Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle/T1 PJ

PIÈCES JUSTIFICATIVES


NUMÉRO 1


Arrêt du conseil contenant institution de la poste aux chevaux et aux lettres[1].


luxieu, près doullens. 19 juin 1464.

Institution et établissement que le roi Louis XI, notre sire, veut et ordonne être fait de certains coureurs et porteurs de ses dépêches en tous lieux de son royaume, pays, terres de son obéissance pour la commodité de ses affaires et diligence de son service et de ses dites affaires.

Ledit seigneur roy ayant mis en délibération avec les seigneurs de son conseil qu’il est moult nécessaire et important à ses affaires et à son État de sçavoir diligemment nouvelles de tous côtés et y faire quand bon lui semblera sçavoir des siennes, d’instituer et d’établir en toutes les villes, bourgs, bourgades et lieux que besoin sera jugé plus commode, un nombre de chevaux courans de traits en traits, par le moyen desquels ses commandemens puissent être promptement exécutés et qu’il puisse avoir nouvelle de ses voisins quand il voudra, veut et ordonne ce qui suit :

(1). Que sa volonté et plaisir est que dès à présent et dorénavant il soit mis et établi spécialement sur les grands chemins de son dit royaume, de quatre lieues en quatre lieues, personnes séables et qui feront serment de bien loyaument servir le roy, pour tenir et entretenir 4 ou 5 chevaux de légère taille, bien enharnachés et propres à courir le galop durant le chemin de leurs traits, lequel nombre se pourra augmenter, s’il est besoin.

(2). Pour le bien de la présente institution et établissement, et générale observation de tout ce qui en dépendra, le roy, notre seigneur, veut et ordonne qu’il y ait en ladite institution et établissement, et générale observation, et pour en faire l’établissement, un officier intitulé conseiller grand-maître des coureurs de France, qui se tiendra près de sa personne, après qu’il aura été fait établissement ; pour ce faire lui sera baillé bonne commission.

(3). Et les autres personnes qui seront par lui ainsi établies de traits en traits seront appelées maîtres tenans les chevaux courans pour le service du roy.

(4). Lesdits maîtres seront tenus et leur est enjoint de monter sans aucun delay ni retardement, et conduire en personne, s’il leur est commandé, tous et chacuns, les courriers et personnes envoyées de la part dudit seigneur, ayant son passeport et attaches du grand maître des coureurs de France, et payant le prix raisonnable qui sera dit ci-après.

(5). Porteront aussi lesdits maîtres coureurs toutes dépêches et lettres de Sa Majesté qui leur seront envoyées de sa part et des gouverneurs et lieutenans de ses provinces et autres officiers, pourvu qu’il y ait certificat et passeport dudit grand-maître des coureurs de France pour les choses qui partiront de la cour, et hors d’icelle desdits gouverneurs, lieutenans et officiers, que c’est pour le service du roy ; lequel certificat sera attaché audit paquet et envoyé avec un mandement du commis dudit grand sceau du maître des coureurs de France, qui sera établi par lui en chacune ville frontière de ce royaume et autres bonnes villes de passage que besoin sera ; ledit mandement adressant au maistre des coureurs, pour porter sans retardement lesdits paquets ou monter ceux qui seront envoyés pour le service du roy.

(6). Et afin qu’on puisse sçavoir s’il y aura eu retardement, et d’où il sera procédé, ledit seigneur veut et ordonne que ledit grand-maître des coureurs et sesdits commis cottent le jour et l’heure qu’ils auront délivré lesdits paquets au premier maître coureur, et le premier au second, et aussi semblablement pour tous les autres maîtres coureurs, à peine d’estre privés de leurs charges et des gages, privilèges et exemptions qui leur sont donnés par la présente institution.

(7). Auxquels maîtres coureurs est prohibé et défendu de bailler aucuns chevaux à qui que ce soit et de quelque qualité qu’il puisse être sans le commandement du roy et dudit grand-maître des coureurs de France, à peine de la vie ; d’autant que ledit seigneur ne veut et n’entend que la commodité dudit établissement ne soit pour autre que pour son service, considéré les inconvéniens qui peuvent survenir à ses affaires si lesdits chevaux servent à toutes personnes indifféremment sans son sçu ou dudit grand-maître des coureurs de France.

(8). Et afin que notre très-saint père le pape et princes étrangers avec lesquels Sa Majesté a amitié et alliance, par le moyen desquels le passage de France est libre à leurs courriers et messagers, n’ayent sujet de se plaindre du présent règlement, Sa Majesté entend leur conserver la liberté du passage suivant et ainsi qu’il est porté par ses ordonnances, leur permettant, si bon leur semble, d’user de la commodité dudit établissement en payant raisonnablement et obéissant aux ordonnances contenues.

(9). Mais pour éviter les fraudes que pourraient commettre les courriers et messagers allans et venans en ce royaume, lesquels pour ne vouloir se manifester aux bureaux dudit grand-maître des courriers de France et à des commis qui y résideront en chacune ville frontière et autres de ce royaume, passeront par chemins obliques et détournés pour ôter la connaissance de leur voyage et entrée en ce royaume, prenant pour ce faire autres chevaux et guides, Sa Majesté veut et leur enjoint de passer par les grands chemins et villes frontières pour se manifester aux bureaux dudit grand-maître des coureurs et prendre passeport et mandement tel qu’il sera dit, à peine de confiscation de corps et de biens.

(10). Seront lesdits courriers et messagers visités par lesdits commis dudit grand-maître, auxquels ils seront tenus d’exhiber leurs titres et argent, pour connaître s’il n’y a rien qui porte préjudice au service du roy, et qui contrevienne à ses édits et ordonnances dont ledit commis sera bien instruit pour y rendre son devoir, et pour ce lui sera donné par le grand-maître des coureurs de France plein et entier pouvoir de ce faire en vertu de celui qui lui sera attribué par la présente institution et par les lettres de commission qui lui seront expédiées.

(11). Après avoir vu et visité par ledit commis les paquets desdits courriers et connu qu’il n’y ait rien contraire au service du roy, les cachètera d’un cachet qu’il aura des armes dudit grand-maître des coureurs, et puis les rendra auxdits courriers avec passeport, que Sa Majesté veut être en la manière qui suit :

« Maîtres tenans les chevaux courans du roy, depuis tel lieu jusqu’à tel lieu, montés et laissés passer ce présent courrier, nommé tel, qui s’en va en tel lieu avec sa guide et malle en laquelle sont le nombre de tant de paquets de lettres, cachetés du cachet de notre grand-maître des coureurs de France ; lesquelles lettres ont été par moi vues, et n’y ai trouvé rien qui préjudicie au roy notre sire ; au moyen de quoi ne lui donnés aucuns empêchemens, ne portant autres choses prohibées et défendues que telle somme pour faire son voyage. »

Et sera signé dudit commis et non d’autres personnes.

(12). Lequel passeport demeurera ès mains du dernier maître coureur où ledit courrier se sera arrêté, pour icelui être porté au bureau général dudit grand-maître des coureurs de France, et des passeports sera fait registre qui sera appelé le registre des passeports.

(13). Lesdits commis seront tenus et leur est enjoint aussitôt que les coureurs étrangers seront arrivés et qu’ils auront sçu leurs noms, le sujet de leur voyage et les pays où ils vont, de faire courir un billet pour en donner avis au grand-maître des coureurs, qui en avertira Sa Majesté si ledit courrier n’allait en cour et prît un autre chemin que celui où serait ledit seigneur, pour se manifester audit grand maître des coureurs pour le conduire au roy, soit qu’il soit envoyé vers lui ou non.

(14). Et s’il se trouve aucuns desdits courriers étrangers et autres entrans dans ce royaume et sortans d’icelui par chemins obliques et faux passages détournés, ou chargés de lettres ou autres choses préjudiciables au roy notre sire, lesdits commis les mettront ès mains des gouverneurs ou leurs lieutenans en leur absence, et les lettres ou paquets dont ils auront été saisis seront envoyés par lesdits commis à leur grand-maître des coureurs qui les portera au roy, pour sçavoir sur ce sa volonté et plaisir.

(15). Et d’autant que la charge dudit conseiller grand-maître des coureurs de France est moult d’importance et requiert avoir fidélité soigneuse, discrétion et sçavoir, et qu’au moyen dudit office et de sadite charge, les articles de l’établissement et institution dessusdite doivent être bien gardés, entretenus et observés, et étant icelui établissement moult utile au service et à l’intention du roy, il y requiert y avoir bien notables personnes pour le tenir. Ledit seigneur veut et ordonne que nul ne puisse être pourvu dudit office, s’il n’est reconnu fidèle, secret, diligent et moult adonné à recueillir de toutes contrées, régions, royaumes, terres et seigneuries les choses qui lui pourraient contribuer, et pour lui apporter les nouvelles et paquets qui lui adviennent par ambassades, lettres ou autrement, qui touchent en particulier et en général l’état des affaires du roy et du royaume, et faire de toutes choses requises et nécessaires, vrais mémoires et écritures pour le tout par lui et non autres être rapporté à Sa Majesté.

(16). Veut et ordonne que celui qui sera pourvu de ladite charge soit compris de ses conseillers et autres officiers ordinaires, compté et enrôlé en l’état de son hôtel, tout ainsi que l’un de ses conseillers et maîtres d’hôtel ordinaires, et de se trouver partout où le roy sera, sçavoir et entendre au vray ce qui pourra toucher les affaires dudit seigneur, et l’en avertir et servir de ce qui sera nécessaire et touchera ledit état.

(17). Veut et ordonne que ledit grand-maître des coureurs de France ait l’entière disposition de mettre et établir partout où besoin sera lesdits maîtres coureurs, les déposséder si leur devoir ne font, et pourvoir en leur place tel que bon lui semblera, même avenant vacation par mort, résignation ou autrement de leurs charges, luy a donné pouvoir d’y pourvoir et instituer d’autres en leur place, et en délivrer lettres, leur faisant faire serment de fidélité et de leur en donner acte sur lesdites lettres.

(18). Veut et ordonne que ledit conseiller grand-maître des coureurs de France, pour l’entretenement de son état, après avoir fait serment au roy, ès mains de son chancellier, de bien et loyaument servir, ait pour gages ordinaires la somme de huit cents livres parisis, lesquels seront pris sur les plus clairs deniers et revenus dudit seigneur, outre et par-dessus les droits et émolumens ordinaires qu’il prendra comme officier domestique de l’hôtel et maison dudit seigneur, que par autres lettres lui seront ordonnés et payés.

En outre, il aura pension de 1 000 livres par autres lettres dudit seigneur, pour son dit office, qui lui sera assignée et ordonnée chacune année.

(19). Veut et ordonne que tous maistres coureurs qui seront par le grand-maître établis, aient aussi pour leur intéressement en leurs états pour gages ordinaires chacun 50 livres tournois, et chacun des commis qu’il aura près de sa personne et autres lieux que besoin sera chacun 100 livres pour leur entretenement, et veut que les uns et les autres pendant qu’ils serviront jouissent des mêmes exemptions et priviléges que les commensaux de sa maison.

(20). Et à ce que les maîtres coureurs ayent moyen d’entretenir et nourrir leurs personnes et leurs chevaux et qu’ils puissent commodément servir le roy, il veut et ordonne que ceux qui seront envoyés de sa part ou autrement avec son passeport et attache du grand-maître des coureurs de France ou de ses commis payent pour chacun cheval qu’ils auront besoin de mener, y compris celui de la guide qui les conduira, la somme de dix sous pour chacune course de cheval pendant quatre lieues, fors et excepté le grand-maître des coureurs qu’ils seront tenus de monter sans rien prendre de luy ni de ses gens qu’il menera pour son service, allant faire ses chevauchées et son établissement, et pour les affaires de Sa Majesté. Ensemble ne prendront rien de ses commis qui voudront courir pour les affaires du roi, au moins trois ou quatre fois l’an.

(21). Et quant aux paquets envoyés par ledit seigneur ou qui lui seront adressés, lesdits maîtres coureurs seront tenus de les porter en personne sans aucun délai de l’un à l’autre avec la cotte cy-mentionnée sans en prendre aucun payement, ains se contenteront des droits et gages qui leur sont attribués.

