Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle/III

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les Voitures publiques (Maxime Du Camp).

CHAPITRE III

LES VOITURES PUBLIQUES


fiacres et omnibus

i. — les fiacres.

Démocratie. — Généalogie du fiacre. — Premiers tarifs. — Taxe. — Cabriolets. — Les voitures de remise. — Stations. — Contrôleurs. — Opinion d’un cocher. — Fiacres stationnaires pendant trente-huit ans. — Valeur d’un numéro roulant. — Calomnie. — Monopole. — Conditions léonines. — Grève des cochers. — Liberté absolue ; décret du 25 mai 1860. — Nombre des voitures. — Cochers libres. — Numérotage. — P. P. et P. S. — L’ancien fiacre. — Le fiacre actuel. — Compagnie générale. — La journée du fiacre. — Matériel roulant. — Cavalerie. — Dressage. — Dépôts. — Charges écrasantes de la Compagnie. — Voitures de grande remise. — Dépôt de la rue Basse-du-Rempart. — Dépôt des voitures de place. — État civil. — Provenance des chevaux. — Cabinet de toilette — La Sorbonne des cochers. — Examens préalables. — Ateliers de construction. — Magasins. — Carrosserie. — Forges et scierie. — Fin du fiacre.


Paris est après Londres la ville du monde où l’on emploie le plus de voitures ; aussi les fiacres et les omnibus sont-ils devenus une sorte de service public qui a son importance sociale comme la poste et les télégraphes. Chacun en use, et le matin il n’est pas rare de voir quatre maçons, installés dans un fiacre sur lequel les auges sont déposées avec les truelles, se rendre à leurs chantiers. À cette vue, que penseraient les entrepreneurs des carrosses à cinq sols qui, dans leurs placards de mai 1662, avaient soin de dire : « On fait aussi sçavoir que par l’arrêt de vérification du Parlement, défenses sont faites à tous soldats, pages, laquais et tous autres gens de livrée, manœuvres et gens de bras d’y entrer, pour la plus grande commodité et liberté des bourgeois. » Aujourd’hui il n’y a point de coin de rue, de carrefours, de quais et de boulevards où l’on ne trouve des coupés, des calèches, des fiacres et des omnibus ; le nombre s’en accroît tous les jours, et grâce au décret du 23 mai 1866 qui reconnaît la liberté illimitée en pareille matière, le chiffre des voitures de louage ne fera qu’augmenter encore. Cela est fort bien fait ; mais un tel état de choses n’a pas été improvisé en un jour, car voilà près de deux cent trente ans que le premier fiacre s’est montré à Paris.

Au commencement du dix-septième siècle, il n’existait qu’une seule entreprise de chaises à bras qu’on pouvait louer ; elle avait été créée en 1617. les porteurs savaient faire payer les clients récalcitrants : on peut à ce sujet consulter les Précieuses ridicules[1]. Ce fut en 1640 qu’un certain Nicolas Sauvage, facteur des maîtres de coche d’Amiens, imagina d’établir des carrosses qui, toujours attelés et stationnaires dans des quartiers désignés, se tiendraient à la disposition du public. Ces voitures furent appelées fiacres ; est-ce parce que Sauvage habitait dans la rue Saint-Martin, en face de la rue de Montmorency, une maison qui avait pour enseigne l’image de saint Fiacre ? Est-ce parce que vers cette époque un moine des Petits-Pères, nommé Fiacre, mourut en odeur de sainteté et qu’on mit son portrait dans les nouvelles voitures pour les protéger contre les accidents ? Je ne sais, mais ce nom, qui n’a aucune raison d’être apparente, a prévalu malgré tous les efforts qu’on a faits à diverses reprises pour le changer en celui d’urbaines ou de lutéciennes[2].

Il faut croire que la spéculation n’était pas mauvaise, car immédiatement les personnages qui avaient l’oreille des ministres ou du roi sollicitèrent et obtinrent de nouveaux privilèges. Les voitures augmentèrent dans une proportion telle, qu’une ordonnance de 1703 en prescrivit le numérotage, afin qu’il fût facile de les reconnaître et de désigner au lieutenant de police les cochers dont on avait à se plaindre. Dés 1688, un règlement avait décidé quelles stations les fiacres devaient occuper, et une ordonnance du 20 janvier 1696 avait fixé le tarif : 25 sous pour la première heure et 20 sous pour les suivantes. L’ordonnance ne fut guère exécutée ; les cochers élevèrent peu à peu leurs prétentions et leurs prix : ils exigeaient 3 francs pour une heure, 50 et même 60 livres par journée de remise ; en 1720, l’abus était devenu tellement intolérable qu’un arrêt du conseil d’État, en date du 12 février, le fit cesser et fixa un tarif qui fut respecté, car plus de cinquante ans après Mercier disait : « Vous avez un équipage, des chevaux et un cocher, fouet et bride en main pour trente sols par heure. » En 1753, il existe à Paris 28 places de fiacres et 60 entrepreneurs de carrosses de remise possédant environ 170 voitures[3].

On vécut sous le régime du privilège jusqu’à la Révolution française, régime qui ne contentait personne, ainsi qu’on peut s’en convaincre en lisant les Doléances, souhaits et proposition des loueurs des carrosses de place[4]. Le 24 novembre 1790, l’exploitation des voitures de louage devint libre, et les sieurs Perreau, qui possédaient l’entreprise exclusive, furent indemnisés par une somme de 420 000 livres. Le 9 vendémiaire an V (30 septembre 1797), on établit une taxe régulière et annuelle de 50 à 75 francs sur les véhicules publics, selon leur importance. Le 11 vendémiaire an X (5 octobre 1800), le tarif est modifié : on paye 1 fr. 50 c. la course et 2 francs l’heure ; c’est à bien peu de chose près celui qui est encore en vigueur. Vers 1800 apparurent les premiers cabriolets de place, si bien nommés, car sur les pavés ils dansaient comme des chèvres. Jusqu’en 1817, les loueurs et les entrepreneurs de voitures avaient pleine liberté d’action sous le contrôle de la police, qui surveillait, réprimandait et au besoin punissait les cochers. À cette époque, la préfecture de police devient souveraine maîtresse ; elle seule a droit d’accorder des autorisations pour l’exploitation, le remisage, le stationnement des voitures ; chaque fiacre est frappé d’une taxe annuelle de 150 francs au profit de la caisse municipale ; cet impôt est porté à 215 francs pour les cabriolets ; à ce moment, Paris possède 1 390 voitures de place (900 fiacres, 490 cabriolets).

De 1790 à 1822, il n’existait pas réellement de voitures de remise qu’on pût prendre à la course ou à l’heure ; en 1822 seulement, 100 cabriolets de régie furent créés[5] ; après 1830, ces derniers jouirent d’une liberté sans limites, purent se multiplier à l’infini, à cette condition expresse cependant de ne pouvoir jamais stationner sur la voie publique lorsqu’ils n’étaient pas loués. Sous le gouvernement de Juillet, la police apporta de sérieuses améliorations à l’administration des voitures de place et prit différentes mesures qui lui permirent de protéger la population contre les prétentions souvent excessives et même contre la brutalité des cochers. Dès 1850, toute personne qui prend un fiacre a le droit d’exiger que le cocher lui remette une carte portant son numéro d’ordre ; en 1841, on établit des surveillants auprès de chaque station ; le numéro de chaque voiture qui arrive ou qui part est pointé sur un carnet ; 104 contrôleurs et agents spéciaux sont employés à ce service. De 1850 à 1855 nous avons assisté à la création de bien des voitures nouvelles : citadines, urbaines, deltas, cabriolets compteurs, lutéciennes, cabriolets mylords, thérèses, cabs ; peu à peu le cabriolet jaune, le vieux cabriolet de place qui sautait, mais n’avançait pas, disparaît devant le coupé, devant la petite voiture, comme l’on disait déjà. Je me souviens qu’un cocher de cabriolet me dit un jour : « Tous ces coupés, toutes ces voitures modernes, ça ne tiendra pas ; on prend un cabriolet, ce n’est pas pour aller plus vite, c’est pour causer avec le cocher ! »

En 1855, il y avait à Paris à la disposition du public 4 487 voitures marchant à l’heure et à la course ; elles se divisaient ainsi : 753 coupés ou cabriolets, 2 488 voitures de régie, 913 fiacres à quatre places et 353 voitures supplémentaires ; ces dernières, facilement reconnaissables à leur numéro peint en blanc, n’auraient dû circuler que le dimanche, les jours de fête, de Longchamp ou de carnaval ; par tolérance, on leur permit vers 1854 de sortir quotidiennement. Tout l’accroissement des voitures de louage avait, depuis 1817, porté sur celles dites de remise, puisque dans l’espace de trente-huit ans les fiacres ne se sont augmentés que de treize numéros. Cela tient à ce qu’à cette époque un numéro de fiacre valait 5 ou 6 000 francs ; la préfecture de police, ne voulant point accorder un privilège qui eût constitué une fortune véritable, ne pouvant consentir à le vendre à son profit, refusa systématiquement toute autorisation nouvelle. On a dit souvent que les différents souverains qui se sont succédé en France depuis 1830 avaient parfois donné à leurs amis ou à leurs serviteurs le droit de créer 100, 200 fiacres, que ce droit, immédiatement transmis à un entrepreneur, leur valait une somme considérable : rien n’est plus faux ; les chiffres que je viens de relever le démontrent avec évidence.

En 1855, on crut, pour assurer le bon fonctionnement d’un service qui devenait plus important de jour en jour, devoir réunir sous une seule direction toutes les voitures de remise ou de place ; ce fut alors qu’on institua la Compagnie impériale des voitures de Paris, qui, moyennant indemnité stipulée, racheta tous les numéros roulants dont les propriétaires consentirent à cette nouvelle combinaison. Cependant la fusion ne fut pas imposée : elle resta facultative ; 1 850 cochers ne voulurent pas profiter des avantages qu’elle offrait et restèrent libres sous leur remise. C’était un monopole qu’on venait de créer, il était singulièrement amoindri par les charges qu’il acceptait.

En effet, l’autorité municipale contraignit la Compagnie à établir ses dépôts en dedans du mur d’enceinte et par conséquent l’assujettissait à l’octroi ; de plus elle exigeait un accroissement considérable de matériel et de cavalerie. L’annexion de la banlieue avait doublé les distances, mais le tarif restait le même et tel qu’il était en 1800 ; en outre chaque voiture était frappée d’une taxe fixe de un franc par jour pour droit de stationnement[6]. Par suite de ces mesures, il y eut du malaise dans la Compagnie ; ce malaise ne fit que s’accroître avec le renchérissement des terrains, des loyers, des denrées, des fourrages, et il aboutit à la grève du mois de juin 1865. Certes, les cochers pouvaient suspendre leur travail, délibérer entre eux, faire connaître leurs griefs, tâcher d’obtenir des conditions meilleures et demander qu’on augmentât leur salaire, qui était de trois francs par jour, non compris les pourboires ; mais ils sortirent violemment de leur droit et se mirent dans leur tort en voulant empêcher la Compagnie de les remplacer, de veiller aux intérêts du public et de faire conduire les voitures par des cochers de hasard. Il y eut des injures, des menaces, des horions, des rixes, et la police correctionnelle s’en mêla. Les cochers reprirent le fouet, l’uniforme, le chapeau de cuir, remontèrent sur leur siège et tout fut dit.

L’expérience cependant avait porté ses fruits ; on changea brusquement de régime, et du monopole on passa à la liberté absolue. Le décret du 25 mars 1866 dit expressément : « Tout individu a la faculté de mettre en circulation dans Paris des voitures de place ou de remise, destinées au transport des personnes et se louant à l’heure ou à la course. » La liberté en matière d’entreprise de voiture avait duré trois ans, de 1793 à 1797 ; il faut espérer que la nouvelle période, ouverte le 15 juin 1866, vivra plus longtemps.

On compte actuellement à Paris 6 101 voitures de place et de régie[7], auxquelles il faut ajouter 2 950 voitures de grande remise ; ces voitures appartiennent à dix-huit cents entrepreneurs et à la Compagnie générale qui seule est intéressante à étudier, car elle représente une administration complète et elle a les rapports les plus fréquents avec le public.

Parmi les loueurs, il y en a beaucoup, — plus de huit cents, — qui n’ont qu’une voiture et qu’un cheval ; ce sont pour ainsi dire des cochers libres, qui échappent aux règlements des entreprises particulières, mais fort heureusement n’en restent pas moins soumis à ceux de la préfecture de police. Pas plus que les autres, ils ne peuvent refuser le service qu’on est en droit d’exiger d’eux, et ils doivent marcher à toute réquisition. D’après les nouvelles ordonnances, les voitures sont divisées en trois catégories distinctes : 1o les voitures de place proprement dites, qui, moyennant une redevance annuelle de 365 fr., peuvent stationner sur un des 158 emplacements désignés par la police ; elles sont marquées d’un numéro couleur d’or ; 2o les voitures mixtes, qui, acquittant la taxe municipale, peuvent séjourner à leur choix sur place ou sous remise ; le numéro en est rouge ; 3o les voitures de remise, qui, ne payant aucune taxe, ne peuvent pas charger sur la voie publique et n’ont d’autres stations que leur remise particulière ; elles sont aussi numérotées en rouge. Le public peut ne faire aucune différence entre elles, mais les agents de police et les surveillants ne s’y trompent pas. En effet, toute voiture de louage porte un timbre rouge aux lettres P. P. (préfecture de police), qui prouve que son numéro est régulier ; mais celles qui ont le droit de demeurer sur les places et qui comme telles acquittent l’impôt municipal sont poinçonnées des lettres P. S. (préfecture de la Seine). Toute voiture qui n’a pas ces deux lettres près de son numéro et qui stationne sur la voie publique est en contravention.

