Pensées et Fragments/Philosophie de l’Histoire

Texte établi par P. Vulliaud, Librairie Bloud & Cie (p. 26-40).

PHILOSOPHIE DE L’HISTOIRE




Il y a dans toutes les sciences un premier problème insoluble ; en d’autres termes, Dieu se réserve un secret qu’il ne confie point aux choses, et sur lequel les choses se taisent lorsque nous les interrogeons.

(L’Homme sans nom, Préf., p. lxxxvii, éd. 1832.)


Le premier fait qui se présente dans l’histoire du genre humain est un dogme qu’il faut accepter : celui de l’homme entrant en possession de la responsabilité ; celui du problème qui fut proposé à l’homme pour lui faire acquérir la capacité du bien et du mal.

(L’Homme sans nom, Préf., p. lxxxix, éd. 1832.)


Toutes les origines sont obscures, mais toutes les histoires d’origine disent le fait primitif, d’une manière plus ou moins littérale, plus ou moins emblématique.

(Formule générale de l’histoire de tous les peuples appliquée à l’histoire du peuple romain. 1er fragment.)


Nous marchons vers un temps où l’identité des cosmogonies sera prouvée. Déjà nous savons qu’il y a dans tous les cas des traditions irréfragables, et ces traditions, uniformes lorsqu’on vient à les comparer, ne différant les unes des autres que par quelque chose d’analogue à la différence des langues, indiquent qu’à une époque très reculée l’histoire primitive du genre humain a été connue, du moins dans ce qui n’excède pas les limites de la sphère où se meut notre intelligence.

(Paling. soc., p. 40.)


La Genèse n’est pas seulement une cosmogonie, elle est aussi l’histoire primitive du genre humain.

(Paling, soc., p. 46.)


Les cosmogonies commencent toutes par le récit de révolutions opérées dans les royaumes de l’intelligence, et ces révolutions dues par conséquent à des substances intelligentes.

(Paling. soc., p. 49.)


Les faits sont la réalisation des pensées ; rien ne se passe dans les royaumes de l’humanité agissante, qui ne se soit passé dans les royaumes de l’humanité intelligente et morale ; le genre humain est un ; toutes les histoires des sociétés humaines sont unes et identiques.

(Formule gén. de l’Hist. 1er fragment.)


Nous ne connaissons qu’une partie des plans de la création et de l’ensemble des destinées humaines, ainsi que de l’ensemble de chaque destinée humaine en particulier.

(Paling. soc., p. 130.)


Une loi gouverne le monde physique. Une loi aussi gouverne le monde de l’humanité.

(Formule gén. de l’Hist. 1er fragment.)


L’espèce humaine tend à un but unique, à un principe unique ; tous les hommes y concourent comme individus ; et tous les peuples comme réunions sympathiques d’individus. Les sentiments individuels et les sentiments collectifs sont nécessaires à l’harmonie universelle. Qui connaîtrait le but et le principe connaîtrait la raison de l’histoire. Ce qu’il y a de manifeste c’est le développement, l’évolution. Le tableau des destinées humaines serait donc le tableau du plan général de la Providence marchant à l’accomplissement de ses desseins sur nous.

(Paling. soc., p. 130.)


L’histoire actuelle de l’homme commence par l’histoire de l’expiation.

(Paling. soc., p. 80.)


Toujours l’épreuve doit précéder l’initiation, ou plutôt l’initiation est le prix de l’épreuve.

(Form. gén. de l’Hist. 2e sécession plébéienne.)


Dès le commencement, la Providence a ordonné le progrès par l’épreuve, le mérite par la liberté, le perfectionnement par l’expiation.

(Form. gén. de l’Hist. 1er frag.)


L’histoire du genre humain et l’histoire d’un homme sont identiques ; de plus, l’histoire d’un peuple est identique à l’histoire de tous les peuples.

(Épilogue de la Ville des Expiations.)


Les deux points de vue sous lesquels on peut considérer les choses humaines sont en dernier résultat le Destin et la Providence.

(Paling. soc., p. 33.)


Nous sommes toujours assurés de rencontrer la Bible, lorsque nous arrivons à une certaine hauteur dans les traditions générales du genre humain.

(Paling. soc., 1re addit. aux Prolégom., p. 50.)


À l’origine, nous le savons par toutes les poésies théogoniques et cosmogoniques, l’homme combat les éléments corps à corps ; il brave les feux des volcans, il dompte la fureur des eaux ; il fait l’air et le sol ; la contrée et le climat sont en quelque sorte son ouvrage ; dans les temps de fin, c’est le contraire qui arrive.