Veut et ordonne que les susdits articles et institution dudit grand office de conseiller grand-maître des coureurs de France et autres choses dessusdites soient toujours observés et gardés sans enfreindre.


NUMÉRO 2


Arrêt du 21 novembre 1853.


La cour, sur le moyen unique du pourvoi, pris de la violation et fausse application prétendue des articles 10, 32, 35, 36, 37, 41, 47, 87 et 88, Code inst. crim., et 187, Code pénal : — Attendu que l’article 10, Code inst. crim., a expressément chargé les préfets des départements et le préfet de police à Paris de faire tous les actes nécessaires à l’effet de constater les crimes, délits et contraventions, et d’en livrer les auteurs aux tribunaux ; qu’aux termes de l’article 8 auquel se réfère l’article 10, le préfet de police, dont il s’agit spécialement dans l’espèce, doit rechercher ces crimes, délits et contraventions, et en rassembler les preuves ; que ce droit embrasse le cercle de la police judiciaire tel qu’il est tracé par l’article 8, et qu’il a pour conséquence nécessaire le droit de faire, tant au domicile des prévenus que partout ailleurs, les perquisitions et saisies indispensables pour la manifestation de la vérité ; — Qu’on objecte vainement que la recherche des pièces pouvant servir à conviction ne saurait être pratiquée au domicile des tiers ou dans un dépôt public que par le juge d’instruction, qui en trouve la mission dans l’article 88. Code inst. crim. ; que si cette recherche, qui est évidemment un moyen de constater les crimes, délits et contraventions, a été mise dans les attributions du juge d’instruction par l’article 88, elle appartient également aux préfets et au préfet de police, en vertu des articles 8 et 10 combinés ; qu’il résulte de ces derniers textes que tout acte d’instruction tendant à constater les crimes, délits et contraventions, est dans le domaine du préfet de police ; — Que c’est vainement encore qu’on prétend établir une séparation entre la police judiciaire, qu’on convient appartenir au préfet de police, et l’instruction, qu’on soutient n’appartenir qu’au seul juge d’instruction ; — Que cette distinction n’est pas fondée ; qu’il n’est pas possible de concevoir que la police judiciaire s’exerce sans instruction, de même qu’il n’est pas possible de concevoir que tout fonctionnaire ou magistrat qui prend part à l’instruction ne soit pas officier de police judiciaire ; que c’est ce qui est démontré : 1o par la définition de la police judiciaire que donne l’article 8 ; 2o par l’article 9, Code inst. crim., qui classe les juges d’instruction parmi les officiers de police judiciaire ; 3o par la division du livre Ier, Code inst. crim., qui place le chapitre de l’instruction sous la rubrique de la police judiciaire ;

Attendu qu’en autorisant le préfet de police à rechercher, en quelque lieu que ce soit, la preuve des infractions et les pièces pouvant servir à conviction, la loi n’a fait aucune exception à l’égard des lettres déposées à la poste et présumées constituer soit l’instrument ou la preuve, soit le corps même du délit ; — Que le principe incontestable de l’inviolabilité du secret des lettres n’est pas applicable en pareil cas ; que les correspondances par lesquelles s’ourdissent ou se commettent les attentats portés à la paix publique, à la propriété et à la sûreté des citoyens, sont une violation du droit et sortent de la classe de celles qui doivent être protégées par la loi ; qu’il n’est pas possible d’admettre, sans blesser les principes de la morale et de la raison, que l’administration des postes serve à couvrir de l’impunité des faits punissables et à soustraire un corps de délit aux recherches de la justice, dont le préfet de police est un des premiers agents ; que, du reste, le droit de saisie, soit au domicile des inculpés, soit partout ailleurs, quand il y a lieu, droit dont il vient d’être question, a constamment été exercé par le préfet de police ; qu’il a constamment fourni aux tribunaux, en toute matière, des pièces probantes ; qu’on ne saurait ébranler un tel droit sans de graves dangers pour la vindicte publique, puisqu’il est attesté par l’expérience que, grâce à son exercice, le préfet de police s’est montré l’auxiliaire le plus actif et le plus utile de la justice répressive, pour laquelle il opère et qu’il concourt à éclairer ;

Et attendu qu’il est constant, en fait, que les correspondances saisies et ouvertes dans l’espèce, en vertu de mandats de perquisition délivrés par le préfet de police, constituaient le corps et la preuve du délit d’introduction en France, sans autorisation, de journaux publiés à l’étranger, et destinés à attaquer et décrier le gouvernement français ; — Que ces mandats avaient pour but de mettre sous la main des magistrats les auteurs du délit susmentionné, ainsi que les pièces de conviction et le corps du délit ; — Qu’en déléguant, pour le représenter, un commissaire de police, le préfet de police n’en a pas moins agi personnellement, aux termes de l’article 10, Code inst. crim, puisque l’ordre de saisie émanait de lui, et que, d’après l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, les commissaires de police sont immédiatement placés sous les ordres et à la disposition du préfet de police ; — Que, dans ces circonstances, l’arrêt attaqué de la cour impériale de Rouen, qui a décidé que le préfet de police avait légalement procédé, loin de violer aucune loi, s’est, au contraire, conformé aux articles 8 et 10, Cod. inst. crim. ; — Rejette, etc.


NUMÉRO 3


Nous, préfet de police,

Vu les renseignements à nous parvenus, desquels il résulte qu’un écrit autographié signé Henry, daté de Frohsdorf le 9 décembre 1866, et traitant de matières politiques, serait distribué par la poste et par d’autres voies, bien qu’il ne soit pas timbré, contrairement aux dispositions de l’article 9 du décret du 17 février 1852 ; qu’il ne porte pas de nom d’imprimeur, en infraction à l’article 17 de la loi du 21 octobre 1814 ; que la déclaration préalable et le dépôt légal n’en aient point été faits, contrairement aux dispositions des articles 14, 15 et 16 de la même loi ; et qu’enfin le dépôt prescrit par l’article 7 de la loi du 27 juillet 1849 n’ait point été effectué au parquet de M. le procureur impérial ;

En vertu de l’article 10 du Code d’instruction criminelle ;

Requérons M. Marseille, commissaire de police, contrôleur général des services extérieurs, de se transporter à l’hôtel de l’administration des postes, rue Jean-Jacques Rousseau, à l’effet d’y saisir ledit écrit.

Il sera dressé de cette opération un procès-verbal qui sera transmis avec les exemplaires saisis.

Fait en notre hôtel à Paris, le 23 janvier 1867.

Le préfet de police,
PIETRI.

NUMÉRO 4


direction générale des postes — bureau de la correspondance intérieure


Ordre concernant la saisie d’une lettre autographiée.

Paris, le 24 janvier 1867.

L’administration a reçu l’ordre, M…, d’empêcher pour ce qui la concerne l’introduction en France et la distribution d’une lettre autographiée adressée au général de Saint-Priest par M. le comte de Chambord. Cet écrit est expédié sous enveloppe, dans les formes d’une lettre ordinaire, soit de l’étranger, soit des bureaux de l’intérieur.

Je vous invite en conséquence à surveiller avec le plus grand soin toutes les correspondances qui parviendront directement ou indirectement à votre bureau, afin de découvrir les exemplaires de la lettre dont il s’agit qui pourraient faire partie des correspondances et qui se trouveraient placés, soit sous bandes isolément ou avec d’autres publications, soit sous des enveloppes closes. Vous surveillerez aussi dans le même but, non-seulement les correspondances mises à la poste dans votre localité, mais encore celles qui vous parviendraient des bureaux français avec lesquels vous êtes en relations ; car il ne serait pas impossible que des exemplaires de ladite lettre fusent déposés dans les boîtes aux lettres après avoir été introduits en France par une voie étrangère à la poste.

Vous formerez un paquet spécial de tous les exemplaires, soit sous bandes, soit sous enveloppes, que vous aurez été à même de reconnaître et de retenir, et vous adresserez ce paquet au receveur principal des postes à Paris, sous étiquette portant, indépendamment de l’adresse, les mots :

Lettre saisie en vertu de l’ordre de l’administration du 24 janvier 1867,


et au-dessous l’indication du nombre des objets expédiés.

Je vous recommande, monsieur, la plus grande vigilance et la plus grande circonspection pour l’exécution de la mesure dont il s’agit, et je vous prie d’accuser réception de la présente lettre au directeur des postes de votre département.

Veuillez agréer, etc.

Le Directeur général,
VANDAL



NUMÉRO 5


Traduction du procès-verbal des ministres plénipotentiaires à Rastadt, sur les événements des 9 et 10 floréal an VII (28 et 29 avril 1799).


Le plénipotentiaire impérial étant rappelé de Rastadt, et ayant quitté cette ville le 13 du mois dernier, la députation de l’empire déclara, dans sa séance du 25, qu’elle était suspendue, et notifia à la légation française les motifs de cette déclaration. Les ministres de France déclarèrent aussi, le 25, qu’ils allaient se retirer dans trois jours.

Dans la soirée du même jour, le courrier de la légation française, muni d’un passe-port et de sa plaque, chargé de dépêches pour Strasbourg, fut arrêté sur sa route à Seltz, entre le village de Plittesdorf et Rastadt, par des hussards autrichiens, et conduit au quartier général du colonel impérial Barbatzy, à Gernsbach, après avoir été dépouillé de ses papiers. Sur la réquisition de la légation française, l’envoyé directorial de Mayence, au nom de tous les membres de la députation, interposa ses bons offices, de même que la légation prussienne, « pour que, suivant les principes universels du droit des gens, le courrier arrêté fût relâché avec ses dépêches, et que la sûreté de la correspondance de la mission française, dans le court espace de trois jours fixé pour son départ, ne fût point troublée. »

La lettre du ministre mayençais fut envoyée encore dans la nuit à Gernsbach par un courrier, qui revint avec une courte réponse du colonel Barbatzy, portant qu’il avait rendu compte à ses supérieurs de l’arrestation du courrier, et qu’il ne pouvait se prêter aux vœux de la députation qu’après avoir reçu des ordres. La lettre de la légation prussienne fut envoyée, le 25, à cinq heures du matin, par M. le comte de Bernstorf, conseiller de la légation, avec l’injonction d’en appuyer verbalement le contenu. La légation française s’étant d’ailleurs adressée particulièrement au baron d’Edelsheim, ministre d’État de Bade, pour réclamer la protection du margrave, ce ministre jugea convenable d’accompagner M. de Bernstorf, et de faire, près du colonel Barbatzy, toutes les représentations analogues aux circonstances. La réponse verbale du colonel fut qu’il transmettrait ces représentations à ses supérieurs, de même que la lettre de la légation prussienne, et qu’il ferait connaître le résultat le plus tôt possible ; mais que jusque-là il ne pouvait s’expliquer en aucune manière. La relation écrite de la mission du comte de Bemstorf prouve combien ce refus de s’expliquer a été positif.

En attendant, les ministres français étaient résolus de partir pour Seltz le troisième jour, 28, à huit heures du matin. Tous les préparatifs étaient faits ; les voitures chargées se trouvaient déjà dans la cour du château ; mais, vu les circonstances, les patrouilles de hussards croisant particulièrement sur la route de Rastadt à Seltz, et ayant déjà arrêté, le 19, plusieurs ministres allemands, et entre autres celui de Wurzbourg, dont elles avaient pris et gardé les papiers, d’ailleurs les déclarations du colonel Barbatzy, tant sur cet incident que sur l’arrestation du courrier français, n’étant aucunement rassurantes pour le voyage de la légation française, on ne pouvait s’empêcher d’avoir des inquiétudes ; car il paraissait au moins possible que les ministres fussent arrêtés par méprise, et qu’il en résultât de très-grands inconvénients. C’est pourquoi toutes les personnes diplomatiques qui étaient encore en relation avec les ministres français leur conseillèrent de différer leur voyage de quelques heures ou jusqu’au lendemain, la réponse du colonel Barbatzy aux représentants des ministres prussiens, mayençais et de Bade étant attendue à chaque moment. Les ministres français cédèrent à ces instances, particulièrement sur l’observation qu’il était convenable d’attendre le résultat des démarches faites par les autres ministres, dont ils se montraient très-reconnaissants. Comme à onze heures du matin il n’y avait encore aucune réponse, le ministre mayençais, baron d’Albini, écrivit de nouveau au colonel Barbatzy, et lui demanda une réponse catégorique sur la question « si les ministres français, prêts à partir, et munis de passeports du baron d’Albini, étaient dans le cas de rencontrer aucun obstacle ».

