Georges Crès et Cie (p. 23-45).

BRUGES ET ANVERS

Bruges et Anvers ! La ville mystique et la ville sensuelle. À elles deux, elles expliquent l’âme flamande. L’une produit la peinture où la ferveur se fait visible ; l’autre, celle où la volupté s’étale. Toutes deux sont puissantes. Leur richesse semble soutenir leur art. Elle est fondée sur les échanges et sur le travail.

Les ducs de Bourgogne sont les maîtres de Bruges ; les Espagnols — surtout sous Albert et Isabelle — sont les protecteurs d’Anvers. Les uns et les autres se sont signalés d’abord par la tyrannie et la cruauté. Pourtant peu à peu leurs fureurs s’endiguèrent. Il y eut une accalmie si pas une paix.

Sous Philippe le Bon et même sous Charles le Téméraire, Bruges fut un lieu de splendeur et de fête. Sous Albert et Isabelle, Anvers devint un séjour de culture. Une imprimerie magnifique — l’imprimerie Plantin — y dispersa les livres de science et de théologie. Au seizième siècle pourtant, la religion s’était déjà dépouillée de son ardeur profonde. Les papes païens de Rome l’avaient comme vidée de sa force ascétique. Elle était devenue tout extérieure et toute pompeuse.

Il y avait encore de la croyance, il n’y avait plus d’exaltation. Les églises en style baroque — chez nous, ce style fut appelé le style jésuite — ressemblaient à des palais abondamment ornés. Les dieux et les déesses de l’Olympe y tenaient leurs assemblées. Ils s’y transformaient en saintes, en anges, en martyrs.

L’ensablement du port de mer de Bruges fit affluer du Zwyn vers l’Escaut tout le négoce du Nord et du Sud de l’Europe. « En 1503, dit M. A.-J. Wauters, les Portugais et puis les Espagnols y envoient les produits de leurs nouvelles colonies ; les Anglais les suivent. » En 1516, on y compte déjà plus de mille comptoirs étrangers. Anvers devient la ville de l’Europe centrale, commune à toutes les nations. Il y a souvent sur son fleuve jusqu’à dix mille cinq cents vaisseaux, chargés de marchandises de tous les pays ; le mouvement d’entrée et de sortie du port s’élève presque chaque jour à cinq cents bâtiments, Des navires avant d’y pénétrer doivent parfois attendre deux ou trois semaines.

Par terre, le trafic n’est pas moindre. Plus de deux mille chariots arrivent chaque semaine d’Allemagne, de France et de Lorraine. Aussi l’ambassadeur de la Cité des lagunes, débarquant en 1551 sur les bords de l’Escaut, s’écrie-t-il en étudiant Anvers : « Venise est dépassée ! »

La ville compte 120.000 habitants. Presque chaque rue a son théâtre. Le plus ancien journal publié en Belgique et peut-être dans l’Europe entière y paraît. Il se nomme la Courante.

Avant Anvers, Bruges fut la reine des eaux flamandes, son port ouvre ses bras de pierre à la marine marchande du monde entier. Lisbonne, Gênes, Venise lui envoient leurs vaisseaux clairs et bariolés. Hambourg, Brême, Lubeck, Amsterdam, Londres dressent leurs mâts jaunes, et carguent leurs voiles brunes dans ses canaux. Par jour, cent navires font leur entrée dans Bruges. Elle fait partie de la Hanse. Mille comptoirs s’y sont établis. Au greffe du tribunal, on trouve des protocoles de notaires rédigés en huit ou dix langues différentes.

Bien qu’aucun des grands maîtres qui illustrent son école ne soit né dans ses murs, elle réunit tous leurs noms dans sa gloire. Van Eyck naquit probablement à Maeseyck, Memling arriva d’Allemagne, Van der Weyden vit le jour à Tournai, Hugo Van der Goes à Gand, Tierry Bouts à Haarlem, qu’importe ! Ils expriment tous la civilisation opulente et religieuse de Bruges.

