Pensées et Fragments/Introduction

Texte établi par P. Vulliaud, Librairie Bloud & Cie (p. 3-11).

BALLANCHE


INTRODUCTION



I

Ballanche (Pierre-Simon) est né le 4 août 1776 à Lyon. Au cours de son enfance maladive, il dut subir la douloureuse opération du trépan. Cet accident causa une difformité dont la laideur fut adoucie par l’expression de ses yeux magnifiques.

Les différents critiques qui se sont occupés de Ballanche ont oublié de rappeler une particularité de son tempérament. Cette particularité doit retenir l’attention de ceux qui tâchent de pénétrer le caractère de ce génie vaticinateur.

Ballanche était doué d’une nature magnétique, dont on a constaté chez lui tous les phénomènes (somnambulisme, catalepsie, hallucinations). Un semblable tempérament expliquerait facilement ses dons d’inspiration, de divination.

Ballanche débuta par diriger une maison de librairie et d’imprimerie, d’abord avec son père, seul ensuite. Publiant le Bulletin de Lyon, où il inséra quelques articles, notre auteur le céda en 1813, pour abandonner dès lors toute entreprise commerciale. Il se rendit en Italie, puis à Paris où il se fixa définitivement en 1817.

À cette date il avait déjà composé : une Épopée sur l’insurrection lyonnaise (1793) dont le sujet est connu mais qui ne fut pas publiée ; une Réfutation du contrat social également perdue, Inès de Castro (1811), nouvelle publiée par les soins de M. Frainnet en 1905.

Ballanche s’était fait connaître par le livre Du Sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts (1801).

Il fit alors un premier voyage à Paris, en 1802, dans le but de connaître Chateaubriand et de lui proposer la publication d’une Bible en français où l’on aurait intercalé tous les passages de l’Écriture traduits par Bossuet ; Chateaubriand les aurait rattachés par des discours.

En 1807, Ballanche songea à se marier avec Mlle Mazade d’Avèze. La tante de la jeune fille, entichée d’idées nobiliaires, fit empêcher le mariage. Mlle d’Avèze épousa le fils de M. de Bonald. Ballanche exhala sa douleur dans huit Fragments qui parurent d’abord au Bulletin de Lyon, en 1808, 1809, puis en 1819. Si ces fragments étaient en vers ce qu’ils sont en prose, Ballanche aurait ravi à Lamartine la création de l’élégie méditative (Sainte-Beuve).

Notons la publication (1805) de Lettres d’un Jeune Lyonnais à un de ses amis, sur le passage de Notre Saint-Père le Pape Pie VII à Lyon.

En 1812, il fit connaissance de Mme Récamier qui devait tenir tant de place dans sa vie.

Antigone parut en 1814, l’Essai sur les Institutions sociales dans leur rapport avec les idées nouvelles en 1818, le Vieillard et le Jeune Homme en 1819 et l’Homme sans Nom en 1820. À l’occasion de la mort du duc de Berry, Ballanche composa une Élégie (1820).

Enfin, son ouvrage le plus important fut publié sous ce titre : Essai de Palingénésie sociale. Le premier tome contenant les Prolégomènes en 1827, le second, Orphée, en 1829.

Après avoir réuni ses œuvres en 4 vol. in-8 (1830), Ballanche communiqua à quelques amis la Vision d’Hébal (1831) et s’entretint avec le public en publiant, dans des revues, quelques fragments de la Formule générale de l’Histoire et de La Ville des Expiations.

Ballanche fut reçu à l’Académie française, en 1842, on lui avait précédemment préféré Scribe. Ce fut Mérimée qui lut son discours de réception, et Chateaubriand assista à la séance. Celui qu’on appela le saint Ballanche est mort le 12 juin 1847. Il dort dans le tombeau de famille de Mme Récamier, à Montmartre.


II

Attirés par l’expression lyrique de ses pensées profondes, séduits par la candeur de ses sentiments généreux, les critiques qui se sont occupés de Ballanche ont, jusqu’à nos jours, négligé le caractère proprement philosophique de son œuvre. Toutefois, devant la leçon des faits, ils hésiteraient à le qualifier de rêveur. En effet, si Ballanche a vécu dans le nuage, le nuage s’est ouvert plus souvent que M. de Barante lui-même ne l’a cru, et les temps vécus par les générations présentes rendent, pour ainsi dire, actuel le Socrate lyonnais. On le verra en parcourant ce choix de ses œuvres. Il n’est pas étonnant, après cela, que beaucoup de nos contemporains attendent impatiemment la publication de cet ouvrage grandiose : La Ville des Expiations, qui n’est point, comme on l’a dit trop légèrement, « une utopie enfantine et charmante », puisque des hommes comme saint Augustin et Clément d’Alexandrie y verraient probablement la réalisation de leurs propres pensées.