Qui ne se souvient de ce fiacre monumental, de ce sapin, qui cahotait dans Paris aux jours de notre enfance ? On y montait par un marchepied de fer à six étages ; on s’installait tant bien que mal dans la boîte incommode couverte d’un velours d’Utrecht jaune, piquant comme un paquet d’aiguilles ; sous les pieds s’amoncelait une litière de paille qui ressemblait bien à du fumier, sentait le moisi et tenait les pieds humides ; les portières ne fermaient pas, les vitres étaient cassées ou absentes. Le cocher, toujours grognon, vêtu d’un carrick crasseux à sept collets, la tête enfouie sous un lourd bonnet de laine que coiffait un chapeau déformé, les pieds enfoncés dans de larges sabots, escaladait son siège après avoir allumé sa pipe, et fouaillait ses rosses, qui flottaient dans les harnais raccommodés avec des ficelles. On partait quelquefois, on n’arrivait pas toujours. Balançant leur tête amaigrie, remuant une queue dénudée, les chevaux s’ébranlaient au tout petit trot, mâchant un brin de foin resté fixé à leurs lèvres pendantes, et entraînaient cahin-caha la lourde machine, qui heurtait les pavés pointus avec un bruit de ferraille peu rassurant. Quand on était pressé, il était plus sage d’aller à pied. Si un de ces vieux fiacres qui nous reconduisaient jadis au collège apparaissait tout à coup dans les rues de Paris, il aurait son heure de célébrité, car il représenterait pour les voitures un spécimen antédiluvien des espèces disparues.

Aujourd’hui le fiacre, qu’il soit à deux ou à quatre places, est une voiture bien construite, peu élevée au-dessus du sol, garnie intérieurement de drap bleu, close, légère, attelée de chevaux qui se reposent au moins un jour sur deux, conduite par un cocher uniformément vêtu, portant son numéro sur sa caisse et sur ses lanternes, lavée et brossée une fois en vingt-quatre heures, et qui offre sinon un grand luxe, du moins un confortable suffisant. Si l’on rencontre encore par-ci par-là des rôdeurs menant une voiture écaillée, sale, dont la tenture est déchirée, la caisse bossuée et les harnais déchiquetés, soyez persuadé que ce véhicule dégradé n’appartient pas à la Compagnie générale. Cette dernière en effet, malgré la libre concurrence, se regarde encore, et avec raison, comme chargée de subvenir spécialement aux besoins du public parisien ; aussi n’épargne-t-elle point ses efforts pour tenir en bon état un matériel chaque jour usé et détérioré par un service que rien ne ralentit et qui devient de plus en plus étendu. Son personnel, qui est presque une petite armée, se compose de 6 815 agents de tout rang et de toute fonction[8]. Quand un cocher charge à la station ou sur la voie publique, il doit inscrire sur sa feuille l’heure, le point de départ, le point d’arrivée ; avant de quitter la station, il fait viser ce bulletin par l’inspecteur. Le soir, lorsqu’il rentre au dépôt, il remet entre les mains d’un agent spécial sa feuille de retour et le gain de la journée, après avoir prélevé les quatre francs qui constituent actuellement son salaire quotidien. Puis il va se coucher où il veut, à son domicile s’il est marié, le plus souvent dans un garni s’il est célibataire. Les laveurs s’emparent alors de la voiture couverte de poussière ou de crotte ; ils l’aspergent à grande eau, la brossent, la fourbissent rapidement et la remisent à son numéro d’ordre ; pendant ce temps, les palefreniers détellent les chevaux, les lavent, les étrillent, les bouchonnent, les attachent au râtelier sur la litière et les mettent à même de réparer leurs forces épuisées par la fatigue. Le lendemain matin, à l’heure réglementaire, lorsque le cocher arrive, il trouve ses chevaux pansés, nourris, attelés, sous des harnais luisants, à une voiture nettoyée. Avant qu’il parte, un maréchal-ferrant a visité les pieds des chevaux ; un charron a examiné les roues, les ferrements, a frappé sur les essieux, a tâté les écrous, et un vitrier a vérifié si les glaces ne sont point cassées. Le cocher va chercher sa feuille, il monte sur son siège et se rend à la station. Et tous les jours il en est ainsi.

La Compagnie générale construit elle même ses voitures ; elle achète le bois en grume, le fer en barres, le cuir en tas. Dans ses immenses ateliers de carrosserie, où les scies à vapeur et les marteaux-pilons ne sont jamais en repos, on se hâte, on se presse afin que les voitures mises au rebut soit remplacées sans que le public ait jamais à souffrir de retard ; on tresse les licous, on taille les caparaçons, on rembourre les coussins, on coud les passementeries ; c’est un monde d’ouvriers qui s’agite et pousse annuellement sur le pavé de Paris plus de 500 voitures neuves, estimées en moyenne 1 007 fr. 66. Le chêne, l’érable, l’orme, le sapin et le peuplier sont les essences généralement utilisées par le charronnage et la carrosserie. Quelle est la durée de la vie moyenne d’une de ces voitures surmenées et qui semblent toujours errantes comme des âmes en peine ? Dix ans au moins, douze ans au plus. Parfois elle meurt violemment, avant l’âge, prise entre une muraille et un fardier. Malgré la quantité considérable de voitures qui se meuvent dans Paris, les accidents qui les atteignent sont relativement rares et ne sont presque jamais irréparables. En 1866, sur les 4 500 voitures qu’elle possède, la Compagnie générale en a mis en circulation 3 200, qui ensemble ont fait 1 178 488 journées de travail ; on voit donc que le repos est rare pour les chevaux, pour les cochers, et que ce n’est pas tout plaisir que d’être à la disposition d’un maître aussi pressé, aussi multiple, aussi exigeant que le public parisien.

Pour conduire tant de voitures, les mettre toujours à même de sortir et ne pas laisser en souffrance les besoins qu’elles ont mission de servir, il faut une cavalerie considérable ; celle de la Compagnie générale se composait, en 1866, de 10 741 chevaux, dont la valeur moyenne varie entre 650 et 800 francs. Chaque voiture a un relais, de sorte que les chevaux se reposent de deux jours l’un ; de plus, comme il faut prévoir les accidents et les maladies, un certain nombre de chevaux est constamment tenu en réserve aux écuries de manière à combler immédiatement les vides qui peuvent se produire. Il faut du temps pour bien dresser un cheval à ce métier pénible d’être toujours dehors, de manger à des heures irrégulières, de trotter sur le pavé par le soleil, la pluie, la poussière et la neige, de rester à demi endormi debout entre les brancards.

On procède lentement, par fatigues successives ; un quart de journée d’abord, puis une demie, puis un peu plus et enfin la journée entière de sept heures du matin à minuit. Il faut une extrême prudence dans cette éducation première ; si on l’active plus que de raison, si l’animal est surmené trop tôt, il meurt. On nourrit les chevaux avec un grand soin, car c’est l’intérêt de la Compagnie de leur donner le plus de forces possible. En 1806, les fourrages consommés ont représenté la somme de 9 115 750 fr. 88, c’est-à-dire près de 25 000 francs par jour : 7 fr. 64 par voiture et 2 fr. 42 par ration. On ne ménage ni le foin ni l’avoine ; on va jusqu’à l’orge, jusqu’aux féveroles, et l’on ne recule même pas devant l’emploi des carottes, dont les chevaux sont très-friands.

Il faut remiser toutes ces voitures et loger cette cavalerie considérable ; aussi la Compagnie possède-t-elle dans Paris même 173 600 mètres de terrain, sur lesquels elle a fait construire dix-neuf dépôts, qui représentent une valeur de plus de 13 millions de francs ; elle est en outre locataire, dans différents quartiers, de huit vastes bâtiments appropriés à ses besoins et dont les baux annuels sont de 138 281 francs. De plus, elle loue dans les rues centrales et commerçantes 30 stations de remise qu’elle paye 111 160 francs par an. Si à cela on ajoute que la redevance municipale, l’octroi, les contributions de toute sorte montent à la somme de 2 146 266 francs, on comprendra que la Compagnie générale est accablée par des charges très-lourdes et qu’il lui faut recevoir le prix de bien des heures, de bien des courses de voiture pour faire face à tant d’obligations.

Ses bénéfices sont toujours aléatoires et soumis aux variations souvent excessives du prix des fourrages. En 1864, les fourrages ont été bon marché : chaque voiture coûtant 13 fr. 42 par jour et ayant rapporté 14 fr. 55, il y eut un gain de 1 fr. 23 ; mais en 1865, les fourrages ayant été très-chers, la dépense a été de 15 fr. 27 ; la recette, il est vrai, s’est élevée à 14 fr. 67 ; mais la différence constitue une perte sèche et quotidienne de 0 fr. 60. C’est peu que 0 fr. 60 ; mais l’année a 365 jours, l’exploitation a 3 200 voitures et le total arrive à la somme considérable de 700 800 francs. Ce sont là des inconvénients graves, que nulle prévision humaine ne saurait empêcher de se produire ; peut-être la Compagnie arriverait-elle à en diminuer l’importance, — maintenant qu’elle n’est plus soumise aux mesures restrictives qui contre-balançaient la valeur de son monopole, — en transportant ses dépôts hors des fortifications et en économisant ainsi les 600 000 francs qu’elle paye annuellement à l’octroi ; mais il lui faudrait alors acquérir de nouveaux terrains, vendre ceux qu’elle possède, opérer par conséquent un remaniement complet dans son administration, dans ses façons d’agir, et placer ses remises et ses écuries bien loin des centres populeux qu’elle doit desservir.

Non contente d’offrir au public les fiacres et les voitures qu’on appelait autrefois de régie, la Compagnie générale, appréciant les besoins variés du monde parisien, a créé des voitures dites de grande remise ; ce sont celles qu’on loue à l’année, au mois ou à la journée, sans tarif fixe, à prix débattu. Elle a compris que ce dépôt particulier et tout à fait spécial devait être placé dans un quartier très-riche, très-fréquenté, en un mot dans le quartier de l’oisiveté et du luxe ; elle a fait construire cet établissement rue Basse-du-Rempart ; il est curieux et unique, je crois, en son genre.

Deux étages d’écuries superposées contiennent environ 260 chevaux carrossiers d’une valeur moyenne de 1 200 francs ; les cloisons des stalles sont mobiles, peuvent se détacher subitement à l’aide d’une simple sauterelle, et permettent ainsi d’éviter les accidents fréquents dans les écuries lorsqu’un cheval trop vif, se défendant, ou mal attaché, enjambe le bat-flanc de son box. Ces écuries immenses, fournies d’eau à chaque extrémité, balayées avec soin, où les cuivres reluisent comme sur un vaisseau de ligne, où le foin abonde, où la litière est haute, n’ont rien à envier aux belles écuries d’Angleterre. Elles sont alimentées par d’énormes greniers, d’où le foin bottelé s’échappe par un soupirail et d’où l’avoine s’écoule toute vannée à l’aide d’un tuyau ventilé par un double courant d’air. Non loin s’ouvre l’infirmerie, qu’un vétérinaire à demeure visite plusieurs fois par jour. Les deux étages d’écuries aboutissent de plain-pied, par une pente douce, dans une cour de 920 mètres carrés, couverte d’un vitrage, et qu’anime le mouvement des cochers sifflant et chantant. C’est là, en effet, la remise proprement dite et l’atelier de lavage. On n’y ménage pas l’eau, ni le tripoli pour le cuivre, ni le blanc d’Espagne pour le plaqué, ni le cirage pour les harnais. Derrière ce vaste hangar vitré s’arrondit une petite cour, où souffle la forge, où les maréchaux visitent et ferrent les chevaux.

Au premier étage s’étendent les magasins, d’où les voitures sont descendues à l’aide d’un treuil puissant facile à manœuvrer. Dans de larges salles sont rangés les carrosses, ainsi qu’on eût dit autrefois : calèches à huit ressorts, berlines, coupés Dorsay, landaus, sont pressés les uns contre les autres, tout luisants de vernis et prêts à aller briller aux Champs Élysées. À côté, la sellerie renferme les harnachements et les chaînes de fer poli. C’est là que l’on vient choisir sa voiture, quand on veut se donner ce luxe sans en avoir l’embarras. On habille le cocher au goût le plus nouveau, on lui fait au besoin une livrée spéciale que l’on peut broder sur chaque couture. Tout se paye, spécialement la vanité ; sur les panneaux, on peint toutes les armoiries, toutes les couronnes imaginables ; avec quelques écus on se donne facilement l’air d’un prince du saint-empire.

Une calèche à huit ressorts, attelée de deux chevaux assortis, se loue 1 200 francs par mois, plus 150 francs pour le cocher ; si l’on veut un valet de pied, c’est six francs par jour ; un chasseur coûte plus cher à cause des épaulettes, du baudrier et du chapeau à plumes. Si l’on est de si grande maison qu’il faille des gens poudrés, rien n’est plus simple. Il y a un cabinet de toilette spécial où on les enfarine avec élégance ; les jours de course, on les coiffe d’un catogan pour en faire des postillons ; au frontal des chevaux on ajoute des queues de renard, ou leur attache des grelots au cou, et le public naïf admire votre équipage. Grande remise que tout cela, tant par mois et quelquefois tant par heure ! Un employé me disait : Nous faisons toutes les noces huppées ! Je le crois sans peine. Pour ces sortes de cérémonies, l’administration fournit jusqu’aux bouquets de fleurs virginales qui décorent la boutonnière des cochers. On transporte les ministres, les ambassadeurs, les riches étrangers de passage à Paris ; on sert le luxe en un mot, et le grand confortable.

C’est là aussi que les jeunes personnes émancipées viennent prendre ces poney-chaises qu’elles conduisent elles-mêmes, à travers les écueils des boulevards et du bois de Boulogne. Mais, dans ce cas-là, l’administration ne fait pas preuve d’une confiance aveugle et elle demande toujours à être payée d’avance. Elle sait très-bien à quoi s’en tenir sur sa clientèle et je soupçonne que des notes secrètes sont tenues avec soin. Les romanciers qui s’occupent spécialement du monde moderne trouveraient, je crois, de précieux renseignements dans les registres de l’entreprise des grandes remises de la Compagnie générale.

