Patrimoine et Identité/Le patrimoine, marqueur identitaire

LE PATRIMOINE, MARQUEUR IDENTITAIRE.

J’ai choisi d’utiliser l’expression « marqueur identitaire » en référence à un ouvrage publié par le Groupement Culturel Breton des Pays de Vilaine, consacré au Pays d’Oust et de Vilaine . En effet dans ce chapitre, je vais essayer de montrer que les divers éléments du patrimoine présents dans la commune des Fougerêts sont des marqueurs de l’identité locale. Le chapitre consacré au patrimoine ethnologique a déjà illustré certaines caractéristiques de la culture locale. Toutefois, l’identité fougerêtaise, c’est un ensemble de données à la fois humaines, culturelles, naturelles, etc. J’ai, ainsi, pu mettre en place une typologie de l’identité locale autour de deux grands axes, la ruralité et la bretonnité. Je vais également m’interroger sur la réalité d’une identité pour tous et, par la même, à l’idée d’un patrimoine pour tous.


UNE IDENTITE RURALE.

La ruralité est une notion particulièrement difficile à définir. Le monde rural est souvent considéré comme une image négative du monde urbain. Mais ce n’est pas toujours le cas. Une commune rurale (c’est à dire de moins de deux mille cinq cents habitants) ne présente pas toujours certaines particularités économiques du monde rural, comme la prédominance de l’agriculture. Je pense donc que la ruralité est multiple, en ce sens qu’il existe de nombreux indices qui tendent à la prouver. Je vais donc tenter de relever les divers aspects du patrimoine local sur lesquels repose le caractère rural de la commune et de ses membres.

Un patrimoine rural.

J’affirme donc, dans un premier temps, que l’identité fougerêtaise est rurale. La ruralité s’appuie sur des éléments particuliers. Il s’agit du faible nombre d’habitants, du paysage et de ses éléments naturels, des activités économiques, des formes architecturales et de traits culturels. Je pense avoir mis en évidence tout au long de cette étude les relations fortes entre le paysage naturel et ses richesses, les constructions humaines, les activités économiques et certains aspects de la culture de la communauté. En effet, les marais au Sud de la commune et la forêt au Nord ont contraint les membres de la communauté locale à adapter leur mode de vie. Par exemple, les métiers secondaires étaient indispensables comme autre source de revenu que celle de l’exploitation de la terre. Je pense que les habitants de Launay ou de la Chesnais péchaient l’anguille plus volontiers dans l’Oust et le Canal de Nantes à Brest que ceux des Zéreux. A l’inverse, les habitants de Saint-Jacob s’orientaient vers des métiers liés à l’exploitation du bois sous toutes ses formes . Les divers aspects de l’architecture locale, des bâtiments et de l’orientation économique confirment également la ruralité du patrimoine et par-là même de l’identité communale. La ruralité, je pense, c’est utiliser au mieux les richesses naturelles locales. A part quelques exceptions comme à la Cordonnais, Bel-Air et au Bourg, les maisons des Fougerêts sont construites en schiste. Cette richesse géologique a permis à la communauté, au cours des siècles, de constituer un patrimoine bâti de grande valeur. Jusque dans les années cinquante, certains Fougerêtais, par exemple un agriculteur de la Chesnais, ont encore utilisé les ardoisières de la Ville Caro dans la construction de bâtiments annexes aux exploitations agricoles. La ruralité s’exprime dans les rapports étroits entre les hommes et l’environnement. L’orientation agricole de la communauté locale appuie davantage cette ruralité. Par exemple, les efforts de recensement du « petit patrimoine bâti » par la Municipalité et les particuliers ont souligné la présence d’un nombre important d’éléments du patrimoine vernaculaire. La commission patrimoine a, en effet, relevé une cinquantaine de puits et quinze fours à pain . Ces éléments sont les symboles forts d’une vie agricole. Ils font partie intégrante de ces maisons rurales et paysannes décrites précédemment. Ils caractérisent également un aspect communautaire du mode de vie de la communauté. L’utilisation des puits et des fours avant le remembrement était le plus souvent collective . Les habitants du hameau puisaient de l’eau au puits pour la maisonnée ou pour les bêtes. Ces usages collectifs matérialisent généralement le monde rural, et par conséquent peuvent symboliser certaines différences qui peuvent paraître fondamentales avec le monde urbain. La ruralité s’exprime, enfin, à travers la culture de la communauté. Les nombreuses manifestations de la culture locale sont liées aux activités économiques et à des croyances que je peux qualifier de rurales. En effet, la fabrication du cidre, l’utilisation du lin et du chanvre et la présence du surnaturel sont caractéristiques du monde rural, en ce sens que ces manifestations n’existent généralement qu’en campagne. Ici également, l’identité rurale se définie par rapport à l’identité urbaine. La culture de la communauté des Fougerêts peut être qualifiée de rurale car elle est différente, dans de multiples aspects, d’une culture urbaine.


