Paris-Éros. Deuxième série, Les métalliques/00-1

(alias Auguste Dumont)
Le Courrier Littéraire de la Presse (p. Frontisp.-xvi).


Syndicat des Métalliques.
(Groupe sympathique.)



PRÉFACE

L’AMOUR ET L’ARGENT


Amour et argent, tout est là : la loi et les prophètes. Dieu et le diable. Ce sont les ultimes percutantes de la morale humaine.

Comme l’argent, l’amour a sa cote, ses laboratoires et ses mystères. Les deux sont en équivalence.

Amour-sentiment, vieille lune, rêve d’adolescent qui ignore, et qui se fond, comme le mirage, en face des réalités décevantes de l’existence. Alors marchandise, il est tout à l’affiche, à la réclame.

Comparativement à l’argent, le creuset dans lequel il se moule, l’amour a une valeur fictive et une valeur réelle ; fictive par présomption spiritualiste, réelle en son animalité. L’amour vaut par l’argent ; l’argent n’acquiert sa valeur mirageuse que par l’amour, suprême agent des industries qu’il sustente. Le Métallisme, le bronzage des cœurs et des intelligences, est la résultante de cette combinaison ; on n’est quelqu’un ou quelque chose que par l’amour ou par l’argent ; qui ne peut se recommander de l’un ou de l’autre, est un paria social, une non-valeur.

L’amour va à l’argent, c’est logique ; pas d’argent, pas de Suisse. L’argent est le grand sympathique.

Entendons-nous, il y a fagot et fagot ; l’amour n’est pas amourette et l’argent n’est pas la pièce de cent sous.

Écoutons d’abord les cloches chantonneuses.

Les amuseurs par le roman ont émis sur l’amour des fantaisies si abracadabrantes, ils ont prêté à l’argent des caractères si funambulesques, que, tenebras induco, le genre est resté à l’état de plaisanterie macabre.

Les moralistes — il y a des gens qui ont cette prétention — ont fait de l’amour une chose si spirituellement bête, ils ont donné à l’argent des autres des définitions si diaboliques, pour l’amener par dérivation canonique dans leurs caisses, qu’on peut les ranger dans la vaste catégorie des fumistes dogmatiques.

Mais voici les prophètes : les académiciens, un peu gâteux dans leur infatuation des mots. Ils sont, par présomption, la jeunesse éternelle ; ils pensent comme à vingt ans et comme il y a huit cents ans.

On connaît leur légende, la chanson du berceau. L’amour, c’est Louison la bergère, à l’horizon borné par Blaise, Pierre, Lubin, Lucas, les coqs du village.

C’est encore la fiancée candide, que la pudeur secoue et dont la main tremble dans celle de l’épouseur.

Un point : c’est tout.

On connaît la suite.

Les escadrons de la zone galante encadrent les Louisons de toutes les bergeries premières, et la mondanité à toutes guides place à son pinacle les tendres épousées dont le front ne rougit plus et dont la main est maintenant sûre.

Mais les académiciens ne connaissent pas ça ; la lettre en eux tue l’esprit.

Trois fois hérétique serait celui qui leur soutiendrait que l’amour, comme l’argent, n’est qu’une compétition de sensations réfléchies qui s’exacerbent dans la jouissance et par la concurrence.

Et cependant c’est ainsi ; les anathèmes n’ont jamais été des raisons.

Cette thèse leur paraîtra sans doute nouvelle, différente de leurs méthodes doctrinaires, en opposition avec la scolastique dogmatique des arrondisseurs de périodes, des ciseleurs de phrases, des orfèvres académiques. C’est même évident et j’estime que ce cheveu dérange la symétrie de leur conception artistique.

Ils sont libéraux cependant, du libéralisme du sénateur macabre en retour d’âge, qui a attaché le grelot de la chasse au vrai esthétique, menaçant du sécateur législatif ceux dont l’esprit se refuse à la castration sixtine et au rabotage monacal ; incitant, par des réquisitoires d’Escobar, les juges fossiles à torturer les textes des lois pour en extraire une quintessence juridique arbitraire ; soufflant sur les crânes doctrinalisés le vent des réactions et des apeurements séniles.

Il est beau d’être pur ; c’est de l’extravagance de le croire, car tout est relatif : la pureté comme la pourriture, qui bien souvent s’amalgament.

On se prétend dans un troisième siècle de lumière. Y voit-on plus clair parce qu’une chandelle, sur laquelle on place périodiquement le boisseau obscurcisseur, est allumée ?