Comme on l’imagine, les dépôts des voitures de place ne ressemblent guère à la luxueuse installation dont je viens de parler ; ils sont curieux cependant, et répondent à tous les besoins qui peuvent se présenter ; car il faut être prêt à parer à toute éventualité et ne jamais se laisser prendre au dépourvu. Sauf des détails peu importants, les dépôts se ressemblent singulièrement, et celui de l’avenue Ségur donnera au lecteur une idée générale de l’organisation de tous les autres. Une immense cour est occupée sur chacun des quatre côtés par un bâtiment composé d’un rez-de-chaussée et d’un étage en brisis ; en bas sont les écuries, en haut sont les greniers. Au milieu de la cour un hangar en bois soutenu par des piliers et séparé en trois larges avenues forme la remise ; c’est là que dans un ordre réglementaire sont rangées les voitures lorsqu’elles ont terminé le service journalier. Des pigeons, des poules picorent les grains d’avoine tombés des musettes et paraissent vivre en assez bonne intelligence avec les chats et les chiens terriers chargés de faire la chasse aux rats. Un vaste abreuvoir demi-circulaire donne l’eau en abondance pour les chevaux et pour les besoins du service. L’infirmerie et la forge occupent un des coins de la cour.

Chaque cheval acquis par la Compagnie après essais est marqué au sabot d’un chiffre qui constate son identité. Puis on établit son état civil : sur une fiche, on inscrit son âge, son signalement, son prix, ses qualités, ses tares, la date de son entrée au service, le nom du vendeur. Les petits chevaux venaient autrefois en grande partie de la Bretagne ; mais cette province est épuisée : on les tire généralement de Normandie ; les environs de Cherbourg produisent une race solide et fort estimée ; les gros chevaux arrivent du Perche et du Limousin. Ce n’est point une œuvre facile de recruter la cavalerie de la Compagnie générale, et c’est avec raison qu’un homme spécial a pu dire : « Il faut, pour le service de Paris, des chevaux de race énergique, habitués aux privations et à la misère. » Dans de bonnes conditions de nourriture, de logement et de santé, un cheval de fiacre dure de trois à cinq ans ; au bout de ce temps-là, il prend généralement le triste chemin de l’équarrissage.

Après avoir traversé une autre cour plus petite et côtoyée également par une double écurie, on pénètre dans de larges ateliers où l’on répare les voitures endommagées par accident ou par usure. Là on les repeint, on les capitonne, on remet le rais brisé, l’écrou perdu, le brancard éclaté, le marchepied faussé : c’est à la fois l’hôpital et le cabinet de toilette des fiacres ; on panse leurs plaies, qui sont nombreuses et fréquentes ; quand ils sont trop vieux, on les farde

Pour réparer des ans l’irréparable outrage.

Au delà de ces ateliers s’ouvre une longue cour, qu’on nomme plaisamment la Sorbonne des cochers. C’est là en effet qu’ils passent leurs examens et qu’ils prouvent s’ils sont aptes à conduire une voiture. La seule constatation de leur habileté ne suffit pas ; il faut qu’ils connaissent Paris, ce Paris multiple, enchevêtré, dont les rues changent de nom tous les huit jours et où Thésée se perdrait malgré le fil d’Ariane. On interroge le postulant. Soyez certain qu’on ne lui demande pas quelle route il suivra pour aller de la place de la Concorde à l’Arc-de-Triomphe ; mais on lui dira : Par quel chemin irez-vous de l’impasse Saint-Sabin à la rue de l’Épée-de-Bois ? Si le bachelier répond mal, il n’obtient pas son diplôme ; mais, dès qu’il a passé un examen suffisant, il est nommé cocher adjoint ; il a payé 25 francs pour prix des leçons de dressage qu’on lui a données, il dépose un cautionnement de 200 francs pour garantir le payement de ses futures amendes, il monte sur son siège, entre en circulation, et au bout de six mois, s’il n’a pas trop accroché, n’a pas trop injurié les passants, n’a pas trop volé l’administration, ne s’est pas trop grisé, ne s’est pas trop battu avec ses camarades, n’a pas trop gardé pour lui ce qu’on avait oublié dans sa voiture, n’a pas eu trop de démêlés avec la police, il devient cocher titulaire.

La Compagnie générale a deux ateliers de construction, l’un situé rue Stanislas, l’autre rue du Chemin-Vert. Nous visiterons le premier, qui couvre une étendue de 15 000 mètres de terrain. Les matières y arrivent à l’état brut ; elles en sortent sous forme de fiacres, de coupés, de victorias, de voitures de grande remise. Les bâtiments sont divisés en deux parties bien distinctes : les magasins et les ateliers proprement dits. Les magasins renferment en quantité considérable tout ce qui est nécessaire à l’attirail complet d’une voiture : drap pour les tentures, cuir pour les capotes, poignées pour les portières, passementeries pour les embrasses, mérinos rouge pour les stores, paillassons pour garnir le fond, boutons de faïence pour faire mouvoir la sonnette d’appel, musettes et couvertures pour les chevaux, bottes de fouets, paquets de crin ; tout est rangé, étiqueté et ne sort du magasin que sur un bon signé du chef d’atelier.

Plus loin, sont empilés les ressorts, les essieux, les cercles de moyeux, les écrous, les clous, les vis, les lanternes, les crochets d’italiennes, les boucles de harnais, les mors, les marchepieds, tous de dimensions réglementaires et en rapport mathématique avec chacune des espèces de voitures que fabrique la Compagnie. Dans des greniers longs et étroits qui font le tour de la maison, on a disposé tous les morceaux de bois œuvré qui entrent dans la construction des voitures. Les essences sont différentes selon les parties : la carcasse est en frêne, les brancards sont en chêne ou en noyer, les panneaux en orme, la doublure de l’impériale de tôle est en sapin. Chaque catégorie de voitures à sa chambre particulière : ici le trois-quarts (c’est le nom administratif du fiacre), là le coupé, plus loin la Victoria. Chaque voiture représente un nombre de casiers égal au nombre de pièces qui la composent ; le fiacre à quatre places en compte cent soixante-trois.

Au-dessous de ces larges magasins si bien approvisionnés, s’étendent les ateliers de carrosserie et de charronnage ; c’est là qu’on assemble les pièces de menuiserie, qu’on les ferre, qu’on les couvre, qu’on les peint et qu’on les vernit, pendant que dans une salle voisine les bourreliers tirent l’aiguille, taillent le cuir et façonnent les colliers à grand renfort de filasse. C’est d’une activité merveilleuse ; les voitures naissent et grandissent à vue d’œil. J’ai pu voir là trois cents paniers reluisants, coquets et tout battants neufs qu’on allait mettre en circulation.

Dans une autre partie de l’établissement, en face, dans la même rue, gronde une machine forte de vingt chevaux qui fait mouvoir les forges et la scierie. Les martinets, les tours, les forêts, les meules obéissent à la vapeur, qui enfle aussi les soufflets et fait fonctionner le ventilateur ; c’est là qu’on coude les cols de cygne, qu’on assemble les ressorts, qu’on bat les essieux, dont on tourne les fusées selon un calibre voulu. Les ouvriers, noircis, en sueur, défendus par le large tablier de cuir, vont et viennent à travers ces fournaises retentissantes où jaillissent les étincelles, où les enclumes résonnent en cadence sous le choc assuré des frappe-devant.

À ce bruit se mêle celui de la scierie mécanique, qui est voisine. Les pièces de bois, les troncs d’arbres, amenés à l’aide d’un petit chemin de fer sont livrés aux dents aiguës qui les taillent ; le ronflement précipité de la scie à rubans est dominé par le cri horrible de la scie circulaire, qui ne laisse même pas entendre le va-et-vient de la scie à mouvement alternatif : c’est une rumeur folle. Dans les cours sont rangés les troncs d’arbres qui attendent que le temps les ait fait suffisamment sécher pour en rendre l’emploi possible ; ils sont déjà débités en planches séparées l’une de l’autre par un tasseau qui permet la circulation de l’air sur toutes les surfaces et active ainsi la dessiccation. Malgré ces précautions, il faut trois années de stage avant de pouvoir utiliser le bois.

Quand une voiture est sortie des ateliers de la rue Stanislas, elle n’y rentre jamais que pour être brisée[9]. Toutes les réparations dont elle peut avoir besoin pendant le cours de son existence doivent être faites au dépôt qui lui est assigné. Lorsqu’elle a reçu son numéro et ses timbres administratifs, la Compagnie générale lui ouvre un compte sur lequel on porte avec soin toutes les dégradations qu’elle subit et l’usure régulière, qui est calculée à 0  fr.  50 par jour de travail ; une voiture perd donc en moyenne 180 francs par an. En dehors des réparations urgentes et nécessitées par les accidents particuliers qui peuvent l’atteindre, elle a droit réglementairement à deux peintures par année. Lorsque à force de rouler sur le pavé de Paris, de suivre les noces, les enterrements et les baptêmes, de faire le tour du bois de Boulogne, d’attendre à la porte des ministères, des hôtels et des cabarets, elle voit arriver, comme le poëte,

L’instant de retourner au sein de la nature,


elle est renvoyée aux ateliers d’où elle est sortie jadis toute fraîche et pimpante. On la casse (c’est le mot technique), on la dépèce ; on remet les ferrures à la forge, on essaye d’utiliser les vieux bois, puis du reste de sa défroque on fait un paquet que l’on vend à quelque brocanteur qui saura bien encore tirer parti de ces épaves décrépites.

ii. — les cochers.

Provenances principales. — Les bons sujets. — Les ivrognes. — Les bohèmes. — Épaves. — Les prêtres et les bacheliers. — Manière dont les cochers envisagent la caisse de leur administration. — Compteur mécanique. — Surveillance et contrôle. — Inspecteurs ambulants. — Police secrète. — Produit des amendes. — Mise à pied. — Préfecture de police : service des voitures. — Enquêtes. — Dossier. — Plaintes. — Récompenses. — Le cocher Collignon. — La fourrière. — Le chenil. — Voleurs de chiens. — L’écurie. — Inspecteurs des chevaux et des voitures. — Dépôt de la préfecture. — Objets trouvés. — Dépôt central. — Fagots de parapluies. — Un cocher russe. — Progrès.

Les cochers forment au milieu de la population parisienne une classe distincte, généralement peu estimée et souvent difficile à manier. L’habitude de marcher à toute réquisition vers un but toujours différent et qu’ils ne choisissent jamais, aurait dû les façonner à une sorte d’obéissance passive. Il n’en est rien. Le cocher de fiacre est un révolté, toujours en lutte contre son administration, qu’il essaye de tromper, contre la préfecture de police, qu’il maudit tout en tremblant devant elle. C’est un monde à part, composé de toute espèce d’éléments. Les provinces où il se recrute principalement sont la Lorraine, la Normandie, l’Auvergne et la Savoie ; cette dernière fournit les meilleurs sujets, j’entends les plus soumis et les moins ivrognes.

Les cochers peuvent se diviser en trois catégories : les bons sujets, qui aiment leur métier, qui ont le goût des chevaux, cherchent à s’amasser un petit pécule pour devenir à leur tour propriétaires d’une voiture attelée, connaissent le code multiple des contraventions et des délits, évitent les punitions disciplinaires et sont parfois récompensés pour leur probité. Les ivrognes viennent ensuite : la passion du vin les entraîne ; entre chaque course, ils s’arrêtent au cabaret et boivent un canon ; à ce métier-là, la raison ne résiste pas longtemps, et si l’habitude de conduire n’était devenue pour eux une seconde nature, tout accident serait à redouter ; à moins que l’ivresse ne les égare et ne les pousse à la brutalité, ils ne sont point mauvais ; ils se repentent volontiers et sincèrement de leur sottise, mais ils recommencent le lendemain, tout en jurant qu’on ne les y reprendra plus. Ceux-là aussi aiment et soignent leurs chevaux ; un vieux proverbe a cours dans les écuries : « Cheval d’ivrogne n’est jamais maigre. »

Les derniers, on les appelle les bohèmes. Ceux-là sont récalcitrants et parfois dangereux ; leur fouet est l’argument qu’ils emploient de préférence ; de punition en punition, ils en arrivent à l’exclusion du service ; la police correctionnelle les connaît et souvent même la cour d’assises aussi. Ce sont les déclassés, les paresseux, les incorrigibles, épaves incommodes que toute civilisation rejette sur ses bords. Ce qui les a amenés à faire un métier pour lequel ils n’ont aucune aptitude, c’est l’horreur du travail, le dégoût de la vie régulière, l’effroi de toute contrainte ; ils se sont imaginé qu’une fois sur leur siège, au grand air, s’arrêtant deci et delà pour étrangler un perroquet, comme ils disent dans leur argot, c’est-à-dire pour boire un verre d’absinthe, ils seraient libres, ou du moins auraient l’illusion de la liberté : erreur profonde, dont ils ne tardent pas à revenir, qui leur cause un dépit amer et les jette parfois dans des rébellions sérieuses. Pour ceux-là, le cheval peut crever, la voiture être défoncée, que leur importe ? à leurs yeux, les agents sont des mouchards, le directeur général un tyran, le surveillant une canaille. Toute révolte leur paraît permise, et le bourgeois serait pour eux une proie toujours attaquée, si la préfecture de police ne les tenait sous sa main de fer. Ils connaissent bien le chemin de la fourrière et du violon ; leur montre est souvent au mont-de-piété, leur paye est toujours dépensée d’avance, ils vivent d’emprunts qu’ils ne remboursent jamais. On en a vu qui dételaient leur voiture, l’abandonnaient au hasard sur la voie publique, vendaient le cheval à vil prix et s’en allaient vers les barrières mal famées épuiser en orgies le produit de leur vol. On les jette en cour d’assises, on les interroge : « Pourquoi avez-vous vendu un cheval qui ne vous appartenait pas ? — Ah ! voilà ; ça me disait d’aller faire la noce. »

Où se ramasse ce personnel à faces innombrables qui compose à Paris les cochers de voitures de louage ? Partout ; il n’existe peut-être pas une seule classe de la société qui n’y ait fourni quelques sujets : beaucoup de cochers particuliers se trouvant sans place, des gens de la campagne venus pour tenter la fortune de la grande ville et n’ayant point réussi, d’anciens soldats du train, des garçons de café, des perruquiers, des porteurs d’eau, des huissiers ruinés, des maîtres d’étude chassés de leur collège, des clercs de notaire congédiés, des photographes en faillite, enfin, je n’oserais le dire si je n’en étais certain, il existe aujourd’hui sur le siège d’un fiacre le fils d’un ambassadeur de France. Rien ne serait plus instructif et plus étrange que de dépouiller le dossier des cochers de Paris ; on découvrirait là des mystères sociaux que l’imagination la plus féconde ne saurait inventer.

