Pendant l’orage/Comment la nommer ?

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 107-108).

COMMENT LA NOMMER ?



21 février 1915.


Et d’abord aura-t-elle un nom particulier en dehors de celui des années où elle se déroule ? On ne désigne pas autrement la guerre de 1870-71, qui a désormais perdu tout droit à la désignation particulière de guerre franco-allemande, car si on la nommait encore ainsi, on pourrait demander à laquelle ? M. Pitollet examine cette question dans le dernier numéro de l’Intermédiaire et parmi les noms qu’il indique, comme déjà employés ou proposés, il est curieux que ne figure pas le nom le plus employé en France, au moins par l’imagerie, et qui est la Grande Guerre. Cela répond assez aux expressions adoptées ou proposées, soit par les Anglais (La Guerre européenne), soit par les Allemands (La Guerre mondiale). Il y a encore bien d’autres expressions qui ne sont pas des plus mauvaises, quoiqu’elles ne caractérisent qu’un aspect des choses, comme Guerre des Alliés. Quant à Guerre des nations, cela est un peu vague, car toute guerre mérite ce nom-là. Au fait, est-ce que le soin de nommer une guerre appartient aux contemporains ? Est-ce que ce sont les contemporains qui baptisèrent la guerre de Cent ans ou même la guerre de Trente ans ? Laissons faire les historiens. Ils trouveront bien quelque chose qui sera accepté par tous. Pour les acteurs ou les témoins d’une guerre qui retentit dans le monde entier, il n’y a qu’un mot acceptable, au moins provisoirement, la Guerre. C’est celle-là, celle où l’on participe, celle que l’on voit se dérouler sous ses yeux, et non une autre. La guerre dont nous souffrons est la seule qui nous importe. Un qualificatif ne fait que l’amoindrir. Vraiment, il est bien inutile de lui chercher un autre nom. C’est la guerre, avec ses horreurs, ses deuils, ses héroïsmes et tout ce que les Allemands y ont ajouté de barbarie et de stupidité.