(Form. génér. de l’Hist, Revue de Paris, 1829, T. II, p. 141.)


Selon moi, immédiatement après la dernière révolution qui changea la surface de la terre, dès qu’une contrée fut habitable, elle fut habitée. Un instinct analogue à celui des oiseaux voyageurs, inspiré par la Providence divine, convia les familles humaines à se disperser sur tout le globe, à mesure que les eaux se retiraient, à mesure que les volcans cessaient de brûler ; et dans cet antique partage du monde désert, dont nous trouvons la première trace dans la Genèse, chaque chef de l’essaim emporta avec lui une partie des traditions, héritage commun de ces familles humaines primitives.

(Paling. soc., p. 117.)


Partout l’homme a été obligé de conquérir sa demeure. Il a fait le sol où il s’est établi ; ensuite il s’est fait lui-même.

(Paling. soc., p. 215.)


Nulle race n’est sur la terre dans un dénuement absolu de traditions. Pour les peuples ainsi que pour les hommes, imprimer un mouvement à l’intelligence, c’est ébranler la mémoire.

(Orphée, 1. IV.)


Les diverses races humaines ont chacune leurs formes de réalisation, rendues vivantes par le génie, qui réside en elles, et que Dieu leur a données en signe de son alliance.

(Orphée, 1. I.)


Chaque peuple ancien a sa cosmogonie sociale, laquelle est une image, un écho, une transformation d’une cosmogonie universelle.

(1re addit. aux Prolégom. de la Paling. soc., p. 5.)


Les véritables historiens, à mon avis, ont été les poètes, parce qu’ils ont été les historiens de l’homme, du genre humain.

(Inst. soc., éd. 1818, p. 380, ch. xi.)


Il y a, n’en doutons pas, des peuples qui sont types, et qui renferment dans leur histoire, celle des autres peuples.

(Instit. soc., éd. 1818, p. 46, ch. ii.)


Oui, j’en suis convaincu, et ma conviction repose sur l’autorité des siècles ; oui, chaque peuple a sa mission. Les uns lèguent au monde les arts de l’imagination, les autres lui donnent les sciences exactes, d’autres sont établis gardiens des traditions, dépositaires des doctrines primitives.

(Instit. soc., éd. 1818, p. 48.)


Le peuple juif n’était pas seul exclusivement chargé du dépôt de la vérité. Qu’on y réfléchisse, et l’on verra que ce qui conserve les religions fausses, ou les propage, avant comme après la venue de Jésus-Christ, c’est ce qu’elles renferment de chrétien.

(Instit. soc., éd. 1818, p. 51.)


La Providence ne détourne jamais son regard du monde, qui est son ouvrage. Ne disons point que l’homme est délaissé sur la terre, qu’il est abandonné à son propre sens. Les révélations changent de forme, mais elles sont continues. Dieu parle incessamment ; il ne s’agit que de reconnaître sa voix.

(Form. génér. de l’Hist. 1er fragm.)


Les traditions, trop souvent, ont péri par la terrible conquête ; mais la pensée qui fit la vie des traditions perdues, leur survit car toute pensée est immortelle.

(Les Mémoires de M. de Chateaubriand. Rev. europ., 1834, p. 239.)


L’esprit humain marche dans une route obscure et mystérieuse où il ne lui est jamais permis de rétrograder ; il ne lui est même pas permis de rester stationnaire.

(Inst. soc., ch. iii, p. 36, éd. 1818.)


L’esprit humain survit aux catastrophes qui viennent quelquefois changer la face du globe. Une arche mystérieuse, chargée des destinées nouvelles, vogue toujours au-dessus des grandes eaux.

(Inst, soc., p. 39, éd. 1818.)


Toutes les histoires des affaires humaines sont semblables ou analogues ; le cours des sociétés humaines est donc toujours semblable ou analogue, dans tous les temps et dans tous les lieux.

(Form, gén. de l’Hist. Rev, de Paris, 1829, t. II, p. 148.)


Les sociétés vieillissent et meurent, mais elles laissent un héritage qui ne meurt jamais.

(Ville des Expiat., 1. II, 8.)


Les sociétés humaines, diverses et successives, ne sont autre chose que les formes variables de l’humanité, une, identique, immortelle, marchant à ses destinées définitives par la souffrance et l’expiation.

(Les Mémoires de M. de Chateaubriand. Revue Européenne, 1834, p. 237.)