À propos d’un procès célèbre, on a beaucoup parlé, il y a quelques années, des cochers de fiacres ; on a fabriqué des statistiques baroques, et l’on a même imprimé que plus de sept cents prêtres interdits ou défroqués appartenaient au service des voitures publiques. Cette prétendue découverte eut du retentissement ; le parlement anglais s’en occupa incidemment et des explications furent demandées à la préfecture de police. Comme toujours l’esprit de parti s’était mêlé de cette affaire et l’avait singulièrement exagérée. Il y a des prêtres réfractaires parmi les cochers parisiens, ceci n’est point douteux, mais ils sont en nombre infime, et je puis affirmer, avec connaissance de cause, que depuis douze ans un seul s’est présenté aux bureaux de la police pour demander son inscription de cocher. En revanche, les bacheliers ès lettres abondent, et du haut de leur siège ils peuvent dire, en se rappelant un vieux souvenir de collège :

Quadrupedante putrem sonitu quatit ungula campum.

Les cochers paraissent pour la plupart n’avoir sur le droit de propriété que des notions peu distinctes et tout à fait insuffisantes. Je ne veux pas dire par là qu’ils détroussent les passants et crochètent les serrures ; non, mais en général ils considèrent volontiers la caisse de leur administration comme une caisse commune, à laquelle il n’est point criminel de puiser de temps en temps. Les calculs les plus modérés estiment que chaque cocher détourne en moyenne trois francs par jour ; or il y a à Paris 6 101 voitures de louage payées à la course ou à l’heure ; les cochers s’attribuent donc par an la somme de 6 680 595 francs ; c’est presque un budget. On a essayé de bien des moyens pour arrêter cette fraude permanente, on a toujours échoué. La préfecture de police, la préfecture de la Seine, la Compagnie générale, ont proposé un prix important pour l’inventeur d’un compteur infaillible qui serait à l’abri du cocher et du client. On n’a point réussi jusqu’à présent. Le problème, en effet, n’est point facile à résoudre. Il faudrait que l’appareil indiquât, d’une façon positive, l’espace parcouru, le temps employé à le parcourir, les moments de repos, la vitesse du cheval et enfin si la voiture a été louée à l’heure ou à la course. On cherche, on fait des essais, mais en admettant qu’on soit, comme on l’a dit, sur le point de découvrir le chef-d’œuvre rêvé, je ne donne pas huit jours aux cochers pour l’avoir rendu aussi menteur que leur feuille de travail. Qui ne se souvient de ces fameux cabriolets compteurs dont le cadran indicateur passait pour une merveille ? Ils n’ont pas duré deux mois. Pour contrôler la probité des cochers, la préfecture de police et la Compagnie générale ont imaginé divers moyens qui approchent du but, mais ne l’atteignent pas.

À chacune des cent cinquante-huit places disséminées dans Paris, un surveillant est attaché ; de cinq minutes en cinq minutes, il doit inscrire le numéro des voitures qui sont à la station, veiller à ce que les deux cochers qui sont en tête ne donnent pas à manger à leurs chevaux et à ce qu’ils ne les quittent pas sans permission. Dès qu’un fiacre s’éloigne, on note sur un carnet l’heure exacte de son départ, comme on a déjà écrit le moment de son arrivée. Par la comparaison du carnet des surveillants et de la feuille tenue par le cocher lui-même, on a un point de repère pour vérifier les erreurs. Cette organisation, qui est excellente et qui a rendu de grands services à la population parisienne, appartient à la préfecture de police.

De son côté, la Compagnie générale a des inspecteurs ambulants qui visitent les stations, relèvent les numéros qui s’y trouvent, parcourent les rues, visent la feuille des cochers arrêtés aux portes, prennent note de ceux qu’ils voient charger sur la voie publique, interrogent parfois les personnes qui quittent les voitures et font chaque soir un rapport sur les observations qu’ils ont recueillies dans la journée. C’est un troisième moyen de contrôle ; mais il en est un quatrième que les cochers redoutent singulièrement, car ils en ignorent le mécanisme. La Compagnie générale à une police secrète parfaitement installée, fonctionnant régulièrement et qui forme une véritable administration, dont le siège est situé dans un des quartiers élégants de Paris. Les agents de cette surveillance occulte se mettent en rapport avec les personnes qui, par fonction, sont forcées de prendre souvent des voitures. Moyennant des conventions que l’on peut soupçonner[10], ces personnes remettent à l’agence secrète la carte des voitures qu’elles ont employées, après avoir eu le soin d’y écrire le nombre exact d’heures et de minutes qu’elles ont payées. Ces cartes, adressées à la Compagnie générale, sont mises en regard de la feuille des cochers ; si une erreur est constatée, si un préjudice a été fait à la Compagnie, l’agent secret reçoit sept francs pour prix de sa délation, et le cocher est frappé d’une amende qui peut varier de vingt à cent francs. C’est sur le travail à l’heure que les cochers volent le plus ; s’ils marchent pendant une heure un quart, ils portent une heure sur leur bulletin et empochent la différence ; c’est donc principalement aux gens qui gardent les fiacres une partie de la journée que s’adresse cette mystérieuse police. Le procédé est ingénieux, les cochers le soupçonnent, mais comment reconnaître ces surveillants discrets qui se laissent toujours ignorer et n’ont point souci d’avouer l’étrange métier qu’ils font[11] ?

Le produit des amendes est versé à la caisse de la société de secours mutuels et de prévoyance formée entre les cochers et les divers employés ; elle est alimentée en outre par des cotisations mensuelles, par des souscriptions et par une subvention de la Compagnie qui, n’épargnant rien pour se défendre contre l’âpreté des cochers, essaye de les moraliser par le bien-être et l’économie. Les grosses amendes ne sont appliquées que pour vol ; les peccadilles, les insolences, les refus momentanés de service, sont punis par des amendes de un à vingt francs. La mise à pied, c’est-à-dire l’interdiction de travailler, est la dernière mesure à laquelle se résout la Compagnie, et seulement lorsqu’elle doit sévir contre un cocher grossier envers un voyageur. Les cochers redoutent les sévérités de leur administration, mais ce qu’ils craignent bien plus encore, c’est la préfecture de police, la curieuse, comme ils l’appellent. En effet, elle est pour eux une autorité souveraine : c’est le premier et le dernier ressort de la juridiction disciplinaire à laquelle ils sont soumis.

Un service spécial est consacré aux voitures de louage ; je l’ai étudié en détail, et je puis dire avec quelle régularité il fonctionne. Tout semble avoir été prévu pour assurer le roulement régulier des voitures dans Paris et pour rendre les cochers des serviteurs, non pas dévoués, — c’est impossible, — mais du moins polis et obéissants. Nul ne peut exercer le métier de cocher de voiture publique sans y être autorisé par la préfecture de police. Une demande ad hoc accompagnée de pièces constatant l’identité du candidat doit être remise dans les bureaux. Une enquête est immédiatement ouverte sur le postulant ; on écrit dans les pays où il a séjourné, aux différents patrons qu’il a pu servir, aux propriétaires des maisons qu’il a habitées, et, selon les renseignements que l’on a obtenus, on lui refuse ou on lui accorde l’autorisation qu’il sollicite. Lorsque sa moralité paraît suffisante et qu’il est admis au nombre des cochers, on lui donne un numéro qui n’a rien de commun avec celui des voitures[12], et on forme son dossier. Une chemise de fort papier administratif contient toutes les pièces qui concernent le cocher. Elle est naturellement composée de quatre pages ; sur la première on écrit le nom du cocher, son numéro, la date de son inscription ; puis cette première page et la seconde portent l’intitulé : relevé des mises à pied, divisé en quatre colonnes : 1o numéros d’ordre ; 2o date des décisions ; 3o durée des punitions ; 4o analyse des plaintes. La troisième page est partagée en deux : relevé des rapports non suivis de punitions ; relevé des sommiers judiciaires ; la quatrième est réservée aux antécédents : favorables — défavorables. De sorte qu’au premier coup d’œil on voit à qui l’on a affaire, et qu’on peut prononcer en connaissance de cause.

Toute plainte adressée à la police contre un cocher est suivie d’effet. Si la plainte a été écrite sur le registre spécial qui est déposé dans chacune des stations de Paris, elle est copiée par le surveillant et envoyée par lui au chef de bureau ; si la plainte a été adressée directement au préfet, elle est immédiatement transmise au même chef de bureau, qui connaît son nombreux personnel de façon à ne se point laisser tromper. Une instruction est faite par le contrôleur de la fourrière, le cocher inculpé est appelé ; s’il y a doute, on le met en présence du plaignant, afin qu’il y ait débat contradictoire ; le contrôleur fait le rapport, explique brièvement, sur une formule imprimée, les faits qui sont à la charge et à la décharge du cocher, et propose, selon sa conviction, une punition ou un acquittement ; puis le tout est retourné au chef de bureau, qui, revoyant de nouveau l’affaire, pesant les considérations qui militent pour ou contre le cocher, prononce sans appel. Le plaignant est alors prévenu par une lettre officielle de la décision que la préfecture de police a prise. La peine est toujours une mise à pied plus ou moins longue ; jamais on n’inflige d’amendes : au profit de qui seraient-elles versées ? Cependant lorsque tous les ans la préfecture de police récompense les cochers qui ont montré de la probité, c’est dans sa propre caisse qu’elle prend les 1 500 fr. qu’elle leur distribue.

Quand un cocher est devenu absolument incorrigible, que les observations, les punitions, les réprimandes, les menaces, les encouragements, s’émoussent sur son obstination, on le renvoie et on lui retire le droit de conduire les voitures de louage. L’exclusion n’est jamais prononcée que par le préfet de police lui-même, sur le rapport minutieusement motivé du chef de bureau spécial approuvé par le chef de division. Le samedi, on réunit à la préfecture de police toutes les condamnations disciplinaires prononcées pendant la semaine, on les signale le lundi à la brigade de sergents de ville spécialement chargée de la surveillance des voitures[13], et la mise à pied commence réglementairement le mardi. Les réclamations des voyageurs sont nombreuses : 180 par mois environ, dont 60 au moins sont suivies de punitions ; l’année 1866 a été exceptionnelle, car elle n’a produit que 1 754 plaintes.

Autrefois, lorsqu’un cocher avait surtaxé un voyageur et qu’on en acquérait la preuve, il était mis à pied et, de plus, il devait se transporter de sa personne chez le plaignant, lui faire des excuses, lui remettre la somme en trop qu’il avait exigée et rapporter à la préfecture de police le reçu qui constatait sa restitution. Cette méthode offrait plus de danger qu’on ne pensait ; on en fit la dure expérience. Le 16 septembre 1855, le directeur de l’école normale de Douai, M. Juge, accompagné de sa femme, prit sur la place de la Concorde la voiture du cocher Collignon et se fit conduire au Bois de Boulogne. Le cocher exigea du voyageur plus qu’il ne lui était dû. M. Juge adressa une plainte à la préfecture de police dès le lendemain. Le 22 septembre, Collignon, appelé à la fourrière, reçut l’ordre d’aller reporter à M. Juge la somme qui constituait la surtaxe. En sortant de la fourrière, Collignon acheta des pistolets ; il vendit son mobilier le 24, et se rendit rue d’Enfer, 83, chez M. Juge. La discussion fut des plus calmes, mais, pendant que M. Juge signait le reçu, Collignon lui tira un coup de pistolet à bout portant et lui fit sauter la cervelle ; Mme  Juge s’étant précipitée pour soutenir son mari, l’assassin la visa, fit feu et la manqua. Puis il ouvrit la porte et se sauvait dans les escaliers, lorsqu’il fut arrêté par Proudhon. Il comparut le 12 novembre devant la cour d’assises et fut condamné à mort. Il ne montra aucun repentir ni pendant les débats, ni en prison, ni à la dernière heure. Il mourut impassible sur l’échafaud le 6 décembre. Depuis cet événement on a adopté un autre système de restitution. La somme exigée en sus du prix légitimement dû est déposée à la préfecture de police, qui fait écrire au voyageur lésé qu’il ait à venir la retirer ; si on l’abandonne, ce sont les bureaux de bienfaisance qui en profitent au bout d’une année.

Les cochers sont tenus de montrer leurs papiers à toute réquisition des agents de l’autorité ; ceux-ci sont en outre chargés de faire conduire à la fourrière les voitures abandonnées sur la voie publique ou dont les cochers sont dans un tel état d’ivresse qu’il serait dangereux de les laisser circuler plus longtemps. La fourrière joue un assez grand rôle dans la vie des fiacres pour qu’il soit bon de la faire connaître. Elle est située rue de Pontoise, à deux pas du boulevard Saint-Germain. C’est un bâtiment triste à voir, surmonté d’un vieux drapeau fané qui flotte au-dessus de la porte charretière. Une petite maison contient le logement et les bureaux du contrôleur ; dans l’antichambre, deux gardes municipaux de planton sont toujours là prêts à prêter main-forte, s’il en est besoin ; c’est là que souvent on appelle les plaignants et les cochers, lorsqu’une confrontation est devenue nécessaire ; ai-je besoin de dire que de minutieuses précautions sont prises pour isoler les deux parties tout en les faisant communiquer ?

La cour est un immense hangar accosté d’un chenil et d’une écurie. On y fait, au prix de 70 centimes, le numérotage officiel des voitures de place, et on y entasse aussi toutes les épaves trouvées dans les rues de Paris ou les gros objets vendus en contravention. Les charrettes à bras y sont en grand nombre et aussi les boites à lait que les corniers déposent aux portes le matin et que des farceurs s’amusent à déplacer ; un agent de police les trouve et les expédie à la fourrière. Il y a de tout dans cette morgue de choses inanimées, un mobilier abandonné dans un déménagement furtif, une harpe enlevée sans doute à quelque pauvre petit virtuose non autorisé, deux ou trois vieux coupés laissés sur les boulevards extérieurs, des échelles, des tonneaux vides ; j’y ai vu un tableau d’histoire que la veille on avait trouvé à minuit dans la rue de Clichy. Si au bout d’un an ces objets ne sont pas réclamés, on en fait ce que l’on nomme livraison au domaine.

