Pensées et Fragments/L’Homme. — La Société

Texte établi par P. Vulliaud, Librairie Bloud & Cie (p. 41-50).

L’HOMME. — LA SOCIÉTÉ




L’homme et la société sont des êtres analogues.

(Ville des Expiat., liv. II, 5.)


L’homme a l’intelligence pour comprendre, et le sentiment pour choisir.

(Paling. soc. Prolég., p. 355.)


L’homme n’est jamais né hors de la société, car la société a été nécessaire pour qu’il naquît, pour qu’il devînt un être intelligent et moral, pour que sa vie fût utile à lui-même en l’étant aux autres.

(Inst. soc, p. 218, éd. 1818.)


L’homme est éminemment un être social. Sa longue enfance pendant laquelle il sert de lien à deux êtres, et qui lui est si nécessaire pour se développer graduellement, cette longue enfance, disons-nous, annonce déjà l’intention du Créateur. L’homme a besoin de tout apprendre ; et ses sens ne serviraient qu’à le tromper s’il n’était pas instruit à en rectifier les erreurs. Il ne peut naître que dans la famille, et la famille ne peut exister que dans la société. Son intelligence, comme lui-même, ne peut naître que dans la famille, et comme lui-même encore ne peut se développer que dans la société. Cette assertion est également vraie pour le sentiment moral.

(Inst. soc, éd. 1818, p. 216.)


L’homme s’il était seul, serait un être incomplet, sans but, sans facultés, sans avenir.

(Inst. soc., éd. 1818, p. 218.)


L’homme a trouvé toujours la société existante, n’importe à quel degré de perfection ; il n’a pu, par conséquent, fonder la société. Il n’a pas même été libre de choisir l’état social, car la société lui a été imposée comme les autres conditions de son existence.

(Inst. soc., p. 219.)


Nos facultés existent toujours en nous ; les circonstances et les enseignements ne les créent point, ils ne font que les manifester.

(Orphée, 1. III)


La société a été imposée à l’homme, non comme un moyen de parvenir au bonheur, mais comme un moyen de développer ses facultés.

(Le Vieillard et le Jeune Homme.)


À mesure que l’homme s’élève dans la sphère de l’intelligence, il augmente en lui les facultés de la douleur. (Orphée, l. III)


L’animal sait tout ce qu’il doit savoir ; l’homme doit tout apprendre.

(Paling. soc., p. 358.)


Une des choses qui distinguent l’homme de la brute, c’est, dans l’homme, la faculté d’enfreindre la loi de son être.

(Paling. soc., p. 329.)


L’homme en sa qualité d’être intelligent et moral, est destiné au progrès, car sans cela il serait réduit à l’instinct, ce qui n’est pas.

(Ville des Expiat. ; Séance d’initiat.)


L’individu n’est être moral que comme être libre. La moralité entre dans les peuples par la liberté. La liberté fera que les masses ne seront pas purement instinctives.

(Ville des Expiat. ; Séance d’initiat.)


L’homme a été enfermé par la Providence entre deux limites qui sont les bornes de sa liberté. Ces deux limites sont la parole et la société.

(Inst, soc., ch. ix.)


L’homme se perfectionne au moyen du milieu social où il se trouve placé.

(Paling. soc., Prolég., p. 356.)


Le sort des hommes dépend les uns des autres ; ils sont solidaires entre eux.

(Paling. soc., Prolég., p. 356.)


L’homme, c’est-à-dire l’intelligence, l’essence humaine, a été tiré du domaine de l’éternité pour passer dans le domaine du temps. La pensée alors est devenue successive. C’est ainsi que l’homme est devenu perfectible, c’est-à-dire susceptible de s’avancer jusqu’à ce qu’il soit arrivé au degré relatif de perfection qui lui est propre. Nulle créature humaine n’échappe à cette loi. Tous tendent au même but, et tous doivent finir par y arriver.

(Paling. soc., p. 36.)


Dieu qui a donné à l’homme l’instinct social a donné en même temps à la société l’instinct du perfectionnement et de la durée, parce qu’il a voulu que l’homme dût à la société et son intelligence et son sentiment moral.

(Le Vieillard et le Jeune Homme.)


L’homme est un être incomplet, destiné à se compléter successivement par sa propre intelligence, par sa propre volonté ; il ne peut rien pour l’avancement et la perfection de sa nature ; tant qu’il est dépourvu du sentiment religieux ou du sentiment social, c’est-à-dire du sentiment qui le met en rapport avec Dieu, et de celui qui le met en sympathie avec ses semblables.

(Orphée, 1. II.)


L’homme ne peut naître que dans la société, comme nous l’avons déjà dit ; par conséquent il ne peut se propager que dans la société.

(Inst. soc., p. 277, éd. 1818.)


L’amour chez l’homme est un sentiment moral ; ce n’est que par dégénération qu’il se transforme quelquefois et qu’il devient l’irrésistible appétit des sens comme chez les animaux.