La cour bourguignonne tient du moyen âge et annonce la Renaissance. Elle est encore imprégnée de foi, mais déjà la sensualité s’y étale sous les derniers ducs.

La raison en est fort simple. Les artistes étant l’élite d’une nation subissent toujours le grand courant de la civilisation générale. Toutes les idées directrices leur sont connues. Ils se meuvent dans une même atmosphère de vérités et d’erreurs. Même les hommes de génie la respirent, avant de s’en libérer les poumons, et de créer une atmosphère autre ou nouvelle.

Le mysticisme et le sensualisme flamand, que Bruges et Anvers incarnèrent, furent également affirmés par les deux plus grands génies que la Flandre ait produits : Van Eyck et Rubens. Qu’il me soit permis de citer les deux poèmes, que dans Toute la Flandre, je consacre à l’œuvre magnifique, mais diverse, de ces maîtres. Voici les strophes dédiées aux Van Eyck :

VAN EYCK

L’or migrateur qui passe où s’exalte la force
Avait choisi jadis, en son vol arrogant,
Pour double colombier glorieux, Bruge et Gand,
Dont les beffrois dressaient, au grand soleil, leurs torses.

Les deux cités dardaient un pouvoir inégal,
Mais un égal orgueil vers l’avenir splendide,
Comme les deux Van Eyck, vastes cerveaux candides,
Dressaient d’un double effort leur art théologal.


Ce dont l’âme rêvait devant les tabernacles,
Ce que la foi montrait de ciel aux yeux humains,
Ils l’ordonnaient, patiemment, avec leurs mains
Pour que leur œuvre fût comme un calme miracle.

La claire vision des paradis nouveaux,
Ils l’évoquaient en un tranquille paysage ;
Ils le peuplaient de beaux et solennels visages
Tournés vers la splendeur et la paix de l’agneau.

Les douces fleurs poussaient dans le tapis de l’herbe ;
De petits bois montaient, naïfs et recueillis ;
C’était la Flandre, avec ses prés et ses taillis,
En un cercle de toits et de clochers superbes.

Au milieu, sur un tertre ornementé, l’autel.
Le Dieu y répandait son sang dans le calice ;
Il s’entourait des signes noirs de son supplice ;
Lance, colonne, croix et l’éponge de fiel.

Et vers ce deuil offert comme un banquet de fête
À la faim de l’extase, à la soif de la foi,
Les martyrs, les héros, les cent vierges, les rois,
Les ermites, les paladins et les prophètes,

Toute l’humanité des temps chrétiens marchait.
Ils arrivaient du fond miraculeux des âges,
Ayant cueilli la palme aux chemins du voyage,
Et sur leurs fronts brillaient les feux du Paraclet,


Et tout en haut, régnaient dans l’or du polyptyque,
Dieu le Père, Marie et Jean le précurseur,
Traçant, dévotement, avec calme et douceur,
De lents gestes sacrés, puissants et didactiques.

Et les anges chantaient dans l’air chaste et pieux,
Tandis qu’Eve et qu’Adam, debout chacun dans l’ombre,
Sentaient peser sur eux leur faute ardente et sombre,
Dont le rachat se célébrait devant leurs yeux.

Ainsi la claire et tendre et divine légende
Avec ses fleurs de sang, d’ardeur et de piété
Déroulait son humaine et divine beauté
Parmi les prés, les bois, les ravins et les landes.

Comme un grand livre peint et largement ouvert,
Elle enfermait, en ses pages claires ou blondes
Et dans ses textes d’or quatre mille ans du monde :
Tout le rêve de l’homme en proie à l’univers.

L’œuvre dardait dans l’art une clarté suprême,
Comme celle du Dante à Florence, là-bas.
Mais cette fois deux noms flamands brillaient, au bas
De l’ascétique et pur et merveilleux poème.


