance d’initiation.)


Si Dieu a fait sortir l’homme de sa pensée, c’est pour voir un adorateur.
(Orphée, 1. IV.)


Dieu est bon et juste. Dieu est bon ; il a voulu le bonheur de ses créatures : Dieu est juste ; il a voulu que ses créatures méritassent d’être heureuses. Il a voulu être glorifié par les créatures glorifiées elles-mêmes.

(Palingénésie sociale. Prolégomènes, éd. 1833, p 36.)


L’homme appelé à tenir un si haut rang parmi les intelligences pouvait-il espérer qu’il y parviendrait sans le mériter.

(Palingénésie sociale. Prolégomènes, éd. 1833, p 365.)


La liberté est nécessaire pour établir la moralité des actions, et nul être n’est libre, s’il ne peut faire un mauvais usage de ses facultés.

(Essai sur les Institutions sociales, éd. 1818, p 187.)


L’action de la Providence doit être voilée par respect pour la liberté de l’homme ; il a fallu qu’il fût possible de la nier, pour qu’il y eût du mérite à y croire, car la croyance ou la foi doit être un des mérites de l’homme sur la terre.

(Essai sur les Institutions sociales, éd. 1818, p. 297.)


Nous nous plaignons de ce que les plans de la Providence ne nous soient pas dévoilés. Et d’abord pour savoir, il faudrait que nous fussions d’autres intelligences et que nous ne fussions pas destinés à nous faire nous-mêmes. Ensuite si nous savions, où serait l’épreuve, où serait la vérité d’acquérir ?

(Palingénésie sociale, p. 366.)


La foi est un lien entre Dieu et l’homme.

(Paling. soc, p. 35.)


La foi est, si l’on peut parler ainsi, une assimilation de la volonté divine, dans une volonté humaine.

(Paling. soc., p. 126.)


La prescience n’est autre chose que l’infinie contemplation de l’éternité.
(Paling. soc., p. 66.)


La prédestination, attribut de la prescience divine, est la vue éternelle de la fin de l’être intelligent, fin heureuse, dont les effets peuvent être avancés ou retardés selon l’usage que les êtres intelligents font de leur liberté.

(Paling, soc., p. 213.)


Ce qui aide à concevoir un peu la prescience de Dieu, c’est que les effets sont tous renfermés dans les causes, puisque tous ne se réalisent pas, et que les effets à leur tour deviennent causes, lorsqu’ils sont réalisés et développés.

(Réflexions diverses, éd., 1833, p. 321.)


L’homme ayant été créé libre, et Dieu ayant donné, dans la conscience, un guide, le mal qui résulte de la liberté, et qui est un mal nécessaire, ne peut être attribué à Dieu.

(Paling. soc., p. 121.)


Quand on dit que Dieu, prévoyant que tel être abuserait de sa liberté, aurait dû s’abstenir de créer cet être, c’est comme si l’on disait que Dieu aurait dû s’abstenir de créer des intelligences libres.

(Paling. soc., p. 129.)


Le mal corporise, le bien spiritualise : les nécessités physiques qui nous serrent de toutes parts sans nous absorber, nous représentent assez bien l’origine et l’essence du mal.

(Paling, soc., p. 208.)

Pour bien apprécier le dogme de la déchéance, il faut se le représenter comme la conquête de la conscience et de la responsabilité humaine.

Ceci n’est point une hypothèse ; c’est une croyance déposée au fond de toutes les traditions générales du genre humain.

(Paling. soc., p. 79.)


L’origine du mal, c’est la nécessité de la liberté, pour que l’homme fût, selon son essence, un être moral. L’homme ayant été créé libre, il a bien fallu qu’il pût abuser de sa liberté. Le mal hors de l’homme, le mal dans le reste de la création, est le mystère sous lequel s’enveloppe, en ce monde, la nécessité du mal relativement à l’homme, c’est-à-dire la liberté.

(La Ville des Expiations, liv. I, 1.)


La responsabilité étant une promotion, et la faute étant une suite de l’acquisition de la faculté du bien et du mal, il était inévitable que la réhabilitation fût identique à la chute.

(Paling. soc., p. 80.)


Le mal a été réparti pour être moins pesant, étendu pour être moins intense.

(Paling. soc., p. 81.)


Dans ce monde, tel que l’a fait la déchéance de l’être intelligent, tout est destruction et renaissance.

