Paris-Éros. Première série, Les maquerelles inédites/22

(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. 241-248).
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Les chauffeuses de la bécane. — Le comte Rastaconculo. — La course de Viroflay. — La côtelette de dona Pia Cuchita. — Patientes recherches des savants sur la femme. — Constatations de dom Gaspard de Tours. — Le poids des esprits.


Presque toutes les chauffeuses pratiquent un genre de sport ; celles du grand monde ont l’automobile dont les trépidations sont érotisantes ; les cocottes ont la bécane. Quant au cheval d’amazone, il a vécu.

Il n’y a pas bien des jours que, de la place Pigalle au parc Monceau, on pouvait assister au déballage par escadrons de mollets, de cuisses, de hanches, de fesses et de globes de poitrine, violemment accusés par des costumes court-vêtus, s’étudiant dans les poses les plus incendiaires à la manœuvre de la bicyclette.

La zone galante s’était tout à coup prise de passion furieuse pour la bécane ; cocottes de style et grues, c’était à qui rivaliserait d’entraînement.

Cette exhibition publique de sensationnelles plastiques a subitement décliné. On ne sait pourquoi, mais les causes de l’émulation sont connues.

Les agences de prostitution et les mères proxénètes de la zone galante, s’étant aperçues que le cyclisme généralement adopté faisait tort à leur industrie et que les galants chevaliers de la bécane trouvaient cuisses, mollets et le reste à palper à l’aventure, décidèrent un entraînement général de leurs protégées.

Il n’y avait pas de temps à perdre, il fallait regagner et vite le terrain perdu, car le ramonage ne battait plus que d’une aile.

Les loueurs de bicyclettes de l’endroit furent requis et, contre un abonnement à tempérament, initièrent les belles petites à l’art de prendre des pelles.

Tout Cythère en fut, et les marlous de ces dames aussi.

À mesure que les sportives du genre se trouvaient à peu près d’aplomb sur leur bidet roulant, elles s’escadronnaient par deux, par trois ou par quatre dans les allées du bois de Boulogne et sa sphérie, galantant de leurs sourires, de leurs regards et de leurs éclats de rire, culbutant au moment et à l’endroit propices.

Le succès couronna tant de vaillance.

Les grues à leur tour se mirent de la chevauchée. Ce fut une débauche de garçonnets manqués dans tout Paris ; le costume cycliste était devenu, pour ces dames, de ville, de campagne, de jour et de nuit. On ne pouvait se risquer dans les habitations, spécialement affectées à ces engins des joyeuses ballades, qu’en s’écorchant les tibias dans les corridors, les paliers et les vestibules.

On trimardait à tripes dondaines par monts, par vaux et par bocages, le jour et la nuit.

Mais le bichon quotidien manquait, et nombre de cythériennes redevenaient comme ci-devant servantes à tout faire.

Le truc avait inspiré un chevalier de la Moufle, un quarteron des quatre nations, suisse italienne, slave et kalmouke, que le glorieux Pape actuel avait fait comte de San-Rastaconculo.

Déjà pourvu de deux dévotes, que la torchée de médailles miraculeuses et le scapulaire qu’il portait entre chair et flanelle avaient séduites, ainsi que d’une comtesse authentique qui, avec ses deux filles, écumait les plages de la Méditerranée, il s’était adjoint deux cocottes du sport à la pelle, auxquelles il amenait, à des endroits désignés, les pigeons qu’il pouvait racoler et qui, naturellement, payaient la partie carrée et les gants.

Les deux routières et leur associé vécurent ainsi plantureusement pendant près de dix-huit mois, jusqu’à ce qu’un décret d’expulsion vînt priver les deux cheminardes de leur providence.

Elles continuèrent encore quelque temps leurs raccrochages à la bécane, mais le grand ressort était cassé. Elles durent y renoncer.

D’autres ont dû mieux réussir, car on les rencontre presque tous les jours, en fêtardes, autour de la pelouse et de la Cascade.

Les plus hardies poussent leurs prouesses jusqu’à Versailles, Saint-Germain et Fontainebleau, où elles esbaudissent les populations rurales.

Pour se convaincre de l’effet que ces cavalcades produisent, il faut entendre les paysans dire en clignant de l’œil :

— Oh ! Paris, quel tas de garces, quel tas de cochons !

Des chauffeuses d’automobile, il se contente de dire :

— Tout ça, ça n’vaut pas cher.

La course la plus épique du genre fut celle que le prince de Magradir, magnat de Transylvanie, organisa dans le parc de son château de Viroflay.

Vingt sportives choisies de la zone galante auxquelles s’étaient jointes trois nobles dames, compagnes habituelles du Croate, toutes à poil, coururent pendant deux heures sur une piste accidentée.

Une quinzaine de spectateurs, amis du magnat, assistaient à ce spectacle d’un genre tout nouveau et rempli des péripéties les plus folichonnes.