La ruralité des Fougerêts existe donc par divers éléments de son patrimoine, étroitement liés entre eux. La communauté, et ses expressions, se sont construits progressivement dans un paysage de campagne et autour de celui-ci. Toutefois, cette identité rurale fougerêtaise ne peut véritablement exister sans être vécue par la population.

Les Fougerêtais et l’identité rurale de la commune.

A travers les observations faites sur le terrain et les entretiens, j’ai pu relever de la part de la population une façon d’exprimer un certain attachement à cette identité rurale. Je vais essayer de comprendre la manière dont cela se manifeste. Ce sont les actions locales de la Municipalité, des associations et des particuliers qui sont les preuves les plus probantes de cet attachement. En effet, j’ai pu souligner un réel intérêt pour la connaissance et la sauvegarde de certains aspects du patrimoine rural de la commune. Par exemple, les tentatives de réhabilitation et de reconstruction des haies bocagères illustrent une volonté forte des différents acteurs locaux de protéger un paysage rural. Les haies bocagères sont les symboles d’un paysage de campagne à l’état brut, même si ces haies sont des constructions humaines. Si les agriculteurs s’investissent dans ces actions, cela montre qu’ils sont attachés à un paysage dont les avantages, oubliés lors du remembrement, sont aujourd’hui indispensables . Les maisons dites traditionnelles, qui sont nombreuses aux Fougerêts, peuvent illustrer un intérêt pour ce qui a attrait au monde rural et à ses expressions, en ce sens que ces habitations sont généralement occupées et restaurées. Une part non négligeable des habitants des Fougerêts, qui ont décidé de rester dans leur commune d’origine pendant leur vie active, ont souvent réinvesti les habitations familiales. C’est une des raisons pour lesquelles il y a très peu de maisons relativement modernes, postérieures aux années cinquante.

Toutefois, les actions locales sont, en fait, les résultats de manières personnelles de ressentir le patrimoine et la communauté. L’identité rurale de la commune s'atteste, dans les témoignages, par les nombreuses références aux sens, aux souvenirs et aux rapports entre les habitants.

En conclusion de plusieurs entretiens, j’ai demandé aux personnes interrogées si elles  pouvaient définir ce qu’est un Fougerêtais. J’ai été surpris par les réponses fournies. En effet, les formules les plus développées de H3, H5 et F7 sont les mêmes : «  Un Fougerêtais, c’est quelqu’un qui quand il rentre dans un bar, il dit bonjour à tout le monde. » Cette auto définition souligne l’importance des rapports entre les membres de la communauté. Je pense qu’ici aussi l’identité locale se construit négativement par rapport au monde urbain. Pour les Fougerêtais, ce monde urbain est un milieu où les individus ne se connaissent pas et ne se fréquentent que très rarement. Ils pensent affirmer leur différence identitaire dans l’existence de rapports particuliers entre les membres de la communauté locale. Pour préserver ces rapports entre les hommes, certains Fougerêtais sont même plutôt sceptiques vis à vis du développement de la commune . La ruralité pour les habitants de la commune s’affirme à travers un réel attachement à des rapports humains, qui sont pour eux symboliques  du monde rural et particulièrement des Fougerêts. 