Les sexes, les classes, s’expliquent par des dogmes cosmogoniques ; l’union conjugale et les lois de la société reposent sur la connaissance de ces dogmes.

(Orphée, 1. VII.)


Le genre humain partagé en initiables et en initiateurs, est une idée dérivée d’un dogme caché dans toutes les cosmogonies, le dogme identique de la déchéance et de la réhabilitation.

(Paling. soc., 1re add. aux prolég., p. 10.)


La première faute, attestée par toutes les traditions, la faute qui avait produit la déchéance, avait séparé l’espèce humaine en initiateurs et en initiables ; du moins, c’est sous cette forme que nous apparaît, dans la gentilité, le dogme de la déchéance et celui du médiateur, dogmes éternellement identiques dans toutes les théogonies, dans toutes les cosmogonies.

(Orphée, Epilogue.)


La société a été imposée à l’homme ; à présent, il est temps d’ajouter qu’elle lui a été imposée comme épreuve, comme moyen d’initiation, parce que, dès les temps cosmogoniques, l’homme ayant mal usé de sa liberté, une limite de plus a été assignée à cette liberté, ou plutôt une liberté d’un genre nouveau lui a été accordée pour que son perfectionnement fut son propre ouvrage ; et ici encore, je puis invoquer en témoignage les documents de l’histoire sacrée et de l’histoire profane, qui sont également unanimes sur ce point, que toutes les villes primitives ont été fondées sur le droit d’asile : ainsi toutes sont des villes d’expiations.

(Paling. soc., p. 229.)


Une époque s’ignore ; la Providence dirige en grand, en général, par une loi primitive, à l’insu des hommes qui voient en petit et en particulier, qui voient successivement.

Une époque s’ignore, c’est-à-dire ignore la pensée qui la fait agir, mais Dieu connaît cette pensée : c’est lui qui l’a mise dans la sphère d’activité de l’homme pour qu’il se l’assimile à de certaines conditions.

(Réflex. div. éd. 1833, p. 290.)


Remarquons bien qu’un âge contient en puissance l’âge qui le suit immédiatement.

(Paling. soc., p. 69.)


Le plébéien, après avoir lutté contre les éléments, lutte contre les institutions primitives ; l’émancipation successive est le prix de cette lutte, condition nécessaire et providentielle de tout progrès. L’homme est donc tenu de faire le sol, de faire sa propre intelligence.

Le patricien d’une époque fut le plébéien de l’époque précédente. Ainsi le patricien d’une époque historique fut le plébéien d’une époque héroïque, et le patricien d’une époque héroïque fut le plébéien d’une époque cosmogonique ; car tout est succession, développement, progrès dans la marche des destinées humaines.

(Paling. soc., p. 219.)


La Providence secoue violemment le genre humain pour le faire avancer. Il n’a d’intelligence qu’à la sollicitation de la douleur. N’est-ce pas là le signe de la déchéance ! La prospérité corrompt, les empires périssent dans le luxe et la mollesse.

(Paling. soc., p. 72.)


L’éducation du genre humain est pénible : il faut qu’il mérite ; il faut qu’il se fasse lui-même ; il faut qu’il expie.

(Paling. soc., p. 74.)


La douleur est la loi progressive de l’univers.

(Orphée, 1. II.)


La lettre du fait et du droit se manifeste partout dans l’institution sociale : elle peut être représentée par l’expression de la théorie musicale ; l’accord impossible de la quinte et de l’octave.

(Préf. de l’Homme sans nom, p. 88, éd. 1832.)


Le dogme générateur de la déchéance et de la réhabilitation produit la loi perpétuelle de l’évolution et du progrès.

Ainsi l’évolution et le progrès sont dans la nature de l’homme déchu et réhabilité. Ainsi l’homme s’explique lui-même, et sa nature intime prouve la tradition. La liberté constate la moralité de l’homme. La liberté doit un jour constater la moralité des peuples.

(Préf. de l’Homme sans nom, p. 90.)


Le plébéianisme est l’humanité elle-même prenant possession de la conscience et de la responsabilité de ses actes, c’est-à-dire s’élevant à la capacité du bien et du mal ; car, en dernier résultat, l’émancipation plébéienne n’est autre chose que le don de la capacité du bien et du mal.

(1re add. aux Prolég. de la Paling. soc., p. 59.)


Le christianisme est la dernière initiation de genre humain.

(Épilogue de la Ville des Expiat.)