Les strophes dédiées à Rubens me semblent par leur emportement et leur couleur contraster avec le rythme processionnel, le recueillement du poème ci-dessus. Les voici :

RUBENS

Ton art énorme est tel qu’un débordant jardin
— Feuillages d’or, buissons de sang, taillis de flamme —
D’où surgissent, d’entre les fleurs rouges, tes femmes
Tendant leur corps massif vers les désirs soudains,

Et s’exaltant et se mêlant, larges et blondes,
Au cortège des Ægipans et des Sylvains
Et du compact Silène enflé d’ombre et de vin
Dont les pas inégaux battent le sol du monde,

Ô leurs bouquets de chair, leurs guirlandes de bras,
Leurs flancs fermes et clairs comme de grands fruits lisses
Et le pavois bombé des ventres et des cuisses
Et l’or torrentiel des crins sur leurs dos gras !

Que tu peignes les amazones des légendes
Ou les reines ou les saintes des paradis,
Toutes ont pris leur part de volupté, jadis,
Dans la balourde et formidable sarabande.

Le rut universel que la terre dardait
Du fond de ses forêts au vent du soir pâmées
À ses tisons rôdeurs les avait allumées
En ses taillis profonds ou ses antres secrets.


Et tes bourreaux et tes martyrs et ton dieu même
Semblent fleuris de sang, et leurs muscles tordus
Sont des grappes de force à leurs gibets pendus
Sous un ouragan fou de pleurs et de blasphèmes.

Si bien que grossissant la vie, et l’ameutant
Du grand tumulte clair des couleurs et des lignes,
Tu fais ce que jamais tes émules insignes
N’avaient osé faire ou rêver, avant ton temps.

Oh ! le dompteur de joie épaisse, ardente et saine,
Oh ! l’ivrogne géant du colossal festin
Où circulaient les coupes d’or du vieux festin
Serrant en leurs parois toute l’ivresse humaine.

Ta bouche sensuelle et gourmande, d’un trait,
Avec un cri profond les a toutes vidées,
Et les œuvres naissaient du flux montant d’idées
Que ces vins éternels sous ton front répandaient.


II

Tu es celui — le tard venu — parmi les maîtres
Qui d’une prompte main, mais d’un fervent regard,
D’abord demande à tous une fleur de leur art
Pour qu’en ton œuvre à toi, tout l’art puisse apparaître.

Mais si tu prends, c’est pour donner plus largement :
Aux horizons pleins de roses que tu dévastes
Lorsque tu t’es conquis enfin, ton geste vaste
Soudain, au lieu de fleurs, allume un firmament.


Les rois aiment ton goût de richesse ordonnée,
Tu l’imposes puissant, replet, fouillé, profond
Et Versailles le tord encor en ses plafonds
Où sont peintes, lauriers au front, les Destinées.

Il déborde, il perdure excessif et charmant ;
Il s’installe, parmi les bois et les terrasses,
Et les femmes de joie élégantes et grasses
En instruisent Watteau, au bras de leurs amants.

Et le voici parti vers les Londres funèbres,
En des palais obscurs dont a peur le soleil,
Pour y fixer cet art triomphal et vermeil
Comme une vigne d’or sur des murs de ténèbres.

Et quand tu t’en reviens vers ta vieille cité,
Le front déjà marqué par le destin suprême,
Nul ne peut plus douter que tu ne sois toi-même
L’infaillible ouvrier de ton éternité.


III

Alors la gloire entière est ton bien et ta proie,
Tu l’empoignes, tu la domptes et tu la mords ;
Jamais un tel amour n’a angoissé la mort
Ni tant de violence enfanté de la joie.

Tu rentres comme un roi en ta large maison,
Toute la Flandre est tienne, ainsi qu’est tien le monde ;
Tu lui prends pour l’aimer sa fille la plus blonde
Dont le nom est doré comme un flot de moisson.


Tu ressuscites tout : l’Empyrée et l’Abîme ;
Et les anges, pareils à des thyrses d’éclairs ;
Et les monstres aigus, rongeant des blocs de fer ;
Et tout au loin, là-bas, les Golgothas sublimes ;

Et l’Olympe et les dieux, et la Vierge et les saints ;
L’idylle ou la bataille atroce et pantelante ;
Les eaux, le sol, les monts, les forêts violentes
Et la force tordue en chaque effort humain.