Les souvenirs que j’ai pu recueillir lors des différents témoignages se réfèrent à un monde rural. Les personnes, qui ont quarante ans aujourd’hui, se souviennent des après-midi passées à garder les vaches dans les marais, des jeux avec les autres enfants auprès de la rivière et des parties de pêches. L’Oust, jusqu’au début des années soixante-dix, n’était pas franchissable hormis par les gués. F8 se rappelle devoir traverser en compagnie des vaches, l’Oust, avec de l’eau jusqu’à la taille. Beaucoup de ces souvenirs sont en rapport avec les activités agricoles. Les familles possèdent généralement des photographies où « le grand-père» pose, fièrement, devant l’objectif avec ses bœufs et sa charrue. Le joug pour les bœufs est, bien souvent, lui aussi conservé par les familles ; par exemple, afin d’en faire une rampe pour des lumières intérieures. H2 se souvient également des mariages et anniversaires organisés dans les prés sous le soleil où l’excès de cidre pouvait être dangereux. Pour beaucoup d’habitants de la commune, la ruralité se vit au travers des souvenirs d’enfance auxquels ils sont particulièrement attachés. Les caractères ruraux de la commune se matérialisent aussi par les nombreuses références aux sens (odorat, goût, vue, ouïe et toucher). Ces sens renvoient en fait à des odeurs, des bruits, etc. que je peux qualifier de ruraux. Les bruits, les odeurs et les goûts de la campagne sont omniprésents lorsque les habitants évoquent certaines particularités de la commune. Par exemple, H3 et sa femme se souviennent, avec nostalgie, des senteurs de blé dans le bocage d’antan. F8, lors d’une ballade, se rappelle la couleur rose des champs de blés et le bruit du vent dans le blé. De jeunes Fougerêtais m’ont aussi parlé du goût et de l’odeur du jus de pomme « bio » qui leur fait penser au foin et aux pommes broyées, c’est à dire au pressoir et à la fabrication du cidre. L’attachement à l’identité rural de la population des Fougerêtais est illustré par les actions des acteurs locaux ; mais plus spécialement, elle s’observe auprès des membres de la communauté à travers des souvenirs, la perception sensorielle de l’environnement et des pratiques, et la façon d’évoquer les rapports humains pour se définir. L’identité rurale fougerêtaise se construit et se vit de façon négative face à l’identité urbaine. Les Fougerêtais sont finalement des ruraux puisqu’ils ne sont et ne veulent pas être des urbains.


UNE IDENTITE BRETONNE.

L’étude du patrimoine des Fougerêts a pour objectif de mettre en évidence les caractéristiques locales d’une identité bretonne. Cependant, il me semble assez difficile de définir ce qu’est le patrimoine breton, et ce qu’est être Breton. En effet, comme le souligne Michel Denis : « la notion d’identité (…) reste difficile à préciser, d’autant plus que l’identité bretonne ne constitue pas une essence, quelque chose de permanent en dehors du temps, mais qu’elle évolue et qu’elle dépend fortement du regard d’autrui. » Je dois donc dégager les principaux caractères de l’identité bretonne. Celle-ci s’appuie principalement sur certaines particularités culturelles de la Bretagne . C’est donc à partir du patrimoine culturel des Fougerêts que je vais pouvoir affirmer l’identité bretonne de la communauté locale. C’est à travers, par exemple, la langue gallèse, les usages « traditionnels », c’est à dire la musique et la danse, ou bien encore certains caractères religieux que la commune des Fougerêts s’inscrit en Bretagne et plus précisément en Haute-Bretagne.


Les illustrations d’une identité bretonne.

Même si la notion de bretonnité s’appuie principalement sur le patrimoine culturel, le modèle agricole est une autre caractéristique de cette identité. « Les Bretons sont les héritiers d’une civilisation à dominante rurale (…) », souligne Michel Denis, où l’agriculture a été et demeure fortement présente. L’évolution de l’agriculture, son état actuel dans ses productions et ses formes d’exploitations, peuvent être considérées comme symboliques de la Bretagne. En effet, il existe aujourd’hui un modèle agricole breton. L’évolution qui a abouti à ce modèle peut s’observer aux Fougerêts, et c’est ici la première illustration de l’identité bretonne. Les petites exploitations familiales qui existaient, il y a encore trente ans, ont totalement disparues au profit de grandes ou de moyennes exploitations. Les chiffres du recensement agricole 2000 indiquent une forte augmentation des exploitations de plus de trente-cinq hectares. Les « paysans-ouvriers », de la fin des années soixante-dix, n’existent plus . Le remembrement a accompagné et favorisé cette évolution vers une agriculture intensive, très éloignée de l’agriculture « traditionnelle » tournée le plus souvent vers l’auto subsistance. Même si Les Fougerêts, reste une commune fortement rurale, sa population n’est plus une population agricole. C’est là une caractéristique de l’évolution de la Bretagne depuis le début du XX ème siècle. Ceci me semble être l’aboutissement d’un long phénomène qui a débuté par l’exode rural, dont la commune des Fougerêts a été également fortement marquée.

