Peintures (Segalen)/Peintures magiques/Paysage

Georges Crès et Cie (p. 36-37).

Ne vous détournez donc pas. Regardez ce qui est devant vous : une grande étendue, un


PAYSAGE,


le premier déroulé jusqu’ici parmi les Peintures Magiques dont il fait la septième. Et pourtant à la Chine, les poètes ivres du pinceau se nomment premiers contemplateurs de la terre. Ils en ont senti l’expression. Ils en ont reçu le regard : ils ont gardé sa face sur la face. Et voici ce qu’ils ont vu :

Peu de ciel, et beaucoup de sol. Des monts entassés qui sont l’œuvre et le témoin et l’effort de la terre. Des nuages tombant des nues et pénétrant et soulevant les épaulements solides des monts. La plaine, à peine acceptée, savoureuse, nécessaire : elle se laboure, s’ensemence, se récolte, mais ne se peint que rarement. Point d’homme ici, ou juste ce qu’il faut pour imposer une stature humaine. Mais ne concluez pas à une absence, encore moins à une impuissance à peindre son semblable ou son portrait : c’est vous-mêmes, Spectateurs, qui devez, mieux qu’un mime de théâtre, tenir le rôle de l’homme ici : et de la sorte :

Le peu de ciel qui persiste, coiffe votre front. L’écorce de la montagne vient plaquer sur vos yeux son grand masque. Les deux versants, propices aux échos, encapuchonnent vos oreilles. Il n’y a point d’hommes autres que vous ? Mais le Paysage, bien contemplé, n’est pas autre lui-même, que la peau, — trouée par les sens, — de l’immense visage humain.