(Inst. soc., p. 276, éd. 1818.)


Les hommes isolés peuvent obéir à mille mauvais penchants ; réunis, une révérentielle honte, comme disait Montaigne, vient les saisir, tant il est vrai que Dieu a placé un instinct moral dans la société.

(Inst. soc., p. 338, éd. 1818.)


La véritable dépravation de l’homme, c’est l’état sauvage et le dégoût de la société. La solitude ne vaut rien à l’homme, parce qu’elle n’est pas son état naturel.

(Inst. soc., p. 292, éd. 1818.)


Celui qui a fait l’homme l’a fait être social et collectif. C’est pour cela qu’il lui a donné une enfance nécessiteuse et une vieillesse infirme.

(Orphée, 1. VIII.)


Les éléments qui constituent le bonheur de l’homme ne se trouvent que dans la société : ce n’est que là qu’il peut jouir du charme des affections.

(Inst. soc., p. 285, éd. 1818.)


L’homme ne vit pas avec autant d’intensité dans le temps qu’on le pense. Tantôt c’est à sa gloire future qu’il sacrifie son repos actuel, tantôt c’est à sa patrie, tantôt c’est à ses enfants, tantôt enfin, c’est à une félicité dont les trésors ne peuvent s’ouvrir pour lui qu’au delà du tombeau. L’infini est toujours au fond de son cœur.

(Instit. soc., p. 160 ; éd. 1818).


Tout se passe au fond de notre cœur ; et c’est notre cœur seul qui donne à tout l’existence et la réalité.

(Orphée, liv. II)


L’homme a beau être convaincu par la raison ; s’il n’est pas persuadé par le sentiment, jamais une bonne pensée ne deviendra une bonne action.

(Du sentiment, p. 48.)


Savoir et aimer, voilà tout l’homme. Il est donc appelé à développer à la fois, ou successivement, par la société son intelligence et son sentiment moral. Je crois même que le développement du sentiment moral ne peut être complet, ne peut approcher d’être complet, que par le plus grand développement possible de l’intelligence. Les décisions du sentiment moral, lorsqu’il est fortement exalté dans de hautes intelligences, finissent bientôt par être à l’usage de tous. Les sympathies de l’humanité rendent communs le bien et le mal. Voyez ce qui se passe chez les enfants. Le sentiment moral ne s’y manifeste qu’avec l’intelligence, qu’à l’aide et en proportion de l’intelligence.

Peut-être serait-il permis de dire que l’intelligence n’est qu’un instrument pour hâter l’évolution d’un sentiment moral : de là la nécessité des lumières pour rendre l’homme meilleur, pour accomplir le retour vers la loi primitive de notre être.

De là le besoin des lumières pour un peuple, à moins que vous ne preniez la responsabilité de ses actions en le rendant esclave, c’est-à-dire à moins que vous ne suspendiez la loi chrétienne.

(Paling., soc., p. 332).


Perfectionnez autant que vous le pourrez votre être puisque plus tôt vous arriverez à la perfection qui vous est accessible, plus tôt vous arriverez à l’état définitif qui vous est destiné.

(Réfl. div., p. 320.)


Il serait bon que l’homme songeât moins à s’élever, lui, qu’à diriger dans l’avancement ses enfants ou ses petits-enfants.

(Inst. soc., p. 299.)


L’homme, avant d’avoir reçu tous ses développements, montre d’avance ses instincts sublimes, et prédit sa gloire future.

(Orphée, 1. III.)


L’homme a besoin de croire, sa raison cherche un appui, son cœur cherche un soulagement. Lorsqu’il renie les croyances générales, dans sa profonde misère, il demande aux puissances invisibles des superstitions pour son esprit, et il embrasse avec avidité celles que sa raison naturelle repousserait le plus.

(Préface générale, t. I, éd. 1833, p. 27.)


L’homme n’a jamais trouvé l’inspiration en lui-même ; il l’a toujours puisée hors de lui, ou dans une révélation directe, ou dans les traditions religieuses et sociales, ou dans l’imitation.

(Inst. soc., ch. x, p. 304.)


Toutes les fois que la société a cessé d’être gouvernée par les traditions, le besoin d’une révélation s’est toujours fait sentir.

(Inst. soc., p. 361, éd. 1818.)


Nos mœurs sont fondées sur le christianisme ; le christianisme ne peut disparaître de la société sans que la société elle-même ne disparaisse.

(Inst. soc., p. 154, éd. 1818.)


L’homme n’invente rien ; ce que Dieu ne lui a pas enseigné directement, il le lui enseigne par la société.

(Inst. soc., p. 272, éd. 1818.)


Les pensées des hommes sont faites pour se féconder mutuellement.