Chaque pelle sensationnelle était payée un louis. Il y eut tant de culbutes que l’organisateur en fut pour plus de quatre mille francs.

Le prix d’honneur fut remporté par la comtesse de Teufelgatt, dite la Morphine, dont je parlerai bientôt.

Le premier prix, par Jeanne des Myosotis, de la Scala.

Le deuxième, par Lucie Delapointe, des Folies-Bergère.

Le troisième, par dona Pia Cuchita.

Un mât de cocagne avait été planté sur la pelouse.

Sept concurrentes seulement se présentèrent pour décrocher la timbale.

Lady Carnebody seule atteignit le faîte. Les six autres dégringolèrent, à la voltige, cul sur tête.

C’était mieux qu’au Parc-aux-Biches des sœurs Davidsen.

Le grand Tabernagor, le boulevardier bien connu, fut si enthousiasmé des prouesses de la diva de la Scala, qu’au banquet qui suivit cette rosserie, il voulut absolument l’épouser sur le-champ.

Jeanne des Myosotis refusa de se prêter à un intermède qui, quoique privé, devait être assez public.

Mais Tabernagor, soûl comme plusieurs cochers de fiacre, ne voulait rien entendre. Il se mit à la poursuite de la diva qui, devant l’obstination du boulevardier, avait joué des jambes.

Au moment de l’atteindre près du bassin, il piqua une tête dans la mare, par quatre pieds de profondeur.

Ce ne fut qu’avec des peines infinies qu’on parvint à l’amarrer au bord.

Il avait avalé quatre pintes de l’élément aquatique et deux grenouilles.

Depuis, quand on lui parlait du mariage de Viroflay, il se sentait encore le cœur barbouillé.

Après le départ du magnat, dona Pia Cuchita tomba sous la coupe d’un de ses compatriotes, don Luis de Macrosabo, ex-muletier, qui lui mangea jusqu’à ses nippes et la rouait de coups.

Quand il n’eut plus rien à lui prendre, il l’envoya raccrocher sur le boulevard.

Mais la pauvre femme était si desséchée, qu’il aurait fallu avoir un cœur de tête d’allumette pour s’y frotter.

De désespoir elle se pendit à la flèche de son lit. Elle n’avait plus que la peau sur les os.

Son cadavre fut livré à l’amphithéâtre de l’École de Médecine, où on constata qu’il lui manquait une côte.

Quelqu’un avait dû la bouffer, probablement l’ex-muletier, qui un an après fut pendu en Angleterre.

C’est ce qu’un rapport très scientifique établit.

Ce fait peut paraître étrange, mais il ne faut douter de rien, lorsqu’on a vu les plus graves docteurs d’Europe découvrir jusqu’à quarante-huit mille maladies nouvelles en cinq ans. On ne peut donc que se confondre en admiration devant ces puits de science, et ranger la côtelette de dona Pia Cuchita parmi les cas pathologiques de certitude absolue.

On ne peut nier que la femme occupe le premier rang dans les préoccupations des savants, tant ils lui veulent du bien. Des recherches récentes ont fait découvrir dans leur corps des cuillères, des fourchettes, des pelotes d’aiguilles et d’épingles, des pinces à sucre, des couteaux et jusqu’à des fers à repasser, qu’elles avaient probablement avalés par distraction en parlant de choses et d’autres.

Le savant Lasanotier, de l’Académie, a été plus loin dans ses recherches. Il a trouvé que le cerveau de la femme était continuellement perturbaturé par cent et trente-deux mille influences sympathiques et cent et trente-sept mille influences antipathiques ; que huit cent et soixante-cinq mille influences précipitaient ses pieds en avant et seulement quatre en arrière.

Ces découvertes étonnent quelquefois, mais, en y réfléchissant bien, elles n’ont rien d’anormal.

On n’a qu’à consulter sous ce rapport les mémoires de dom Gaspard de Tours qui exorcisa la nommée Perine Roulard, au hameau des Sept-Vierges, en Saintonge. Il en vit sortir quarante mille démons du cerveau, trente mille des yeux, sept cents du nez, soixante mille de la bouche, cent et dix mille du ventre, onze mille des genoux, et trois cent mille des pieds et des mains.

Et il avoue que c’était une sainte femme.

Les incrédules m’objecteront que huit cent cinquante-un mille sept cents démons, c’est une charge pour une femme.

Cette objection n’est que spécieuse. Cela ne pèse pas bien lourd, les esprits ; on ne le voit que trop par les productions littéraires qui encombrent les bibliothèques.

Ceci dit sans pensée aucune de bêcher les confrères, mais ils sont comme tout le monde, il leur faut cent mille démons pour leur infuser un gramme d’esprit. Il est vrai que quand Dieu y met du sien, c’est foudroyant.