Qu’on compare la logomachie absolutiste des siècles, qui n’avait pas cette chandelle pour les éclairer, et celle des écoles doctrinaires à prétentions philosophiques ; la forme diffère, mais le fond est exactement le même. C’est la même équivoque dans les mots, la même préciosité, la même interprétation pharisaïque, la même ineptie de définition, le même amphigouri.

Demandez aux sectateurs des deux écoles, ce qu’ils entendent par morale publique et vous les verrez, la figure s’enfarinant, invoquer des autorités, dont le nom même est une supposition, un argument d’avocat.

Si nous nous adressons à l’Académie, cette accoucheuse de vieux motifs de rhétorique répondra avec son imperturbable inconscience : La morale est la science qui enseigne la règle à suivre pour faire le bien et éviter le mal.

C’est aussi rigolo que les « Joyeusetés de l’escadron ». La conception de la plupart des palmipèdes officiels ne va pas au delà du mot. Ils sont toujours de 1635 ; ils n’ont pas appris que la science n’est que du probabilisme qui s’appuie sur une suite d’observations de faits dont l’expérience vient démontrer chaque jour le défaut de corrélation. Ils ont oublié que le bien et le mal, pris dans leur sens général, n’ont qu’un sens conventionnel, relatif aux lieux et aux circonstances, conséquemment sans sanction absolue.

D’après l’Académie, la morale publique ne serait donc que du probabilisme abstractif ; autant dire une idée préconçue très discutable et plus arbitraire encore.

La définition vraie est que la morale publique se compose tout simplement des ordonnances et des arrêts de police… Une fameuse autorité philosophique !

Doit-on s’étonner si, avec de pareils pontifes, tout est à l’absurde ? Ce sont ces liquéfacteurs sociaux qui ont défini la pudeur vergogne et la chasteté vertu ; alors que, trop souvent, la première n’est que le raffinement de la coquetterie, et l’autre, le masque de la lubricité.

Le mot amour les fait sourire, celui de volupté leur fait rouler des yeux blancs, et cependant l’un est synonyme de l’autre.

De par la morale officielle, il est permis d’être amoureux, défense est faite d’être voluptueux.

Comprenne qui peut, car l’amour ne va pas sans volupté.

La volupté est cependant un des propulseurs suprêmes du mouvement, l’aimantation des deux pôles qui se précipitent pour l’accomplissement des phénomènes générateurs. L’absurde est de l’attribuer à une surexcitation accidentelle, alors qu’elle est un principe vital. Vouloir en réglementer le cours, c’est ouvrir la porte toute grande à l’infection prostitutaire, à la libidinosité intime.

La réglementation doctrinale et officielle n’a d’ailleurs jamais produit autre chose. Voyez les maisons de tolérance, voyez les couvents !…

Le dévoiement de la volupté vers le mysticisme implique une dépravation cérébrale préparatoire et une corruption fatale des sens.

Mais l’empire du mot est tellement tyrannique en France qu’il fait loi contre tout bon sens. Les mots d’acception absurde, idiote y sont les plus consacrés : on en trouve des boisseaux dans toutes les lois.

Voyez le mot pornographie, à quoi rime-t-il ?

Le porc a des mœurs qu’on peut avantageusement comparer à celles du cheval, du bœuf, et de l’homme, beaucoup plus raffinées que celles du singe et du chien. Mais voilà : un abruti d’académie quelconque a trouvé le mot sonore, et il l’a posé, en lapin, aux idiots qui croient savoir, parce qu’ils ont entendu une péroraison de charlatan.

Au lieu d’aller chercher midi à Berlin ou à Singapour, les apôtres de la repopulation de la France feraient mieux, prêchant d’exemple, d’imiter virtuellement le modeste cochon si calomnié. Alors, ils pourront enseigner comment se produisent les petits citoyens roses et joufflus. Si du cochon ils ont la vertu, il ne leur faudra pas grand effort pour aboutir au résultat réclamé.

Mais des nèfles ! tous ces lascars-là sont de l’école de Malthus : la pornographie esthétique dans sa radieuse virtualité doit leur dire comme le fouet à un chien.

N’importe ! celui qui a trouvé le mot était mûr pour Charenton, et celui qui l’a glissé dans le texte de la loi devait être une sale bête.

Allez parler d’amour à des podagres qui ruminent un tas de frivolités bestiales sur un mot innocent !

Quand les académiciens d’école ne sont pas absurdes, ils sont obtus.

