Paulin (Tome 2p. 122-126).
Le mariage  ►
Deuxième partie


CHAPITRE XIII.

CORRESPONDANCE.


Madame de Hansfeld revint assez satisfaite de son entretien avec M. de Brévannes. En songeant à la proposition qu’il lui avait faite de lui présenter Berthe, Paula éprouvait des ressentiments étranges : d’abord, sachant l’amour d’Arnold pour madame de Brévannes, elle avait voulu jouer un perfide et méchant tour à M. de Brévannes, espérant jouir ensuite de la confusion de M. de Hansfeld lorsqu’il serait reconnu par Berthe (Paula ignorait qu’Arnold eût révélé son véritable nom à Pierre Raimond).

Lorsqu’elle avait fait part à Iris de la prochaine présentation de madame de Brévannes à l’hôtel Lambert, la bohémienne s’était écriée en tressaillant de joie :

— Maintenant… vous n’avez plus rien à désirer… vos vœux seront comblés quand il vous plaira de me faire un signe.

En vain Paula avait voulu forcer Iris à s’expliquer davantage ; celle-ci s’était renfermée dans un silence absolu après avoir seulement ajouté :

— Réfléchissez bien, marraine… vous me comprendrez.

La princesse avait réfléchi.

En arrêtant d’abord sa pensée sur M. de Hansfeld, elle s’était demandé ce qu’il lui inspirait depuis qu’il l’avait soupçonnée des crimes les plus horribles… Elle ressentait autant de haine que de mépris contre lui, haine contre l’homme capable de concevoir de tels soupçons, mépris pour l’homme assez faible pour ne pas accuser hardiment celle qu’il soupçonnait.

Paula était doublement injuste ; elle oubliait qu’Arnold l’avait passionnément aimée, et qu’il n’avait tant souffert que par suite de cette lutte entre son amour et ses méfiances…

Chose étrange, elle n’avait jamais aimé son mari d’amour : elle était passionnément éprise de M. de Morville, et pourtant elle se trouvait blessée de l’amour du prince pour Berthe ; rien de plus absurde, mais de plus commun que la jalousie d’orgueil.

Si la pensée de madame de Hansfeld se reportait sur M. de Morville, à l’instant ces trois mots sinistres flamboyaient à sa vue :

Si j’étais veuve !

Et elle n’osait pas s’avouer qu’elle eût été satisfaite si l’une des tentatives d’Iris avait réussi.

Nous l’avons dit, rien de plus fatal que de familiariser sa pensée avec de simples suppositions qui, réalisées, seraient des crimes ; si monstrueuses qu’elles paraissent d’abord, peu à peu l’esprit les admet d’autant plus facilement qu’elles flattent davantage et incessamment les intérêts qu’elles serviraient.

Cela est funeste… la vue continuelle d’une proie facile éveille les appétits sanguinaires les plus endormis.

Rentrée chez elle, Paula réfléchit longtemps aux paroles mystérieuses d’Iris, à propos de la présentation de Berthe à l’hôtel Lambert.

— « Maintenant vous n’avez plus rien à désirer… quand il vous plaira vos vœux seront comblés. »

Un secret instinct lui disait que du rapprochement du prince, de M. de Brévannes et de Berthe, il pouvait résulter de graves complications ; mais que pouvait y gagner son amour à elle, pour M. de Morville ?

À ce moment, madame de Hansfeld fut interrompue par Iris.

— Que voulez-vous ? — lui dit-elle brusquement.

— Marraine, un commissionnaire vient de m’apporter une enveloppe à mon adresse ; dans cette enveloppe était une lettre pour vous.

Paula prit la lettre et tressaillit.

Elle reconnut l’écriture de M. de Morville.

Ce billet contenait seulement ces mots :

« Les circonstances, madame, me forcent à un parti extrême… J’adresse à tout hasard ce billet à votre demoiselle de compagnie… Un affreux et dernier coup accable le malheureux auquel vous avez déjà daigné tendre la main… il n’a pas désespéré de votre pitié… aujourd’hui même avec ces paroles magiques : Faust et Manfred, vous pourrez sinon le rendre à la vie… du moins adoucir son agonie. »

Un moment madame de Hansfeld ne comprit pas la signification de cette lettre. Puis tout à coup s’adressant à Iris :

— Quel jour sommes-nous aujourd’hui ?

— Jeudi, marraine.

— Jeudi… non, ce n’est pas cela… — se dit madame de Hansfeld — j’avais cru… mais… — reprit-elle avec anxiété — n’est-ce pas aujourd’hui la mi-carême ?

— Oui, marraine… quelques masques ont passé dans la rue.

— Oh ! je comprends… je comprends — s’écria madame de Hansfeld — et courant à son secrétaire elle écrivit ces mots à la hâte :

« Ce soir, à minuit et demi, à l’Opéra, au même endroit que la dernière fois, Faust et Manfred !… un ruban vert au camail du domino. »

Puis, cachetant et donnant cette lettre à Iris, elle lui dit :

— Voici la réponse, remettez-la…

Iris sortit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le soir, à minuit et demi, au bal de l’Opéra, Léon de Morville et madame de Hansfeld, tous deux masqués comme ils l’étaient lors de leur première entrevue, se rencontrèrent au fond du corridor des secondes loges à gauche du spectateur, et entrèrent dans le salon de l’avant-scène où avait eu lieu leur premier et leur dernier entretien.