Pendant l’orage/Brunswick

Librairie ancienne Édouard Champion (p. 109-110).

BRUNSWICK



27 février 1915.


Le nom de Brunswick lu dans un journal et signalé comme un camp de prisonniers français ramène mon esprit sur Stendhal, qui séjourna à Brunswick, en 1806, comme inspecteur du mobilier et des bâtiments de la couronne. Il avait vingt-cinq ans et se trouvait faire figure de maître dans un pays, hier encore ennemi, mais qui ne songeait plus à l’être. La docilité de tant de petits et grands royaumes allemands à accepter le vainqueur, ses soldats, ses fonctionnaires, est surprenante. Beyle, à Brunswick, ne trouva que des sympathies et lui-même sympathisa fortement avec les femmes du pays, sur lesquelles il donne des détails qui prouvent leur obéissance. Si je restais ici quelque temps, dit-il, j’établirais un petit sérail. Comme ces guerres de Napoléon étaient franches et honnêtes, qu’elles laissaient peu d’amertume aux vaincus ! Beyle, malgré les femmes et tout en travaillant de son métier d’intendant, s’ennuyait fort à Brunswick. Il n’en étudia pas moins les mœurs du pays, et si bien qu’il y prit l’idée d’une étude générale sur l’Allemagne, qu’il n’a jamais écrite ni commencé d’écrire, à moins qu’on y rattache le Voyage à Brunswick, qui a été publié en 1898, par M. de Mitty. Le pays lui semble affreux ; les routes sont si mauvaises qu’elles en sont un danger, si bien que les voitures passent à travers champs. Les paysans sont mous, paresseux, stupides. La nourriture, selon son expression, y est bétifiante : soupe à la bière, choucroute, rôti avec salade de racines de choux, le tout d’une odeur détestable. Comme fruits, je cite Standhal : « Des fraises, mais allemandes, ça veut dire grosses, belles et sans parfum. » Mais ce sont les lits qui lui rendent la vie le plus pénible, car les draps sont inconnus et l’on couche entre deux coussins. Et cela continue, nous donnant la vision d’un petit coin de la vieille Allemagne sans grâce et sans goût.