Pendant l’orage/Rapprochements

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 79-80).

RAPPROCHEMENTS



1er  janvier 1915.


Je trouve, dans la Dépêche de Toulouse, cette citation, relevée dans Tacite au premier livre des Annales. Un général romain, lieutenant de Germanicus, harangue ses légions : « Que la sagesse règle nos ardeurs. Restons dans les tranchées. Attendons le moment propice pour refouler l’ennemi. Puis nous prendrons l’offensive qui nous mènera jusqu’au Rhin. » Dirait-on pas que c’est le général Joffre lui-même qui vient de parler ? L’histoire se répéterait-elle à ce point que les mêmes mots puissent servir à caractériser, à travers les siècles, les mêmes situations ? Non, sans doute, et ce n’est là qu’une illusion, qui vient de ce que, dans deux situations analogues, on ne prend qu’un détail particulier ou bien qu’on ne se sert que d’expressions tellement générales qu’elles peuvent convenir à des circonstances qui ne sont pas très éloignées l’une de l’autre. La langue latine fixe admirablement les traits généraux et manque de précision pour le détail. Au commencement du dernier siècle, on a pu écrire un résumé d’histoire de la Révolution, en ne se servant que de citations ou centons d’historiens latins. Mais ce genre de littérature ne sert qu’à jeter de la confusion dans les esprits. Il n’en est pas de même d’une simple citation appropriée qui nous montre qu’il n’est pas de circonstances absolument uniques. J’avoue même que j’ai un faible pour ces rapprochements, tout en me rendant compte de leur inanité fondamentale. Cela amuse les esprits énervés par une longue attente. Cela calme leur impatience et c’est aussi d’un bon enseignement philosophique. Le même article se terminait par cette réflexion de Vauvenargues, qui est en effet à méditer : « Le contemplateur, mollement couché dans une chambre tapissée, invectivera-t-il contre le soldat qui passe les nuits de l’hiver au bord d’un fleuve et qui veille en silence, armé pour le salut de la patrie ? »