À côté s’ouvre le chenil ; il est bruyant et plein. Chaque chien à sa niche spéciale, très-aérée, avec plancher en pente et une bonne toiture. Tous les huit jours, le domaine les vend quand ils en valent la peine et qu’ils n’ont pas été réclamés, sinon ils sont remis à l’équarrisseur, qui les pend. La fourrière reçoit en moyenne 900 chiens par mois, dont 600 sont condamnés à mort. Jadis il suffisait d’avoir un chien perdu à réclamer pour pouvoir entrer au chenil et faire son choix. Le métier de voleur de chiens est lucratif et bien des gens l’exercent. Pour le bien faire, il faut être deux. Un des acolytes visite la fourrière, prend le signalement d’un beau chien et s’en va. Quelques heures après, l’autre arrive et demande si l’on n’a pas un chien de telle robe et de tel poil. On lui remet, en échange du prix de la nourriture, le chien désigné, qu’il va vendre au plus tôt. On exigeait, il est vrai, un certificat d’un commissaire de police et l’affirmation écrite de deux témoins ; mais de telles pièces n’étaient point difficiles à obtenir et n’offraient point une garantie sérieuse. Aussi pour sauvegarder les intérêts des propriétaires, pour éviter de laisser ce genre de commerce s’étendre, on ne peut aujourd’hui parcourir le chenil qu’après avoir inscrit sur un registre son nom, son adresse et les signes caractéristiques au chien que l’on réclame.

L’écurie est voisine ; trois ou quatre pauvres rosses y mangent le foin amer de la captivité ; leurs voitures saisies sont sous le hangar ; où sont les cochers ? Au violon sans doute pour tapage nocturne, ivresse et rébellion. Tout animal égaré est conduit en fourrière. N’y a-t-on pas amené un troupeau de bœufs qui se promenait la nuit dans l’avenue de l’Impératrice, pendant que son conducteur ronflait sous la table d’un cabaret ? De la fourrière dépendent les inspecteurs des voitures et celui des chevaux. Un agent spécial est chargé de constater sur les places et sous les remises quels sont les chevaux dont l’apparence misérable indique qu’ils ne peuvent plus faire leur service. Le cocher ou l’entrepreneur est alors appelé à la fourrière, et il est sommé d’avoir à remplacer le cheval condamné par un autre qui soit moins invalide. Deux agents inspectent les voitures ; ils doivent les visiter, s’assurer qu’elles n’offrent aucun danger pour le public : celles que la vieillesse ou le malheur a rendues trop hideuses sont exclues de la circulation. Je suis persuadé que ces deux derniers agents remplissent leur mission avec zèle ; mais à voir les horribles pataches que mènent certains rôdeurs, on pourrait en douter.

La fourrière n’est pas le seul local où l’on dépose les épaves ; il en est un autre spécialement destiné à recevoir les objets oubliés dans les voitures de louage ; il est situé à la préfecture de police même et ne chôme guère : c’est un va-et-vient perpétuel. D’après les règlements, tout cocher doit, sous peine de contravention, visiter sa voiture lorsqu’un voyageur en descend et déposer à son administration les objets qu’il a pu y trouver. Celle-ci les envoie à la préfecture[14]. Chacun de ces objets, quel qu’il soit, est inscrit sur un registre, porte un numéro d’ordre particulier, plus le numéro de la voiture où il a été laissé, et est rangé dans un casier qui est le contraire du tonneau des Danaïdes, car il se remplit toujours et ne se vide jamais. J’y ai vu bien des parapluies, bien des manchons, bien des sacs, bien des lorgnettes, et un portefeuille qui renfermait 6 500 francs. Si l’objet déposé contient une indication quelconque qui permette de reconnaître le propriétaire, on écrit immédiatement à ce dernier afin de le prévenir.

Le bureau des objets trouvés dans les voitures serait vite encombré ; aussi, tous les mois, il verse au dépôt central tout ce qui n’a pas été légitimement repris. Ce dépôt est curieux : c’est une série de pièces obscures, espèces de caves situées au rez-de-chaussée, et où le gaz doit être incessamment allumé. C’est la catacombe des parapluies, jamais je n’en ai tant vu ; ils sont par bottes, en chantier comme des fagots ; chacun d’eux est muni d’une étiquette indicative. La comptabilité est fort bien tenue et varie selon que les objets ont été trouvés dans des voitures de louage, dans des omnibus, dans des wagons de chemins de fer, dans des hôtels garnis, sur la voie publique ou qu’ils proviennent de contraventions. Il y a un registre particulièrement affecté aux parapluies. Les restitutions sont en moyenne de 40 pour 100 ; cependant au mois de mars 1867 le dépôt central gardait 19 636 objets trouvés dans les voitures pendant l’année 1866 et qui n’ont pas encore été réclamés ; sur ce nombre, il faut compter 6 225 parapluies. Tout est enregistré, contrôlé, catalogué. Chaque objet, quel qu’il soit, fût-ce un gant dépareillé, à sa feuille d’entrée, sa place désignée, son bulletin de sortie ou son procès-verbal de livraison au domaine, qui devient propriétaire définitif au bout de trois ans.

Il est triste d’avoir à constater, mais il est certain, que l’étroite surveillance dont les cochers sont l’objet, les a rendus plus honnêtes que par le passé. Leur probité s’est accrue en proportion exacte du contrôle. Aussi les cochers fidèles, dont jadis on faisait des enseignes de cabaret, sont moins rares aujourd’hui qu’autrefois. Le diable n’y perd rien sans doute ; mais s’ils enragent d’être forcés à de pénibles restitutions, ils ont du moins plus de philosophie qu’un cocher russe dont on m’a conté l’histoire. M. X. gagne trente mille roubles au jeu ; à minuit, il quitte la réunion où il était, monte dans un coupé de louage qu’il avait pris au mois, rentre chez lui et s’aperçoit aussitôt qu’il a oublié ses billets de banque sur les coussins de la voiture. Il court à la remise, trouve le cocher occupé à donner l’avoine à son cheval, ouvre le coupé et y reprend les 30 000 roubles qui n’avaient même pas été aperçus. À cette vue, le cocher se frappe la tête, saisit un licou, le passe dans une des poutres de l’écurie et se pend de désespoir d’avoir manqué une si bonne aubaine.

La Compagnie générale et la préfecture de police font ce qu’elles peuvent pour assurer le service des voitures de louage, auquel la population parisienne est accoutumée maintenant, qui n’est pas parfait, mais qui s’améliore chaque jour en raison directe de l’expérience et de la bonne volonté de ceux qui le dirigent. Mes contemporains, j’entends ceux dont les souvenirs d’enfance remontent à plus de trente ans, peuvent être frappés comme moi des progrès remarquables que l’organisation des voitures de place a faits à Paris. Ces progrès, il serait ingrat de ne pas les reconnaître et injuste de ne pas les signaler.

iii. — les omnibus.

Pascal et les carrosses à cinq sols. — Routes des premiers omnibus. — Ordonnance du 7 février 1662. — Nantes, 1826. — M. Baudry repoussé à Paris. — 30 janvier 1828. — Le nom. — Fanfares. — Mauvais début. — Fortune. — Décret centralisateur du 22 février 1855. — L’entreprise en 1855 et en 1866. — Trajet annuel. — Bénéfices. — Améliorations. — Trajets allongés. — Correspondances. — Places d’impériale. — Cavalerie. — Provenance. — L’administration des haras et les chevaux hongres. — Dépôts. — Service médical. — Départ. — Écuries et relais. — Chevaux de renfort. — Couplage des chevaux. — Carrosserie. — Impôt municipal. — Cochers et conducteurs. — Précautions. — Vols dans les omnibus. — Vol à la tire. — Objets oubliés. — Itinéraire forcé. — Lignes riches et lignes pauvres. — Le vendredi. — Condition des cochers et des conducteurs. — Accidents. — Barricades. — Enlèvement des neiges. — Octroi. — Souvenir de Henri IV. — Les voitures, les cochers et le public pendant la durée de l’Exposition universelle de 1867.


Dans une fourmilière comme Paris, toujours agitée, où les minutes valent des heures, où les distances sont parfois excessives, le seul service des voitures de louage marchant à la course et à l’heure ne pouvait suffire. Il est naturel qu’on ait pensé à mettre à la disposition du public des voitures qui, faisant le transport en commun et suivant des itinéraires déterminés, pouvaient offrir le double avantage de la rapidité et du bon marché. C’est de cette idée que naquirent les omnibus, vieille idée qui fut appliquée à Paris dans la seconde moitié du dix-septième siècle. Pascal, l’auteur des Provinciales, inventa les carrosses à cinq sols, que l’on inaugura solennellement le 16 mars 1662.

L’établissement des carrosses
Tirés par des chevaux non rosses,
(Mais qui pourront à l’avenir
Par le travail le devenir)
A commencé d’aujourd’hui même.
.............
Le dix-huit de mars notre veine
D’écrire cecy prit la peine.

C’est Loret qui le dit dans sa Muse historique, et on peut le croire, La bibliothèque de l’Arsenal possède une lettre de Gilberte Pascal avec post-scriptum de son frère, qui relate le même fait[15]. Les routes furent fixées de par le roy ; les cochers étaient vêtus aux couleurs de la ville de Paris, et les voitures étaient distinguées par un plus ou moins grand nombre de fleurs de lis, comme aujourd’hui elles sont distinguées par des numéros. Il y eut trois lignes parcourues chacune par sept carrosses. La première, commençant à la porte Saint-Antoine, aboutissait au Luxembourg ; la seconde partait de la place Royale et s’arrêtait rue Saint-Honoré, auprès de Saint-Roch ; la troisième allait du Luxembourg à la pointe Saint-Eustache. Le privilège de ces voitures avait été accordé par Louis XIV aux marquis de Sourches et de Crénan et au duc de Roannés qui, par alliance, tenait à la maison de Lorraine ; il est dit dans l’ordonnance, en date du 7 février 1662, qu’il leur est donné « faculté et permission d’establir en nostre dite ville et fauxbourgs de Paris, et autres de notre obéissance, tel nombre de carrosses qu’ils jugeront à propos, et aux lieux qu’ils trouveront le plus commode, qui partiront à heures réglées pour aller continuellement d’un quartier à un autre, où chacun de ceux qui se trouveront aux dites heures ne payera que sa place, par un prix modique, comme il est dit cy-dessus. » Les premiers carrosses ne pouvaient contenir que six personnes ; c’était trop peu ; on ne tarda pas à s’en apercevoir, et l’on y ajouta deux places de plus. L’usage de ces voitures était presque exclusivement réservé à la bourgeoisie ; quelques gens de noblesse s’y montrèrent parfois, mais le cas parut assez rare pour que les gazettes du temps crussent ne pas devoir le passer sous silence ; quant au peuple, ainsi que l’on disait alors, il en était sévèrement exclu. Ces carrosses durèrent une quinzaine d’années et disparurent sans laisser trace.

Il fallut attendre bien des années avant de les retrouver, et ce n’est pas à Paris qu’ils se montrent, c’est à Nantes, en 1826. ils y obtinrent un succès qui engagea l’entrepreneur à demander de les établir à Paris. M. Baudry, qui venait de remettre au jour la vieille invention de Pascal, avait été très-compromis dans les affaires du carbonarisme ; je ne sais si M. Delavau, qui était alors préfet de police, vit un danger politique dans la circulation de voitures destinées à toutes les classes de la société, mais il éconduisit M. Baudry, qui s’en alla à Bordeaux installer un service inauguré le 25 octobre 1827. Sur ces entrefaites, M. Debelleyme avait remplacé M. Delavau. Le nouveau préfet de police avait sans doute l’esprit plus libéral et moins timoré que son prédécesseur, car le 30 janvier 1828 il autorisa MM. Baudry, Boilard et Saint-Céran à mettre enfin leur projet à exécution. L’entreprise générale des omnibus fut fondée.

Le nom seul est un chef-d’œuvre. Il est à la fois facile à retenir, étrange par son origine exotique et contient une définition complète. En effet, les voitures étaient pour tous : c’est là ce qui devait en assurer le succès et finir par les rendre indispensables à la population. Cent omnibus furent offerts au public. Ils partaient de stations fixes, parcouraient un itinéraire invariable fixé par l’autorité compétente et contenaient quatorze places qui, comme au temps de Louis XIV, coûtaient cinq sous chacune. C’étaient de lourdes voitures dont la forme extérieure rappelait celle des gondoles ; elles étaient traînées par trois chevaux attelés de front, et le cocher — à l’aide d’une pédale à soufflet placée sous ses pieds et aboutissant à trois trompettes — sonnait des fanfares lugubres pour annoncer son passage.

Ce fut de l’engouement. Les omnibus suffisaient à peine à conduire tous les voyageurs qui se pressaient aux abords des stations. Cependant l’affaire ne réussit pas, elle était chargée de frais trop pesants, auxquels ne répondaient pas les bénéfices. On rétablit l’équilibre en supprimant un cheval, en augmentant de cinq centimes le prix de la course et en construisant des voitures qui, moins larges, mais plus longues, pouvaient contenir deux places de plus et un strapontin supplémentaire. Dès lors la fortune de l’entreprise fut faite ; chacun demanda des concessions nouvelles ; on n’en fut pas avare, et les rues de Paris furent sillonnées du matin au soir par des voitures oubliées aujourd’hui, mais qui firent parler d’elles autrefois.

C’étaient les tricycles, qui n’avaient que trois roues, les favorites, les béarnaises, les dames blanches, les dames réunies, les constantines, les batignollaises, les gazelles, les hirondelles, les écossaises, les excellentes, les parisiennes, les citadines, et d’autres certainement que j’oublie, qui vécurent un jour et n’ont plus reparu. Quelques-unes ont subsisté jusqu’en 1855. À cette époque, on voulut réunir en une seule toutes ces entreprises diverses ; une fusion s’opéra sous le patronage de l’administration municipale, et il n’y eut plus que des omnibus. Un décret du 22 février 1855 reconnaît à la Société formée pour cette exploitation le monopole exclusif du transport en commun dans Paris.