Les traits culturels de la communauté locale sont les exemples les plus forts de l’identité bretonne. Ce sont eux qui illustrent parfaitement la bretonnité de la commune des Fougerêts. Tout d’abord, l’utilisation de la langue gallèse inscrit Les Fougerêts en Haute-Bretagne. Il s’agit, en effet, de la langue « traditionnelle » de cette division intérieure de la Bretagne. Le Gallo, je l’ai déjà montré, est fortement présent dans de nombreux domaines de la communauté, à la fois dans la toponymie, les chansons, les termes techniques, etc. Il présente une réelle richesse par son vocabulaire et la diversité des prononciations. Malgré les nombreux efforts des chercheurs et des pratiquants, le Gallo n’a pas encore la force symbolique de la langue bretonne pour la majorité de la communauté. Il demeure même, pour certains Fougerêtais, toujours une sous-langue, un patois qui n’est utilisé que par les plus anciens. La bretonnité de la commune des Fougerêts s’affirme également à travers les usages que sont la musique et de la danse. Là aussi, il est possible de souligner l’appartenance de la communauté locale à un ensemble plus large, celui de la Haute-Bretagne. En effet, le corpus de chanson, les instruments, le Gallo, les types de danse sont typiques de la Haute-Bretagne. Les chanteurs ou « chantoux » s’expriment le plus souvent en Gallo et utilisent un corpus de chants communs à la Haute-Bretagne, à part quelques exceptions liées au terroir. Il n’est pas possible d’affirmer et de prouver qu’une chanson est exclusivement originaire d’un lieu puisque le plus souvent, il existe d’autres versions et d’autres lieux où ces chants peuvent être collectés. Les instruments utilisés sont également le plus souvent les mêmes, bien qu’il existe certaines particularités locales. Aux Fougerêts, et dans les Pays de Vilaine, les groupes de musique « traditionnelle » sont rarement composés de violonistes. Les musiciens sont, le plus souvent, des accordéonistes, des joueurs de biniou et de bombardes . Les danses pratiquées aux Fougerêts illustrent également l’appartenance à un même terroir. L’animatrice du Club de Danse explique qu’il n’y a pas de danses typiquement fougerêtaises, mais que ces danses sont « bretonnes », c’est à dire qu’elles se pratiquent généralement partout en Bretagne, et spécialement en Haute-Bretagne. Les types les plus courant sont la ridée, nouvelle ronde qui se développe au XIX ème siècle, le rond de Saint-Vincent, la polka-piquée, le pilé menu et le passe-pied . La bretonnité de ces aspects culturels locaux s’affirme, en outre, dans les pratiques. En effet, le chant, la musique et la danse, qui sont parfois associés, caractérisent un pan du renouveau culturel breton au cours de la seconde moitié du XX ème siècle. Durant cette période, les festoù-noz se sont développés, ainsi que le nombre de pratiquants. Les fêtes locales aux Fougerêts sont, aujourd’hui, bien souvent animées par des musiciens locaux, et des rondes se forment spontanément . L’identité bretonne se retrouve dans les types « traditionnels » de danses, de chants et de musique mais aussi dans des pratiques beaucoup plus récentes.