Le christianisme est la religion éminemment plébéienne, la vraie religion de l’humanité.

(Paling. soc., p. 156.)


Le christianisme non seulement est le but auquel doit tendre l’humanité, mais encore ses mystères, contenus déjà dans toutes les traditions du monde primitif, n’ont jamais cessé d’être l’arôme incorruptible dont furent toujours, intimement et dans leur essence propre, imprégnées les traditions secondaires et même les religions successives.

(Paling. soc., p. 155.)


Les mystères du christianisme sont cachés dans toutes les cosmogonies.

(Orphée, liv. III.)


Le seul avantage que conservèrent les religions anciennes, ce fut de perpétuer le sentiment religieux chez les peuples qui leur furent soumis.

(Inst. soc., p. 165, éd. 1818.)


Lorsque le christianisme parut, l’univers était dans la paix, mais dans la paix de la servitude. Il vint troubler la paix des tombeaux ; il réveillait dans l’homme toutes les facultés nobles et généreuses de sa nature.

(Paling. soc., p. 56.)


La loi des castes a été abolie par Jésus-Christ, puisqu’il venait donner à tous également la loi morale et la confraternité du même culte.

(Paling. soc., p. 65.)


L’inégalité dans le partage des facultés humaines n’a point cessé, seulement elle est individuelle ; tous doivent suivre le mouvement progressif ; nulle race ne peut plus être stationnaire.

(Paling. soc., p. 61.)


Les sociétés n’auraient pu subsister sans l’esclavage, parce que les idées morales, qui n’existent que depuis le christianisme, peuvent seuls contenir une multitude chez qui est la force par le nombre, et en qui le besoin de l’égalité tend toujours à développer tous les instincts sociaux.

(Instit. soc., p. 172, éd. 1818.)


J’ai trouvé ce qui distingue réellement le christianisme de la gentilité. Le vrai christianisme, c’est l’humanité ; la gentilité c’est l’exclusion de l’humanité. Ainsi le christianisme est la religion du genre humain ; et cette expression genre humain était nouvelle au temps de Tacite, chose remarquable, puisqu’elle annonçait l’unité que le christianisme apportait dans l’accomplissement des destinées humaines.

Le temps était venu où il ne pouvait plus y avoir plusieurs essences humaines, où il ne pouvait plus y avoir une religion patricienne et une religion plébéienne.

(1re addit. aux Prolég., p. 60.)


Par le christianisme, plus de double religion, l’une pour le peuple et l’autre pour les sages ; c’est là le dernier degré de l’émancipation du genre humain.

(Paling. soc., p. 156.)


Ainsi, d’abord, lutte de l’homme contre les forces de la nature. Puis, lutte de la liberté humaine contre le Destin. Puis accord de la Providence et de la liberté humaine.

Puis enfin la charité substituée à la solidarité. Et la confarréation universelle, symbole des symboles, immolation perpétuelle et sans fin, sacrifice pacifique qui résume, complète et annule tous les sacrifices, est la grande expression de la religion de l’humanité.

(Vis. d’Heb., p. 80.)


La Providence dans les organisations anciennes, a dû revêtir souvent la forme du Destin ; cette forme s’est retirée successivement par les progrès de l’initiation ; et la Providence va se dégageant de ses voiles. Ainsi on pourrait dire que le Destin est devenu successivement la Providence, comme la solidarité est devenue la charité.

(Préf. de l’Homme sans nom, p. 84, éd. 1832.)


L’espèce humaine a marché d’affranchissement en affranchissement. L’esclavage n’existe que dans les débris des civilisations anciennes.

(Le Vieillard et le Jeune Homme, 5e Entr.)


Toute émancipation en dehors du dogme chrétien est fausse, irréalisable, ne fait que replacer l’homme dans les conditions de la chute primitive, et retarder la réhabilitation de l’humanité.

(Sur les Paroles d’un Croyant, de La Mennais. Rev. europ., 1834, p. 348).


Les idées morales ou intellectuelles mènent bien plus les hommes que les grossiers intérêts de fortune et de subsistance.

(Instit. soc., p. 185, éd. 1818.)


Si le mouvement des opinions peut être rapide, celui des mœurs est toujours mesuré par la longueur du temps.

(Instit. soc., ch. i.)


On n’a jamais rétabli les institutions vieillies par le temps ; jamais non plus on n’a fondé des institutions à priori ; enfin une révolution n’est point une cause, elle ne peut être qu’un effet.

(Le Vieillard et le Jeune Homme, 1er Entr.)