On espérait que l’ordonnance de Bade, envoyée avec cette lettre, serait de retour vers trois ou quatre heures après-midi, avec une réponse ; mais on se trompa. Le soir, entre sept et huit heures, il arriva un officier de hussards avec quelques soldats ; l’officier se rendit sur-le-champ au château, près des ministres français et de Mayence, et suivant le témoignage des ministres soussignés, comte de Goërtz, de Dohm et de Solms, qui étaient présents, il les pria d’excuser le colonel Barbatzy, trop occupé pour répondre par écrit ; mais il déclara, en son nom, que les ministres français pouvaient voyager en toute sûreté, et que, pour cet effet, il leur était même fixé un terme de vingt-quatre heures. Quant à la légation prussienne, elle ne reçut à sa lettre au colonel Barbatzy aucune réponse ni écrite ni verbale.

L’officier impérial remit aux ministres français une lettre ; M. de Dohm est le seul qui l’ait vue par hasard, et il garantit qu’elle renfermait à peu près les lignes suivantes :

Ministres,

Vous concevrez facilement que, dans l’enceinte des postes occupés par les troupes impériales, on ne saurait tolérer aucun citoyen français ; en conséquence, vous m’excuserez si je me vois obligé de vous signifier de quitter Rastadt dans les vingt-quatre heures.

« Gernsberg, le 28 avril.

« Signé : Barbatzy. »

Les ministres français résolurent de partir sur-le-champ, et ne purent en être détournés qu’ils ne sauraient arriver au Rhin avant la nuit, et que le passage du fleuve pourrait être dangereux ; ils partirent en effet, le 28, une demi-heure après la réception de la lettre ci-dessus, avec huit voitures, dont la plupart, de même que les chevaux, appartenaient au margrave. Avec l’officier qui avait apporté la lettre, il était arrivé cinquante hussards de Szeklers qui s’étaient postés à la porte d’Ettlingen, et avaient fait occuper de même les autres postes. On apprit bientôt que l’ordre était donné de ne laisser entrer ni sortir aucune personne appartenant au Congrès, et que le capitaine des hussards avait signifié au major Harrant, commandant les troupes de Bade, qu’il exigeait que ses soldats restassent aux portes pour faire connaître aux Autrichiens les personnes appartenant au Congrès ; on ne permit à personne de passer même le pont de communication entre la ville et le faubourg. Le commandant de la ville lui-même ne put obtenir la permission de sortir, quoiqu’il l’eut demandée avec instance lorsqu’il fut instruit des événements subséquents. Le ministre danois avait fixé son départ au même jour, et n’avait attendu que le résultat des démarches faites par la députation touchant les ministres français. Après avoir pris connaissance de la réponse faite par le colonel Barbatzy, il se retira chez lui pour faire les préparatifs de son voyage ; mais sur l’information qu’il reçut en passant près la porte, que personne n’avait la permission de sortir, il traversa le jardin du château vers la chaussée où était posté le capitaine de hussards, et lui demanda s’il ne pouvait pas partir ce soir.

Cet officier répondit qu’il avait l’ordre de ne laisser sortir personne ; mais lorsqu’il lui répliqua que les ministres français avaient été sommés de partir par le colonel, son chef, et qu’ils sortaient dans le moment par la porte de Rheinau, le capitaine repartit qu’il n’avait point l’ordre d’empêcher le départ de la légation française. Le ministre de Sa Majesté danoise lui ayant demandé ensuite s’il lui donnerait une escorte, il dit qu’il n’avait point ordre pour cela, et lorsqu’on lui représenta avec force combien l’honneur de la nation allemande exigeait qu’on prît tous les moyens pour éviter qu’il n’arrivât le moindre désordre au départ de ces ministres, le capitaine répondit qu’il n’avait à pourvoir à rien qu’à sa propre sûreté, ajoutant aussi la remarque que le plénipotentiaire impérial était déjà parti depuis assez longtemps pour que tous les envoyés allemands aient le temps de partir aussi.

Lorsque la légation française se présenta à la porte de la ville, on lui annonça qu’elle ne pouvait pas sortir. Les trois ministres descendirent sur-le-champ, et laissant là leurs voitures avec leurs familles et leur suite, ils se rendirent au château chez le ministre de Mayence. Personne ne pouvait concevoir cette contradiction de l’ordre de partir sous les vingt-quatre heures avec l’obstacle mis à ce départ aux portes de la ville. L’envoyé de Sa Majesté danoise qui, aussitôt après ce nouvel incident, s’était rendu, avec plusieurs autres, chez le ministre de Mayence, en donna, après sa conversation avec le capitaine, une explication qui fut bientôt officiellement confirmée par M. de Munch, secrétaire de la légation, envoyé à cet officier par M. d’Albini. Il annonça qu’on avait oublié, lorsqu’on avait pris possession des portes de la ville et donné l’ordre de ne laisser sortir personne, d’excepter de cet ordre les ministres français. M. de Munch ajouta que cet oubli était réparé, et que les ministres pouvaient sortir sans obstacle. Ceux-ci pensèrent alors qu’il était nécessaire, pour ne pas être arrêtés par les patrouilles qui pouvaient se trouver sur le chemin jusqu’à Plittersdorf, de demander une escorte militaire. Le secrétaire de la légation de Mayence se chargea d’en faire la demande au capitaine, et les envoyés de France allèrent, dans une voiture du margrave, rejoindre les leurs à la porte. Là, ils furent obligés d’attendre longtemps la réponse, qui fut apportée par M. de Harrant, major au service du margrave de Bade. Elle portait que : « Le capitaine ne pouvait point donner d’escorte, parce qu’il n’avait point d’ordre pour cela ; mais que les ministres français ne trouveraient aucun obstacle sur leur route. » À la demande du major de Harrant, si l’on devait entendre par là que les ministres français pouvaient passer de l’autre côté du Rhin en toute sûreté, et si lui, Harrant, pouvait les en assurer, le capitaine avait répondu que oui. Les envoyés français préférèrent donc, après quelques réflexions, partir de suite sans escorte, que retourner au château pour y attendre le point du jour, parti que plusieurs conseillaient de prendre et que les femmes désiraient. Entre neuf et dix heures, les ministres français sortirent enfin de la ville ; la nuit était très-sombre, et l’on portait une torche devant leurs voitures.

À peu près un quart d’heure s’était écoulé lorsque, de divers côtés, arriva la nouvelle que les voitures de la légation française avaient été arrêtées avec violence par des hussards autrichiens, qui avaient donné des coups de sabre aux cochers et au porte-flambeau. La plupart des membres du corps diplomatique se trouvaient, dans ce moment, rassemblés dans un casino. L’envoyé ligurien, Boccardi et son frère, qui étaient dans la dernière voiture et qui s’étaient échappés, y apportèrent la première nouvelle. On décida unanimement qu’on se rendrait ensemble près du capitaine pour lui demander une explication, et, avant tout, les secours les plus prompts.

Peu de minutes après arriva la nouvelle atterrante qu’un, que deux, que tous les trois ministres français avaient été assassinés par les soldats de l’empereur. La raison se refusait à trouver ce crime vraisemblable, le cœur ne le trouvait pas possible. — Non, non, c’est faux ! fut le cri universel. Cependant le désir de faire cesser le plus tôt possible un malheureux malentendu fit hâter les pas vers l’officier commandant. Il avait son quartier à peu près à vingt pas de la porte d’Ettlingen, à l’auberge dite la Lanterne. La garde de la porte s’opposa au passage de la société quoiqu’elle s’annonçât comme composée d’envoyés de cours royales et princières. Ce ne fut qu’avec la plus grande peine qu’on obtint qu’un bas officier nous annonçât. On demanda encore une fois quels envoyés nous étions, et on déclara avec une exactitude inquiète que seulement trois, quatre, six ministres pouvaient aller près du capitaine. Cet officier parut enfin. L’envoyé de Sa Majesté prussienne, comte de Goërtz, aussi soussigné, lui fit, au nom de tous, cette courte exposition : nous voudrions savoir quelles mesures il avait prises au bruit de l’affreuse nouvelle qui lui avait sans doute été portée. Il répondit qu’à la demande du ministre de Mayence, qui avait déjà été chez lui, il avait envoyé un officier avec deux hussards. Nous pensâmes que ce n’était pas suffisant, et nous l’engageâmes, au nom de tous les sentiments de l’humanité, au nom du bien de toute l’Europe, de l’honneur de la nation allemande, prêt à être taché par un crime sans exemple dans les annales des peuples civilisés, au nom de l’honneur de son auguste monarque, de l’honneur du service de Sa Majesté Impériale, de son propre honneur, au nom de sa vie, de faire, au plus vite, tout son possible pour sauver ce qui pourrait être encore à sauver, le capitaine répondit que c’était un malheureux malentendu ; que, sans contredit, les patrouilles rôdaient aux environs pendant la nuit, et qu’un pareil malheur pouvait facilement arriver ; que les ministres français n’auraient pas dû partir la nuit. On lui rappela qu’il avait refusé une escorte et dit au major de Harrant qu’il n’y avait rien à craindre pour la légation française. Il répliqua qu’il n’avait point eu ordre de donner une escorte, qu’on aurait dû la demander au commandant. Le conseiller de légation de Prusse, comte de Bernstorff, dit qu’il avait demandé lui-même au colonel, lorsqu’il avait été envoyé vers lui, s’il donnerait une escorte. Vous l’a-t-il accordée ?… fut la réponse du capitaine. L’envoyé de Danemark, soussigné, lui ayant ensuite rappelé la conversation qu’il avait eue avec lui, et dont nous avons parlé ci-dessus : Voulez-vous, dit-il, établir ici contre moi une inquisition ? Enfin, lorsque passant sur toutes les considérations qui devaient nous frapper après le traitement que nous étions obligés de souffrir, nous le pressâmes, le priâmes, le suppliâmes, de ne pas perdre un instant pour sauver peut-être encore la vie de quelques hommes et l’honneur de son service, il nous demanda où donc étaient les voitures des ministres, et d’autres explications, à nous que ses ordres retenaient prisonniers en ville, à nous qui venions à lui pour savoir quelle nouvelle il avait, quelles mesures il avait prises pour empêcher, s’il était possible encore, un crime qui touche de si près son honneur et celui de son souverain. Enfin nous exigeâmes de lui la promesse de détacher un officier et six hussards pour accompagner le major Harrant et deux hussards de Bade sur le grand chemin de Plittersdorff. En attendant, il était arrivé plusieurs fuyards échappés du champ de carnage, qui confirmèrent qu’en effet les trois ministres français avaient été assassinés par les hussards de Szeklers. Le meurtre de Bonnier fut rapporté par un témoin oculaire, savoir par le porteur du flambeau. Cependant le major Harrant, de Bade, auquel il ne fut donné qu’un maréchal-des-logis pour l’accompagner, au lieu d’un officier qui lui avait été promis, trouva les voitures sur la place même où cette scène d’horreur s’était passée ; elles étaient entourées d’environ cinquante hommes de hussards de Szeklers, munis de flambeaux (parmi lesquels il ne put néanmoins découvrir d’officiers), et occupés à conduire autour de la ville les voitures, ainsi que les infortunés qui s’y trouvaient, et dont la plupart étaient encore dans une profonde stupeur.