La bretonnité de la communauté fougerêtaise se retrouve, enfin, dans certains aspects du patrimoine religieux. Il ne s’agit pas de confondre l’identité bretonne et l’identité religieuse, mais de souligner certaines particularités et usages locaux caractéristiques d’une culture et identité religieuse bretonne. Ces usages sont donc puisés dans le patrimoine religieux de la commune mais aussi dans son histoire religieuse. Il y a aux Fougerêts plusieurs formes du patrimoine religieux qui sont caractéristiques du patrimoine breton, et donc de l’identité bretonne. Dans un premier temps, la Grotte de Rochenais est une illustration de la bretonnité de la communauté locale. L’étude de Michel Lagrée, Religion et cultures en Bretagne 1850-1950, cite l’importance du pèlerinage à Lourdes. La construction de ces grottes illustre la piété religieuse des élites locales et de la population dans le dernier quart du XIX ème siècle. En effet, «  (…) on retrouve souvent « la famille noble » qui cède le terrain (…) [afin de construire] (…) les fausses grottes [qui] ramènent Lourdes en Bretagne. » Il existe, à ma connaissance, deux grottes naturelles ou artificielles dans un périmètre de trente kilomètres autour de Redon. L’une se situe au Dresny, près de Pléssé et l’autre à Dréfféac, entre Pontchâteau et Saint-Gildas-des-Bois. Autour de cette Grotte de Rochenais, un pèlerinage s’est construit très rapidement. L’organisation d’un pardon, à partir de 1985, est aussi symptomatique d’une représentation de l’identité bretonne. Michel Lagrée pense que les «  (…) pardons (…) ont fini par représenter (…), une sorte de marqueur ethnographique intemporel (…) » aux yeux des élites religieuses et des pratiquants . La Grotte de Rochenais est une illustration locale de l’identité bretonne fougerêtaise. La bretonnité des Fougerêts s’appuie également sur une histoire religieuse locale qui a de nombreux points communs avec celle étudiée par Michel Lagrée. Je vais pour cela me fonder sur plusieurs exemples qui me paraissent caractéristiques de l’identité religieuse bretonne. Il s’agit, en fait, de mettre en évidence la religiosité de la communauté mais aussi de souligner le rôle de l’encadrement religieux sur cette communauté. La religiosité populaire et la puissance du clergé s’affichent, dans un premier temps, dans la participation active de certains habitants à l’agrandissement du Calvaire de Pontchâteau. Cet immense tertre artificiel, construit dans le cadre d’une mission du père Grignion de Montfort à partir de 1709, devient «  (…) au XVIII ème siècle un haut lieu de pèlerinage (…) » . Le bulletin paroissial de janvier 1974 rappelle que le 3 mars 1898, « L’abbé Le Texier (…) voulut que sa paroisse participa aux travaux (…) Dans ce but, il fit venir le Père Barré qui parla du Père de Montfort et de son œuvre, et 180 paroissiens répondant à son appel et à celui de leur prêtre s’en furent à Pontchâteau (…) ». La ville de Pontchâteau se situe à environ cinquante kilomètres des Fougerêts. Les paroissiens volontaires prirent alors, peut-être pour la première fois, le train . Cet exemple montre, avec force, l’influence du « recteur » sur les paroissiens. C’est environ 15 % de la population de la commune qui se rend à Pontchâteau  ; et je pense que nombre d’entre eux ont gardé longtemps ce souvenir avec honneur . L’identité religieuse bretonne s’observe, enfin, à travers l’étude des archives communales et dans un document iconographique très intéressant. J’ai pu récolter une carte postale qui représente une manifestation devant l’église paroissiale contre l’inventaire des biens de l’Eglise. L’inventaire des biens, qui dépendent de la fabrique paroissiale des Fougerêts, est organisé le 10 avril 1906 sous la direction de M. Caillibotte. C’est contre l’incursion de la République dans les affaires de l’Eglise que la population se masse devant l’église et pose pour la photographie. Les hommes sont armés de fourches, même les femmes et les enfants sont présents. Cette illustration n’est pas unique. Il existe de nombreuses autres cartes postales qui mettent en scène cette manifestation populaire contre la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée en 1905. Cependant, peu de ces documents concernent de petites communes. Ce document peut également être utilisé en complément de l’étude des Délibérations du Conseil Municipal. En effet, entre 1869 et 1908, j’ai pu relever de nombreux conflits entre les autorités locales et l’autorité préfectorale. Ces heurts concernent plus précisément le poids de la religion dans la société locale et un certain rejet de la République. Il y a deux principaux points qu’il est nécessaire d’évoquer plus longuement : le rôle de l’Eglise dans l’éducation et les problèmes liés aux biens spoliés par la République . La Municipalité, de la fin du XIX ème siècle, dirigée par les notables locaux ( MM. de Foucher, de Freslon et de Kersabiec ) est très réticente à la laïcisation de l’école communale des garçons. Les délibérations du 18 avril 1888 illustre une affection aux Frères de Ploërmel, qui « (…) dirigent l’école communale (…) avec un dévouement (…) qui leur ont acquis l’estime, la confiance et l’affection de plusieurs générations (…) » . Le rôle des congrégations religieuses dans l’éducation est particulièrement apprécié par la population . Les Frères de Ploërmel et les Sœurs de Saint-Jacut ont longtemps éduqué les jeunes habitants de la commune. Les écoles publiques sont restées éphémères . Aujourd’hui encore, il n’y a qu’une seule école. Le nombre d’enfants, qui la fréquente, montre qu’il y a toujours un attachement à l’institution religieuse aux Fougerêts .