L’amour, suivant leur formulaire de 1635, toujours de dogme dans la confrérie, est un sentiment du cœur, un penchant de la nature qui porte les sexes l’un vers l’autre.

Un sentiment qui est un penchant, quel galimatias ! Encore ne peut-on dire plus clairement aux gens qu’ils ne sont que des bêtes.

C’est d’après des propositions aussi extravagantes que les législateurs, en passant par Justinien, Théodose et Napoléon, aussi bafouillards d’archaïsmes l’un que l’autre, ont réglementé l’usage et les conséquences de la copulation.

Cujas, qui n’était pas de Toulouse pour rien, a élucubré sur cette cuisine nauséabonde des aphorismes juridiques à renverser un gendarme dans l’exercice de ses fonctions matrimoniales.

Au fait !

Si l’amour est un sentiment du cœur, c’est-à-dire une perception, une sensibilité, une impression cardiaque, il n’y aurait que ceux dont ce viscère sympathique est dynamométriquement réglé qui seraient capables d’aimer. Et si, par superfétation, ce sentiment à l’animalité humaine, toute spiritualisée qu’elle puisse être, est subordonné à un penchant de la nature, on observerait les mêmes prédispositions érotiques canines, mais uniquement aux époques du rut, dans l’homme et dans les animaux, tandis que l’excitation sexuelle est permanente en l’être humain.

Il est évident qu’il manque quelque chose d’essentiel pour lier la mixture alchimicale des apothicaires de l’Université.

Ils n’ont oublié qu’une seule chose, c’est qu’avant tout l’homme est un cerveau.

Peut-être le savent-ils, mais ils sont liés par le pacte réactionnaire, par l’absolu doctrinaire universitaire. Comme les jurisconsultes, ils en sont encore au lit de Procuste, à la métaphysique moyenâgeuse, alors qu’avec la théologie de l’absurde on satisfaisait Dieu et le diable, source d’où découlent les extravagances du lien conjugal, la chaîne des forçats de l’amour. Le cerveau, l’esprit, était d’invention diabolique.

Cependant tout l’homme est là. Le siège de l’amour, de l’attraction et des combinaisons spéculatives voluptueuses, qu’on le nomme amour divin ou autrement, est le cerveau dont le cœur n’est que le répercuteur.

La corrélation entre l’impression cérébrale et l’action artérielle cardiaque est toute mécanique. Les passions ne sont pas infuses dans le sang ; elles sont la résultante d’images réflexes imprimées au cerveau qui, dans les heurts violents, en reflue l’ébullition au cœur et aux sens.

La passion est constante dans l’homme, parce qu’elle dérive du siège de son intelligence, seul principe conforme à la loi du libre arbitre. Admettre l’animalité humaine serait absoudre tous les crimes.

Les perturbations cérébrales ne peuvent infirmer ma thèse, car elles ne se produisent que par concentration volontaire des images, dont l’intelligence déprave l’action normale.

C’est dans ce travail interne du cerveau que se détermine la sélection érotique, cet amour d’insinuances et de caresses, cet amour frivole, cet amour insidieux provocateur de la lascivité, cet amour-plaisir qui engendre les amours turpides. L’action génératrice n’est que l’accident de l’amour.

Les champs de vision de l’érotisme s’étendent à mesure que les perturbations cérébrales acquièrent plus d’intensité, que l’accumulation des images au cerveau accélère le désir.

L’alcoolisme est le perturbateur érotique par excellence du cerveau. Mais il n’y a pas que les spiritueux qui propulsent l’érotisme, il y a encore les aphrodisiaques dont le plus subtil est l’argent.

L’alcoolisme métallique se révèle par la propension du sujet métallisé au luxe, au plaisir, à la domination. Tous les autoritaires sont des érotomanes invétérés ; il n’y a pas d’exception.

En somme, quel que soit son degré de passionnalité, la volupté érotique est une des grandes forces du mouvement. Vouloir l’annuler administrativement, c’est dire à un volcan en éruption de s’éteindre. Tout ce qu’on peut faire pour le bon ordre, est de lui enlever son cachet mystérieux.

Quoi qu’on en dise, l’érotisme bonifie l’être humain : il y a peu de muffles parmi les érotomanes.

Le mot d’ordre est au pharisaïsme, à la tartuferie puritaine. Pauvre France ! t’ont-ils assez conquise, pour t’imposer la plus ignoble des prostitutions : celle du caractère !

Martial d’Estoc.