Toutes les révolutions politiques se mêlent ou se lient à une révolution religieuse.

(Instit. soc., ch. vi.)


Remarquons d’abord que dans tous les gouvernements anciens les institutions politiques ont toujours été fondées sur les institutions religieuses ; remarquons ensuite que dans les gouvernements modernes les institutions politiques se sont toujours appuyées sur les institutions religieuses ; remarquons enfin que toutes les questions qui tiennent à l’existence de la société sont des questions religieuses. Aussi, en nous arrêtant sur ce dernier point ; voyons-nous que la révolution actuelle a commencé dans l’Église avant d’être dans l’État. La réformation a été le résultat de discussions théologiques antérieures à Luther, et qui avaient plus ou moins pour objet de secouer le joug de l’autorité, de se rendre indépendant des traditions, de livrer l’Écriture sainte, fondement de la foi, aux interprétations diverses de la multitude ; de là il n’y avait qu’un pas à l’examen de l’origine du pouvoir. Ce pas a été bientôt franchi sous les auspices du Jansénisme et de la doctrine des libertés de l’Église gallicane. Le principe de la révolution a été épuisé dans la société religieuse avant de passer dans la société civile. Nos mœurs nous ont garantis du changement qui nous menaçait comme les autres états, au moment de l’invasion du protestantisme : maintenant nous sommes dans l’heureuse nécessité de rester fidèles à la communion de nos pères.

(Essai sur les Instit. soc., p. 157, éd. 1818.)


Les peuples émancipés par le christianisme auraient déjà triomphé, s’ils avaient compris qu’ils devaient se réunir dans une seule pensée, et que cette pensée devait être une pensée religieuse.

(Paling. soc., p. 279.)


Les mythes anciens disaient que pour accomplir l’initiation, l’initié devait tuer l’initiateur : Voilà pourquoi les patriciens furent si constants à refuser ou à retarder l’initiation plébéienne. Ils avaient bien compris que cette expression mythique, transformée en expression historique, est le symbole d’un fait devant lequel ils devaient toujours reculer. Mais la Providence ne recule jamais. Le christianisme a accompli l’initiation générale par la mort volontaire de l’initiateur ; et cette mort, qui fut l’exécution d’un décret éternel, est la rançon infinie de la capacité du bien et du mal accordée à tous.

(1re add. aux Prolég. de la, Paling. soc., p. 60.)


Les institutions affectent l’état stationnaire ; elles sont destinées à être vaincues par le progrès.

(Form. gén. de l’Hist. 1er fragm.)


Il fallait du temps pour que la morale de l’Évangile, pour que le sentiment chrétien fussent identifiés avec le sentiment social perfectionné. Les paroles d’un Dieu mort pour racheter la noble créature de Dieu, pour partager avec elle le fardeau de la solidarité, les paroles de paix et de vie qui s’adressaient à tous, venaient consoler l’homme exclu de la société par la rigueur des institutions, mais ne l’avaient point fait entrer dans la société.

(Le Vieillard et le Jeune Homme, 5e Entr.)


Depuis l’émancipation par le christianisme, le génie de l’avancement est disséminé dans le monde, mais il y est répandu par une multitude qui est désarmée. Le génie du retardement, au contraire, est concentré dans le petit nombre, mais dans le petit nombre armé de la puissance sociale, de la force d’organisation. À l’origine les sociétés humaines, le génie du progrès était dans le petit nombre, et c’était la multitude qui y apportait des obstacles. Ce génie bienfaisant finissait par remporter la victoire, même sur les forces égales et organisées, parce qu’il est de la nature du genre humain, d’avancer toujours.

(Paling. soc., p. 278.)


La vie que nous menons sur la terre, cette vie, renfermée entre une naissance apparente et une mort également apparente, cette vie n’est dans la réalité qu’une portion de notre existence, une manifestation de l’homme dans le temps. Chaque homme, en arrivant dans la vie future y arrivera avec les perfectionnements auxquels il aura été conduit par les épreuves. Il prendra dans cette vie nouvelle son point de départ du point même où il sera arrivé ; s’il a su mettre à profit les épreuves. Le genre humain a des destinées générales qu’il doit accomplir. Chaque être intelligent et moral, comme être individuel a des destinées différentes, qu’il doit aussi accomplir. Lorsque les destinées générales seront accomplies, les destinées individuelles, rendues à leur indépendance, continueront de subsister, et finiront toutes par être heureuses et bonnes.

(Orphée, 1. VIII.)