En 1855, l’entreprise avait dans Paris 347 voitures, qui ont transporté 36 000 000 de voyageurs ; en 1866, elle en a 664[16], qui ont transporté 107 212 074 personnes. Si à cette circulation exclusivement parisienne on ajoute celle de la banlieue (3 430 252) et celle des omnibus sur rails (1 401 474), on arrive au total énorme de 111 743 800 voyageurs pour une seule année. Ce chiffre prouve l’importance réellement générale d’un pareil service. S’il venait à manquer tout à coup, ce serait un désastre, et le Parisien ne saurait plus que devenir.

En effet, quel chemin resterait chaque jour à parcourir, si l’on n’avait plus ces larges voitures hospitalières qui font un trajet annuel de 21 971 928 kilomètres ? Quant au bénéfice que la Compagnie retire d’un tel transport, il semble assez minime : 1 centime par voyageur en 1866.

Depuis l’installation de 1828, les omnibus ont reçu des améliorations notables et dont il faut parler : les voitures sont plus commodes, les chevaux sont meilleurs, les conducteurs sont plus complaisants ; les besoins du public ont été mieux servis, grâce à deux mesures dues à l’initiative de M. Moreau-Chaslon qui, dès 1850, a pris la direction de l’entreprise et l’a toujours conduite avec un esprit pratique très-remarquable. Dans le principe, les lignes étaient fort courtes et par conséquent fort chères. Ainsi, celle des boulevards était divisée en deux : de la Madeleine à la porte Saint-Martin ; de la porte Saint-Martin à la Bastille. Aujourd’hui, ces deux points extrêmes sont réunis par un seul et même trajet ; mais cela ne parut pas suffisant, et on établit les correspondances[17], c’est-à-dire que pour le prix de la place une fois payé on a le droit de prendre deux voitures, de faire deux courses et de passer d’une ligne sur une autre. C’est ainsi que pour se rendre de Bercy à la porte Maillot il n’en coûte que 30 centimes[18] ; il est difficile de franchir de telles distances à meilleur marché. Sur le nombre de voyageurs transportés par les omnibus de Paris pendant l’année 1866, 17 331 217 ont profité du bénéfice des correspondances.

Cette amélioration date de 1854 ; il en est une autre plus récente (1853) qui a permis d’augmenter singulièrement les facilités de transport. Douze places à 15 centimes ont été établies sur l’impériale des voitures et offrent ainsi aux ouvriers, aux fumeurs, aux jeunes gens un moyen de voyager avec une dépense insignifiante. Le public a répondu avec empressement aux avances de l’administration, et tout le monde y a trouvé son compte, car en 1861 la banquette d’impériale des omnibus de Paris a reçu 42 590 517 personnes. Cette modification a nécessité un changement dans la construction des voitures ; on les a raccourcies de façon qu’elles ne puissent plus contenir que 14 personnes à l’intérieur. Un omnibus complet porte donc aujourd’hui 26 voyageurs[19], plus le conducteur et le cocher. Or 28 personnes représentent en moyenne 1 960 kilogrammes, la voiture en pèse 1 700 ; c’est donc un poids de 7 320 livres que les chevaux ont à déplacer, à faire mouvoir en trottant, à faire circuler à travers les mille obstacles qui encombrent la route. Aussi l’on comprend que l’administration des omnibus veille avec un soin tout particulier sur ses chevaux, qui sont généralement d’une vigueur et d’une beauté exceptionnelles.

Sa cavalerie, composée actuellement de 9 656 animaux, provient de Normandie, du Perche, des Ardennes et de Bretagne ; ils sont tous abondamment nourris, car le prix de chaque ration revient à 2 francs 59 centimes. Les omnibus n’emploient guère que des chevaux entiers ; s’ils offrent quelques difficultés pour le dressage, ils les compensent largement par leur force et leur entrain prolongé. L’administration des haras fait cependant de grands efforts pour propager l’usage des chevaux hongres, et elle y a réussi. A-t-elle raison, a-t-elle tort ? je ne saurais le dire ; il y a là une question d’hippiatrique pour laquelle je décline toute compétence, mais le but poursuivi est facile à déterminer. On veut, en cas de guerre, avoir sous la main une remonte toute faite de chevaux très-bien dressés, accoutumés à un service pénible, pour l’attelage de l’artillerie et du train : c’est assez bien imaginé ; l’entreprise générale, qui n’a encore que 7 ou 800 chevaux hongres dans ses écuries, était seule apte, en face des exigences de son service et des besoins du public, à juger de la conduite qu’elle avait à tenir[20].

L’entreprise a distribué ses écuries, ses remises et ses magasins dans quarante-quatre dépôts, dont vingt-six lui appartiennent et représentent une superficie de 138 857 mètres de terrain, couverts par 68 766 mètres de constructions. Tous sont tenus avec ordre et discipline. Depuis les plus anciens, comme celui de la barrière Blanche, jusqu’aux nouveaux, comme celui du faubourg Saint-Martin, qui est un dépôt modèle à deux étages d’écuries superposées, ils peuvent être offerts en exemple de ce qu’une exploitation de cette espèce, lorsqu’elle est bien dirigée, révèle d’intelligence et d’économie.

Chaque dépôt est sous la surveillance d’un chef accosté d’un ou de deux piqueurs ; il a la haute main sur les conducteurs, les cochers, les palefreniers, les charrons, les laveurs, les maréchaux-ferrants, les lampistes, et peut les punir disciplinairement. Chaque matin, il envoie à l’administration centrale un rapport détaillé selon une formule sur le personnel, la cavalerie et les fourrages ; chaque conducteur lui remet le soir la recette de la journée et sa feuille de travail. Le dépôt a son infirmerie visitée chaque soir par un vétérinaire ; quant au service médical pour les hommes, il est organisé de telle sorte qu’une consultation quotidienne est donnée dans un dépôt de chaque quartier et que les malades sont, au besoin, visités à domicile par les médecins de l’entreprise générale.

C’est entre six et sept heures du matin qu’il faut voir ces larges cours, où les poules se promènent en caquetant et en cherchant pâture[21]. Les chevaux de service achèvent de manger l’avoine ; on les harnache après les avoir frottés d’un dernier coup d’étrille et de brosse, on les détache, on leur donne une claque sur les reins en disant : Hue ! Ils traversent l’écurie l’un derrière l’autre, s’en vont lentement par la cour et viennent se placer devant la voiture qu’ils ont l’habitude de conduire, tranquillement, avec cette résignation intelligente qui est si admirable chez les animaux. Pendant qu’on les attelle, le cocher arrive, le fouet en main ; il monte sur son siège ; le conducteur va prendre sa feuille. Sept heures sonnent, il s’élance sur le marche-pied, la lourde voiture s’ébranle et commence sa tournée, qui finira à neuf heures du soir ; celles qui sortent à neuf heures du matin ne rentrent qu’à minuit.

Les écuries sont larges et contiennent vingt chevaux en moyenne, ce qu’on appelle deux voitures. Chaque omnibus a, en effet, dix chevaux attachés à son service spécial. Ils marchent tous les jours et fournissent cinq relais. C’est là une excellente organisation, qui ménage les chevaux, les habitue à un travail régulier et permet de donner à l’allure une vitesse relativement considérable. Chaque collier ne parcourt en moyenne que 16 kilomètres par jour ; de cette façon, on a sans cesse des chevaux frais, leur santé n’est point compromise par des fatigues excessives, et ils ont leur nourriture à des heures réglées : aussi n’est-il pas rare de voir dans les dépôts des chevaux de quinze ans pouvant encore faire un excellent service.

On les soulage en cas de besoin, et toutes les fois que sur leur parcours se rencontre une pente trop roide (il y en a trente et une à Paris), on leur adjoint un cheval de renfort. À moins d’accidents ou de maladie, ce sont toujours les deux mêmes chevaux qui sont attelés en même temps au même omnibus, sous le même cocher. À l’écurie, ils ne se quittent pas, ils sont réunis dans un seul box devant une mangeoire unique, divisée en deux augettes. Grâce à ce système, — dont l’adoption prouve à quel point l’on s’est préoccupé de ce que j’appellerai prétentieusement le bien-être moral des animaux, — un attelage est un tout complet, intelligent, se connaissant parfaitement, où la corrélation des animaux entre eux et du cocher aux animaux existe en permanence. Ceux qui, dans nos rues populeuses, sur nos boulevards encombrés, ont été, comme moi, souvent émerveillés de l’inconcevable docilité des chevaux d’omnibus, qui s’arrêtent, repartent, évitent les chocs et semblent, tant ils dépensent d’adresse, avoir une âme prévoyante et un raisonnement subtil, savent maintenant le secret de leur intelligence extraordinaire. On les a sociabilisés en les accouplant selon leurs aptitudes et leur tempérament, en ne les séparant pas du compagnon auquel ils sont habitués, en les laissant sous la même main dont ils connaissent le moindre mouvement. En un mot, on a pris la peine de faire leur éducation.

L’entreprise générale fabrique ses voitures d’après un type imposé par la préfecture de la Seine ; ses ateliers sont situés à La Chapelle-Saint-Denis et sont fournis de tous les instruments que la science moderne offre à l’industrie. Un onmibus prêt à être attelé et pouvant contenir vingt-huit personnes revient à 3 500 francs (non compris les frais généraux d’atelier) ; à ce prix, une voiture est construite avec des matériaux de premier choix et par des ouvriers d’élite. Le droit de stationnement perçu par la caisse municipale est d’un million pour les 500 premières voitures et de 1000 francs par voiture excédant le nombre de 500 ; aussi l’entreprise a-t-elle payé 1 958 000 francs d’impôts en 1866. Les fourrages, achetés en quantités assez considérables pour dépasser tous les besoins prévus, sont répartis dans tous les dépôts, qui sont munis de greniers aérés, où l’avoine est retournée au moins trois fois par mois, afin d’éviter toute mauvaise chance de fermentation.

Le personnel actif de l’entreprise générale n’est peut-être pas parfait, mais il est d’une moralité extrême, si on le compare à celui des fiacres. Les registres de la préfecture de police en font foi ; les plaintes portées contre les cochers et les conducteurs des omnibus sont rares en regard de celles qui atteignent les cochers de voitures à la course. Sur soixante réclamations adressées contre les omnibus, il y en a environ cinquante-sept qui frappent les cochers, auxquels on reproche de ne pas s’être arrêtés au signal qu’on leur faisait, d’avoir été grossiers, d’avoir menacé quelqu’un à l’aide du fouet ; les trois autres ont pour objet les conducteurs, qu’on accuse parfois d’un excès de vivacité dans le langage ou d’un peu trop de galanterie dans les gestes. Ce ne sont là que des peccadilles, et, sauf de rares exceptions, tout ce personnel, qui a été sévèrement choisi, se conduit avec régularité.

L’entreprise générale surveille très-activement ses agents ; sachant que l’homme est essentiellement faillible, elle lui impose une série de mesures préservatrices qui forcent sa probité à ne jamais dévier. C’est surtout à l’égard des conducteurs qui, chaque jour, ont en main une recette moyenne de 83  fr.  04  c., que les précautions sont accumulées. À chaque voyageur qui monte en omnibus, le conducteur doit sonner un des deux cadrans indiquant le nombre de places occupées dans l’intérieur ou sur l’impériale ; toutes les fois qu’il s’arrête à l’une des cent vingt stations de l’entreprise, il doit faire viser sa feuille par le contrôleur, qui constate d’un coup d’œil le nombre de personnes présentes dans la voiture[22] ; de plus, il existe une inspection secrète dont il est superflu de faire connaître le mécanisme ; mais je crois que le personnel occulte en est nombreux, car il a coûté 42 732 fr. en 1866. On peut donc affirmer que, contrairement à la Compagnie générale, l’entreprise des omnibus est très-peu volée. Les sommes détournées par les conducteurs sont insignifiantes, et, à défaut de documents, même approximatifs, il serait imprudent d’essayer d’en déterminer le chiffre.

Si l’entreprise générale est peu volée, en revanche on vole beaucoup dans les omnibus ; ces grandes boîtes longues, mouvantes et secouées, où l’attention est sollicitée par le bruit et par le spectacle des rues que l’on traverse, où l’on est forcément très-pressés les uns contre les autres, sont un excellent terrain de chasse pour les pick-pockets. C’est là que des femmes, plus adroites que scrupuleuses, coupent les poches de leurs voisines, et que des messieurs très-polis vous débarrassent de votre portefeuille. Il est un genre de vol spécialement pratiqué dans les omnibus et qui mérite d’être raconté avec quelques détails. Pour bien l’exécuter, il faut une grande sûreté de coup d’œil et de mouvement.

Le voleur, en montant dans la voiture, choisit la place qui lui paraît la plus propice ; il feint ordinairement d’être absorbé par ses préoccupations ; il est immobile, mais, entre l’index et le pouce, il tient un grain de plomb fixé à un fil de soie noire très-mince et très-résistant. Quand son voisin ouvre son porte-monnaie pour payer le prix de sa place, au moment précis où il va le refermer, le voleur y lance son grain de plomb, puis, selon l’expression maritime, il laisse filer le grelin. Le porte-monnaie refermé est remis dans la poche, mais, grâce au grain de plomb, il tient au fil de soie, dont l’autre extrémité est restée roulée au doigt du voleur. Celui-ci tire avec légèreté, ou, s’il sent une résistance quelconque, il profite d’un cahot, d’un arrêt trop brusque des chevaux, pour se laisser tomber vivement sur son voisin ; il s’excuse de sa maladresse, mais un coup sec a mis le porte-monnaie en sa possession. Il fait signe au conducteur ; on arrête ; il salue poliment à droite et à gauche ; il descend, et tout est dit. Il est un moyen fort simple de neutraliser ces tours d’adresse : c’est, avant de monter en omnibus, de mettre à part le prix de sa place.

On oublie dans les omnibus presque autant que dans les fiacres, et les cuisinières qui le matin reviennent de la halle y laissant volontiers des volailles, du poisson et des bottes de radis. L’entreprise générale recueille avec soin tous les objets perdus dans ses voitures, les rend lorsqu’ils sont réclamés, ou sinon les remet au dépôt de la préfecture de police. En 1866, 18 158 objets ont été trouvés dans les omnibus ; 5 905 ont été restitués directement, 12 253 ont été envoyés à la préfecture. Sur ces objets, il y avait en monnaie d’or, d’argent ou de papier une valeur de 95 040 fr. Les conducteurs ont, pendant la même année, reçu 4 249  fr.  50  c. de récompense pour faits de probité.