Toute vie repose sur la mort.

Le présent n’existe que sur les ruines du passé ; et le passé, qui fut le présent, n’existe que sur les ruines d’un passé antérieur.

(Orphée, liv. VIII)


Une créature intelligente, une créature faite à l’image de Dieu, doit toujours finir par concevoir le bien.

(Ville des Expiat., liv. III, 3.)


La Providence de Dieu, qui n’a jamais cessé de veiller sur les destinées humaines, a voulu qu’elles fussent une suite d’initiations mystérieuses et pénibles, pour qu’elles fussent méritoires comme foi et comme labeur.

(Paling. soc., préface.)


Cette vie est une épreuve à laquelle succéderont d’autres épreuves, selon les besoins de chacun, car il faut que toute créature parvienne à la perfection à laquelle elle est propre, à laquelle elle a droit par son essence même ; et alors, mais seulement alors, elle entre dans la plénitude de son état définitif. La durée des épreuves successives prend plus ou moins de temps ; mais le temps nous importe peu, quand il s’agit des plans de Dieu, puisque Dieu a les trésors de l’éternité.

(Paling. soc., p. 121.)


Deux systèmes d’idées partagent le monde. L’un, c’est la nécessité, l’impitoyable nécessité qui régit tous les êtres ; l’autre, c’est la liberté accordée aux êtres moraux et intelligents. Si le premier système est vrai, le mal qui existe, et que nous voyons, est une image du mal éternel. Si le second système est vrai, toute créature intelligente et morale, en se perfectionnant, comme elle en a reçu la faculté, parviendra tôt ou tard à un état définitif qui sera bon. Laissez-moi lire ce dernier système dans la loi chrétienne.

(Réflexions diverses, éd. 1833, p. 318.)


Au lieu de la fatalité tragique des anciens, ou de cette autre fatalité, également inflexible qu’on est convenu d’appeler la force des choses, il faut bien admettre l’enchaînement merveilleux des causes et des effets, les effets à leur tour devenant causes, pour entretenir la génération sans fin des destinées humaines. Cette chaîne non interrompue de causes et d’effets, dont le premier et le dernier anneau restent éternellement dans la main de Dieu, forme l’instrument mystérieux de sa prescience ; et en ce sens la prescience divine est un attribut insondable de celui qui établit une fois, pour qu’elles subsistassent toujours, les lois universelles, les lois auxquelles obéissent les esprits et les corps ; qui créa l’intelligence de l’homme à son image, et lui donna la liberté, pour qu’il méritât ; qui le fit en quelque sorte colégislateur d’un monde où il semble cependant n’avoir que des obstacles à vaincre.

(Paling. soc., p. 30.)


Les effets et les causes s’enchaînent. Rien n’est produit subitement. Dieu n’a pas pu vouloir remonter à chaque instant le ressort de l’univers. Il a fait des lois qui le gouvernent incessamment : ceci est vrai au moral comme au physique.

(Réflex. div., p. 292.)


Les lois de Dieu sont éternelles. Les lois de la nature établies par Dieu sont immuables.

Les miracles ne sont ni une suspension de ces lois, ni une exception à ces lois.

(Vision d’Hébal, p. 120.)


L’ordre matériel est un emblème, un hiéroglyphe du monde spirituel. Les miracles émanent de l’ordre spirituel, sont une signification du monde spirituel, un emblème plus positif, un hiéroglyphe plus spirituel.

(Paling. soc., p. 212.)


L’apparition de l’homme sur la terre n’est qu’une phase de son existence ; le reste nous est caché. Nous savons seulement qu’une créature intelligente et morale ne peut avoir que de grandes et nobles destinées.

(Paling, soc., p. 38.)


Or, la pensée divine voulut produire l’homme. Ici la pensée humaine éperdue se réfracte dans un dogme comme la lumière dans un prisme, et pourtant le dogme doit réfléchir la nature intime et transcendantale de l’homme.

(Vis. d’Heb., p. 31.)


Ce qui subsiste après la déchéance, c’est la volonté libre s’exerçant dans la variété avant d’arriver à l’unité, c’est la puissance du retour à l’unité par l’expiation.

(Vis. d’Heb., p. 26.)


L’essence humaine est une, spontanée, toujours identique à elle-même, distincte de toutes les autres essences.

(Paling. soc., p. 78.)