L’importance de la religiosité et la puissance du clergé local s’observe dans les problèmes liés à la Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat. Pour Michel Lagrée, ces conflits sont récurrents en Bretagne : «  (…) les motifs préférentiels de heurts entre les pouvoirs temporel et spirituel, en milieu rural, concernent le patrimoine immobilier après la Séparation, et tout spécialement les presbytères. A partir de 1907 et 1908, des contestations éclatent ici ou là sur les conditions de location au clergé ou sur l’entretien des bâtiments (…) » . Ce phénomène s’observe aux Fougerêts entre les autorités locales favorables au clergé, soutenues par l’Evêché, et l’autorité préfectorale. Le motif de contestation est le prix de location du presbytère au « recteur » de l’époque. Le préfet est souvent considéré comme une autorité inférieure à l’épiscopat puisque la Municipalité fait approuver ses décisions par l’Evêché. Le presbytère est, finalement, loué au « recteur » en fonction pour une durée de huit ans renouvelable, pour soixante-quinze francs annuels, et exonéré d’impôts sur les fenêtres. Le conflit est farouche, entre la Municipalité, qui affirme au Préfet que son «  (…) droit d’approuver n’est pas celui de régler et d’imposer ses conditions (…) », et le représentant de l’Etat qui dénonce «  (…) qu’en votant cette clause l’assemblée municipale a violé la loi (….)» . Ce n’est que lorsque l’Evêché organise le regroupement des paroisses que la Municipalité des Fougerêts retrouve le presbytère comme bien communal . H2 affirme que l’épiscopat a été très réticent à céder cette demeure. Il existe véritablement une identité bretonne aux Fougerêts. Celle-ci prend consistance dans l’observation de certains aspects de son patrimoine mais aussi en s’attachant à l’histoire locale de la communauté.

Les Fougerêtais et leur bretonnité.

Les habitants de la commune ont-ils le sentiment d’appartenir à une même communauté bretonne ? Comment vivent-ils cette identité bretonne ? Lors des entretiens, de nombreux témoins ont évoqué le fait « D’être des bretons mais pas comme ceux de là-bas. » Cela signifie que ces Fougerêtais ont conscience d’être bretons mais d’une autre manière. Je vais donc relever les éléments à travers lesquels les habitants de la commune expriment leur bretonnité. Je pense tout d’abord que la bretonnité des Fougerêtais s’observe dans l’omniprésence du chant, de la musique et de la danse, expressions populaires de l’identité culturelle bretonne. L’organisation de festoù-noz avec des groupes « traditionnels » locaux, des collectes, de la création d’un Club de Danse bretonne sont des pratiques contemporaines qui participent à ce que Michel Denis et Ronan Le Coadic appellent « l’identité revendiquée » . Ronan Le Coadic affirme, en effet, que « (…) les festoù-noz sont devenus un grand élément unificateur des cinq départements. Il en va de même du chant et de la musique. Et de ce point de vue-là, la danse et la musique sont certainement les meilleurs symboles identitaires que l’on puisse imaginer pour notre avenir commun. » Après une évolution subie, par les plus anciens, qui a modifié énormément la communauté, ses références, son environnement naturel, culturel et religieux, les Fougerêtais ont bénéficié des travaux et des actions d’associations et de particuliers locaux mais aussi des Pays de Vilaine. C’est grâce à cette revendication d’un héritage que les Fougerêtais ont construit leur identité. Cette bretonnité s’appuie sur un fond traditionnel, préservé et transmis, et s’organise autour de pratiques individuelles et collectives. Les Fougerêtais font preuve d’une « bretonne-attitude », c’est à dire qu’ils ont su préserver certains traits culturels « traditionnels », su parfois les rechercher et les transmettre aux nouvelles générations par imprégnation et apprentissage. L’ensemble des acteurs locaux utilise ce travail préliminaire pour affirmer une identité fougerêtaise, aux caractères bretons. C’est à partir de cette identité que la commune peut se développer et être attractive ; mais surtout, il s’agit pour une commune rurale, d’être vivante et cela autour de sa bretonnité. L’identité fougerêtaise est également une identité gallèse. C’est en ce sens qu’il faille comprendre l’expression « (…) pas comme ceux de là-bas » . Cette différenciation s’appuie sur la langue gallèse qui est pour beaucoup de témoins, la seule différence avec les bas-bretons. L’identité bretonne se vit à travers des pratiques hérités dans des formes nouvelles, telles que les festoù-noz, les stages de danse et de musique. La langue est pour les Fougerêtais la seule différence avec les bas-bretons.