Lorsque M. de Harrant déclara aux hussards que les carrosses devaient être reconduits à la ville, ils ne voulurent pas d’abord s’y prêter, soutenant que ces carrosses étaient leur butin. Ce ne fut que moyennant les plus fortes menaces, et après que M. de Harrant leur eût déclaré qu’en sa qualité d’officier le commandement et la disposition des voitures lui appartenaient exclusivement, qu’il parvint à les faire désister de leur projet. M. de Harrant trouva les cadavres de Bonnier et de Roberjot par terre, horriblement maltraités ; ne trouvant pas le corps de Jean Debry, il se donna toutes les peines imaginables pour le découvrir ; il proposa même de faire des recherches dans le bois, et demanda pour cet effet une escorte de quelques hussards autrichiens qui se joindraient à lui et aux deux hussards dont il était accompagné ; mais cette escorte lui fut refusée, sous prétexte que l’on pourrait aisément rencontrer d’autres patrouilles autrichiennes, et que, dans l’obscurité de la nuit, on courait risque d’en être attaqué. M. de Harrant fut donc obligé de remettre l’exécution de son dessein jusqu’au jour, et ramena, en attendant, les carrosses dans la ville. Les épouses de Jean Debry et de Roberjot, les filles du premier, les secrétaires et les domestiques s’y trouvaient ; aucun d’eux n’était blessé, plusieurs avaient été dépouillés cependant de leur argent, montres, etc., etc. ; il n’y avait eu que les trois ministres qui eussent été attaqués par les meurtriers. Les carrosses arrêtèrent devant le château ; chacun s’empressait d’approcher les infortunés qui y étaient, afin de leur porter des secours ; mais on écarta tout le monde indistinctement, même les plus considérés des ministres étrangers, parce que, nul officier n’étant présent, il fallait auparavant attendre les ordres.

Enfin on obtint de pouvoir porter dans les appartements de M. de Jacobi, ministre du roi de Prusse, madame Roberjot, étendue à demi morte dans la voiture qui arrêtait devant la porte de ce ministre. Madame Debry, ainsi que ses deux filles, furent obligées de descendre de leur voiture dans la rue, parce que jamais on ne voulut permettre que les carrosses entrassent dans les cours du château ; ceux-ci furent conduits à la porte d’Ettlingen. On demanda les chevaux de la cour pour les conduire le lendemain à Gernsbach, ce qui fut contremandé cependant le matin même. Les dames furent conduites à pied dans leur ancienne demeure au château par plusieurs membres du corps diplomatique ; mais elles furent bientôt après transportées dans la maison du soussigné ministre de Brandebourg, afin d’être plus à portée de leur donner des secours. On apprit les détails de l’assassinat de Roberjot par son valet de chambre, qui avait été dans la même voiture. Il déposa que « des hussards s’étaient présentés à la portière, qu’ils en avaient brisé les glaces et demandé le ministre Roberjot. Sur quoi celui-ci avait répondu en français : oui, en produisant en même temps le passe-port de l’envoyé directorial de Mayence ; que les hussards avaient déchiré ce passe-port ; qu’ils avaient fait sortir de force le ministre de sa voiture, et lui avaient porté plusieurs coups très-violents ; que l’infortuné ayant donné cependant encore quelques signes de vie, et sa femme ayant crié : Oh ! sauvez ! sauvez ! les hussards avaient redoublé leurs coups ; que madame Roberjot alors s’était élancée sur le corps de son mari, mais que lui (valet de chambre) l’avait saisie fortement dans ses bras, lui bouchant les oreilles, et empêchant qu’elle n’entendît les cruels gémissements du mourant ; que lui, valet de chambre, avait été jeté hors de la voiture par un hussard qui lui avait demandé : domestique ? et ayant répondu affirmativement, le hussard lui avait donné à entendre, par signes, qu’il n’avait rien à craindre ; que néanmoins il s’était saisi de sa montre et de sa bourse ; que la même chose était arrivée à madame Roberjot. »

Cependant plusieurs d’entre nous ont remarqué que la voiture n’avait pas été pillée entièrement, mais qu’on y avait laissé de l’argent et des effets précieux. Lorsque madame Roberjot quitta sa voiture, elle tomba de défaillance en défaillance, s’écriant à plusieurs reprises, avec une voix déchirante : On l’a haché devant mes yeux !

Le secrétaire de légation Rosenstiel, qui se trouvait dans une des dernières voitures, et par conséquent près de la ville, s’est vraisemblablement sauvé par les jardins dès le commencement de l’affaire On le trouva dans le logement du ministre de Bade, dans un état de délire. Toutes les autres personnes attachées à la légation française arrivèrent successivement, soit en fuyant, soit avec les voitures. Le ministre Jean Debry manquait encore ; sa mort n’avait point été constatée par des témoins oculaires ; on regarda donc comme absolument essentiel de tout tenter pour le sauver. Quelques-uns d’entre nous se rendirent auprès du capitaine des hussards autrichiens pour le solliciter d’accorder une escorte au major de Harrant qui, accompagné de quelques hussards de Bade, voulait aller à la recherche de Jean Debry. Le soussigné comte de Solms de Laubach s’offrit de l’accompagner, afin d’appeler le ministre français, qui connaissait sa voix, par son nom. Le capitaine accorda l’escorte, et à la pointe du jour, vers quatre heures du matin, le comte de Solms, le major Harrant et deux hussards de Bade, sous l’escorte d’un caporal et de quatre hussards impériaux, montèrent à cheval pour parcourir ces environs, et notamment le bois de Steinmaner et de Plittersdorff. Ils n’eurent pas la satisfaction de trouver le ministre Jenn Debry, mais ils apprirent quelques circonstances absolument nécessaires à l’éclaircissement du fait ; les voici : le major Harrant s’étant adressé au bailli de Rheinau pour obtenir des renseignements sur le compte du ministre absent, le bailli lui apprit que des hussards impériaux avaient déjà fait des perquisitions relativement à un Français blessé et fuyant, et dont la découverte leur importait infiniment ; qu’ils avaient fortement recommandé qu’au cas que l’on trouvât un Français ressemblant au signalement qu’ils en donnèrent, de bien se donner de garde de le reconduire à Rastadt, et de le faire passer en dehors de la ville, et de le leur mener à Muckensturm par un chemin désigné, ou bien qu’on devait simplement le garder soigneusement et leur en donner connaissance.

On avait tout fait jusqu’ici pour adoucir, autant que les circonstances pouvaient le permettre, cet horrible état de choses. Il s’agissait actuellement de pourvoir à la sûreté des membres du corps diplomatique et de leurs familles, ainsi qu’au trajet des personnes sauvées des missions française et ligurienne. Les soussignés s’adressèrent en conséquence au colonel Barbatzy par une lettre (n° 5) dont fut chargé le secrétaire de légation de Prusse, Jordan, qui fut dépêché, le 29, à quatre heures du matin, accompagné d’une ordonnance impériale. À sept heures du matin, le ministre Jean Debry se rendit dans la maison du ministre prussien de Goërtz. Son apparition causa autant de joie à ceux qui se trouvèrent présents que l’état dans lequel il se trouvait leur inspirait d’intérêt. Ils furent témoins des premiers épanchements de sa joie et de sa reconnaissance envers Dieu lorsqu’il apprit que sa femme et ses enfants étaient encore en vie. Ses habits étaient déchirés ; il était blessé au bras gauche, à l’épaule et au nez ; sa perruque et son chapeau l’avaient garanti d’un coup de sabre sur la tête, de manière qu’il n’en avait qu’une contusion. On lui administra tout de suite les secours nécessaires ; on entendit le récit touchant de la manière miraculeuse dont il avait été sauvé. « Un hussard lui avait demandé en français : Est-ce que tu es Jean Debry ? À quoi il avait répondu par l’affirmative, et en produisant son passe-port, qui fut également déchiré, lui, ainsi que sa femme et ses filles, furent arrachés de leur voiture, et on frappa sur lui. Il fut jeté dans un fossé qui bordait le grand chemin ; il eut la présence d’esprit de contrefaire le mort, et il se laissa dépouiller : c’est ce qui le sauva. Lorsque les hussards se furent éloignés, il se leva et courut vers le bois. Ne voulant pas se jeter par terre à cause de la pluie qui tombait, il grimpa sur un arbre, malgré la forte blessure qu’il avait au bras gauche, y sommeillant de temps en temps de lassitude et d’épuisement, et y resta jusqu’au jour, qu’il s’achemina vers Rastadt. En approchant de la ville, il se mêla à la foule qui était sortie pour voir les cadavres, et sans être remarqué, ni par les patrouilles autrichiennes, ni par le corps de garde posté aux portes, il arriva heureusement. Le spectacle le plus déchirant pour lui fut celui de ses deux collègues, devant lesquels il était obligé de passer. »

La réponse du colonel n’était pas encore arrivée ; en attendant, on désirait vivement de faire passer le Rhin aux personnes sauvées de la légation française, et de consommer cette opération avant la nuit, pour pouvoir partir à son tour et arriver en sûreté à Carlsruhe. En conséquence, MM. de Rosencrantz et Gemmingen allèrent, vers neuf heures, chez le capitaine, et lui déclarèrent qu’aussitôt que la position de Jean Debry, blessé, et de la veuve de Roberjot, assassiné, le permettrait, tous les individus sauvés seraient transportés au Rhin, avec leurs effets, sous l’escorte militaire de Bade, et accompagnés de plusieurs membres du corps diplomatique, si le capitaine voulait répondre de leur sûreté sur son honneur et sur sa vie, et leur donner une escorte d’un officier et de quelques hussards. Après avoir fait quelques difficultés, le capitaine accorda la demande, mais il exigea qu’elle lui fût présentée par écrit ; c’est ce qui a été fait. Dans cet entretien, il échappa au capitaine plusieurs expressions qui méritent d’être remarquées : « C’était un malheur, mais à qui la faute ? On ne l’avait pas commandé ! » On lui témoigna l’effroi que l’énoncé de la possibilité seulement d’un pareil soupçon devait causer à des gens d’honneur. Il s’efforça d’atténuer l’énormité du crime en disant : « À nous aussi on a tué des généraux ! » Les sensations que de pareils propos devaient faire naître en nous de la part d’un homme à qui notre sûreté était confiée ne pouvaient être calmées que par la réponse du colonel Barbatzy, que M. de Jordan apporta enfin à onze heures. Il n’avait pu voir le colonel lui-même, et quoiqu’il lui eût fait dire qu’il ne venait pas seulement au nom de la légation prussienne, mais de toute la députation de l’empire réunie à Rastadt, il avait reçu pour réponse : Que le colonel ne pouvait lui parler, quand même il viendrait au nom de Dieu le Père et le Fils. M. de Jordan eut même beaucoup de peine à engager le capitaine, qu’il avait rencontré à Rotenfels, à faire remettre la lettre, parce que, disait-il, le colonel avait déjà reçu assez de courriers et d’estafettes pendant la nuit. M. de Jordan fut retenu si longtemps parce qu’il s’était répandu à Gernsbach un faux bruit touchant une attaque des Français vers Rastadt. La lettre du colonel annonce un homme d’honneur et de cœur. Il promet une escorte pour les personnes de la légation française ; quant à nous, il déclare qu’il sera inutile et inconvenable de les accompagner. Toutes les mesures furent prises sur-le-champ pour le prompt départ. Le médecin et le chirurgien étaient d’avis que ce voyage serait moins dangereux pour la santé de Jean Debry que la continuation de la crise alarmante dans laquelle il se trouvait ; lui et madame Roberjot désiraient également de ne pas perdre un moment. Nous partagions leurs sentiments. Le capitaine avait reçu en même temps l’ordre de les accompagner : mais il déclara qu’il lui était expressément défendu de nous laisser sortir avec eux, vu que les légations allemandes pouvaient se retirer chez elles, mais non du côté du Rhin. Quelque révoltant que fût ce traitement, nos réclamations auraient pu occasionner de nouveaux délais, et nous nous tûmes. En conséquence, le baron de Gemmingen commença à stipuler les conditions de la marche. L’escorte devait être composée du major de Harrant avec six hussards de Bade, et d’un officier impérial avec huit hussards de Szecklers. M. de Jordan, secrétaire prussien, qui, par sa mission à Gernsbach, avait fait connaissance avec les militaires, obtint seul la permission de suivre les voitures, grand motif de consolation pour les principaux personnages.