Pourrait-on se faire une idée de ce qu’est la volonté humaine ? Elle n’a que deux forces au-dessus d’elle : la Providence et le Destin. Le Destin dans le sens le plus étendu et le plus général, c’est l’irrévocabilité d’un acte de volonté, produit au dehors. Le Destin est donc tantôt le résultat de la volonté divine, ou de la Providence et tantôt l’ouvrage de l’homme.

(Paling. soc., p. 126.)


Le genre humain peut être considéré comme un seul tout ; et c’est dans cette considération élevée que l’on rencontre une des bornes assignées par la Providence à notre liberté. L’homme a non seulement à porter le joug de son être matériel, il a aussi à suivre les mouvements qui lui sont imprimés par le tout dont il fait partie. L’individualité n’est point, pour lui, dans ce monde. Nos destinées futures ont donc cela de fatal, qu’elles sont, en quelque sorte, la conséquence de nos destinées passées.

(Essai sur les Institut, soc., p. 43, éd. 1818.)


La liberté des êtres intelligents a été prévue dans les lois qui gouvernent l’univers. Dieu s’est imposé, s’il est permis de parler ainsi, le devoir de la respecter. Mais il s’est en même temps réservé la faculté de la réprimer, car elle aurait pu aller jusqu’à troubler l’harmonie des mondes.

(Paling. soc., p. 121.)


Le bien, nécessaire et absolu.

Le mal, conditionnel et contingent.

La liberté de l’être intelligent, capacité du bien et du mal.

Le mal contraire à la nature de l’être intelligent.

Donc l’être intelligent rentrant dans sa nature primitive, en rentrant dans le bien lorsqu’il s’en est écarté.

Donc l’être intelligent tenu de se perfectionner.

Donc le mal, conditionnel et contingent, devant cesser.

Donc le bien, nécessaire et absolu, devant finir par régner.

L’être moral, ébloui par la capacité du bien et du mal, succombe.

Mais l’être intelligent et moral, devenant bon, rentre dans sa nature, et reste libre, car, sans liberté, point d’attribution du bien et du mal.

L’absolu n’appartient qu’à Dieu.

Le relatif est de l’homme, ce qui implique pour lui la nécessité du successif et par conséquent du progressif.

(L’homme sans nom, Préface, éd. 1832, p. lxxxv.)


Le critérium de la raison est un critérium relatif et progressif.

Le critérium de la conscience est lui-même relatif et progressif.

(L’homme sans nom. Préface, éd. 1832, p. lxxxvii.)


La philosophie des sensations a épuisé toutes ses conséquences ; elle s’est brisée contre le matérialisme. La philosophie idéaliste a aussi épuisé ses conséquences ; elle s’est perdue dans la négation des réalités, comme les Indiens, elle a fait de l’illusion une puissance cosmogonique, et, chose triste à penser, elle a dû ne rencontrer que le doute, non le doute qui demande l’examen, qui implore l’expérience, mais le doute dogmatique, le doute rationnel reposant sur une sorte d’impossibilité d’arriver à la certitude. Cela tient à ce que nous exigeons pour la certitude, des conditions que nos facultés actuelles ne comportent pas.

Une partie de la philosophie ancienne nous est inconnue ; c’est celle qui, sortant à peine de la poésie, en avait encore conservé le langage.

La philosophie pythagoricienne est fille d’une poésie antérieure, que nous sommes obligés de reconstruire par les mythes.

(Paling. soc, p. 354.)


Le platonisme fut, parmi les nations païennes, une heureuse préparation à la religion de Jésus-Christ. Le platonisme fut utile avant et après le christianisme, avant, pour y amener les hommes ; après, pour les confirmer dans cette croyance.

(Inst. soc., ch. x, paragr. iv.)


La religion naturelle du déiste est une erreur analogue à celle du contrat primitif dans l’institution sociale.

(Paling. soc., p. 11.)


Le christianisme est la seule loi morale du genre humain.

(Ville des Expiat., l. III, ch. iv.)


Les peuples ont trop longtemps oublié que le christianisme a été émancipateur : ils ne peuvent tarder de comprendre que pour assurer leurs émancipations successives, pour en recueillir tous les bienfaits, ils ne sauraient hésiter à en placer la haute garantie sous la protection du christianisme lui-même, de qui elles émanent dans l’origine.

(La France catholique, 2e vol, 1re livr. Samedi, 17 mai 1834.)