Le service des omnibus comprend trente et une lignes qui, se rencontrant en correspondance à leurs points d’intersection, sillonnent absolument tout Paris. Ces lignes sont loin d’avoir toutes la même importance, et c’est là peut-être que le monopole accordé à l’entreprise générale est fort utile à la population. En effet, par le cahier des charges imposé, les onmibus ne sont pas libres de choisir leur itinéraire ; au lieu d’avoir, comme à Londres, la faculté d’augmenter leur prix à volonté, de se grouper dans les zones du centre et de négliger les faubourgs isolés, ils sont forcés d’avoir un tarif invariablement uniforme et de traverser des quartiers pauvres, souvent peu productifs, où leur présence est plus utile au public qu’à eux-mêmes. Cette mesure est irréprochable, car elle produit de bons résultats pour tout le monde. Les omnibus compensent leurs pertes particulières par leurs bénéfices généraux, et tous les habitants de Paris peuvent les prendre auprès de leur demeure. Les deux lignes les plus suivies sont celles de la Madeleine à la Bastille et de l’Odéon à Batignolles ; les deux qu’on fréquente le moins sont celles de Charonne à la place d’Italie et de Passy au Palais-Royal[23].

Selon la saison, les omnibus sont plus ou moins occupés ; cependant la différence n’est pas considérable. Si le mois de février, qui contient moins de jours que les autres, est invariablement le moins chargé, les mois d’été, juin et juillet, subissent une augmentation qui s’explique facilement par la beauté du temps et la longueur des journées. La semaine elle-même subit des variations singulières et qui prouvent combien les vieilles superstitions sont enracinées chez les peuples catholiques. Le dimanche est le jour du repos, du plaisir, de la promenade ; le vendredi semble être le jour de la retraite. Les omnibus ne chôment certes pas, mais leur recette baisse d’une façon notable. Le vendredi est néfaste, et bien des personnes n’oseraient rien entreprendre sous son influence. C’est presque de tradition en France. Barbier écrit : « Le roi est parti le 4 de ce mois (juin 1728) pour Compiègne, jusqu’au 28 du mois. Il est parti vendredi dernier. Louis XIV ne partait jamais ce jour-là. » C’était dans l’antiquité le jour heureux par excellence, le jour fécond, le jour consacré à Vénus. Dans les pratiques de la Kabbale, il représente encore le commencement de la période ascendante ; les musulmans l’ont adopté ; le catholicisme l’a maudit, ou peu s’en faut, car c’est lui qui a vu le supplice du Golgotha. Il y a bien des pays où l’on jure encore : Par le péché du vendredi ! Les chevaux d’omnibus ne s’en plaignent pas, car leur charge est moins lourde[24].

Les cochers et les conducteurs d’omnibus sont, comme les cochers de fiacre, soumis à la double autorité de leur administration et de la préfecture de police ; les peines disciplinaires sont les mêmes : l’amende, la mise à pied et l’exclusion. Ils gagnent quatre francs par jour pendant les premières années de service, et cinq francs au bout de trois ans. Une mesure récente (1867), inspirée par le haut prix des denrées alimentaires, vient d’accorder à chacun des agents subalternes de l’entreprise une indemnité de pain de dix centimes par jour. C’est un bon état, facile, régulier, sans morte-saison, et qui profite de tous les avantages que l’administration offre à ses employés : soins gratuits de médecin, vêtements au prix coûtant[25], caisse de retraite, caisse de secours. Aussi les demandes d’admission sont nombreuses, et il ne se passe pas d’année que le secrétariat de l’entreprise n’en ait douze ou quinze cents à enregistrer. On est difficile pour les cochers, et l’on a raison. Il faut une habileté spéciale pour conduire adroitement ces lourdes voitures dans les rues de Paris, où l’obstacle renaît sans cesse, où l’embarras se multiplie de minute en minute.

L’omnibus à une telle ampleur que les autres voitures l’évitent avec soin et se rangent promptement à son approche. Dans les rencontres les plus violentes, il est rarement ébranlé : mole suâ stat. Toute voiture, coupé, calèche, charrette, pirouette à son choc ; il n’y a que les fardiers qui lui résistent ; aussi il les respecte et leur cède sans discussion le haut du pavé. Les accidents causés par les omnibus sont relativement assez rares ; on a calculé qu’il s’en produisait un pour 4 800 kilomètres parcourus, et j’appelle accident tout ce qui peut donner lieu à un rapport, une vitre brisée aussi bien qu’une voiture défoncée, un essieu tordu aussi bien qu’un homme écrasé ; en somme, les accidents frappant les personnes et pouvant entraîner une incapacité de travail sont de un par jour ; ceux qui atteignent les voitures et qui méritent d’être signalés sont au nombre de deux[26].

Il fut un temps où les omnibus subissaient eux-mêmes des accidents graves et souvent irréparables. C’était dans les jours d’émeute. L’omnibus qui pouvait sain et sauf regagner son dépôt, avait été favorisé du ciel ; à tous les coins de rue, les insurgés le guettaient ; on se jetait à la tête des chevaux, on les arrêtait, on faisait descendre les voyageurs, en ayant soin d’offrir galamment la main aux dames, on laissait au cocher le temps de dételer ; puis la voiture, en deux coups d’épaule, était jetée bas, les roues en l’air ; on l’assurait de quelques pavés, on la flanquait de deux ou trois tonneaux remplis de sable ; au sommet de son timon, redressé comme un mât, on arborait un drapeau, et la barricade était faite. L’omnibus devenait ainsi un instrument de désordre ou de victoire, selon les péripéties de la journée. L’année 1848 a coûté cher à la Compagnie, qui s’en souvient encore avec une certaine amertume.

La mission de transporter à peu de frais la population n’est pas la seule qu’ait acceptée l’entreprise générale. Son cahier des charges lui impose une condition onéreuse. Elle doit, en hiver, concourir à l’enlèvement des neiges et « mettre gratuitement à la disposition des ingénieurs du service municipal cinquante tombereaux par jour, attelés de deux forts chevaux guidés par un conducteur ou un charretier[27] ». De plus, l’octroi met sur elle une main pesante, car tous ses dépôts, sauf ceux de Courbevoie, de Vincennes et de la barrière de Fontainebleau, doivent être situés dans l’intérieur de Paris ; c’est un lourd impôt, quand on consomme par an pour plusieurs millions de fourrages. La taxe annuelle de l’octroi représente une dépense de près de 600 000 francs, à raison de 60 francs par cheval.

La Compagnie générale des voitures et l’entreprise des omnibus sont aujourd’hui deux organes essentiels de la vie de Paris ; elles représentent la locomotion rapide et facile. Ces deux services, entourés par l’autorité de toutes les garanties désirables, améliorés chaque jour par les efforts des administrateurs, sont devenus pour les Parisiens un objet de première nécessité. À toute heure, quelque temps qu’il fasse, nous trouvons à notre disposition ces véhicules nombreux qui épargnent nos heures, notre fatigue, et aident singulièrement aux transactions de toute espèce. Paris sans voitures serait paralysé et ne pourrait plus se mouvoir. Elles sont assez multipliées pour subvenir même à toutes les fantaisies, et le temps est loin où Henri IV écrivait à Sully : « Je ne pourrai aller vous voir aujourd’hui, ma femme m’a pris mon coche. »

Et cependant, lorsqu’un fait exceptionnel amène à Paris un surcroît d’étrangers et détermine vers un point excentrique une affluence extraordinaire, les moyens de transport sont insuffisants et ne répondent plus à l’exigence démesurée des besoins. C’est en vain que la Compagnie générale jette sa réserve sur le pavé, que l’entreprise des omnibus invente des voitures spéciales, que les bateaux à vapeur sillonnent la Seine, que les chemins de fer ouvrent leurs wagons au public, qu’on va chercher sous les remises des faubourgs toutes les tapissières qu’on peut y découvrir, les véhicules manquent. La population se plaint avec amertume, sans réfléchir que des administrations régulières et définitives ne peuvent faire face à toutes les éventualités créées par des circonstances transitoires et anormales. C’est ce que nous avons vu à propos de l’Exposition universelle. Le nombre des voitures n’était plus en rapport avec les nécessités du moment, et les cochers semblaient être devenus les maîtres de Paris. Selon l’usage français, on a accusé l’autorité de négligence ; il faut voir cependant ce qu’elle a fait.

La préfecture de la Seine et la préfecture de police ont créé le service des Mouches, qui par la voie du fleuve peuvent transporter journellement 10 000 personnes ; sous la même impulsion, les omnibus modifiaient leurs itinéraires, et leurs stationnements ont eu 169 voitures qui, faisant 2 420 voyages, ont pu porter 73 816 personnes ; de plus, le chemin de fer de l’Ouest a mis au service du public trente trains contenant 36 000 places ; à cela il faut ajouter 6 427 voitures ; en admettant que chacune d’elles, chargeant trois personnes, ait fait une seule course au Champ de Mars, nous trouvons que 19 281 voyageurs en ont pu profiter. Paris a donc offert, pendant cette période, aux visiteurs de l’exposition des moyens de transport quotidiens et peu coûteux pour 139 097 personnes. Et encore je ne compte pas les tapissières qui, faisant incessamment la navette entre le pont d’Iéna et les différents quartiers de Paris, recevaient au moins 10 000 voyageurs par jour. Certes, c’était plus que suffisant, mais chacun voulait arriver et partir aux mêmes heures, de sorte que les places de stationnement, engorgées pendant toute la journée, se vidaient presque à la même minute, et que tout le monde était mécontent.

Il est difficile de s’imaginer que Paris ait pu manquer de voitures, car certains boulevards, certaines rues sont tellement encombrés par les véhicules de toute sorte, qu’il est parfois imprudent et souvent dangereux d’essayer de les traverser. Que serait-ce donc si, comme quelques inventeurs trop hardis le proposent, on appliquait la vapeur à la traction des voitures spéciales sur nos voies macadamisées ! Paris deviendrait inhabitable et infranchissable ; j’aime mieux ce modeste entrepreneur qui, faisant un retour vers le passé, va, dit-on, nous offrir bientôt cinq cents chaises à bras, avec galant uniforme pour les porteurs et dorures sur les panneaux. La concurrence ne sera pas redoutable pour les fiacres et les omnibus. Ce sera bien lent pour traverser notre ville immense ; mais, le soir, ce sera commode pour aller en soirée de porte en porte, et lorsqu’il tombera de l’eau, nos jeunes marquis de Mascarille pourront sortir sans « exposer l’embonpoint de leurs plumes aux inclémences de la saison pluvieuse[28] ».

Appendice.Paris, en 1873, a eu à sa disposition 6 757 voitures marchant à l’heure et à la course, et 1 500 voitures de grande remise faisant le service au jour, à la semaine, au mois ou à l’année. Ces 8 257 véhicules appartiennent à 1 500 loueurs et à la Compagnie générale. Cette dernière administration est la mieux pourvue ; elle possède 5 073 voitures de place, sur lesquelles elle en a mis 3061 en circulation pendant l’année 1873[29]. Ces 3 061 voitures ont fait 1 122 556 journées de travail, ont opéré une moyenne de 31 000 chargements, et ont nécessité l’emploi d’une cavalerie qui, au 31 décembre 1873, comptait 8 315 chevaux, dont le prix d’achat a été de 785 fr. 57 c. par tête. La recette totale des voitures de place a été de 14 574 185 fr. 15 c., auxquels il convient d’ajouter 38 452 fr. 85 c., produits par la rectification de la feuille des cochers, qui ne sont pas plus honnêtes que par le passé. Les 148 voitures de grande remise appartenant à la Compagnie ont fait 554 451 fr. 11 c. de recettes, représentant 17 365 journées de travail. On est revenu à la vieille idée des compteurs mécaniques, sorte de surveillants automatiques et impeccables, permettant de contrôler avec certitude le service des cochers ; les essais, dont on se promettait d’excellents résultats, semblent n’avoir pas tenu toutes leurs promesses, car je lis dans un document administratif se rapportant à l’exercice de 1875 : « Nous avons fait beaucoup d’expériences sur les compteurs durant cette année, notamment avec le concours et sous le contrôle de l’autorité municipale ; ces expériences nous ont prouvé que le but n’était pas encore atteint. »

Quelques voitures, qui n’appartiennent pas à la Compagnie générale, ont, pendant l’hiver, circulé dans Paris, montrant aux badauds étonnés une pancarte sur laquelle on pouvait lire : voiture chauffée. Elles étaient munies, à l’intérieur, d’une boule remplie d’eau chaude, semblable à celles dont on fait usage dans les wagons de première classe de nos chemins de fer. Les cochers des loueurs particuliers et de la Compagnie n’ont point vécu en trop mauvaise intelligence avec le public, car la préfecture de police n’a reçu que 1 766 plaintes contre eux. La brigade qui les surveille est composée d’un officier de paix, d’un brigadier, de six sous-brigadiers et de 75 gardiens de la paix ; comme autrefois, elle relève les contraventions et fait subir les punitions disciplinaires. Les voyageurs sont tout aussi négligents que par le passé, car le Dépôt a reçu, en 1873, 20 562 objets oubliés dans les voitures : 10 720 dans les fiacres et 9 842 dans les omnibus. La période 1870-1871 a durement pesé sur la Compagnie générale ; on en jugera par ce fait que sa cavalerie qui, au 31 décembre 1869, comptait 9 620 chevaux, était réduite à 3 051 au 31 décembre 1870, et à 569 au 1er mars. Les services militaires et l’alimentation publique avaient amené cet écart profond, qui fut promptement comblé ; dès le 31 décembre 1871, les écuries avaient reçu 8 639 animaux.