À une heure après-midi, le cortège se mit en route pour la troisième fois. Qui pourrait s’étonner de voir ces infortunés tremblants et couverts des pâleurs de la mort, lorsqu’ils s’exposaient de nouveau aux plus grands dangers, et qu’il nous était impossible à nous tous de faire passer dans leur cœur la confiance qu’il n’y avait plus rien à craindre ! ils faisaient semblant d’en croire nos assurances, mais entre eux et à ceux qui étaient les plus près d’eux, ils disaient tout bas : « Nous allons à la mort, nous serons assassinés. » Jean Debry prit congé, de la manière la plus touchante, de ses enfants et de sa femme, qui est presqu’à son terme. Rosenstiel recommanda sa famille, qui est depuis longtemps à Strasbourg, à son beau frère, M. Wicland, conseiller de légation de Weimar. Notre raison les blâma, mais pouvaient-ils avoir déjà perdu le souvenir de ce qui s’était passé ? Ils voyaient dans l’escorte l’uniforme de leurs meurtriers. — Dieu soit loué ! ces affreuses appréhensions étaient vaines. Le voyage fut accompli sans aucune rencontre fâcheuse. — Sur la route, l’escorte des hussards impériaux s’accrut au nombre de trente hommes On ne savait pas encore si Plittersdorff était occupé par les hussards impériaux ou par les Français ; on y trouva des impériaux. Après cinq quarts d’heure de route, le bac fut appelé par un trompette, et tout le monde fut embarqué sur-le-champ. Il est impossible de décrire le sentiment qui se peignit sur tous les visages ; c’était la transition de la presque certitude d’une mort affreuse à l’espoir d’être sauvé. Il n’y a pas de mots non plus pour exprimer leurs témoignages de reconnaissance envers le major Harrant et M. de Jordan. Jean Debry remercia aussi l’officier impérial de l’escorte, en peu de mots que M. de Harrant lui traduisit ; il l’assura que, quoiqu’il soit impossible d’oublier le passé, il se souviendrait de l’escorte qu’il avait enfin obtenue, et que si jamais le sort de la guerre faisait tomber quelques hommes de son régiment entre les mains des Français, lui, Jean Debry, ferait son possible pour qu’on ne se rappelât que la dernière action, et que tout sentiment de vengeance fût étouffé. Il fit un présent à l’escorte.

En quittant Rastadt, sa femme avait remis à M. le baron d’Edelsheim un rouleau de cent louis pour les pauvres de la ville. Dans une demi-heure ils avaient atteint le rivage français. Le crime horrible n’y était pas encore connu, et, suivant le rapport des cochers du margrave qui sont revenus, il paraît que Jean Debry lui-même s’est efforcé d’en empêcher la publication. Les voitures les suivirent de près, et MM. de Harrant et Jordan revinrent à Rastadt, d’où les légations allemandes étaient parties à cinq heures, puisque, n’ayant aucune nouvelle des voyageurs, elles avaient tout lieu de présumer que les voitures avaient passé heureusement.

Les soussignés attestent, sur leur honneur et leur devoir, que tous les faits énoncés ci-dessus sont de la plus exacte vérité. Nous avons été témoins oculaires de la majeure partie de ces événements, et nous avons vérifié les autres avec l’attention la plus scrupuleuse, d’après l’exposé des personnes qui étaient présentes et qui y ont joué un rôle. Nous n’avons eu en vue que de constater les faits dans toute leur pureté, et de les mettre de bonne heure à l’abri de toute altération. Autant qu’il était possible, nous avons supprimé tout jugement, toute observation, tout accès de sensibilité.

Carlsruhe, le 1er  mai 1799.

Signé : le comte de Goertz, le baron de Jacobi, de Dohm, de Rosenkranz, de Rechberg, de Refden, baron de Gatzert, comte de Solms-Laubach, Otto de Gemmincem, baron de Kheusn, comte de Taube.

(Extrait du Moniteur, 12 prairial an VII.)


NUMÉRO 6




NUMÉRO 7


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chiffres.


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ponctuations, signaux conventionnels.


Point. Virgule. Point-virgule. Deux-points.
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Point d’interrogation ou Répétez. Point d’exclamation. Trait d’union. Apostrophe.
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Barre de division. Attaque ou Indicatif de dépêche. Réception. Erreur.
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Final.
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Attente.
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Télégraphe.
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NUMÉRO 8


Télégraphie atmosphérique[2].

En raison de l’extension tous les jours croissante de la correspondance télégraphique, le nombre des dépêches qui arrivent à Paris, tant de la province que de l’étranger, et des télégrammes échangés entre les divers quartiers de la ville, s’est tellement accru dans ces derniers temps, que malgré la multiplicité des postes et des fils de communication, malgré l’étonnante vitesse de la transmission, il est complétement impossible de faire face aux exigences du service, même avec les appareils les plus perfectionnés. Pour assurer la régularité d’une distribution des dépêches en harmonie avec les exigences de notre société si active, si pressée de connaître et de jouir, il devenait donc nécessaire, du moins dans l’intérieur de Paris, d’installer des moyens de transport assez puissants, assez rapides pour suppléer la télégraphie électrique elle-même, en cas d’encombrement des lignes. M. le vicomte de Vougy, directeur général des lignes télégraphiques de France, vient de résoudre ce problème de la manière à la fois la plus élégante et la plus économique. Les appareils ont été construits par MM. Mignon et Rouart ; l’administration en a exposé un dessin détaillé. De leur côté, MM. Mignon et Rouart ont installé dans leur pavillon un petit modèle de ce télégraphe atmosphérique, qui fonctionne tous les jours sous les yeux des visiteurs de l’Exposition.

Une série continue de tubes en fer, de 65 millimètres de diamètre intérieur, part du poste central des lignes télégraphiques, rue de Grenelle-Saint-Germain, passe par le Cercle impérial, rue Boissy-d’Anglas, par le Grand-Hôtel, la Bourse, l’hôtel des Postes, l’hôtel du Louvre, l’hôpital de la Charité, rue des Saints-Pères, et de là revient au poste central ; ces tubes sont solidement établis au fond de tranchées spéciales creusées sous le pavé des rues et sur les trottoirs des ponts.

Cette ligne circulaire, d’environ 6 400 mètres de développement, doit fournir ultérieurement des embranchements destinés à relier le Cercle impérial au poste des Champs-Élysées, le Grand-Hôtel au poste de la rue La Fayette, la Bourse à Sainte-Cécile, le poste de la rue des Saints-Pères au Sénat, à la Préfecture de police et à l’Hôtel de Ville. Quand cette canalisation sera terminée, une communication souterraine sera établie entre l’Hôtel de l’administration et tous les postes du Paris central, en même temps qu’entre ces divers postes télégraphiques ; pour le moment, la ligne circulaire maîtresse est seule exécutée[3].

Les chariots destinés au transport des dépêches doivent pouvoir circuler librement dans les nombreuses courbes imposées par le tracé de la ligne à travers les rues et les boulevards. À cet effet, on place les dépêches, enfermées dans leurs enveloppes, dans des cylindres métalliques, très-minces, de 60 millimètres de diamètre et de 15 centimètres de longueur, recouverts d’une gaine de cuir. Chaque chariot peut contenir 40 dépêches ; ainsi chargé, il pèse 270 grammes, ce qui donne un poids total de 2kil,700 pour un convoi de 10 chariots, placés bout à bout, portant ensemble 400 dépêches. On complète le convoi en plaçant à l’arrière un piston métallique, très-léger, armé d’un disque de cuir embouti ; en marche, ce disque de cuir forme exactement les tubes de la ligne et n’exerce qu’un très-faible frottement contre leurs parois.

Le moyen de propulsion adopté est à la fois très-simple et très-économique. Dans chaque poste sont installées deux cuves de tôle dont la capacité dépend de la longueur de la ligne desservie : l’une sert de cuve à eau, l’autre de réservoir d’air comprimé. Ces deux cuves communiquent par un tube armé d’une soupape de retenue qui permet le passage de l’air de la cuve à eau dans le réservoir d’air comprimé et s’oppose à son retour en sens inverse.

De gros tubes de fonte garnis de robinets permettent de mettre la cuve à eau en communication d’une part avec les canaux de distribution des eaux du canal de l’Ourq, d’autre part avec les égouts de la ville. La communication du réservoir d’air comprimé avec les tubes de la ligne souterraine est établie par un tuyau garni d’un robinet gradué.

Quand le robinet du tube de communication avec les canaux de distribution des eaux de la ville est ouvert, le liquide afflue dans la cuve à eau, chasse devant lui l’air dont elle est remplie, et le refoule dans le réservoir d’air comprimé ; la soupape de retenue s’oppose au retour du gaz quand la cuve à eau est ensuite vidée dans les égouts. En raison de la différence du niveau, on peut, dans les divers postes de la ligne, se procurer ainsi un volume déterminé d’air comprimé sous un excès de pression de 60 à 70 centimètres de mercure ; des expériences souvent renouvelées ont démontré qu’une pression beaucoup moindre suffit pour assurer un service rapide et régulier.

Engageons maintenant dans les tubes de fer les chariots remplis de dépêches, puis le piston propulseur, et ouvrons le robinet de communication du réservoir d’air comprimé et de la ligne ; le gaz comprimé se précipite dans les tubes, pousse devant lui le convoi, lui imprime une vitesse qui dépend de l’excès de pression dans le réservoir et que l’on peut maîtriser à l’aide du robinet de communication.

Ajoutons que des manomètres convenablement disposés permettent de connaître à chaque instant la pression que supporte l’air dans la cuve à eau, dans le réservoir d’air comprimé et dans les tubes de la ligne en amont du convoi de dépêches.

Des essais très-multipliés et très-variés ont démontré que le meilleur moyen de se mettre à l’abri des dérangements de toute nature qui peuvent compromettre la sûreté de la correspondance est d’opérer sans pression constante, et qu’un convoi de 10 chariots, portant 400 dépêches et pesant environ 3 kilogrammes, avance avec une vitesse d’environ un kilomètre par minute sous l’influence d’un excès de pression de 20 centimètres de mercure maintenu à l’arrière du piston propulseur. — Cela posé, voici comment on procède à l’expédition des dépêches. Dans le réservoir d’air comprimé, l’excès de pression est toujours maintenu à 20 centimètres de mercure. On engage le convoi dans les tubes de fer, on met la cuve à eau en communication avec les canaux de distribution des eaux de la ville, et quand le manomètre accuse dans cette cuve un excès de pression de 20 centimètres, on ouvre le robinet de communication de la ligne et du réservoir d’air comprimé. Le gaz du réservoir se précipite dans les tubes de la ligne et pousse en avant le convoi ; en même temps, l’air de la cuve à eau, refoulé par le liquide qui afflue, passe dans le réservoir et y maintient une pression constante ainsi que dans les tubes de la ligne en amont du convoi. Quand les dépêches sont arrivées au poste correspondant, on ferme le robinet de communication de la ligne et du réservoir d’air comprimé, on vide la cuve à eau dans les égouts, et tout est prêt pour une nouvelle expédition. — Chaque poste transmet habituellement ainsi cinq convois par heure, ce qui assure une circulation constante et régulière de 2 000 dépêches par heure, avec une vitesse de 1 kilomètre par minute. — Le service exige évidemment que les postes correspondants soient munis d’appareils de télégraphie électrique qui permettent aux employés de se maintenir constamment en communication.

L’administration télégraphique a organisé ce service dans le but de faire face aux besoins actuels de la distribution des dépêches, mais elle est bien loin de dépenser toute la force disponible. L’expérience a démontré qu’en rapprochant convenablement les convois et en profitant de la totalité de l’excès de pression réalisable, on pourrait facilement sextupler l’activité de la circulation et transmettre, dans une seule direction, jusqu’à dix à douze mille dépêches par heure. Et comme chaque poste peut expédier dans plusieurs directions à la fois, on comprend sans peine combien il serait avantageux d’appliquer le système adopté par l’administration télégraphique au transport et à la distribution de toutes les lettres dans l’intérieur de Paris.