Aucune régénération sociale n’est possible en dehors du Christianisme, en dehors de sa philosophie, de sa morale, de ses dogmes

(La France catholique, 2e vol, 1re livr. Samedi, 17 mai 1834.)


Le christianisme a mis dans le monde des idées morales qui ne peuvent plus en être exclues, qui sont la sauvegarde de la civilisation, et qui, par conséquent, serviraient encore à le conserver indépendamment même de son origine et du fait de la révélation.

(Inst. soc., p. 167, éd. 1818.)


La religion est comme une patrie : quand on l’a quittée, on tend vers elle de tous ses vœux, et malgré soi, on l’invoque à chaque instant. Fichte a dit, avec autant de profondeur que de raison, que nous naissons tous dans la croyance.

(Inst. soc., p. 163.)


L’homme ne se fait point sa religion, l’homme ne se donne point une religion.

(Le Vieillard et le Jeune homme, 6e Entr.)


Ce qui a toujours troublé la raison de tous les fabricateurs de systèmes, c’est qu’ils ont toujours fait tendre l’espèce humaine au bonheur, comme si enfin on pouvait être d’accord sur les appréciations du bonheur.

(Le Vieillard et le Jeune homme, 7e Entr.)


Ce qui conserve les religions fausses ou les propage, avant comme après la venue de Jésus-Christ, c’est ce qu’elles renferment de chrétien.

(Inst. soc., ch. II.)


Des esprits inattentifs ont souvent, comme on sait, accusé le peuple hébreu de n’avoir pas connu autrefois le dogme de l’immortalité de l’âme, parce que, prétendaient-ils, ce dogme n’est nulle part textuellement énoncé dans la loi judaïque, mais il était bien plus formellement énoncé que par des mots ou des propositions, puisqu’il jaillissait du génie même de la langue, si fortement empreint du sentiment de la continuité d’existence.

(Inst., soc., ch. ii, éd. 1818, p. 350.)


N’oublions jamais que tous les actes divins sont continus et que celui de la médiation est continu comme celui de la création ; c’est cette pensée qui réunira un jour toutes les communions chrétiennes. Il ne peut y avoir de commémoration pour un fait qui n’est pas interrompu ; il ne peut y avoir que l’apparition même du fait, qui ne cesse jamais d’être un fait actuel. Ceci seul nous fait comprendre comment les prétentions de l’Église catholique sont fondées, lorsqu’elle affirme être dépositaire des véritables traditions chrétiennes. Oui le dogme de la présence réelle est le dogme autour duquel doit se reconstruire l’unité ; car il a sa racine dans la psychologie chrétienne qui est une psychologie cosmogonique.

(Ville des Expiat. ; Séance d’init.)


Le mystère de la déchéance et celui de la civilisation s’expliquent l’un par l’autre. Le Christ qui a racheté la nature humaine, n’aurait pu la racheter, s’il se fût identifié à elle. Voilà pourquoi le Christ est Dieu et homme.

(Ville des Expiat., liv. I, 1.)


Le dogme de l’eucharistie est le résumé de tous les sacrifices, l’immolation perpétuelle et sans fin, ou plutôt tous les sacrifices qui ont précédé la divulgation ne sont qu’une prophétie, un emblème de celui-ci. En effet, il est parlé dans les Écritures de la victime immolée dès le commencement. La médiation est un dogme cosmogonique, c’est-à-dire une des lois en vertu desquelles le monde existe. Le dogme eucharistique, éternel, contemporain de tous les temps, et de ce qui est hors du temps, qui règne sur tous les lieux à la fois, est rendu actuel et tangible par une seule parole, qui fit le ciel et la terre ; la parole du Sacerdoce éternel est la même qui soumet la victime éternelle, chaque fois qu’elle est demandée, qui consomme le sacrifice éternel du Golgotha, qui réconcilie éternellement l’homme avec lui-même et avec son Créateur, qui le replace éternellement au sein d’une grande harmonie dont il devait être le centre.

De ce que la présence réelle est le dogme chrétien par excellence, il suit que l’Église qui seule admet ce dogme perpétuel de l’amour, est incontestablement dépositaire de la tradition chrétienne, laquelle n’est elle-même que l’Église universelle, et seule a le droit de se dire catholique.

(Mélanges de littérat. et de philos, relig.,
Institut catholique, 1851, Lyon.)