Pensées de toutes les couleurs/DES PASSIONS HUMAINES

Calmann-Lévy, éditeurs (p. 91-108).


DES PASSIONS HUMAINES


Aimer, admirer, travailler : les trois plus grandes joies.

La colère n’aime pas les miroirs. Ou elle les brise, ou elle s’y voit.

Les concessions sont la menue monnaie du dévouement.

Les joies passent sur notre âme comme des oiseaux ; les douleurs s’y incrustent comme des rochers.

Les vrais dévouements sont ceux que l’on sait devoir rester ignorés.

Traînant sur les sentiers douloureux de la vie
Le poids de ses chagrins — qu’il juge les plus lourds —
Un malheureux trouve toujours
Un plus malheureux qui l’envie !

La bonté qui prend sa source dans la faiblesse n’est pas la vraie bonté ; mais c’est la plus facile et, par suite, la plus répandue.

La femme qui aime très tendrement est au fond contente de voir son mari un peu souffrant — oh ! très peu ! C’est une occasion de lui montrer qu’elle lui est indispensable.

Il est souverainement injuste, au point de vue moral, de rendre les enfants responsables des fautes de leurs parents ; mais, au point de vue social, cette responsabilité retient bien des parents au bord de la faute.

Méprisons la gloire, c’est convenu. N’empêche qu’à en juger par la joie que cause le plus mince succès, la gloire est une « particulière » dont il doit être rudement agréable de faire la connaissance.

La jeunesse aime les miroirs ; la vieillesse aime les fauteuils.

Le libéralisme, c’est la justice en politique. Et c’est pour cela qu’il y a si peu de vrais libéraux.

La liberté doit s’arrêter là où commence la licence. D’accord ! Mais où la licence commence-t-elle ?

La liberté est une belle formule, mais n’est qu’une formule. Toute liberté se heurte à d’autres libertés aussi respectables qui lui barrent le chemin. Si bien que le plus certain, au milieu de toutes ces libertés contraires… c’est qu’on n’est jamais libre !

La mer, agitée à la surface, est calme dans ses profondeurs. Combien d’êtres humains, au contraire, troublés profondément, montrent un visage immobile et des yeux calmes !

Pour les âmes tendres, Dieu, au déclin de la vie, apparaît un peu comme la chère maman défunte, à qui l’on contait ses grandes peines et ses petits chagrins.

Les mauvais cœurs ne pardonnent qu’une chose à autrui : c’est d’être malheureux.

Nous ne compatissons vraiment qu’aux maux — physiques ou moraux — dont nous avons souffert.

C’est le médecin qui fait croire à la médecine comme l’être aimé fait croire à l’amour.

Le mépris est une forme très fréquente de l’envie.

On vit par plaisir, par devoir, par curiosité, par habitude,… parfois même par la seule volonté de ne pas mourir.

En bien comme en mal, l’amour est le grand modificateur de la vie.

On a souvent moins de mérite à faire le bien qu’à éviter le mal.

L’insensible nature se refait après l’orage. Après les grandes douleurs, certaines âmes restent à jamais meurtries.

Tout le plaisir des jours est dans leurs matinées ;
La nuit est déjà proche à qui passe midi.

Ces vers délicieusement naïfs du bon Malherbe ne sont vrais que pour la jeunesse. La nuit — qui verse l’oubli — n’est jamais assez proche pour les vieillards.

L’oubli… La mort… Deux grands oiseaux funèbres qui planent sur tout amour humain comme sur une proie assurée à l’un ou à l’autre, tôt ou tard.

Ne peut-on définir ainsi le rire : oubli de la vie — oubli brusque, passager, et à forme spasmodique ?

Certains optimistes béats se révoltent quand le malheur entre dans leur maison. Ils n’ont donc jamais regardé autour d’eux ?

L’amour du pays est si profondément implanté chez les gens simples, qu’ils admirent à peine les beautés d’un ciel qui n’est pas le ciel natal.

La santé, l’amour, l’argent, l’honneur : les quatre points cardinaux de la vie.

Il entre toujours un peu de vanité dans les affections humaines. Si nous aimons les petits enfants, c’est aussi parce que nous avons conscience de leur être indispensables et de leur apparaître comme de grands animaux très forts, qui pourraient les briser — et qui les protègent.

La pitié est souvent aveugle. Elle va d’élan au jeune homme plein de santé qui se casse la jambe et s’en remettra vite ; elle ignore le vieillard las de vivre et dont la mort ne veut pas.

Nos admirations vraies devraient s’amplifier de toutes les admirations fausses que nous prodiguons journellement.

Dans la nature, les orages d’automne ressemblent aux passions de l’arrière-saison dans l’âme humaine. Ce sont les dernières plaintes désespérées de l’été qui finit et de l’amour qui se meurt.

Les épreuves bien supportées sont autant de bons points pour le Ciel.

Le silence est parfois la plus grande preuve de l’amour.

L’espoir est le pain quotidien de l’âme.

Le rire est le propre de l’homme, a dit Rabelais. On peut ajouter que la larme est le propre de la femme : elle en a toujours une — ou deux — à son service.

Vivre sans aimer, c’est regarder sans voir.

Pour ceux qui s’aiment véritablement, la douleur du départ est plus vive que la joie du retour.

La bonté peut parfois rendre bête, mais ridicule, jamais.

On devrait créer des « Écoles de renonciation » où les hommes, dès la soixantaine, iraient chaque année faire une petite cure, de préférence au printemps. Il y aurait la classe des sexagénaires, celle des septuagénaires, celle des octogénaires et au delà. Cette dernière classe n’exigerait qu’un local restreint.

Aussitôt réalisé, le désir est déjà proche du regret.

Il est aussi déraisonnable de reprocher à quelqu’un d’être né dans telle ou telle religion que de lui en vouloir d’être brun ou blond.

La reconnaissance n’est vraiment complète que quand, au souvenir du service passé, ne se joint pas l’intérêt du service à venir.

La résignation des vieillards n’est qu’une longue habitude de la vie.

Liberté, Égalité, Fraternité : devise surhumaine, inventée par les hommes un jour… et oubliée le soir même.

La liberté sans la licence ; la religion sans le fanatisme ; l’esprit sans la méchanceté ; l’amour sans la trahison ou le dégoût, et tant d’autres choses sans tant d’autres choses… Quel rêve !

Avec le temps, les douleurs morales s’atténuent et les douleurs physiques s’oublient.

L’amour brûle, la tendresse réchauffe.

La satisfaction d’un désir réalisé s’augmente de tout le temps qu’a duré ce désir.

Triompher de petites difficultés prévues et voulues procure une série de petites joies. De là, sans doute, l’origine des jeux sportifs et autres.