« Ballanche est une des plus puissantes intelligences comme un des plus grands écrivains de tous les âges. Voilà tout. » Nodier pensait bien. Cependant, ce publiciste, à qui l’on reconnaît volontiers de l’esprit, n’eut pas l’esprit prophétique en ajoutant que l’inspiration de Ballanche était une inspiration orphéique, destinée, comme celles de ce genre, à tomber à la merci des bacchantes. Les bacchantes ne symbolisent-elles pas ici les partis ? Ce serait dire que la Vérité, qui se tient au-dessus des partis, peut souffrir dans son intégrité par nos discussions d’intérêts. Seule, la renommée de Ballanche, qui n’aimait pas « à rester longtemps sur le terrain fangeux que se disputent les factions », devait être, un moment, obscurcie ou laissée au culte trop discret des enthousiastes. Mais le nombre des esprits méditatifs s’étant accru, l’heure d’une demi-publicité a cessé.

Le choix de pensées et fragments que nous éditons aujourd’hui tout en contenant, en substance, le système de celui que Chateaubriand envia, n’a pas la prétention de résumer la doctrine de ce penseur trop méconnu. Ce n’est qu’une introduction à la lecture des œuvres de ce philosophe qui eut une influence si puissante, quoique sourde, sur son siècle.

Quels sont, en général, les titres de Ballanche à notre admiration ; Guillemon qui résuma la pensée de l’auteur d’Antigone, dans un Épilogue à Antigone et l’Homme sans Nom nous le dit : « Il a ressaisi la chaîne dorée par laquelle l’École d’Alexandrie prétendit unir les traditions antiques aux doctrines philosophiques ; mais plus heureux que les Alexandrins, poètes et philosophes, il marche éclairé par le flambeau du christianisme et visite avec assurance les lieux infréquentés de la foule, où est le berceau mystérieux des destinées humaines. »

On le voit : lire Ballanche, ce n’est pas assez, il faut le méditer, s’en pénétrer intimement. Les questions religieuses et sociales qui font l’objet de nos disputes journalières trouvent, dans sa doctrine, une harmonieuse solution.

Enfin, après avoir eu, le premier, le pressentiment du génie du Christianisme, l’Orphée moderne engagea, dans le cours de sa vie, une foule d’esprits dans la voie de la religion ; à ce point même, qu’il aurait pu, nous révèle un contemporain, former une secte. La pureté de ses intentions et la modestie de ses ambitions devaient le garantir de cet écart.

Résumons, en cet instant, les jugements portés sur les œuvres de l’auteur de la Palingénésie sociale, en empruntant la plume d’un Saint-Simonien qui fit retour au christianisme : Alphonse Dory : « Le sens intime de ses ouvrages, le fond de son système, c’est le christianisme : c’est un christianisme philosophique qui sert à expliquer l’homme, à expliquer la société, soit dans le passé, soit dans le présent, soit dans l’avenir. M. Ballanche fait concourir et converger au même but tous les systèmes religieux du monde, l’histoire de tous les peuples, et les réunit dans une vaste unité encyclopédique. »

« Orphée d’une civilisation vieillie, il ne grave pas des hiéroglyphes sur la pierre des obélisques, il ne cache pas l’origine du monde sous les triples voiles de l’initiation, il ne confie pas à des feuilles fugitives les oracles de la sagesse ; mais, armé de nos arts et de nos sciences, il entre, le rameau d’or à la main, dans les ombres du passé, et sous le nom de Tiresias ou de Thamyris, il raconte, il chante ce qu’il a vu. Il unit le goût pur, le sentiment exquis, les proportions élégantes de l’esprit grec, la fécondité allégorique du génie oriental, il célèbre avec le style d’Homère et de Platon, cette lutte des deux principes qui se retrouve dans toutes les cosmogonies primitives : Siva et Vishnou, Osiris et Typhon, Ahriman et Ormuzd. » (Guilhaud de Lavergne.)

Ajoutons seulement, en dépit de certaines insinuations, que les théories de ce penseur ne sauraient être entachées du soupçon d’hétérodoxie.

De nos jours aux faciles enthousiasmes pour la pensée corruptrice ; de nos jours où quelque Nietzsche est l’objet d’un culte après avoir dit que l’arbre de la Croix est un arbre venimeux, il faut se hâter d’opposer de plus en plus, au Verbe de force brutale, le Verbe de paix, de douceur, le Verbe d’amour, enfin le Verbe catholique.