Quelle que soit l’habileté des employés, quelque active que soit la surveillance exercée, un dérangement peut évidemment subvenir sur la ligne, un convoi de dépêches peut être arrêté en route. Comment procéder à la recherche du convoi dans les tubes souterrains ? Comment déterminer le point précis où existe l’obstacle, afin de rétablir promptement la circulation en dégageant la voie ? Heureusement l’appareil lui-même fournit un moyen fort simple de faire très-exactement cette importante détermination. On a, en effet, sous la main, un réservoir de capacité connue, contenant de l’air à une pression connue aussi. On met le réservoir en communication avec la voie obstruée ; la tension du gaz baisse d’autant plus que l’obstacle est placé plus loin. Mais la tension d’une masse gazeuse déterminée varie en raison inverse du volume qu’elle occupe ; de la diminution de tension observée on peut donc déduire très-facilement et très-exactement la capacité en mètres cubes de la portion de la ligne comprise entre le poste de départ et le point où le convoi est arrêté. D’autre part, on connaît le diamètre intérieur et par suite la section transversale des tubes de la voie ; en divisant cette capacité par la section des tubes, on obtient évidemment, à quelques mètres près, la distance à laquelle existe l’obstruction. On connaît donc ainsi le point où il faut ouvrir la tranchée pour retrouver le convoi et réparer la ligne. Un fait servira mieux que tout ce que nous pourrions dire à montrer la confiance que l’on doit accorder à ce procédé de recherche. Le jour de l’inauguration de la ligne souterraine entre le poste central, rue de Grenelle-Saint-Germain, et le Cercle impérial, rue Boissy-d’Anglas, le premier convoi lancé s’arrêta en route. Le calcul indiqua une obstruction vers le milieu de la rue de Bourgogne. On n’y voulut pas croire ; la ligne est toute droite dans le parcours de cette rue. On pensa que l’obstacle devait exister dans les courbes décrites par la ligne autour du palais du Corps législatif ; on ouvrit des tranchées, le convoi n’y était pas. La détermination, recommencée en sens inverse par le même procédé, donna le même résultat ; on se décida alors à découvrir la ligne au point indiqué par le calcul, vers le milieu de la rue de Bourgogne ; on y trouva le convoi engagé dans un amas de sable que, pendant la pose, les ouvriers eux-mêmes, par négligence, avaient laissé pénétrer dans les tubes.

En définitive, la force de propulsion nécessaire à l’expédition des dépêches est fournie par les eaux de la ville ; les avantages de ce système sont si évidents qu’il est à peine besoin de les signaler. Remarquables par la simplicité de leur construction et la facilité de leur manœuvre, les appareils sont toujours prêts à marcher, et ne sont d’ailleurs exposés qu’à de très-faibles causes de dérangement. Livrée à très-bas prix par la ville, l’eau du canal de l’Ourcq est un moyen de compression de l’air disponible à toute heure, sans aucune préparation, sans frais de mise en train, ni d’entretien, ni d’approvisionnement. La ligne une fois construite, le prix de revient de la correspondance est exactement représenté par la valeur très-minime du volume d’eau utilisé : nulle du moment où la transmission s’arrête, la dépense reste toujours proportionnelle à l’activité du service.

Bien que jusqu’ici elle n’ait joué qu’un rôle secondaire et subordonné dans la transmission des dépêches, la ligne souterraine atmosphérique a fourni un service trop régulier pour que nous ne soyons pas autorisé à dire qu’elle a fait ses preuves. À notre avis, ce système devrait être généralisé et adopté dans les grandes villes comme moyen de transport et de distribution des lettres. Que se passe t-il, en effet, à Paris, à l’administration des postes, qui a imprimé à ses services toute l’activité que comporte l’emploi de courriers comme moyen de communication entre ses divers bureaux ? Malgré les sept levées et les sept distributions qui sont faites tous les jours, entre sept heures du matin et neuf heures du soir, il s’écoule moyennement quatre heures entre le moment où une lettre est mise dans une boîte et celui où elle arrive à destination, et les lettres déposées avant midi peuvent seules parvenir à temps pour permettre une réponse dans le courant de la même journée ; aussi les télégrammes de Paris pour Paris, malgré leur prix encore trop élevé, ont-ils été adoptés par la population avec un empressement qui témoigne de l’insuffisance des moyens actuels de correspondance. Mais, à moins de recourir à l’emploi toujours très-difficile de la dépêche chiffrée, il n’y a pas de secret réel possible avec la télégraphie électrique. Il y a donc nécessité de faire subir une réforme profonde et radicale au service de la distribution des lettres dans l’intérieur de Paris. L’expérience a démontré que le télégraphe atmosphérique, si heureusement inauguré par M. de Vougy, remplit toutes les conditions désirables d’économie, de rapidité et de sûreté ; en l’adoptant pour le transport des lettres, l’administration serait enfin en mesure de faire face à tous les besoins d’une correspondance chaque jour plus active.

7 août 1867.

J. GAVARRET.



NUMÉRO 9


Doléances, souhaits et proposition des loueurs des carrosses de place et des loueurs des carrosses de remise, avec prière au public de les insérer dans les cahiers de la ville de Paris.
(Sans lieu ni date, ni nom d’imprimeur.)


DOLÉANCES

De nous, soussignés, loueurs des carrosses de place et des carrosses de remise de la ville et fauxbourgs de Paris, contre les priviléges et vexations exercés à notre détriment, au préjudice de l’intérêt, de la liberté et de la commodité du public :

1o Par le sieur Pierre Perreau et compagnie, ayant le privilége exclusif des carrosses de place et celui des voitures et messageries des environs de Paris ;

2o Par la Compagnie ayant le privilége exclusif des voitures publiques pour le service de Paris à la cour ;

3o Par la Compagnie ayant le privilége exclusif des diligences et messageries du royaume ;

4o Par les Maîtres-postes, s’attribuant aussi un privilége exclusif ;

5o Enfin, par le privilége exclusif du Bureau de la Fosse vétérinaire.

À travers tant de priviléges exclusifs qui s’entre-choquent et se nuisent mutuellement, il est impossible que nous servions le public d’une manière utile pour nous et agréable pour lui.

Notre existence est vendue aux privilégiés ; ils nous soumettent à des contributions excessives ; sans cesse ils nous prennent en contravention ; la fraude ne se présume point, et toujours la présomption de fraude est contre nous. Semblables au Pénitent de la fable, partout on crie haro sur nous ; à tort ou à raison, nous sommes par provision condamnés, saisis et ruinés, sans être entendus ni défendus ; nous n’avons ni le temps ni le moyen de nous défendre.

Les priviléges exclusifs sont la cause de notre infortune, et notre infortune fait que le public, quoique en payant beaucoup, est très-mal servi.

Pour comble de malheur, les plaintes du public frappent sur nous, sans faire attention aux causes du mauvais état de nos cochers, de nos chevaux et de nos voitures. L’on traite comme vices les effets de notre misère ; l’on regarde comme cris de l’insolence nos gémissemens et les élans de notre désespoir.

Quel sort est le nôtre ! de quelque côté que nous nous tournions, nous sommes les victimes et de ceux que nous payons pour avoir le droit de travailler, et de ceux qui nous payent pour les servir.

Nous allons donner un aperçu des abus et vexations qui résultent de chaque privilége exclusif.

§ 1. — Doléances contre le privilége du sieur Perreau ou représentans.
Avant 1779, chaque carrosse de place payait au propriétaire du privilége, à raison de 21 sols par jour, 385 livres 5 sols par an. Il y avait alors au moins neuf cens fiacres, qui produisaient un revenu de 
 344 925 liv.
Chaque carrosse de remise payait 45 livres 10 sols par an. Il y en avait au moins huit cens, qui produisaient 
 36 400
Ainsi, nous achetions alors la faculté de travailler 
 381 525
Il était prélevé sur cette somme pour l’hôpital 
 10 000
Il restait, pour le revenu annuel du privilége 
 371 525

Le sieur Perreau, sous prétexte que le service ne se faisait pas bien, et promettant de le faire mieux, sollicita et obtint en 1779, par lettres-patentes enregistrées au Parlement, le privilége exclusif des carrosses de place et celui des voitures et messageries des environs de Paris, pour le terme de trente années, moyennant 5 500 000 livres, remboursables à l’expiration du privilége, et à la charge de payer à l’hôpital 15 000 livres, au lieu de 10 000 dont était tenu son prédécesseur. Notre misère devant augmenter par ce traité, il était naturel d’augmenter aussi le droit de l’hôpital à raison de la part que nous y prenons.

Le bénéfice de l’entreprise du sieur Perreau était infaillible ; il était assuré de notre abonnement annuel de 
 381 525 liv.
L’intérêt de ses fonds et le droit de l’hôpital ne montant ensemble qu’à      
 290 000
Il lui restait déjà un profit annuel de 
 91 525


et en outre ses bénéfices sur les voitures et messageries des environs de Paris, que nous ne tirons ici que pour mémoire.

Mais le sieur Perreau, pour rendre sa spéculation plus avantageuse, feignit d’entreprendre seul le service des carrosses de place ; il en fit faire même un grand nombre dans un nouveau goût.

Son projet ne tendait à rien moins qu’à nous ruiner. Car, que faire de nos chevaux et de nos voitures, lorsque la faculté de travailler nous était enlevée ? Les vendre ? Mais qui est-ce qui aurait voulu acheter des équipages de fiacre ? En tous cas, nous étions réduits à être sans état.

C’était à cette extrémité que le sieur Perreau voulait nous amener pour nous soumettre à sa discrétion. C’est ce qui est arrivé.

Le sieur Perreau, en conservant toujours le droit d’employer ses carrosses particuliers, nous vendit le droit de faire usage des nôtres, pour le temps de neuf années, par traités passés devant notaires, à la charge par nous de lui payer par jour 25 sols pendant la première année, 30 sols pendant la deuxième, 35 sols pendant la troisième, 40 sols pendant la quatrième et les suivantes. Ainsi, nous payons actuellement, pour chaque carrosse de place, à raison de 40 sols par jour, 750 livres par an. Il y a environ mille carrosses de place, dont les abonnemens produisent sept cent trente mille livres, ci 
 730 000 liv.
Ce n’est pas tout : le sieur Perreau, par ses lettres patentes, a obtenu le droit d’imposer chaque carrosse de remise à 6 sols par jour, ce qui fait 109 livres 10 sols par an. Il y a au moins huit cens carrosses qui payent ce tribut, et qui conséquemment lui rapportent 
 87 600
Ainsi, nos contributions annuelles montent au moins à 
 817 600

Ce n’est pas tout encore : le sieur Perreau ou ses représentans ont fait établir un grand nombre de carrosses, appelés anglois. C’est un nouveau privilége exclusif qu’il s’attribue ; car il ne nous est pas permis d’en posséder de semblables.

Que fait-il de ses carrosses anglois ? Il les loue 6 livres par jour à ceux d’entre nous qui ont des chevaux, et qui n’ont pas le moyen de rétablir leurs voitures ou d’en acheter de nouvelles.

Que résulte-t-il de ces locations ? La ruine infaillible de ceux qui y ont recours : 6 livres par jour produisent par an 2 190 livres.

Est-il possible qu’un cocher de place puisse vivre et entretenir ses chevaux en prélevant cette somme sur ses salaires ?

Qu’on ajoute enfin à ces revenus les bénéfices que le sieur Perreau retire des voitures et messageries des environs de Paris, et l’on jugera à quel intérêt il a placé le prix de son privilége. La fortune du sieur Perreau et de ses représentans est faite aux dépens de notre existence. Les tributs excessifs qu’ils lèvent sur nous, et qui ne nous dispensent pas de contribuer aux charges de l’État, ont opéré depuis 1779 la ruine de plus de trois cens pères de famille, dont les femmes et les enfants sont réduits à la mendicité.

Néanmoins, le service public ne roule que sur nous. Nous en sommes les acteurs ; le sieur Perreau et ses représentans n’en sont que les spectateurs. Nous le demandons, est-il possible que nous puissions contenter le public tant que ce privilége subsistera ?

§ 2. — Doléances contre le privilége des voitures de la cour.

Le privilége exclusif d’avoir des voitures publiques qui conduisent de Paris à Versailles, et dans tous les endroits où réside la cour, a été accordé, moyennant un fermage annuel de douze mille livres payables à la recette du domaine de Versailles.

Au moyen de cette somme, le fermier a le droit de nous empêcher d’aller partout où la cour réside, sous peine de confiscation de nos voitures et de 1 500 livres d’amende.

Ce privilége, tout gênant et tout odieux qu’il puisse être, serait encore supportable, si les fermiers ne lui avaient pas donné une extension désastreuse.

Nous allons rapporter quelques exemples de vexations.

1o Quand le privilégié prévoit qu’il n’est point en état de faire seul son service, il envoie sur les places publiques des officiers de police qui, sans examiner si nos chevaux sont en état ou non d’aller à Versailles, et sans égard pour le service de Paris, forcent nos cochers de se rendre dans la cour du Bureau.

