Peintures (Segalen)/Peintures magiques/Reflet dans des yeux

Georges Crès et Cie (p. 33-35).

Ce qui suit est encore un


REFLET DANS DES YEUX


de jeune fille, évidemment ; — cette coiffure et ce maintien ! Ces yeux mêmes regardant droit vous et moi… ou peut-être par dessus nos épaules, dans cet espace derrière nous ? (Ne vous retournez pas).

Aucune émotion n’est révélée par ce visage. Le front délicat est poli ; les sourcils, posément arqués ; les cils ne cillent pas ; les plis du nez ne plissent pas, ni les lèvres ne serrent ou s’abandonnent… Voyez encore : cette voussure chaste des épaules, et les mains croisées sur le ventre par pudeur et bonne éducation, comme pour un salut qu’elle va faire, ou cacher les hontes encombrantes du mariage. Enfin, une grande pureté.

Cependant, vous voudriez savoir quel mirage ou quel tour de pensée donne à tout le jeune corps ce maintien discret…

Eh bien ! regardez la, droit aux yeux, comme elle semble faire pour nous. — Si le Peintre est l’égal des Maîtres, (de celui qui, dans les prunelles du bouvier, enfermait l’image parfaite du bœuf, avec ses taches, son poil et son licol,) si le Peintre fut scrupuleux et perspicace, le REFLET DANS DES YEUX doit contenir tout ce qu’ils voient ou rêvent. Fixez les donc, de tout près…

— Oh ! Ce mirage minutieux, merveilleux, magiquement enclos dans le petit bouclier luisant ! On y discerne, dit le commentaire, « deux filles nues des pieds aux seins, l’une sur les genoux de l’autre qui la berce et la caresse de ses doigts. » (On distingue jusqu’au bout des doigts !) Quelle conscience dans le métier du Peintre ! C’est donc la scène que le pur visage reflète et contemple décemment.

Mais les yeux cependant se fixent bien droit dans les nôtres. Le reflet, alors, d’où vient-il ?

Des nôtres ? De cet espace qui est derrière nous ?