Parmi les œuvres inédites de Ballanche dont nous citons des fragments, se trouvent : la Formule générale de l’Histoire et la Ville des Expiations ; nous nous sommes attachés, autant que possible, à y relever le plus grand nombre de pensées se rapportant à notre plan. Nous en avons choisi également dans toutes les différentes revues où Ballanche a écrit ; ces revues sont presque toujours rares et certaines sont, en quelque sorte, introuvables. Quant aux œuvres publiées, à moins d’indications contraires, nous avons fait usage de la petite édition de 1833.


III

Pour tout ce qui concerne la bibliographie de Ballanche, je renvoie au catalogue dressé par M. Frainnet (Essai sur la philosophie de P. S. Ballanche, Paris, Picard 1903) ; seulement j’ajoute ce qui avait échappé aux investigations de ce critique.


ŒUVRES DE BALLANCHE

Essai de Palingénésie sociale. Tome II : Orphée, avec cette épigraphe :

Treicius longâ cum veste sacerdos
Obloquitur numeris septem discrimina vocum.
(Virg., Æn., vi.)

Paris. Jules Didot aîné 1829, (non signalé par M. Frainnet).


ŒUVRES DE BALLANCHE

publiées dans des revues.


L’Écho de la Jeune France, 1833, T. I, 9e, 10e, 11e livr. :

La Formule générale de l’histoire de tous les peuples appliquée à l’histoire du peuple romain. 2e sécession plébéienne (complète).

L’Écho de la Jeune France, t. I, 10e livr., déc. 1833 :

Noël.

Le Siècle, t. II, 1833 :

Formule générale de l’histoire de tous les peuples appliquée à l’histoire du peuple romain. 2e sécession plébéienne (incomplète).

La France catholique, 1834, 2e vol., 1re livr. : Introduction : Le Dix-neuvième siècle.

Il a paru dans un Dictionnaire de la Conversation un article de Ballanche sur Dieu ; je n’en connais pas la date.

Ballanche publia, en 1834, les Lettres écrites en 1767 et en 1786 par le prince de Condé.

MANUSCRITS DE BALLANCHE CONSERVÉS
À LA
BIBLIOTHÈQUE DE LA VILLE DE LYON

Deuxième carton.

Enveloppe no 4. Troisième sécession plébéienne, prologue, tableau et épilogue.

Ce manuscrit n’est pas de Ballanche comme l’indique M. Frainnet. Il est indiqué comme étant de M. Guillemon ; M. Ballanche, ajoute-t-on, n’y trouvait aucune valeur.

Les nombreux cahiers signalés comme paraissant être de la main de M. Fossati sont réellement de M. Fossati. Ballanche le dit plusieurs fois.


BIBLIOGRAPHIE DE BALLANCHE

A. Mazure : Spiritualisme et Progrès social, ch. II, 1835.

Ce chapitre n’est pas la reproduction de l’article de cet auteur, paru dans la France littéraire.

Ed. de Beauverger. Tableau historique des progrés de la philosophie politique. Paris, 1858, ch. XXI.

René Lavollée. La morale dans l’histoire. Paris, 1892, p. 277-283.

L. Benloew. Les lois de l’histoire. Paris 1881, p. 15-16.

Magasin pittoresque : 1858, article nécrologique.

Mouttet : Écho de la Jeune France. 1835. 4 févr., 5 mars, 15 avril.

Études critiques sur les écrivains contemporains : Ballanche.

Ozanam : Notice sur Ballanche (1848) insérée dans le Tome II des Mélanges. Édition (Œuvres complètes).

Roger de Sezeval (L. Moreau) : J. de Maistre, ses détracteurs, son génie. Paris, Tolra, 1865. p. 58-99.

Roux-Lavergne : De la philosophie de l’histoire, Paris, 1850, p. 156.

Institut catholique. Lyon. 1843, T. III. Études sur les œuvres de M. Ballanche, par Claudius Hébrard.

L’étude de Léonce de Lavergne, introuvable, a été publiée sous forme de trois articles dans la brochure intitulée : Mélanges littéraires et philosophiques, Toulouse. Imprimerie Vieusseux, rue S. — Rome, no 46. 2e partie, mai 1830, août 1831 ; parue sans nom d’auteur.

Il existe un article de la Revue de Bruxelles (1851) et un article de M. Brifaut dans la Gazette de France.

Parmi les publications récentes, outre l’ouvrage de M. Frainnet :

Ch. Huit. Les Œuvres et la Vie de Ballanche, Vitte. Lyon. Paris. 1904.

Ch. Huit : Le traditionalisme de Ballanche. (Annales de philos. chrét., mars 1903).

Ch. Calippe : Un essai de rapprochement entre l’Église et le siècle. Ballanche (Annales de philos. chrét., déc. 1901).

Paul Vulliaud : Ballanche (feuilleton philosophique de la Plume, mars 1905.)