LE PATRIMOINE, MARQUEUR D’UNE IDENTITE COMMUNE ?

Il convient maintenant de s’interroger sur la réalité d’une identité commune. Les éléments du patrimoine sur lesquels se construit l’identité fougerêtaise sont-ils les mêmes selon les générations ? Les Fougerêtais en 2002 se sentent-ils tous ruraux et bretons ?

Certains domaines du patrimoine des Fougerêts n’existent que par les souvenirs. C’est le cas par exemple pour le bocage. Seuls les plus âgés se souviennent des chemins creux, des petites parcelles de blé, des senteurs et des couleurs. Ce sont eux qui véhiculent les souvenirs de vaches menées à paître dans les marais. Dans le même esprit, pour F8 et son frère H7, la fabrication du cidre constituait un moment fort de l’année. Leurs enfants y ont assistés dans leur jeune âge, se souviennent du grand-père, attaché à broyer les pommes, mais aussi à l’odeur et au goût de foin du jus de pomme frais . Les enfants de ces enfants n’y assisteront probablement pas, et ce patrimoine ne sera plus le leur, mais celui de leurs parents et grands-parents. Les marqueurs identitaires peuvent être différents, bien entendu, selon l’âge. Cependant, comme je l’ai montré, il existe chez l’ensemble des Fougerêtais un attachement à certains éléments patrimoniaux (la nature, la religion, le chant, les relations humaines, etc.) et leurs transmissions. Ici, ce n’est pas l’âge qui est l’élément déterminant dans la perception du patrimoine et dans la construction d’une identité. Il s’agirait plutôt d’une envie personnelle et collective de conserver, d’affirmer et de construire une identité à travers des éléments qui peuvent apparaîtrent comme symboliques . Par exemple, lorsque H3 affirme que la commune ne doit pas trop s’agrandir, c’est pour préserver sa définition d’un Fougerêtais. Je pense qu’il désire que les Fougerêtais se connaissent encore tous, et que « (…) quand ils rentrent dans un bar, ils disent bonjour à tout le monde (…) ». Les participants à la Passion affirment leur attachement personnel à un élément patrimonial, et par-là également leur appartenance à la communauté. Ils sont fiers de faire perdurer quelque chose de rare, que leurs parents et grands-parents ont déjà fait. La pratique du chant, de la musique et de la danse dans diverses occasions montrent un attachement à la bretonnité de la communauté locale.

Les observations et les divers entretiens m’ont montré que le patrimoine fougerêtais était fortement marqué par une société « traditionnelle » bretonne. Ce patrimoine est empreint d’un paysage caractéristique, de pratiques, d’usages et de croyances liées à un monde rural et aux activités agricoles. L’identité de la communauté se construit à partir de cet héritage. La cohérence et le dynamisme des actions locales font en sorte que cette identité peut être considérée comme commune à l’ensemble de la population.


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