Ton grand rêve exalté est comme un incendie
Où tes mains saisiraient des torches pour pinceaux
Et capteraient la vie immense en des réseaux
De feux enveloppants et de flammes brandies.

Que t’importe qu’aux horizons fous et hagards
Tel autre nom, jadis fameux et clair, s’efface ?
Pour toi, c’est à jamais que le temps et l’espace
Retentissent des bonds dont les troua ton art.

Conservateur fougueux de la force première,
Rien ne te fut ruine ou chute, ou désaveu ;
Toujours tu es resté trop sûrement un dieu
Pour que la mort, un jour, éteigne ta lumière.

Et tu dors à Saint-Jacques, au bruit des lourds bourdons ;
et sur ta dalle unie, ainsi qu’une palette,
Un vitrail criblé d’or et de soleil, projette
Encor des tons pareils à de rouges brandons.


Bruges, Anvers ; Van Eyck, Rubens ; le mysticisme et la sensualité ont au cours de mes jours formé et développé mon être. Je sens en moi tantôt dormir tantôt s’éveiller cette double force et c’est elle qui influença et ma vie et mon art.

Le village où je naquis dressait sa tour au bord de l’Escaut et l’été, pendant les jours clairs et beaux, j’y montai mainte fois. Jean Til, le vieux sonneur, m’y menait voir et le nid des hiboux et le nid des chouettes. À l’étage qui donne les abat-sons nous mettions nos mains en auvent sur nos yeux et nous parvenions à distinguer, là-bas, au milieu des maisons de la grande ville, près du port plein de mâts, les clochers de Notre-Dame et de Saint-Paul. Parfois, j’allais prendre le bateau à Tamise : on longeait les opulentes rives du fleuve, on côtoyait Rupelmonde, Hemixhem, Burgt et l’on débarquait à Anvers, avec l’air et l’odeur de l’Escaut dans ses vêtements. Alors, traversant les rues, les places et les ruelles, je sentais la vie ardente, prodigieuse et fourmillante entrer en moi. Les bassins étaient grouillants de débardeurs. Les auberges et les cabarets se remplissaient de buveurs. Des femmes parées et des nègres étaient attablés aux terrasses. Plus loin, dans les rues chaudes, les matelots déployaient une gaieté lourde et chantante. Bras dessus, bras dessous, ils ballaient d’un trottoir à l’autre. Des refrains en langue inconnue sortaient de leurs bouches. L’atmosphère était comme saturée de plaisir. Quand les lanternes s’allumaient, la violence de travail s’atténuait, mais la violence de la joie s’affirmait plus que jamais. Les portes des maisons closes s’ouvraient toutes larges ; un luxe bariolé et barbare se déployait dans les salons pleins de miroirs et de draperies. On voyait des singes s’accroupir sur les tables et des perroquets se percher sur l’épaule de « ces dames » ; des fontaines répandaient des parfums dans les corridors. Les lustres étincelaient. La volupté s’y achetait à chaque coin de rue. On l’entendait crier et chanter d’étage en étage.

À cette débauche de couleurs, à cette exubérance, j’oserais même dire à cette volupté partout répandue, le culte catholique semblait participer à son tour. Ce n’était qu’à Anvers qu’on osât installer sur des autels les somptueuses madones, les madeleines ardentes, les martyres magnifiques dont les corps admirables et dévoilés tentaient plus qu’ils n’exaltaient. Aux grandes fêtes, sous la voûte de la cathédrale, l’encens, les cierges braséant, les chasubles or et argent, les fleurs, les chants, l’orgue, toute la liturgie s’adressaient bien plus aux sens qu’à l’esprit. Au calvaire de l’église Saint-Paul, des femmes venaient se blesser volontairement les seins pour obéir à on ne savait quelle étrange coutume pieuse. Cela s’était fait de tout temps. Le sang coulait des poitrines hardiment découvertes. Une douleur d’une volupté indicible se mêlait à la piété.