Là, nos voitures attendent quelquefois trois ou quatre heures. Si le privilégié peut s’en passer, il les renvoie sans aucune indemnité, car il fait toujours partir les siennes de préférence. S’il les emploie, voici son compte à notre égard : il reçoit des voyageurs, tant pour aller que pour revenir, 28 livres par chaque voiture de quatre places ; il ne nous en rend que la moitié. Conséquemment, il gagne à nos dépens 14 livres par voyage.

Il arrive souvent que le privilégié emploie de cette manière trois cens de nos voitures. Ansi, chaque jour de presse, nous lui procurons environ 4 200 livres de bénéfice.

Si, par hasard, nous revenons à vuide, il ne gagne sur nous que 40 sols, et il ne nous paye que 12 livres pour avoir exposé nos chevaux à une course excessive et quelquefois mortelle. Enfin, s’il prévoit avoir besoin de nous pour le lendemain, il nous force de passer la nuit à Versailles, et, dans le dernier cas, il ne nous paye souvent que 6 livres pour notre retour à Paris.

2o Pour notre propre compte, la liberté d’aller à Versailles, à Saint-Germain, Marly, etc., nous est interdite ; il faut acheter la permission moyennant 6 livres par chaque voiture.

Nous allions autrefois librement à Saint-Cloud ; à présent il faut une permission qui coûte 5 livres, excepté les fêtes et dimanches, qui sont restés francs.

Toutes les fois qu’il y a à la cour des cérémonies qui attirent la curiosité, il part de Paris plus de cent de nos voitures, munies de la permission, et chacun de ces jours de presse procure encore au privilégié un bénéfice de plus de 600 livres.

Durant la tenue des états généraux, combien de nos voitures, s’il n’y a ordre contraire, seront employées au profit du privilégié ! Combien de permissions il faudra lui payer !

3o Il existe une infinité de cas où, malgré l’intention de nous conformer au règlement du privilége, nous sommes pris en contravention. Voici quelques exemples :

Nous aurons pris la permission de mener une compagnie à Versailles ; cette compagnie veut ensuite voir Saint-Germain ou Marly, elle oblige le cocher de revenir par là. Les commis ambulants qui rôdent partout ne manquent pas d’arrêter la voiture, nonobstant la permission, parce que cette permission n’est que pour Versailles, et non point pour la route de Saint-Germain. La confiscation s’en suit, nous sommes condamnés à une amende de 1 500 livres ou à une moindre somme, si tous nos moyens ne peuvent y atteindre.

Autre cas : nous aurons loué une voiture pour aller dans une maison de campagne aux environs de Versailles ou de Saint-Cloud, ou autres endroits prohibés ; il vient aux voyageurs l’envie de faire une apparition dans ces endroits prohibés ; nos cochers, nos postillons se prêtent à leur fantaisie, par l’appât d’une récompense, et quelquefois ils y sont forcés par les menaces ; qu’est-ce qui s’en suit le plus souvent ? la confiscation et l’amende.

Enfin, le privilégié ne se contente pas d’arrêter nos voitures à l’entrée, ou dans l’enceinte des endroits prohibés, il suffit qu’il les rencontre sur les routes qui y conduisent ; ses commis nous arrêtent partout où ils nous trouvent, la nuit comme le jour, sans égards pour les voyageurs, qui quelquefois dorment et se réveillent épouvantés par la voix impérieuse qui crie d’arrêter : on a vu en pareil cas des femmes prendre les commis ambulants pour des voleurs, et se trouver mal de frayeur.

À défaut de permission, il faut entrer en explication, déclarer où l’on va et d’où l’on vient. Les commis interprètent les déclarations à leur gré, et le sort de nos voitures dépend de leurs soupçons ou de leur crédulité. Leur certificat fait la loi.

Il est inutile de citer d’autres exemples de gênes et de vexations ; l’expérience publique y suppléera.

§ 3. — Doléances contre le privilége des diligences et messageries du royaume.

Ce privilége exclusif est affermé 1 100 000 livres par an. Mais si l’on en croit la voix publique, ce fermage n’a jamais été bien payé, et il en a souvent coûté des sommes considérables au roi pour soutenir cet établissement ; car telle est la ressource du privilégié : s’il gagne beaucoup, il se tait ; s’il perd, il parle, il se plaint, et il obtient des indemnités ou des extensions de droits.

En tous cas, les abus qui résultent de l’administration de ce privilége sont innombrables. Nous invoquons à cet égard les témoignages du public, et nous ne nous plaindrons ici que des vexations qu’on nous fait éprouver sans motifs ni raisons.

Il y a une infinité de circonstances où les voyageurs ne peuvent se servir des diligences, et qu’ils sont obligés d’avoir recours à nos voitures.

1o Lorsque les voyageurs veulent partir à des jours nommés, qui ne sont pas ceux du départ des diligences ;

2o Lorsqu’ils ne trouvent point de place dans les diligences, ce qui arrive souvent, quand on n’a pas la précaution de les retenir longtemps d’avance ;

3o Quand ils veulent se rendre dans les endroits par où les diligences ne passent point ;

4o Quand ils veulent avoir une voiture à leur commandement pour aller et pour revenir.

Eh bien, dans tous ces cas et autres semblables, nous sommes obligés d’acheter une permission qui coûte 5 sous par lieue pour chaque personne. Par exemple, si une compagnie de quatre personnes veut aller à quinze lieues de Paris, il faut payer 50 livres au bureau, tant pour aller que pour revenir. S’il y a des domestiques, ils payent à proportion. À défaut de cette permission, ou faute de s’y conformer ponctuellement, nos voitures sont confisquées si les commis ambulants les rencontrent, et nous sommes condamnés à l’amende.

Que le privilégié jouisse du droit exclusif de mener les voyageurs dans les villes pour lesquelles ses diligences et messageries sont destinées, c’est ce qui lui est affermé ; mais qu’il ôte aux voyageurs la liberté de voyager par d’autres moyens, lorsqu’ils ne peuvent avoir de place dans les diligences, ou lorsqu’ils vont dans des endroits où les diligences ne conduisent point, c’est une extension de privilége vexatoire pour le public et désastreuse pour nous. Les chemins appartiennent à tout le monde. Le roi ne peut et n’entend point en priver ses sujets ; s’il a établi des bureaux de diligences, c’est pour la commodité du public, et non point pour le réduire à une gêne qui ressemble à la servitude.

§ 4. — Doléances contre les maîtres de poste.

Les maîtres de poste s’imaginent aussi, comme les autres privilégiés, que les grands chemins leur appartiennent exclusivement. À nous, ils s’arrogent le droit de saisir nos chevaux, lorsqu’ils les rencontrent à des relais. Des voyageurs trouvent qu’il leur est plus commode de se servir de nos chevaux que de ceux de la poste.

D’autres veulent éviter les postes royales, soit à leur départ de Paris, soit à leur retour.

D’autres enfin craignent de ne pas trouver à la poste des chevaux prêts à partir, comme il arrive assez souvent.

Dans ces cas on s’adresse à nous pour mener ou ramener les chaises ; nous louons des chevaux qu’on appelle des enragés, parce qu’on ne les ménage point, et qu’ils font de longues courses sans arrêter.

Par exemple, nous aurons envoyé un postillon et des chevaux à votre rencontre à Ponchartrain, à Longjumeau ou autres lieux semblables, notre postillon se rend à une auberge pour rafraîchir et vous attendre, votre chaise arrive ; le maître de poste vous déclare qu’il a le droit exclusif de vous mener, qu’il a fait saisir vos chevaux de louage ; enfin, il vous force d’accepter son service qu’il vous fait payer.

Que deviennent nos chevaux ? Ils restent en fourrière jusqu’à ce qu’il plaise à M. l’intendant, à qui il faut présenter requête, de nous en accorder par provision la délivrance, à la charge par nous de payer les frais de fourrière, et de supporter la perte du temps.

§ 5. — Doléances contre les bureaux vétérinaires.

La mortalité des chevaux est en raison de leurs fatigues et de leurs traitements. Notre état est pour eux une épizootie continuelle. Les dangers et les mauvais temps sont leur partage. Il faut que nous forcions nature pour subvenir aux besoins et aux vexations qui nous accablent. Aussi périt-il à notre service au moins trois mille chevaux par an. C’est une des causes de leur rareté et de leur cherté.

Autrefois leur dépouille nous appartenait ; nous la vendions depuis 6 livres jusqu’à 36, à raison de leur embonpoint ; à présent ils cessent d’être à nous aussitôt qu’ils sont morts ou mis au rebut.

Pour éviter les inconvénients de la voirie, et pour cause de propreté et de salubrité, on a formé un établissement privilégié, connu sous le nom de bureau de la fosse vétérinaire. Aussitôt qu’un cheval est mort, il faut avertir le bureau, qui l’envoie chercher. Six charrettes sont continuellement occupées à ces enlèvements. Chaque cheval produit communément environ 50 livres au privilégié ; car il sait mettre à profit toutes les parties qui le composent.

Nous sommes bien éloignés de blâmer cet établissement, mais nous nous plaignons de ce que l’on s’empare de notre bien sans le payer, d’une marchandise que nous vendions avant la formation de ce bureau.

Pour concilier l’équité avec l’industrie, ne serait-il pas convenable de fixer le prix de chaque cheval à 15 livres, ce qui fait à peu près la moitié du bénéfice que le privilégié retire de la dépouille ?

Si nous perdons annuellement environ trois mille chevaux, ce serait une indemnité de 45 000 livres à répartir entre nous, et cette somme serait de conséquence pour nous qui n’avons pas le moyen de faire aucun sacrifice.

§ 6. — Souhaits.

Lorsque le gouvernement accorde un privilége exclusif, son intention n’est pas seulement de favoriser celui qui l’obtient ; mais le but principal est d’encourager un établissement formé pour l’utilité publique.

Si l’entrepreneur ne fait de son privilége qu’une spéculation financière, s’il n’en use que dans son intérêt personnel, et si, au lieu de procurer au public des facilités et de l’agrément, il gêne sa liberté par des entraves et des monopoles, alors le but du privilége exclusif est manqué ; il faut en souhaiter la révocation. En conséquence nous allons faire, et le public fera sans doute avec nous, les souhaits suivants

1o Nous souhaitons que le sieur Perreau, ou ses représentans, cesse d’avoir le privilége exclusif des carrosses de place, ainsi que celui des voitures et messageries des environs de Paris ; attendu qu’il ne pratique point le premier par lui-même, et qu’il nous met à contribution pour l’exercer à son défaut, et attendu que le second est gênant et abusif ; sauf à lui de concourir avec nous et avec tous autres à servir le public dans ces deux exercices.

2o Les abus et vexations qui résultent du privilége exclusif des voitures de la cour, sont trop sensibles pour n’en pas solliciter la révocation. Nous souhaitons de faire, concuremment avec l’entrepreneur et tous autres, le service de Versailles et des autres endroits où la cour résidera. À l’effet de quoi nous aurons toujours sur les places et sous nos remises des voitures prêtes à partir, et à même de garnir en tous temps de voitures suffisantes une place spécialement désignée ; telle que la place de Louis XV, où l’on pourrait construire des hangars pour mettre à couvert les carrosses qui attendront les voyageurs.

3o Si l’on conserve le privilége exclusif des diligences et messageries du royaume, nous souhaitons qu’il soit limité aux villes pour lesquelles il est destiné, c’est-à-dire que chaque diligence n’ait de droit exclusif que pour la ville dont elle porte le nom et pour laquelle elle a été établie, par exemple, la diligence de Chartres aura le droit exclusif de faire le service de Chartres ; mais nous désirons avoir la liberté d’aller en deçà, au delà et à côté de la ville de Chartres, sans payer la permission et sans être exposés à des saisies ; ainsi des autres routes et des autres villes pour lesquelles il y a des diligences.

Nous faisons ce souhait pour l’honneur même de l’humanité ; car, dans l’état actuel des choses, l’empire de ce privilége est si général et si absolu, que les cochers et voituriers ne peuvent rendre service aux pauvres voyageurs ; ils ne peuvent ramasser sur la route un malade, ni se charger de son paquet, sans s’exposer à la poursuite du privilégié.

4o Nous désirons avoir la liberté, toutes les fois que nous en serons requis, de conduire et ramener les chaises et autres voitures, sans que les maîtres de poste puissent saisir nos chevaux et sans qu’ils puissent forcer les voyageurs à se servir de leurs chevaux de poste plutôt que des nôtres.