Les omnibus mis en circulation dans Paris, sur les trente-deux lignes déterminées par l’autorité municipale, ont été, en 1873, au nombre de 647, qui ont fait 238 244 journées. Les recettes se sont élevées au total de 20 772 262 fr. 72 c., ce qui donne une moyenne quotidienne de 87 fr. 07 c. par voiture. Les voyages dans Paris représentent un parcours de 22 234 036 kilomètres ; 111 035 901 voyageurs ont été transportés, dont 64 287 182 dans l’intérieur, et 46 748 719 sur l’impériale ; de ce nombre 17 710 146 ont pris des correspondances. Ces chiffres sont fort importants, mais ils n’atteignent cependant pas encore ceux de 1869, qui accusent 116 778 756 voyageurs. La cavalerie, qui, au 31 décembre 1873, était de 8 371 chevaux, équivalant à une valeur de 923 fr. 42 c. par tête, a été moins éprouvée que celle de la Compagnie des petites voitures en 1870-1871 ; l’entreprise générale des omnibus paraît s’en être tirée à bon compte : elle n’a livré que 1 017 animaux aux boucheries municipales, et possédait encore 6 992 chevaux au 31 décembre 1870. En revanche, elle a cédé au gouvernement de la Défense nationale 29 750 quintaux d’avoine, qui ont servi, en grande partie, à la fabrication du pain pendant les deux derniers mois du siège. L’entreprise expérimente avec succès, dans son dépôt de la rue Monge, pour conserver ses avoines à l’abri de toute avarie, des silos en fer analogues à ceux auxquels la boulangerie Scipion a confié la conservation de ses blés[30]. Les fiacres, les omnibus, les larges et spacieuses voitures qui font route sur rails de fer entre le Louvre et Sèvres, n’ont pas paru suffire aux multiples besoins de la circulation parisienne[31] ; une délibération du Conseil municipal a décidé que dix-neuf lignes de tramways seraient créées et mettraient ainsi au service de la population des moyens de locomotion faciles, rapides et peu coûteux[32].

  1. Il y avait aussi les vinaigrettes ; Lister en parle : « C’est, dit-il, une caisse de voiture sur deux roues, trainée par un homme et poussée par derrière par une femme ou un enfant, ou bien par tous les deux à la fois » (Voyage de Lister à Paris en 1698, p. 27.)
  2. Sarrasin, dans une lettre envoyée en mai 1648 à Ménage, pour lui décrire l’enterrement de Voiture, raconte en plaisantant : « Comme Velturius entreprit la conduite de la reyne de Sarmalie jusqu’au chasteau des Péronelles (Péronne), et comme Lionnelle (mademoiselle Paule) l’y suivit dans le char de l’enchanteur Fiacron. » Œuvres de Sarrasin, édit. de 1685, t. II, p. 19.
  3. Le passage suivant du Journal de Barbier (mai 1723) indique quelles pouvaient être, au siècle dernier, les relations entre le public et les cochers : « Jeudi, jour de l’Ascension, six particuliers voulurent prendre un fiacre contre les Innocents. Le fiacre ne voulut point marcher ; cela forma querelle. Le fiacre, ayant reçu quelques coups, voulut jouer de son fouet ; quatre vinrent sur lui l’épée à la main et le poursuivirent jusque dans l’église des Innocents, où il s’enfuit ; on disait vêpres ; ils y entrèrent l’épée à la main, blessèrent le fiacre et le suisse de la paroisse, causèrent bien du tumulte, ce qui fit cesser le service. Ils sont pris ; une impertinence pareille mérite un exemple. » (Tome Ier, p. 272.)
  4. Voy. Pièces justificatives, no 9.
  5. Une statistique municipale, dressée par ordre de M. de Chabrol, préfet de la Seine, donne, pour 1824, les chiffres suivants : fiacres, 900 ; calèches, 20 ; cabriolets de place, 733 ; cabriolets de remise, 600 ; total, 2 253 voitures.
  6. Décret du 16 août 1855.
  7. Sur ce nombre, 5 131 ont droit de stationner sur la voie publique.
  8. En l’énumérant, je ferai facilement comprendre le mécanisme de cette grande administration. Employés dans les bureaux, 160 ; — surveillants, 160 ; — ouvriers d’atelier, 900 ; — maréchaux, 180 ; — laveurs, 900 ; — graisseurs, 200 ; — palefreniers, 500 ; — cochers, 3 925.
  9. Le fiacre neuf sortant des ateliers pèse 575 kilogrammes ; il peut contenir quatre personnes, plus le cocher. À 70 kilogrammes en moyenne, les chevaux, lorsque la voiture est au complet, ont donc un poids de 925 kilogrammes à mettre en mouvement.
  10. Voici la copie de la circulaire envoyée par l’agence secrète : « Monsieur, pour chaque voiture faisant partie des séries de numéros ci-dessous indiqués, prise à l’heure et occupée une heure quinze minutes au moins, il sera remboursé 1  fr.  25  cent. pour les voitures prises en station, 1  fr.  50  cent. pour celles prises en raccroc, si on remplit le bulletin ci-joint d’après les indications qui y sont portées, et si, dans les vingt-quatre heures, on le fait parvenir sous enveloppe affranchie à l’adresse ci-dessous. Quant aux voitures prises à la course, il sera traité de gré à gré. Les remboursements se feront du 15 au 20 de chaque mois, rue X… et du 27 au 30, au domicile de la personne qui aura employé la voiture. » Suivent la signature, les numéros des voitures, le tarif et un bulletin formulé indiquant les heures et le prix du travail.
  11. En 1866, la Compagnie générale a payé 229 552  fr.  35  cent, pour frais de surveillance : sur cette somme, l’agence secrète a reçu plus de 50 000  francs. Les amendes dont les cochers ont été frappés se sont, pour la même année, élevées au chiffre de 139 210  fr.  95  cent.
  12. En dix ans, du 14 mars 1857 au 14 mars 1867, la préfecture de police a délivré 23 635 numéros de cochers. Au 31 décembre 1873, les numéros délivrés s’élevaient au chiffre de 36 174.
  13. Cette brigade spéciale est composée de 60 agents, sous la direction d’un officier de paix ; en outre, les 3 600 sergents de ville disséminés dans Paris ont le droit et le devoir de surveiller les voitures de louages, de vérifier la feuille des cochers, de les mettre en contravention et de leur déclarer procês-verbal. Cette surveillance multiple est incessante et s’exerce la nuit aussi bien que le jour.
  14. Chaque jour, un coupé, attelé de deux chevaux, muni d’une galerie sur l’impériale, apporte au dépôt de la préfecture les objets trouvés la veille dans les voitures de la Compagnie générale.
  15. Les Carrosses à cinq sols, ou les Omnibus du dix-septième siècle. Monmerqué, Paris, 1828.
  16. Dans ce nombre, je ne compte ni 289 omnibus appartenant aux chemins de fer, ni les 100 voitures nouvelles que l’entreprise générale a mises en circulation pendant l’Exposition universelle, ni les 58 omnibus qui font le service de la banlieue, ni les 10 (à 50 places) qui vont, sur la voie ferrée, de la place de la Concorde à Sèvres, en suivant les quais.
  17. Les personnes qui veulent prendre une correspondance reçoivent, avant de quitter l’omnibus, un billet indicatif qu’elles doivent montrer en montant dans une autre voiture. Ce moyen de contrôle est aussi simple que pratique ; mais il n’a pas paru tel à un particulier qui a adressé à l’administration la lettre suivante, curieuse à plus d’un titre ; elle prouvera à quels genres d’élucubrations sont exposés les directeurs de nos grandes entreprises :
    « Monsieur le secrétaire général.
    « Ayant remarqué le luxe que l’administration des omnibus a nouvellement apporté dans ses cartes de correspondance, j’ai pensé à la dépense que cela devait occasionner, et me suis efforcé de chercher un moyen aussi simple qu’économique qui rendit impossible toute fraude.

    « Je l’ai trouvé ! et trouvé dans vos propres usages ; et enfin, dans un but d’utilité que tout bon citoyen doit chercher, je crois devoir vous en faire part, comptant sur votre justice pour m’en tenir compte, si vous l’adoptez. Mon moyen est bien simple, et le voici. Vos contrôleurs et même, je crois, vos conducteurs, sont munis d’un petit poinçon ou cachet servant à pointer en rouge ou en bleu les feuilles de route. Eh bien, chaque conducteur devra avoir, en guise de cartes de correspondances, un cachet ou poinçon portant la lettre de sa voiture, chargé d’une couleur rouge ou bleue tout à fait exempte d’agents corrosifs ou malfaisants, et, de plus, pouvant s’effacer facilement et marquer sur un point apparent, comme la joue ou le front, tout voyageur réclamant la correspondance. Puis cette marque devra être effacée, au moyen d’une petite éponge sèche, par le conducteur qui recevra le voyageur dans sa voiture. Par ce moyen : 1o grande économie matérielle ; 2o plus de fraude possible en changeant, aux différentes heures de la journée, la couleur du timbre, et enfin 3o impossibilité pour le voyageur de perdre sa correspondance.

    « Si vous daignez lire au conseil d’administration mon projet, et qu’il soit approuvé, veuillez m’en faire part ; s’il est repoussé, regardez ma proposition comme non avenue, et daignez agréer, monsieur le secrétaire général, l’expression du profond respect de votre très-humble et obéissant serviteur. »

  18. Les militaires payent demi-place dans l’intérieur, et place entière sur l’impériale. — Aujourd’hui (1875) la ligne s’arrête à la place de l’Étoile depuis l’établissement (1874) du tramway, qui va de l’avenue de la Grande-Armée à Suresnes.
  19. L’entreprise expérimente aujourd’hui, sur les lignes courtes, planes et faciles de Paris, un nouveau modèle de voiture qui à 14 places sur l’impériale (1866).
  20. Voir Pièces justificatives, 10.
  21. L’administration autorise chaque chef de dépôt à avoir une basse cour composée de trente-cinq à quarante-cinq volailles.
  22. La feuille des conducteurs mérite une rapide description. Elle est imprimée et porte : l’indication de la ligne, le nom du dépôt, la date du service, le numéro de la voiture, le nom du conducteur, celui du cocher. Le recto est divisé en colonnes verticales : heures de départ, heures d’arrivée, durée du parcours, numéro des courses. Une division horizontale correspondant aux numéros des courses, et portant des chiffres depuis 1 jusqu’à 40, est intitulée : visa des voyageurs d’intérieur ; plus loin, avec la même répétition : visa des voyageurs d’impériale. Le verso est consacré aux correspondances d’intérieur, correspondances d’impériale, voyageurs montés sur l’impériale pendant le trajet, ou vice versa, militaires montés dans l’intérieur. Chaque division est suivie d’une colonne réservée au total particulier. Une dernière colonne, désignée sous le nom de récapitulation, indique le nombre de voyageurs transportés, les sommes reçues dans la journée, et les observations. J’ai sous les yeux la feuille de travail du 6 juillet 1866, ligne de la Madeleine à la Bastille ; la moyenne des courses a été de 30 minutes, il y a eu 474 voyageurs, et la recette a été de 105  fr.  43  cent. La feuille porte 138 poinçons de visa, et 145 chiffres écrits à la main par les contrôleurs de station. Toute précaution semble donc prise pour éviter les fraudes et les détournements.
  23. En 1866, la ligne de la Madeleine à la Bastille a encaissé 1 741 076  fr.  80 ; celle de l’Odéon à Batignolles, 1 047 230  fr.  27. En revanche, la ligne de Charonne à la barrière d’Italie a produit 344 262  fr.  24, et celle de Passy au Palais-Royal, 368 915  fr.  43. La moyenne de la recette brute des trente et une lignes a été de 641 561  fr.  77. Chaque ligne a transporté en moyenne 447 voyageurs par jour.
  24. En prenant le nombre total des voyageurs transportés pendant le mois de juillet 1866, on trouve, pour le vendredi, 292 902, et en moyenne, pour chacun des six autres jours, 317 065 : c’est une différence nette de 24 163 personnes.
  25. En 1866, l’atelier spécial de l’entreprise a livré au personnel 8 886 pièces d’habillement, représentant une valeur de 148 255 fr. 85. Voici le prix auquel les cochers et les conducteurs peuvent se vêtir en s’adressant à l’administration : pantalon de drap, 20 fr. ; de coutil, 7 fr. ; veste de conducteur, 37 fr. 40 ; de cocher, 30 fr.; veste fourrée, 50 fr. ; gilet, 9 fr. ; redingote en drap, 42 fr. ; en orléans, 30 fr. ; caban, 52 fr. ; manteau, 60 fr.
  26. D’après une statistique, le nombre des accidents causés aux personnes, par toute espèce de voitures, avait été, en 1866, de 1 606, se divisant ainsi : tués, 139 ; blessés, 1 467. De tels chiffres me paraissent exagérés.
  27. Traité passé, le 18 juin 1869, entre la ville de Paris et l’entreprise générale des omnibus, article 4.
  28. Ce projet, formé dans les premiers mois de l’année 1867, n’a pas été au delà d’un contrat d’association.
  29. Les numéros réservés à la Compagnie générale vont de 1 à 3 500 et de 4 001 à 5 000.
  30. Voir t. II, ch. vii.
  31. Un arrêté préfectoral en date du 16 mars 1874 autorise l’entreprise générale des omnibus à prolonger la voie ferrée depuis le Louvre jusqu’à Vincennes.
  32. Ces dix-neuf lignes, qui ne sont actuellement (janvier 1875) qu’à l’état de projet ou d’étude, doivent embrasser le trajet : 1o de Pantin au Château-d’Eau ; 2o d’Aubervilliers au Château-d’Eau ; 3o de Saint-Denis au boulevard de la Chapelle ; 4o de Saint-Denis au boulevard Clichy ; 5o de Saint-Ouen au boulevard Clichy ; 6o de Gennevilliers au boulevard Clichy ; 7o de Levallois-Perret à l’église Saint-Augustin ; 8o de Neuilly à l’église Saint-Augustin ; 9o de la place de l’Étoile à la Villette ; 10o de la Villette à la place du Trône ; 11o de la place du Trône à la barrière d’Italie ; 12o de la rue de Lyon à la gare Montparnasse ; 13o de la gare Montparnasse à la place de l’Étoile ; 14o de Montreuil à la place du Trône ; 15o de Clamart à Saint-Germain-des-Prés ; 16o de Fontenay-aux-Roses à Saint-Germain-des-Prés ; 17o de Villejuif au Collège de France ; 18o de Vitry-Ivry au Collège de France et au pont d’Austerlitz ; 19o de Charenton à la Bastille. Toutes ces lignes de tramways sont distribuées de manière à correspondre avec les lignes d’omnibus qui desservent les différents quartiers de Paris.