(Orphée, 1. II)


La société est, si l’on peut parler ainsi, un instrument nécessaire à l’homme et les révélations dont la société est dépositaire sont le seul moyen par lequel l’homme ait pu parvenir à connaître et à aimer. L’erreur des philosophes vient de l’analogie qu’ils ont cru pouvoir établir entre l’homme et les animaux ; ils ont pensé que l’homme était un animal plus parfait. De cette première erreur il n’y avait pas loin à celle qui faisait croire que l’homme s’était successivement perfectionné lui-même. L’homme n’est point un animal plus parfait que les autres et plus perfectible ; c’est l’homme. Il n’est pas plus élevé dans la sphère des êtres, il est hors de cette sphère.

(Inst. soc., p. 275, éd. 1818.)


L’homme n’accomplit pas toutes ses destinées dans ce monde : la religion entre dès cette vie dans les voies préparatoires de l’autre monde. Elle saisit dans l’homme ce qui de sa sphère actuelle appartient à sa future sphère d’activité. Notre vie mortelle est un moyen, et non une fin. La société aussi est un moyen, et non une fin.

(Réflex. div., p. 312.)


L’homme est destiné à lutter contre les forces de la nature, à les dompter, à les vaincre : si, durant cette lutte pénible, il veut prendre quelque repos, c’est lui qui est dompté, qui est vaincu ; il cesse en quelque sorte d’être une créature intelligente et morale.

Cette lutte contre les forces de la nature est une épreuve et un emblème ; le véritable combat, le combat définitif est une lutte morale.

(Paling. soc., Préface.)


On ne fait pas attention que la vie sociale est un état de souffrance, comme la vie humaine en général.

(Instr. soc., p. 293, éd. 1818.)


La paresse est la passion dominante de l’homme : s’il travaille, c’est pour parvenir au repos. Mais le travail lui a été imposé, et il n’y a pour lui de repos que dans la mort.

Il lutte contre la société comme il lutte contre la nature, car sa vie est un combat dans tous les modes de son existence.

(Inst. soc., p. 281, éd. 1818.)


La poitrine de l’homme est un instrument qui n’a su rendre jamais que des sons plaintifs et son cœur ne peut se mettre en harmonie qu’avec la douleur. Voilà pourquoi les récits empreints de tristesse et de souffrance vivent dans la mémoire. Les autres sont dénués de charme et de poésie ; ce sont des contes qui amusent un instant son enfance, alors que l’expérience n’a pas encore détruit ses illusions, alors que sa jeune imagination sourit à l’avenir.

(Sixième fragm., p. 369, édit. 1833.)


Nous serions bien moins étonnés de souffrir si nous savions combien la douleur est plus adaptée à notre nature que le plaisir. L’homme à qui tout procède selon ses vœux oublie de vivre. La douleur seule compte dans la vie, et il n’y a de réel que les larmes.

(2e fragm., p. 343.)


L’égoïste est une sorte de vampire qui veut nourrir son existence sur l’existence des autres. L’être personnel se fait centre ; il croit que les pensées des autres ne sont bonnes qu’autant qu’elles peuvent servir à illustrer sa propre pensée : le monde des abstractions, le monde des réalités, tout doit être à son profit. Il veut exciter l’admiration, et non faire du bien. Peu satisfait d’exercer de l’influence autour de soi, et d’en recevoir du milieu social où il se trouve placé, il veut régner par son intelligence, et ce n’est pas pour cet usage qu’une intelligence lui fut accordée.

(Paling. soc., p. 336.)


La véritable mission de la société est de protéger les individus, de développer les facultés de l’homme, de perfectionner le genre humain.

(Ville des Expiat., liv. II, 6.)


La société ne peut se créer qu’en formant le lien domestique ; la propriété sorte d’identification de l’homme avec la terre par la culture y devient sacrée par les tombeaux ; et c’est ainsi que le genre humain tout entier peut parvenir un jour à n’offrir qu’une seule et grande famille.

(Orphée, liv. II)


Dieu qui a fondé la société a voulu que le lien de la société fût l’amour.

(Le Vieillard et le Jeune Homme.)


La charité est le remède définitif des misères humaines.

(Ville des Expiat., liv. IV, 6.)


La charité est le lien qui unit ce monde à l’autre, le passé et l’avenir, le temps mobile et l’immobile éternité.

(Ville des Expiat., liv. II, 4.)


Du malheur au crime, souvent la pente est rapide. Substituons au châtiment l’épreuve pour les uns, l’expiation pour les autres.

(Ville des expiat., liv. II, 6.)


Dans les peines on regarde toujours l’utilité de la société ; ne serait-il pas temps enfin de compter pour quelque chose l’utilité du coupable lui-même, de ne pas l’exclure de toute confraternité humaine.

Solidarité et charité, telle est toute la destinée humaine dans le monde actuel.

(Réflex. div., p.326.)


Faites que le travail soit certain de son salaire et de sa récompense, et que l’homme laborieux ne puisse pas craindre d’être réduit au pain de l’aumône.

(Ville des Expiat., 1. III. 1.)


Non seulement le christianisme gouverne la société ; j’oserais dire qu’il est la société elle-même.

(Réflex. div., p. 342.)