5o Enfin nous souhaitons d’avoir la libre disposition de la dépouille de nos chevaux morts, à la charge par nous de les faire transporter aux fosses vétérinaires, de manière qu’il ne puisse en résulter aucun inconvénient ; si mieux n’aime le Bureau privilégié nous les payer à un prix convenable qui sera fixé.

§ 7. — Proposition.
Si nos souhaits sont accomplis, il s’établira au moins deux mille carrosses de place, deux mille carrosses de remise et cinq cens cabriolets publics. La liberté et la concurrence exciteront à l’émulation. Or nous offrons de payer annuellement, par forme de capitation, 200 livres pour chaque carrosse de place, ensemble quatre cens mille livres, ci 
 400 000 liv.
100 livres pour chaque carrosse de remise, ensemble 
 200 000
50 livres pour chaque cabriolet public, ensemble. 
 25 000
Notre tribut annuel sera donc d’environ 
 625 000

Avec ce nombre de voitures publiques il sera aisé de pourvoir tant au service de la cour qu’à celui de Paris et des environs, à plus de vingt lieues à la ronde. Et avec ce revenu, il y aura moyen d’indemniser les possesseurs des priviléges exclusifs.

Dans la position actuelle, nous payons, tant à titre d’abonnement qu’à titre de permissions et vexations, au moins quinze cent mille livres.

Dans l’état désiré, nous payerons environ neuf cent mille livres de moins ; cette différence fera notre profit, et ce profit nous tirera de l’état de misère dans lequel nous languissons.

Nous nous soumettrons, pour le bon ordre, aux lois de la police ; nous nous conformerons aux règlemens et tarifs que le gouvernement adoptera.

On pourrait faire un livret en forme d’almanach, qui contiendrait : 1o les règlemens ; 2o nos noms et demeures, avec le nombre de voitures que chacun de nous posséderait ; 3o le tarif général, tant pour la cour que pour Paris et les environs, à vingt lieues à la ronde, le tout par ordre alphabétique. Le public, connaissant ainsi le prix de nos salaires, ne serait plus dans le cas de marchander, ni d’être rançonné.

Public, dont nous sommes les serviteurs, daignez nous prendre sous votre protection ; délivrez-nous de la tyrannie des priviléges exclusifs ; faites-nous participer à la régénération du royaume, à cette liberté si désirée, dont nous n’abuserons point !

Notre cause est la vôtre ; nous vous appartenons. Nous sommes vos cochers et vos postillons. Nos chevaux et nos voitures sont les vôtres ; procurez-nous les moyens de les entretenir ; adoptez nos doléances et nos souhaits ; insérez-les dans vos cahiers ; faites-les valoir auprès du roi et des états généraux ; enfin, mettez-nous à portée de vivre, et nous serons en état de vous bien servir.

Puisse notre exemple servir à convaincre de l’abus désastreux des priviléges exclusifs ! Heureux si nous sommes parvenus à démontrer la nécessité de les abolir, ou tout au moins de les restreindre ! Et plût à Dieu que nos doléances contribuassent à faire établir ce principe salutaire, qu’il serait plus humain, et quelquefois moins coûteux, de prévenir les effets de la misère que de multiplier les hôpitaux et les prisons pour loger ses victimes !

Signé : Briguet, Wasse, Coupel, Lelong, Courteille, Lemaître, Ducrot, Mansiot, Petité, Langneur, Guerbe, Lebas, Marie, Godart, Rousset, Denuelle, Traizet, Mercier, Marquet, Esprit, Robbe, Chevallier, Pepin, Mamy, Marsalle, Chauvereche, Durand, Perier, Beauvallet, Vautier, Blanchet, Fleury, Delperon, Durand, Hariet, Mane, Dondaine, Blanchet, Marais, Cramier, Durandy, Palin, Berrurier, Richard, Bandlet, Legras, Godar, Fleucheraux.

NUMÉRO 10


Le général Fleury a adressé à tous les préfets de l’empire la circulaire suivante, dans le but tout militaire de faire multiplier les chevaux hongres sur nos marchés :

Paris, 1er  août 1868.

« Monsieur le préfet, dans une note qu’elle vient de m’adresser, la Compagnie générale des omnibus, rendant compte des expériences qu’elle poursuit depuis cinq ans sur l’emploi comparatif du cheval entier et du cheval hongre, me fait savoir qu’en présence des résultats acquis, son intention, à partir de 1870 au plus tard, est d’acheter de préférence des chevaux castrés.

« Je me félicite d’autant plus de cette mesure qu’elle ne fait que consacrer des idées que j’ai constamment préconisées, et qu’elle a d’ailleurs été obtenue uniquement par l’observation attentive et raisonnée des faits. Les chevaux entiers sont d’un prix plus élevé ; ils coûtent plus cher à nourrir, sont dangereux à l’homme et distraits dans leur service, sans être plus énergiques que les hongres, lorsqu’il ne s’agit pas de lourds transports. Ajoutons que, malgré tout le soin avec lequel ils sont choisis, ces mêmes chevaux, une fois leur temps de service fini, deviennent le plus souvent des reproducteurs nuisibles à l’amélioration.

« La castration, au contraire, offre ce précieux avantage de moins spécialiser le cheval dans son emploi, de le rendre apte à des services divers, de faciliter sa vente, et, par conséquent, d’augmenter son débouché et sa valeur commerciale.

« En aidant, par son exemple, à faire ressortir cette vérité, la Compagnie générale des omnibus a donc rendu un grand service à notre production indigène. Il appartient maintenant aux éleveurs, les premiers intéressés, de savoir tirer parti de la situation, et, suivant la loi économique de l’offre et de la demande, de mettre leur industrie au niveau des besoins d’une consommation plus active. Ce n’est pas seulement, en effet, la Compagnie des omnibus qui viendra chercher chez eux les 1 500 chevaux qui lui sont moyennement nécessaires, chaque année, pour la remonte de sa cavalerie forte de 9 500 têtes ; le petit luxe, généralement habitué jusqu’ici à s’approvisionner en produits allemands, s’y rendra aussi, du jour où il aura la certitude d’y rencontrer ce qu’il lui faut.

« Enfin, c’est là un point qui, dans un pays militaire comme la France, ne saurait être négligé ; la multiplication des chevaux hongres sur nos marchés aurait l’avantage de fournir à l’armée, à un moment donné, des ressources pour l’artillerie, le train des équipages, voire même la grosse cavalerie. L’Angleterre, où tous les chevaux de service, sans distinction, sont castrés, nous offre, à cet égard, un exemple bon à suivre : du jour au lendemain, l’on pourrait, en dételant les voitures, y remonter des régiments entiers.

« Comme vous le voyez, monsieur le préfet, la question de castration, aux différents points de vue sous lesquels on l’envisage, a une importance sérieuse, et c’est pourquoi je vous serais obligé d’assurer à la présente circulaire la plus grande publicité possible en la faisant insérer, en totalité ou en partie, dans les journaux de votre département et dans le recueil des actes administratifs ; vous voudriez bien aussi ne laisser échapper aucune occasion d’engager les éleveurs, par vos conseils, à entrer résolûment dans la nouvelle voie qui leur est indiquée.

« Agréez, etc.

« Le grand écuyer,
« FLEURY. »

NUMÉRO 11


Incendie du Petit-Pont.

1718, avril, buvat, journal de la régence[4].

Le 28, sur les huit heures du soir, le feu prit aux maisons bâties sur le Petit-Pont, qui aboutit au petit Châtelet, sur lequel sont aussi bâties deux salles de l’Hôtel-Dieu, celle des Morts et celle du Légat, avec tant de violence, que toutes les maisons des deux côtés de ce pont, et jusqu’au coin du marché Neuf, avec une partie de celles de ce marché, en furent entièrement ruinées et que le pont en fut enfoncé. Cet incendie provint d’un bateau chargé de foin qui était attaché à la pointe du terrain de Notre-Dame, auquel bateau le feu avait pris d’une manière extraordinaire.

On racontait qu’un enfant s’étant noyé en se baignant de ce côté-là, quelque batelier avait superstitieusement conseillé à la mère désolée de cet enfant de mettre un cierge bénit dans une sébile de bois sur l’eau, et qu’où la sébile s’arrêterait le corps de l’enfant se trouverait ; de sorte que la sébile s’étant arrêtée auprès du bateau, le cierge allumé avait mis le feu au foin, dont le feu s’était communiqué à un autre bateau aussi chargé de foin, et que de crainte que le feu ne se communiquât à plusieurs autres bateaux chargés de foin et de bois, les bateliers avaient coupé les câbles de ces deux bateaux enflammés, dont l’un fut enfoncé auprès du pont Saint-Michel, et l’autre était descendu sous le Petit-Pont, qui était tout cintré et étançonné de bois pour en empêcher la ruine, dont il était menacé depuis quelques années, de sorte que ce bateau n’ayant pu passer outre, à cause de ces étançons, y avait mis le feu, et ensuite aux maisons, dont quantité de marchands établis sur ce petit pont n’en purent sauver que très-peu de leurs effets et d’autres en furent entièrement ruinés. On faisait monter la perte que cet incendie avait causée à huit millions. Plusieurs personnes périrent par la ruine du pont et furent suffoquées dans l’eau. On comptait trente-cinq maisons brûlées et ruinées.

Comme il y avait lieu de craindre pour l’Hôtel-Dieu, M. le cardinal de Noailles s’y transporta sur le minuit, et fit exposer le saint sacrement dans la salle du Légat, où le feu commençait à gagner, et où il s’arrêta, par une espèce de miracle, sans y pénétrer ; de cette salle, où l’on ne reçoit que des femmes, plusieurs de ces pauvres femmes se sauvèrent comme elles purent, à pied, en charrette et en chemise.

Les salles basses de cet hôpital étaient remplies d’eau jusqu’à environ deux pieds de haut, qu’on y avait introduite par le moyen des pompes qu’on faisait jouer de tous côtés. On sonnait le tocsin dans toutes les églises voisines et éloignées pour exciter tout le monde au secours.

Le lendemain 29, à dix heures du matin, le feu n’étant pas encore éteint au marché Neuf, pour empêcher qu’il ne se communiquât plus avant, du côté de la rue de la Huchette et du pont Saint-Michel, on appliqua des pétards à deux maisons pour les faire culbuter.

On observa que, par une faveur particulière de la Providence, le temps était serein, qu’il faisait très-peu de vent, et que la rivière se trouva pour lors assez grosse pour ne point manquer d’eau, que l’on faisait couler par le moyen des pompes dans le marché Neuf et dans les rues voisines, comme si c’eût été un étang.

Les capucins, les récollets et d’autres religieux coururent la nuit au secours et ne s’y épargnèrent pas, pour tâcher d’éteindre ce feu terrible, à quoi furent aussi occupés une partie des soldats aux gardes françaises et suisses, les archers du guet à pied et à cheval, pendant que les autres empêchaient la confusion de la populace et gardaient ce qui se tirait des maisons.




  1. Recueil général des anciennes lois françaises, t. X, p. 487-492.
  2. M. J. Gavarret a bien voulu nous autoriser à reproduire ici, comme document justificatif, un article remarquable qu’il a publié en 1867 sur la télégraphie atmosphérique. Nos lecteurs nous sauront gré de leur communiquer ce travail de l’éminent professeur.
  3. Depuis la publication de cet article, le tracé de cette ligne circulaire maîtresse a été modifié : le poste de l’hôtel du Louvre a été supprimé et remplacé par un poste situé prés du Théâtre-Français, à l’entrée du boulevard Napoléon. Ce nouveau poste a été directement relié à celui de la Bourse et à celui de la rue des Saints-Pères ; la ligne de la Bourse à l’hôtel des Postes a été conservée et forme un véritable embranchement. L’administration s’occupe activement de l’amélioration et du développement de ces communications souterraines ; elle a établi rue La Fayette, près la rue Laffite, un nouveau poste relié par un embranchement au poste de la Bourse, Ajoutons enfin qu’une ligne supplémentaire, destinée à mettre le Cercle impérial en communication avec un poste situé dans les Champs Élysées, est en voie de construction. (25 décembre 1868.)
  4. Édit. Campardon, t. I. p. 515.