Ces quelques remarques suffisent à faire comprendre combien la vie de la grande métropole belge enseignait non pas l’ascétisme mais aiguisait le désir. Le peuple d’Anvers se distinguait de celui des autres villes, ses voisines par son large abandon à l’instinct ; le peuple de Bruges, tout au contraire, se surveillait et s’éduquait dans la solitude, le recueillement et le silence.

Ce ne fut qu’à l’âge de seize ans que je fis connaissance avec la cité de Memling. Je m’y arrêtai une première fois, en allant faire un séjour à Ostende. Je fus étonné. Je ne pus comprendre qu’une autre ville flamande fût aussi différente de celle que je connaissais. Les rues étaient froides, peu visitées. La Grand’Place avec l’immense beffroi était vide. Elle ne m’enseignait pas l’héroïsme : elle ne me disait que la déréliction.

Quand je revins plus tard faire un séjour à Bruges, je pénétrai plus avant dans le cœur de la ville. Ce cœur fervent mais mélancolique, je le surpris dans les églises où des vieilles en noir priaient devant les autels, éclairées obliquement par un brasier de cierges. Le béguinage me séduisit. J’y passai de longues heures, me promenant sur la pelouse, entre les rangées d’arbres. Les pieuses amantes du surnaturel et du mystère que j’y côtoyai à chaque pas m’insinuèrent leur dévotion lente et régulière d’abord dans les yeux et bientôt dans l’âme. À l’heure où le soir tombait et où sonnait, de clocher en clocher, l’angélus, une vie insoupçonnée me fut peu à peu révélée et jamais je ne quittai moins qu’alors, le livre de prières qu’une de mes tantes m’avait donné à ma première communion. La chapelle du Saint-Sang fut le lieu favori de mes oraisons. De grandes dames solennelles s’y venaient agenouiller. Le séjour était sombre comme une crypte. Seul un vitrail placé dans l’ombre y déployait une gloire obscure et flamboyante. Aux jours de cérémonie, en mai, quand la procession parcourait les rues de la ville, on y exposait la châsse célèbre. Un diamant noir, offert par Marie de Bourgogne, s’y mêlait à l’or et à l’argent. Souvent je songeai que cette pierre à la fois ténébreuse et brillante était bien le symbole de la mysticité de Bruges. Autour de la ville, comme des astres mineurs autour d’une étoile dominante, d’autres villes se rangeaient. C’étaient Nieuport, Dixmude, Furnes. Elles semblaient être la réduction de Bruges, mais avec un charme aussi pénétrant qu’elle. Leur silence était comme plus doux encore et leur vie dont toute vivacité était bannie, séduisait les âmes tranquilles plus profondément encore. Un poète, un prêtre, Guido Gezelle, a reflété dans ses vers toute cette dévotion west-flamande.

Demeurerez-vous, après l’actuelle tourmente, telles que vous fûtes, villes de Belgique où les instincts, les sentiments et les idées d’un peuple se sont rassemblés en faisceaux ? Maintiendrez-vous intactes vos caractéristiques précieuses ? Et toi, Bruges, et toi, Anvers, serez-vous le double pôle vers où s’aimanteront toujours la mysticité et la sensualité d’un groupe humain ?

L’organisation allemande est écraseuse. Elle broie tout ce qui est particulier et privilégié. Quoique conçue et fixée par une aristocratie, elle est plus niveleuse que n’importe quelle organisation démocratique. Elle a horreur de ce qui dérange son système et son mécanisme. Obéir d’abord. Tout ce qui est spontané et individuel doit céder le pas à ce qui est général et commun. Les peuples comme les citoyens n’ont pas le droit d’être dissemblables. Il faut une discipline, une règle, un code. C’est l’Allemagne qui les impose. Il n’y aura qu’une langue : la langue allemande ; il n’y aura qu’une beauté : la beauté allemande ; il n’y aura qu’une pensée : la pensée allemande ; il n’y aura qu’une âme : l’âme allemande.

Vous qui rêvâtes d’une âme européenne, voici votre rêve faussé et déjoué. L’Allemagne cherche à confisquer à son profit ce qui fut le plus bel idéal historique qu’on pût imaginer.